Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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AtCloseRange
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Re: Affreux,sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par AtCloseRange »

Demi-Lune a écrit :
Père Jules a écrit : Je t'arrête tout de suite, il n'est pas nécessaire d'en rire (même si Scola joue sur la fibre comique, justement pour "désamorcer" un tant soit peu le dégoût qu'on pourrait ressentir). Tu peux avoir une vision un peu plus distanciée de la chose.
Sauf que cette scène est explicitement filmée sur un mode comique. Retraçons le fil : le fils travelo rentre au bercail car il a cassé son talon, la mémé est devant la télé, la fille fait son shampooing dans l'évier croupe bien en vue, hop, le travelo regarde innocemment autour de lui, se rapproche, pelote innocemment sa sœur qui proteste avec autant de vigueur que Jean-Marc Ayrault, lui baisse tranquilou la culotte tandis qu'elle continue de frotter ses cheveux et sort son zguègue, et en voiture Simone, avec la grand-mère sourdingue qui est à deux mètres. Tu avoueras que la situation est précisément cocasse parce que la présence de la vieille crée un décalage provocateur. Et Scola ne va pas s'arrêter en si bon chemin : il rameute Manfredi et le fait voir la scène par la fenêtre. Là encore, c'est le potentiel humoristique et non pas dramatique de la situation qui est exploité par la mise en scène, car ce que voit Manfredi (et donc filme Scola), à travers la fenêtre, c'est une femme (son fils travelo à perruque) qui pénètre une silhouette de mec (sa fille avec les cheveux plaqués par le shampooing). On voit sur le visage de l'acteur qu'il ne comprend pas trop le truc. Et voilà comment Scola, par sa réalisation, préfère jouer sur le pouvoir cocasse de cette situation qui n'est pourtant rien de moins qu'un viol incestueux. Ce processus de "désamorçage" du dégoût par l'humour est pour moi irresponsable et à partir de là, je ne peux avoir un regard distancié sur la chose.
Bah, ce sont les années 70 avec quasiment la fin de tous les tabous. Je crois bien que la seule scène dont je me rappelle, preuve qu'elle fonctionne :mrgreen: Le film passait régulièrement dans les années 80 (notamment l'après-midi... Autres temps donc).
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ed
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par ed »

Je pense que, pris en lui-même, on est parfaitement en droit de trouver le film assez dégueulasse.
Ce n'est évidemment pas mon cas, et si les scènes dont parle Demi-Lune me gênent aussi en elles-même, elles font pour moi partie intégrante d'un projet qui, pour schématiser, revenait à atteindre le point terminal, celui de non-retour, du genre dans lequel il s'inscrit.
On ne peut pas - ou plutôt il ne faut pas - voir Affreux, sales et méchants sans avoir en tête la direction prise par la comédie italienne dans les 15 années qui ont précédé, qui consistait - je résume - à foutre le nez de la société italienne dans sa propre merde. Pendant ces 15 ans, tous les tabous les plus divers ont été abordés, avec une véritable intention politique derrière (ça peut faire bizarre, dit comme ça, mais le tempérament méditerranéen fait que l'action politique à l'italienne est souvent brutale) : la dégueulasserie la plus répugnante, le vol, l'inceste, le viol, tout ça, c'est si j'ose dire la nourriture de base des cinéastes du genre, dont le credo était finalement d'affirmer qu'il est moins pire de montrer (surtout de la façon dont ils le faisaient) que de continuer à se voiler hypocritement la face. Et pour le coup, la réaction des biens-pensants de l'époque leur a souvent donné raison - mais de fait, je ne sais pas si, dans le registre, on pouvait vraiment aller plus loin qu'Affreux, sales et méchants. D'ailleurs, le film est souvent considéré comme le terme du genre.
Quant à la question qui est posée - je ne l'ai pas revu depuis longtemps - je n'ai pas souvenir que le film soit complaisant. Il est inconfortable, il génère un malaise de dingue, on a souvent pas envie de voir ce qu'il nous montre, mais je crois vraiment que le fait de montrer s'inscrit dans sa cohérence, que ça a toujours du sens.
Voilà ce que j'avais écrit il y a quelques années dessus
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julien
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par julien »

Dans Terre sans pain, Buñuel n'y allait pas de main morte non plus, en montrant crûment la réalité sociale d'une bande de paysans tarés et dégénérés, nichés dans le fin fond d'un petit village montagnard d'Espagne. D'une certaine manière son film est d'ailleurs beaucoup plus dérangeant que celui de Scola, puisqu'il se présente comme un documentaire. Chez Scola, l'aspect sordide et répugnant du film est fort heureusement constamment contrebalancé par un humour noir souvent salvateur, exactement comme chez Céline d'ailleurs.
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Demi-Lune
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Demi-Lune »

julien a écrit :Chez Scola, l'aspect sordide et répugnant du film est fort heureusement constamment contrebalancé par un humour noir souvent salvateur
"Salvateur" ? Mais salvateur de quoi ? Qu’importe que les situations soient ignominieuses, pourvu qu'elles soient marrantes ? Ça aide à mieux digérer ?
C'est exactement ce que je disais : ce processus de désamorçage du dégoût par l'humour, c'est justement ça qui est profondément problématique ici pour moi (je n'en fais pas une règle générale), parce qu'il aide à vous faire passer les pires dégueulasseries, comme une bouée de sauvetage. C'est ça qui me pose un vrai problème dans la démarche de Scola. Un frère tronche sa sœur, mais c'est marrant, parce que la vieille peau à côté n'entend rien.
Je remercie cependant ed de remettre ce film en perspective par rapport au genre et à ses velléités politiques. :wink:
julien
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par julien »

