Columbia et les Westerns

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Swan
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Columbia et les Westerns

Message par Swan »

Libération consacre un article à la restauration des Westerns du catalogue Sony Pictures - je fais un copier-coller car en général leurs papiers ne sont consultables en ligne qu'une semaine :

"Une poignée de westerns redécouverts à l'occasion d'une impeccable restauration par l'Université de Californie.


Par Philippe GARNIER

vendredi 08 août 2003 Los Angeles correspondance

Depuis plusieurs années, et jusqu'ici sans tambour ni trompette, Sony Pictures s'est lancé dans un programme de restauration des films de son vaste catalogue Columbia ­ plus d'un millier de films. Cette quantité n'est pas le seul élément qui distingue Sony des autres studios, car il ne se contente pas de vagues dépoussiérages et sorties DVD, mais de véritables restaurations et de préservation. Le plus étonnant est que Sony consacre autant d'argent et de temps à une entreprise qui ne débouche que très rarement sur une exploitation DVD ­ ne parlons même pas de ressorties en salles.

Evolution. Cet été, les Ucla Archives ont lancé une programmation par thèmes de ces films, et ils ont eu la curieuse mais extrêmement bonne idée de commencer par une série de westerns, dont certains fort connus, mais pas tous. Outre le plaisir de pouvoir apprécier un classique comme 3 h 10 pour Yuma avec les incroyables noirs et blancs de Charles Lawton Jr. restaurés dans leur splendeur, ou de goûter les dialogues laconiques de Randy Scott et du grand Richard Boone dans The Tall T, on a aussi eu la surprise d'observer le bouleversement du western dans la période d'immédiate après-guerre. Changement économique, d'abord : les studios, ayant perdu leurs réseaux de salles, n'avaient plus besoin de films de remplissage bon marché. Les westerns deviennent donc des productions quasiment «A», avec des distributions à l'avenant. Mais, plus encore, ils deviennent adultes dans leurs thèmes et leurs scénarios.

Ces films sont sexuellement adultes. S'il ne figurait aucun des fameux «westerns freudiens» de l'époque dans la brochette Columbia présentée (la Vallée de la peur ou Ciel rouge ont été produits par d'autres studios), les exemples abondaient néanmoins dans la franchise des scènes de bordel, ou la magnifique et surprenante séquence entre Glenn Ford et Felicia Farr dans la deuxième bobine de 3 h 10 pour Yuma. La diligence a été attaquée, les témoins privés de monture, le gang peut donc tranquillement venir au patelin s'en jeter un, allant même jusqu'à prévenir le shérif d'envoyer un posse (1) sur les lieux. Felicia Farr est la serveuse du saloon, sans doute la plus inoubliable de toute l'histoire du western. Glenn Ford aime sa façon de servir le whiskey. Une fois les autres partis, il traîne un peu, flirte philosophiquement et poliment avec elle, va pour partir, monte sur son cheval, se ravise en la regardant une dernière fois, et retourne à l'intérieur partager la sieste de la fille qui, sans être dépeinte ni comme une pute ni une marie-salope, ne demande que ça, et n'exprime aucun regret ensuite, alors même qu'elle sait que l'aventure n'aura pas de lendemain. C'est ainsi que Glenn Ford est capturé, et que l'éleveur malheureux joué par Van Heflin hérite du prisonnier. Lui est prisonnier du gain, Ford de la queue, puis de la sympathie qu'il ressent pour son geôlier d'occasion. Un grand western.

Racisme. Mais dans les années 50, l'Amérique se relève aussi des guerres et commence à remettre en question l'ordre établi. Début du mouvement pour les droits civiques. C'est ainsi qu'un roman écrit par un auteur de Savannah (Arthur Gordon), basé sur le fameux lynchage de quatre Noirs à Monroe, en Géorgie, peut devenir un western du vétéran George Sherman sur le racisme contre les Navajos. Reprisal (la Revanche de l'Indien) ouvre de façon saisissante sur trois cordes encore attachées à un hanging tree (un arbre à pendus). Guy Madison joue un personnage plus familier des romans sudistes que des westerns, celui d'un sang-mêlé qui a «franchi la ligne» et se fait passer pour Blanc pour avoir le droit de posséder un ranch. Le racisme est encore au coeur de Gunman's Walk (le Salaire de la violence), même si le film de Phil Karlson annonce d'abord un conflit de générations : deux jeunes bites à cheval jouées par des idoles des jeunes (James Darren, alors habitué des films de plage genre Gidget, et le monolithique Tab Hunter), échangent des plaisanteries. Contraste absolu avec leur père, rancher vieillissant mais qui tient à rester «one of the boys» ; contraste aussi avec la gravité du reste du film. Jamais le racisme quotidien contre les Indiens (qui cohabitent avec les Blancs) n'a été montré de cette manière. Le scénariste Frank Nugent développe ici les thèmes abordés chez John Ford avec lui, comme dans la Prisonnière du désert, mais de façon subtile, avec des dialogues d'une intelligence peu commune. Beaucoup d'humour aussi : quand Darren demande à deux sang-mêlé Lakota s'ils veulent travailler, il croit entendre leur réponse : «Hoa». «Hoa», répond-il en pressant le poing contre la poitrine. Et les braves (aussi modernes et idoles des jeunes que Darren) de s'esclaffer : «Pas hoa, how much ?» (combien ça paye ?)...

