La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Nestor Almendros
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Re: La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par Nestor Almendros »

C'est une photo très diffuse, au filtrage très poussé. Difficile d'avoir une impression HD optimale. Et je me suis posé les mêmes questions que toi concernant les scènes coupées.
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Rashomon
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Re: La vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par Rashomon »

odelay a écrit : Par contre ce qui fait tout de suite bondir, ce sont les 50 min de scènes coupées! Elles auraient été retrouvées?? :roll: Car je rappelle qu'au départ le film faisaient presque trois heures et qu'il a été charcuté dans le dos de Wilder. Si jamais il s'agit bien de ces scènes manquantes, c'est un véritable événement dont n'ont pas trop l'air de se rendre compte les mecs de Beavers qui ne font que signaler la présences de ces scènes dans les suppléments.
Oui, et je suis surpris que les médias spécialisés ne s'en soient pas fait l'écho. Ce n'est pas tous les jours que les scènes manquantes d'un film mutilé refont surface (si c'est bien le cas, mais je ne vois pas de quoi d'autre il pourrait bien être question)
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Jeremy Fox
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Re: La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par Jeremy Fox »

The Eye Of Doom
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Re: La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par The Eye Of Doom »

Les séances ciné télé familiales se suivent rapidement : La main du diable Jeudi Cry Baby Vendredi La vie privée de Sherlock Holmes hier. !
Tres beau film bien sûr qui garde le charme de la production de prestige faite par un maître. On sait que Wilder ne s'est jamais remis des charcutages opérés après une preview mauvaise. Il à renié le film dans son état actuel.
Jugement sévère. Tel quel le film demeure tres bon, porté par une mélancolie sourde.
Le fin est particulièrement bouleversante.
De façon generale les adaptations de Sherlock valent souvent ce que valent les interpretes de Watson. Ici Colin Blakely est tres bon, assurant le registre comique avec un plaisir communicatif. La beauté sensuelle de Geneviève Page et la finesse de Robert Stephens et Christopher Lee font le reste.
Decors et photos magnifiques.
C'est léger, intelligent, invraisemblable (ou presque), beau, distrayant, émouvant.
C'est un film sur la fin d'un Monde et la naissance d'un autre où l'honneur n'a plus cours et où la fin justifie les moyens.

Bon j'ai plus qu'à regarder les bonus....
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Thaddeus
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Re: La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par Thaddeus »

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Mythe au logis


Après que, au dénouement du Dernier Problème, le héros eut passé de vie à trépas en tombant dans les chutes du Reichenbach, il fallut que l’auteur, pressé par l’avalanche des protestations, consentit à la ressusciter. Sherlock Holmes, détective soucieux de logique, de chimie et de savoir-vivre, avait ainsi triomphé de son créateur, Sir Arthur Conan Doyle, médecin, spirite, romancier et historiographe victorien. Depuis, l’incarnation n’a fait que se renforcer. Sociétés, musées, correspondances voire biographies se sont réunis pour rendre hommage à un personnage désormais pourvu d’une vie, d’un état-civil, d’une psychologie et peut-être même d’une âme. La sociologie du phénomène est des plus simples. La bourgeoisie anglaise, pudique, s’est plu à parer l’activité de sa police des attraits de l’amateurisme et des prestiges de la science exacte, quel que soit par ailleurs un rôle répressif où l’abondance des criminels exotiques apporte quelques lumières. Si terne et ennuyeux qu’il apparaisse au bout de ce compte, Holmes reste plus convenable que le sordide Vidocq, policier parallèle et patron des indicateurs, qui fit les beaux soirs de la télévision nationale avant d’engendrer un authentique naveton du cinéma français. Le grand écran ne pouvait manquer de s’intéresser à un mythe aussi fructueux. Donc il adapta, exploita, illustra avec un bonheur inégal les aventures les plus riches en rebondissements et donna au moins huit versions du Chien des Baskerville. Il ajusta aussi la créature de fiction sous les traits de John Barrymore, Clive Brook, Basil Rathborne et Robert Downey Jr, à des récits de qualité assez basse qui cherchaient souvent à moderniser leur propos, allant jusqu’à faire lutter le protagoniste contre des ennemis nazis. Au fond, on serait tenté d’affirmer sans ambages que la plus éblouissante déclinaison cinématographique demeure celle, totalement apocryphe, qu’entreprit Jean-Jacques Annaud par Umberto Eco interposé à travers sa magnifique adaptation du Nom de la Rose.