Je sais pas moi je l'ai pas vu de ce point de vu là en fait. Ça tient plus du grotesque et du pathétique que de l'ignominie quand même. En fait le titre du film annonce clairement la couleur. Ça a le mérite d'être honnête et d'aller jusqu'au bout de la démarche. Vous voulez voir de l'affreux, du sale et du vulgaire ? Et bien vous l'avez. Après faudra pas venir vous plaindre. En toute sincérité, avant de voir le film tu te doutais quand même un peu de ce que tu allais y trouver non ? C'est un peu comme les mères qui fouinent dans la chambre de leurs enfants une fois qu'ils sont à l'école pour voir si y'a pas des revues pornos de planqués, et après qui s'étonnent d'en trouver.
Dernière modification par julien le 10 mai 13, 14:41, modifié 3 fois.
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Père Jules
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Père Jules »

julien a écrit :Je sais pas moi je l'ai pas vu de ce point de vu là en fait. Ça tient plus du grotesque et du pathétique que de l'ignominie quand même. En fait le titre du film annonce clairement la couleur. Ça a le mérite d'être honnête et d'aller jusqu'au bout de la démarche. Vous voulez voir de l'affreux, du sale et du vulgaire ? Et bien vous l'avez. Après faudra pas venir vous plaindre. En toute sincérité, avant de voir le film tu te doutais quand même un peu de ce que tu allé y trouver non ?
C'est tout à fait ça. Je pense finalement que Demi-Lune a pris vraiment le truc trop à coeur. Comme dans pas mal de domaines, seule la distanciation évite la déprime.
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Watkinssien »

julien a écrit :En toute sincérité, avant de voir le film tu te doutais quand même un peu de ce que tu allés y trouver non ?

Ouch !!! :uhuh:
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julien
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par julien »

Je me disais bien qu'il y avait un truc qui clochait. Déjà que je mets un temps fou à écrire alors si en plus il faut que je me relise pour corriger les fautes. J'en ai profité pour rajouter une petite gâterie.
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Strum »

Je comprends assez bien la réaction de Demi-Lune. Dans le cadre de la comédie italienne, je préfère un Argent de la vieille et surtout Une Vie difficile, par exemple, à Affreux, sales et méchants qui reste quand même un film assez mineur et limité. D'ailleurs, j'ai toujours préféré le trio classique Risi, Comencini et Monicelli (qui surent allier le sarcasme et la condamnation politique à l'émotion) à leur cadet Scola, qui me parait meilleur dans le drame sobre (voir le magnifique Une Journée particulière) que dans la comédie sarcastique ou la tragi-comédie.
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Amarcord »

Il y a quand même, dans Affreux, sales et méchants, un sens du grotesque (Scola, avec sa galerie de "gueules" improbables, louchant maladroitement du côté d'un Fellini qui serait vidé de sa substance foncièrement humaniste - ce qui change tout) qui met à distance. Difficile, dès lors, d'y voir autre chose qu'une farce bien grotesque à l'humour (très) noir réjouissant.
Personnellement, c'est un film que j'aime beaucoup (même si je ne l'ai plus revu depuis longtemps). Et, d'une manière générale, je trouve que l'image de la misère (et de la pauvreté) qui y est donnée, même si elle est éventuellement outrancière aux yeux de certains, reste largement préférable à celle (que je trouve personnellement écœurante) qu'un De Sica livre dans Miracle à Milan, film que je trouve détestable.
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Mario Bava »

Amarcord a écrit :. Difficile, dès lors, d'y voir autre chose qu'une farce bien grotesque à l'humour (très) noir réjouissant.
Personnellement, c'est un film que j'aime beaucoup .

Ce sont les limites et les qualités du film.
Un spectateur avisé le goûtera (ou pas) mais je pense que ce cinéma a non seulement le droit d'exister - et surtout de transgresser les tabous : c'est même l'essence de l'art, non ? - mais encore manque cruellement dans le morne paysage actuel. :?
Dernière modification par Mario Bava le 13 mai 13, 13:26, modifié 1 fois.
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Amarcord »

Mario Bava a écrit :ce cinéma (...) manque cruellement dans le morne paysage actuel. :?
C'est le moins qu'on puisse dire.
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El Dadal
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Re: Affreux, sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par El Dadal »

Avec Les Monstres et Les Nouveaux monstres, le film de Scola fait partie des premiers films italiens que j'ai pu voir (très jeune). Sacré image de l'Italie pour un bambino, mais rétrospectivement je ne le trouve nullement choquant. Ça ressemble un peu à un acte d'amour désespéré, et comme souvent dans ces cas là, je ne peux que ressentir un vif sentiment de compassion.
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Re: Affreux,sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Borislehachoir »

Demi-Lune a écrit :
Père Jules a écrit :Perso je n'y vois aucune complaisance ni fascination.
Quand un travelo à perruque profite que sa sœur fasse son shampooing pour lui baisser la culotte et la sauter tranquillement
Ce n'est pas sa soeur mais la copine d'un de ses frères.
Même chose plus tard avec l'un des fils qui fera pareil à l'énorme prostituée dans le lit des parents. C'est du viol ordinaire, banalisé, et dont on devrait rire, ce qui est grave.
Je ne vois pas ou il y a viol.
il a préservé la petite fille tout le long du film pour mieux en faire le symbole de toute cette dégénérescence au travers d'une image finale écœurante. Cette façon dont il calcule son effet est... bref. :|
Le mot que tu cherches me semble être politique ( le Vatican aperçu de loin et filmé comme un écho impuissant à la misère des personnages ).
Mario Bava
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Re: Affreux,sales et méchants (Ettore Scola - 1976)

Message par Mario Bava »

Borislehachoir a écrit : Le mot que tu cherches me semble être politique ( le Vatican aperçu de loin et filmé comme un écho impuissant à la misère des personnages ).
:lol: 8)
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