Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par Lord Henry »

Image
Créature sans âge, mais hantée par l'envol des ans, Michaela Cazaret (Ava Gardner) règne sur une cour extravagante et bigarrée. Elle puise dans la profusion de ses fidèles son amant du moment. Mais si elle s'octroie le droit de le congédier selon son bon plaisir, malheur à celui qui se piquerait de reprendre sa liberté.

Image
Unique réalisation de l'acteur Roddy McDowall, The Ballad ofTam Linn a manqué succomber aux avanies d'un destin contrarié. D'abord victime de la banqueroute de son producteur, le film s'est langui dans quelque obscur recoin, avant qu'un distributeur ne s'en empare pour le remonter à sa guise et l'affubler du titre de The Devil's Widow. Lancé sur le marché du cinéma d''horreur, flanqué d'un slogan peu équivoque ("She drained them of their manhood, and then of their lives"), le film a fini par retourner dans les limbes de l'oubli. Il n'en fut tiré à la fin des années quatre-vingt-dix que par l'intervention salvatrice de Martin Scorcese; lequel présida à sa restauration à partir des éléments originaux. Quelques mois avant sa disparition, Roddy McDowall put ainsi retrouver son film tel qu'il l'avait voulu, alors même que deux décennies auparavant, désabusé, il s'était vainement employé à faire retirer son nom du générique.
Image

The Ballad of Tam Lin s'inspire d'une légende écossaise versifiée par le poète Robert Burns. Ces quelques rimes mises en musique par le groupe Pentangle scandent ainsi le cours de l'intrigue. Une ponctuation dont l'objet est bien plus d'ornementer que d'embraser le récit d'une convulsion poétique. L'ornementation, voilà bien la bannière sous laquelle le metteur en scène range son ambition. Il met en exergue les effets décoratifs, il souffle sur les images les brumes d'une poésie évanescente : l’œil est certes flatté, mais l'esprit s'en trouve frustré. L'esthète a pris le pas sur l'artiste.

Pourtant, sous la parure chatoyante des images, bruissent des subtilités qui n'attendent que d'être déflorées.

Image
Déesse aux appétits bien terrestres, Michaela Cazaret règne sur un univers forgé à sa mesure. Drapée de somptueuses toilettes, elle évoque plus une icône de la "jet-society" qu'une envoyée de l'Olympe. Dans ce monde qu'elle peuple d'élus dévolus à sa cause, les règles de la société n'ont pas droit de cité. Le temps et sa course inexorable y sont proscrits. Les sentiments passent pour des conventions désuètes.

Ce royaume luxuriant aux noirs enchantements est symbolisé par un domaine retiré derrière de hautes grilles, qui s'étend aux confins d'un village de la province écossaise.
Mais si cet hédonisme débridé et cette amoralité sans entraves proclament la liberté comme une improvisation inconséquente, depuis l'ombre des coulisses on tient en respect les fauteurs de trouble. Il ne saurait être toléré que le chaos se substituât à l’ordonnancement discret de cette effervescence.
ImageImage
Tom (Tam) Lin (Ian McShane) a cédé l'exclusivité de ses faveurs et la disponibilité de son cœur à Michaela Cazaret (la Reine des fées de la légende) contre les prodigalités d'icelle. Mais, le moment venu, il comprend qu'en lieu et place d'un simple échange de bons procédés, il a renoncé au droit d'user de sa liberté. Ce monde dont il épuise les plaisirs est une prison, les geôliers et les bourreaux n'y manquent pas et son sort est suspendu à sa docilité.

Ainsi, Elroy (Richard Wattis), le majordome concupiscent, compulse-t-il avec gourmandise devant Tom incrédule, l'album où sont répertoriés les accidents funestes auxquels succombèrent ceux de ses prédécesseurs qui crurent eux-aussi pouvoir revendiquer leur émancipation.
Image
Car derrière la façade obligée de la jouissance et du cynisme gronde le bouillonnement ancestral des passions humaines. C'est bien le dépit amoureux et lui seul qui embrase l'ire de Michaela Cazaret. La déesse se refuse à déchoir au rang d'une femme délaissée.

Image
Mais l'amour, le vrai, s'est irrémédiablement emparé de Tom. Il a épousé les traits d"une innocente fille de pasteur (Stephanie Beacham) croisée par hasard sur ses terres de villégiature. L'amour qui mène sur le chemin du sacrifice, l'amour qui arrache aux illusions délétères et rend sa dignité à l'âme égarée. Loin des effluves du luxe , les deux amants se réfugient dans la modeste caravane qu'occupait Tom autrefois.
Image
Au fur et à mesure, la féerie scintillante laisse paraître les nuances sombres de la décadence et de la perversité. Madame Cazaret et sa communauté se sont réfugiées à la frontière de la vie elle-même, parce que la peur de la vie gouverne leur destin. "Vivre, ce n'est pas aimer ou mourir" énonce le pasteur lors de son sermon dominical, "Vivre, c'est aimer et mourir".