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Avec La Vie Privée de Sherlock Holmes, Billy Wilder s’adonne à une opération toute différente. Son soigneux et élégant travail, hélas amputé d’un tiers par un distributeur sans égards, s’apparente à un ouvrage d’archéologue. Négligeant l’appropriation et méprisant les transpositions, il se livre à une recréation patiente. Lieux et temps sont brillamment conviés au rendez-vous. La rue et la garçonnière du 221 B Baker Street retrouvent, le grand décorateur Alexandre Trauner aidant, les illusions perdues de leur vraisemblance, tout comme les personnages (la dame qui vient un soir sonner chez le détective a pour sœurs les héroïnes du Ruban Moucheté ou de L’Homme à la Lèvre Tordue) et les séduisants principes du mystère (des plus rudimentaires, au début de l’enquête, aux plus intrigants, à mesure qu’elle se perfectionne). Il y a une adresse écrite au verso d’un bulletin de consigne dont l’humidité décalque le numéro sur la paume d’une main nue, problème quotidien, semblable par cette simplicité même aux données à peine voilées qui sont au départ des investigations de Holmes. Puis la sagacité s’éprouve sur des secrets autrement résistants. Et l’invention du film renouvelle alors avec exactitude les charmes les plus constants de la littérature de Doyle, son sens et son goût d’un insolite fugitif. Dans une boutique déserte, d’étranges stries rayent la poussière du plancher et un angle est meublé par une vaste cage de canaris vivants. Un cercueil voit son défunt accompagné de quelques autres petits volatiles aux plumages blanchis. Des moines venus d’ailleurs étirent leurs processions. L’ombre de Mata-Hari, l’esprit de Jules Verne sont convoqués, et finalement le monstre du Loch Ness lui-même se met de la partie. Autant de fantaisies qui tiennent parfaitement leur rang parmi les bizarreries les mieux ourdies de l’écrivain et qui sont décrites comme est conduit le long-métrage, avec un classicisme superbe, un style racé fait de modestie savante et de virtuosité discrète.

Or la minutie de la reconstitution et le plaisir même avec laquelle elle est orchestrée sous-tendent les mobiles d’une ironie parallèle. Wilder n’adore que pour mieux pervertir. Son protagoniste, en tous points semblable aux apparences de la machine raisonneuse et impersonnelle du romancier, se voit presque constamment bafoué. Il n’est plus l’instigateur génial de la logique cachée des évènements mais le témoin incompétent, sinon la victime, d’une histoire qui le néglige. Les devinettes se résolvent inopinément, comme dans le cas des cannelures mystérieuses dont il est montré, sans qu’Holmes y soit pour quoi que ce soit, qu’elles correspondent aux empreintes laissées par les roues d’un fauteuil d’infirme. Elles sont expliquées via leur promoteur, le frère aîné Mycroft, qui se voit forcé de mettre au parfum un cadet aussi curieux que peu perspicace. Mieux encore, elles se révèlent autant de pièges tendus par des adversaires qui jaugent l’intelligence du devin et lui combinent des énigmes sur mesure, sachant qu’il les déchiffrera juste à point pour que l’action consécutive favorise leurs desseins. Le cartésien imperturbable qui savait si bien discerner la ligne du plus simple sous les semblants les plus embrouillés et qui l’exprimait avec tant d’arrogance (le fameux "élémentaire, mon cher Watson") se voit, sans que le cadre ni les péripéties aient changé de nature, métamorphosé en velléitaire ballotté entre hasards et agents secrets. Et sa mince victoire finale ne dépasse guère le succès méritoire d’un exécutant passif. À la peur respectueuse que se plaisait à provoquer un démiurge de la déduction, seul capable de comprendre, de châtier ou d’épargner, succède dès lors une singulière pitié. Le docteur Watson n’est plus le témoin émerveillé des hauts faits de son ami mais un ange gardien compatissant qui, tandis que le héros fourbu se retrouve au plus bas de sa détresse et de sa misère morale, condescend à lui fournir l’oubli d’une drogue dont il a préalablement dosé la nocivité.