Cinémascope. Le conflit générationnel qui oppose Tab Hunter et son père Van Heflin rappelle James Dean et Jim Backus, ou Warren Beatty et Pat Hingle chez Ray ou Kazan, dans des films plus «sérieux». Heflin est particulièrement bon, dernier adepte d'une culture du flingue dans une ville qui a dépassé ce stade, réduit à aller abattre son fils avant que le posse ne le fasse à sa place. Karlson, qui a beaucoup usé et abusé de l'extrême gros plan dans sa carrière mitigée, l'adapte ici au Cinémascope de manière admirable : Tab Hunter abattu comme un arbre au premier plan, son père qui le prend dans ses bras, et le posse en arrière-plan, tout ça éclairé et cadré par l'immense Charles Lawton. Que demander de mieux ?

Il y avait pourtant encore mieux au programme, une surprise totale : Face of a Fugitive, réalisé en 1959 par un autre habitué des films de plage, Paul Wendkos. Fred MacMurray sur un cheval est au départ une idée aussi tentante que de voir Cagney en selle : jamais très probant. Et pourtant l'acteur prête sa trogne en granit au titre du film de façon plus que convaincante : un bandit qui oeuvre seul, qui s'évade seul, et ne devient meurtrier qu'à cause de son idiot de frangin. Après ces séquences d'ouverture menées tambour battant, on a un film grave ; presque contemplatif, dans lequel la violence n'éclate que très tard : le fugitif est arrivé en ville, pas encore connu, et durant les 48 heures que prendront les affichettes «Wanted» à arriver par le train, peut se réinventer brièvement. Ironiquement, puisqu'on le retient au patelin, il demande à faire partie des adjoints du shérif réunis pour s'occuper du fugitif encore inconnu. C'est un scénario intelligent, bien mené par Wendkos, qui n'a pas peur d'aller au bout de son propos et de tuer son héros. Un western automnal qui annonce Coups de feu dans la Sierra et les westerns révisionnistes à venir.

Rembourré. Dans tous ces films, tel le shérif incarné par Randolph Scott dans Rue sans loi de Joseph Lewis, les héros sont lassés de la violence et tentent de l'éviter ­ tout comme les soldats rentrés de Corée ou du Pacifique. On ne tire pas avec la même désinvolture dans un bon western des fifties comme on le faisait dans les avoines des années 30, même dans les bons films. Violent Men (le Souffle de la violence) est un bon exemple de ce sentiment : Glenn Ford, que ses hommes appellent «Captain» pour quelque chose qu'il a fait durant la guerre de Sécession, mais qu'il préfère oublier, essaie longtemps de ne pas se laisser happer par le conflit qui oppose un baron éleveur au reste de la région.

Ce film est sublime quand on est en extérieurs (filmés à Lone Pine, comme la plupart des westerns de Boetticher et de DeToth), mais est aussi rembourré que le mobilier de la maison du baron éleveur joué par Edward G. Robinson, ou que la distribution prestigieuse. Les scènes de stampede (2) nocturnes (non seulement de bétail mais de chevaux) éclipsent tout ce qui s'est fait auparavant, y compris la Rivière rouge ­ le réalisateur, Rudolph Maté n'était pas ancien opérateur pour rien. Mais dès qu'on est à l'Anchor Ranch de Robinson on retourne au déjà-vu : Stanwyck plus cupide et salope encore que dans Quarante Tueurs de Fuller, Robinson en travailleur de l'amer sur béquilles, et Brian Keith qui passe son temps à mâchouiller une cigarette d'un air désintéressé. Et ils ont tous l'air de Grecs pêcheurs d'éponges.