Le scénario de William Spier transpose habilement la légende de Tam Lin aux derniers feux des "swingin' sixties" , mais Roddy McDowall préfère se griser d’effets plutôt que d'en sonder les profondeurs.
Doté d'une indéniable sensibilité, il s'adonne à une recherche formelle qui ne résiste pas toujours aux sirènes de la complaisance. L'harmonie du style s'en ressent, et les effusions esthétiques ne sauraient suffire à attester de l'empreinte d'un véritable regard sur le sujet.
Image
Le film se trouve pris entre la somptueuse photographie de Billy Williams et les limites d'une mise en image illustrative. Ce sont précisément ces limites qui conduisent le réalisateur à en faire trop là où l'émotion requerrait de la simplicité (les retrouvailles à Edinbourgh) et, au contraire, à être pris en défaut lorsqu'il s'agit de transfigurer une scène par la seule force d'un imaginaire créatif (la chasse à l'homme finale).

Tout autant connaisseur de l'histoire d'Hollywood qu'il fut l'un de ses protagonistes, Roddy McDowall met amoureusement en valeur Ava Gardner. Le personnage de Michaela Cazaret est précédé de toute la filmographie de l'actrice, il y puise même sa signification cachée. Traitée par son réalisateur comme la figue emblématique d'un âge d'or révolu, elle paraît incarner un passé cinématographique en lutte contre l'oubli. Comme si vingt après Sunset Boulevard, Norma Desmond recourrait à la sorcellerie pour s'assurer d'exister au présent.
Image
Tel quel, The Ballad of Tan Lin n'en demeure pas moins une œuvre originale, riche de qualités visuelles réelles, qui cultive parfois un peu trop sa singularité - mais c'était aussi l'air du temps. Si le réalisateur n'a pas toujours les moyens de ses ambitions, il appartiendra à chacun d'enrichir le film de sa propre lecture.Il s'y prête et cela, c'est déjà loin d'être négligeable.

The Ballad of Tam Lin était proposé dans le cadre du mois "Ava Gardner" sur TCM.

Le générique:


La belle chanson du groupe Pentangle:
Dernière modification par Lord Henry le 5 janv. 14, 01:13, modifié 3 fois.
Image
riqueuniee
Producteur
Messages : 9706
Inscription : 15 oct. 10, 21:58

Re: The Ballad of Tam Lin - Roddy McDowall (1970)

Message par riqueuniee »

je ne savais même pas que McDowall avait réalisé un film...Une programmation qui m'a totalement échappé... Tant pis (ou dommage !)
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: The Ballad of Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par Lord Henry »

Image
riqueuniee
Producteur
Messages : 9706
Inscription : 15 oct. 10, 21:58

Re: The Ballad of Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par riqueuniee »

Il était temps...Il faut dire que je ne fais pas très attention aux programmes nocturnes (et ce film ne semble avoir été programmé que de cette façon).
Avatar de l’utilisateur
manuma
Décorateur
Messages : 3676
Inscription : 31 déc. 07, 21:01

Re: The Ballad of Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par manuma »

Vu également récemment sur TCM. Une curiosité cinématographique dans laquelle les idées séduisantes et bons moments côtoient les grosses maladresses et séquences ne fonctionnant tout simplement pas.

Je retiens l'implication de Ian McShane et d'Ava Gardner, idéalement employée en diva vieillissante perdant de son aura auprès des hommes, une réalisation très agréablement (mais pas trop, non plus) stylisée, forcement - vu l’époque - très psyché dans ses effets, une classieuse photographie, de superbes décors extérieurs écossais et une excellente bande originale (signée Stanley Myers). Le final nocturne, tourné en studio et flirtant sévèrement dans son ambiance avec l’épouvante, mérite assurément le coup d'oeil.

Pourtant, dans son ensemble, The Ballad of Tam Lin laisse sur une impression mitigée. Celle d'une oeuvre boiteuse, au ton incertain, aux dialogues parfois pesamment littéraires. Film ambitieux, mais malheureusement loin d'être totalement maîtrisé.
Lord Henry
A mes délires
Messages : 9466
Inscription : 3 janv. 04, 01:49
Localisation : 17 Paseo Verde

Re: The Ballad of Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par Lord Henry »

Le final m'a sérieusement évoqué une version des Chasses du Comte Zaroff sous acide.
Image
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99604
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Tam Lin (Roddy McDowall - 1970)

Message par Jeremy Fox »

Répondre