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Loin des généralités et des abstractions hâtives, Wilder ne recherche ainsi pas l’essence du fruit derrière la représentation de la pomme mais en enrichit la silhouette à grand renfort de peau et de pulpe. La mortification de Sherlock Holmes se compense d’une fortune dont elle est la condition nécessaire. Sans participer aux règles d’or de l’humanisme ni la gaver des vitamines truquées du psychologisme, cette approche esquisse plutôt la mécanique politique dont le héros est le rouage mal réglé, le jouet d’un complot qui le dépasse et qui se trouve à son tour dépassé. Mycroft met en effet à profit l’invention du sous-marin qui permettra au Royaume-Uni impérialiste d’assurer définitivement sa maîtrise des mers, et Sherlock, en l’espèce, ne s’avère qu’un importun maladroit et gaffeur. Mais la belle entreprise elle-même sera réduite à néant par la reine Victoria en personne, petite bourgeoise aux idées étroites, naine bornée qui n’y voit qu’une ruse de guerre déloyale, à peine enjolivée par une figuration qu’elle juge charmante parce qu’elle n’en comprend pas l’utilité réelle. Sur son ordre, il ne restera de l’aventure qu’une bouteille de champagne flottant dérisoirement à la surface de l’eau, en compagnie d’une bible. L’apparition de la sensualité est à la mesure de cette provocation manichéiste. Ayant à se défendre des avances de Geneviève Page nue, Holmes trouve son courage dans la fuite et le mensonge en se prêtant les mœurs de Tchaïkovski. Ce qui offre un moment de pur humour wilderien : Watson, grisé et très égrillard, s’adonne à des danses de plus en plus échevelées avec des ballerines peu à peu remplacées par des hommes. Ces séquences savoureuses ne pourvoient de scandale que pour la pruderie victorienne. Elles sont aussi choquantes que pouvaient l’être, pendant la liberté des années folles, le Osgood de Certains l’aiment chaud détaillant à Jack Lemmon les techniques curieuses employées par ses anciennes épouses pour "fumer". Une fois encore l’ancien dominateur, dont la misogynie proverbiale était un signe de fermeté éthique et mentale, se trouve être malgré lui le jouet des appétits d’autrui. Mais du même coup, il découvre la chaleur et les douleurs de sa propre affectivité.

C’est que chez ce grand moraliste qu’est Billy Wilder se dessine toujours, obstinément, une approbation de l’authenticité et de l’humanité du sentiment, quand bien même les circonstances sociales ou les travers de chacun l’habillent d’une apparence perverse. Si l’on prend son parti que "personne n’est parfait", selon la formule consacrée, on trouve dans les opus tardifs de sa carrière, et particulièrement dans La Vie Privée de Sherlock Holmes, des incitations à l’abandon plutôt que des mises en garde contre la faiblesse humaine. S’il dénonce toujours l’impératif abstrait de la loi et le système froid de la société, il accorde une complicité active, par le rire même, aux épanchements des passions et aux vertus de la sociabilité. Son robuste prosaïsme parvient ainsi à amplifier l’émotion de la comédie sentimentale : dans la dernière scène, c’est par les yeux de Watson, avec le concours de sa pince à sucre, que l’on prend connaissance de l’adieu poignant qu’adresse à Holmes, d’outre-tombe, Ilse von Hofmannsthal. Et le film, commencé dans le burlesque, de s’achever dans la mélancolie. C’est l’hiver à Baker Street. Au souvenir de son premier amour, la fille de son professeur de violon, pour laquelle il jouait peut-être depuis lors, s’ajoute celui d’une espionne qui vient de mourir à Tokyo en portant leur nom d’emprunt : Ashdown. La cocaïne, cette autre passion (que Freud allait bientôt étudier) remplacera l’amour perdu : comme bien des héros de Wilder, Holmes a échoué dans son métier pour s’être laissé aller aux élans et aux instincts du cœur. Mais cette inclination, le cinéaste l’exalte. Parmi les objets-clichés tirés de la malle lors du générique (la casquette, la pipe, un manuscrit, une partition), il y a la boussole et la montre qui enferment toutes deux le portrait de la femme disparue. Pour l’auteur comme pour ses personnages, la question reste posée : qu’arrive-t-il quand la plus belle construction de l’esprit, le stratagème le plus élaboré, révèlent leur faille et que l’angoisse ou la réalité de l’échec soudain vous saisissent ? La réponse est sans doute à chercher dans La Vie Privée de Sherlock Holmes, dont le romantisme, la tendresse et l’amertume feutrés ont offert l’une de ses notes les plus poétiques à l’œuvre wilderienne.


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The Eye Of Doom
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Re: La Vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder - 1970)

Message par The Eye Of Doom »

Merci Thaddeus pour ce texte!
Qui donne bien sur envie de se replonger pour la nieme fois dans ce grand film de Wilder.

Depuis mon post ci dessus (il y a 4 ans…) j’ai eu le temps de voir les bonus 8)
Ceux-ci permettent de se faire une idée de ce qu’a pu etre le film d’origine.
Honnêtement, je ne suis pas du tout convaincu que cette version que personne ne verra soit meilleure que celle que nous connaissons. Longue intro, flash back, scène maritime (visible en bonus),.. semble aujourd’hui dés éléments d’ordre tres secondaires vis à vis du corp du film actuel.
Wilder a pu faire fonctionner tout cela, ou pas…. nous ne le saurons jamais.
Mais en l’etat le film ne souffre d’aucun sentiments d’incompletude et demeure une des plus grandes réussites du cineaste
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