(1) Groupe de volontaires réuni par le shérif pour mener la chasse aux criminels.

(2) Où le bétail panique."
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Geoffrey Firmin
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Message par Geoffrey Firmin »

Intéressant.
J'aime bien les textes de Phillipe Garnier dans libé, mais aussi ceux qu'il ecrit pour les dvd Wild side video.Il est également spécialiste des écrivains-scénaristes oubliés à Hollywood, il a écrit un bouquin la dessus qui s'appel "Honni soit qui malibu",c'est également lui qui a fait découvrir John Fante en France.Bref une pointure de la cinéphilie.
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Beule
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Message par Beule »

Merci Swan :D

Si toutes les restaurations sont à la hauteur de celle entreprise sur l'effectivement sublime 3:10 to Yuma (il y a quelques jours je me suis surpris à visionner en boucle la bobine consacrée à la fameuse scène de séduction entre Ford et F Farr pendant presque toute une nuit :oops: ), c'est un véritable cadeau fait par Sony et l'UCLA à la cinéphilie des amateurs de westerns fifties.
Je n'avais jamais entendu parler de ce Face of a Fugitive. :shock:

En espérant les DVD tirant partie de ces restaurations. :P
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Beule a écrit :Merci Swan :D

Si toutes les restaurations sont à la hauteur de celle entreprise sur l'effectivement sublime 3:10 to Yuma (il y a quelques jours je me suis surpris à visionner en boucle la bobine consacrée à la fameuse scène de séduction entre Ford et F Farr pendant presque toute une nuit :oops: ),
Je te comprend tout à fait, déjà que la copie du DVD est magnifique et cette scène touche au sublime. :P
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Geoffrey Firmin
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Message par Geoffrey Firmin »

Beule a écrit : Je n'avais jamais entendu parler de ce Face of a Fugitive. :shock:

En espérant les DVD tirant partie de ces restaurations. :P
Paul Wendkos a eu un début de carrière intéressant avec "le cambrioleur",bon polar écrit par Goodis et réalisé dans un style néo-réaliste.Ca s'est gaté par la suite, puisqu'il a terminé sa carrière a la tv en réalisant des téléfilms et des séries.Il a du faire quelques "Columbo" je crois.
Pour les dvd ,vu le retard qu'a Columbia France sur son planning( :evil: ),on est pas pret de les voir ceux la.
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Commissaire Juve
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Message par Commissaire Juve »

Columbia... un des quelques éditeurs qui ne me déçoivent presque jamais ! :P :wink:
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Beule
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Message par Beule »

Geoffrey Firmin a écrit :
Beule a écrit : Je n'avais jamais entendu parler de ce Face of a Fugitive. :shock:

En espérant les DVD tirant partie de ces restaurations. :P
Paul Wendkos a eu un début de carrière intéressant avec "le cambrioleur",bon polar écrit par Goodis et réalisé dans un style néo-réaliste.
Peu de souvenirs de ce polar, en dehors de la fabuleuse séquence du hold up initial dans la villa, au montage très syncopé usant de tous ces fameux gros plans, qui m'a beaucoup marqué.

Je viens de consulter le Tavernier/Coursodon qui semble faire bon cas aussi de ce Face of a fugtive, présenté comme l'une de ses tentatives les plus personnelles, louchant vers le polar. Alléchant :wink:
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Beule
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Message par Beule »

Commissaire Juve a écrit :Columbia... un des quelques éditeurs qui ne me déçoivent presque jamais ! :P :wink:
Les prix en linéaire ne me font pas sourire du tout, surtout que la plupart du temps il s'agit d'éditions on ne peut plus minimalistes :wink:

Quant à la qualité, elle n'est pas toujours du niveau de Yuma non plus. Quiconque a visionné le Z1 du merveilleux Vous ne l'emporterez pas avec vous de Capra me comprendra :evil:
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Message par Commissaire Juve »

C'est pour cela que j'ai écrit : "presque jamais" ! :wink:

Les prix, je m'en tape, du moment que l'encodage du film est bon... Idem pour les suppléments. Le film avant tout. :wink:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Commissaire Juve a écrit :C'est pour cela que j'ai écrit : "presque jamais" ! :wink:

Les prix, je m'en tape, du moment que l'encodage du film est bon...
Nanti va :mrgreen: :wink:
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Message par Commissaire Juve »

Pas tant que ça ; je n'ai quand même qu'une paye d'instit !... :wink: Mais quand on aime... 8)
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