Réalisé en 1955, LES INCONNUS DANS LA VILLE constitue la preuve éclatante que le « film noir » peut s’envisages en couleurs vives et sous un soleil de plomb. L’intrigue, complexe, évolue pour sa part entre le mélodrame, le polar et l’étude psychologique et sociale d’un microcosme bien défini, ici un petit bled sans histoire de l’Arizona.
Bradenville, bourgade tranquille baignée de soleil en ce vendredi d’été. Des inconnus arrivent en ville. Leur nom : Harper, Chapman, Slick et Dill. Ils viennent pour cambrioler la banque locale et effectuent, également, des repérages afin de découvrir une ferme qui pourra leur servir de retraite une fois le coup accompli. La banque, qui devrait contenir d’importantes liquidités, est dirigée par Harry Reeves, un voyeur envouté par une séduisante infirmière, Linda qu’il épie de manière obsessionnelle. Ce manège n’échappe pas aux cambrioleurs, lesquels mettent involontairement à jour d’autres travers de la tranquille localité. Les rapports entre Shelley Martin et son fils Steve se dégradent suite à une bagarre survenue à l’école et le gamin reproche à son paternel d’être un planqué pour n’être pas revenu de la Seconde Guerre Mondiale bardé de médailles. A bout de ressources, la bibliothécaire Elise Braden dérobe un sac oublié sous l’œil d’Harper. Boyd, riche propriétaire minier, a pour sa part sombré dans l’alcoolisme et songe à quitter son épouse infidèle.
Le samedi, à la fermeture de la banque, les gangsters accomplissent leur hold-up mais celui-ci tourne mal. Les tueurs se replient alors dans une ferme tenue par des Amish qu’ils font prisonniers, ainsi que Shelley Martin…
Inspiré, Richard Fleisher fait grimper la tension et entremêle les destinées d’une douzaine de personnages, bien servi par le scénario riche de Sydney Boehm, lequel présente non seulement les gangsters mais également les citadins d’une petite ville qui tous, ou presque, cachent l’un ou l’autre secret. Les protagonistes paraissent, dès lors, synthétiser divers travers comme la jalousie, l’envie, l’infidélité, l’alcoolisme, le vol, etc. Des liens se nouent entre eux, leurs destins se croisent, les situations embourbées dans la routine évoluent brusquement sous la poussé des gangsters, devenu les détonateurs involontaires de cette poudrière.
Lors du dernier tiers, LES INCONNUS DANS LA VILLE prend place dans une ferme où vivent des Amish qui refusent la technologie mais aussi la violence. Toutefois, parfois, celle-ci s’avère nécessaire afin de défendre une famille menacée face à des adversaires qui ne partagent pas ces valeurs. D’où un climax efficace, sous forme de « film de siège », qui annonce, toutes proportions gardées, des œuvres ultérieures comme LES CHIENS DE PAILLE de Sam Peckinpah. Sans oublier une conclusion cynique qui voit le héros du jour, jadis considéré comme un lâche, félicité par son fils et ses camarades de classe, soit la génération future, pour avoir nettoyé la ville à coup de fusil !
En un lap de temps très court (environ 24 heures), les vies des habitants de la bourgade ont d’ailleurs été profondément modifiées et, à la fin de la journée, plus rien n’est comme avant. Certains garderont des traces de cette journée sous forme de blessures, tant physiques que psychologiques tandis que d’autres auront fait la paix avec leur conscience voire retrouvé un sens à leur existence. A la vue des morts « pleins de vie voici quelques heures et dont la vie s’est interrompue brutalement, à jamais inachevée », beaucoup oseront, enfin, avouer leurs penchants amoureux ou se sentiront prêts à un nouveau départ.
Bénéficiant d’une distribution solide dans laquelle nous retrouvons avec plaisir Victor Mature, le toujours excellent Lee Marvin, le vétéran J. Carrol Naish et un étonnant Ernest Borgnine en fermier pacifique, LES INCONNUS DANS LA VILLE constitue une belle réussite du polar, filmée dans un flamboyant cinémascope couleur par un Fleisher tout auréolé du succès commercial et critique de son précédent 20 000 LIEUES SOUS LES MERS. A découvrir.
Copie Blu Ray éclatante absolument splendide