La Cité de la Peur (Station West, 1948) de Sidney Lanfield
RKO
Sortie USA : 01 septembre 1948
Après
Red River, nous revenons à une petite série B sans prétention mais extrêmement agréable.
Un chariot chargé d’or est retrouvé pillé, deux convoyeurs de la cavalerie américaine tués. Dans la contrée, plus personne y compris la ‘Wells Fargo’, ne souhaite s’occuper des transferts d’or à cause des innombrables vols et meurtres commis par un gang qui opère avec efficacité et discrétion. Dans le même temps, arrive dans cette petite ville du Far West, John Haven (Dick Powell), qui, par son impertinence et son sans-gêne, semble délibérément chercher les ennuis. Il s’agit en fait d’un officier de l’armée américaine envoyé incognito en mission pour tâcher de découvrir les meurtriers des convoyeurs. Il tombe amoureux de la femme qui paraît tenir la ville sous sa coupe, la belle Charlie (Jane Greer). Il se fait embaucher par Mrs Carlson (Agnes Moorehead), la propriétaire de la mine d’or de la région, afin d’effectuer lui-même les convois et se trouver ainsi directement en contact avec ceux dont il souhaite mettre fin aux agissements…

Musicien de jazz à ses débuts, le réalisateur Sidney Lanfield a commencé comme gagman à la Fox en 1926 et s’est lancé dans la mise en scène en 1930. On ne peut pas dire qu’il ait laissé grand chose dans l’histoire du cinéma car seuls deux de ses films sont plus ou moins connus en France :
L’amour vient en dansant (1942), une comédie musicale avec Fred Astaire et Rita Hayworth et surtout
Le chien des Baskerville (1939), le premier film de la série des Sherlock Holmes, avec dans le rôle du célèbre détective, son plus illustre interprète, Basil Rathbone. Le cadre de
Station West a beau être "westernien", l’intrigue ressemble plus à celle d’un film noir : il pourrait d'ailleurs s’agir d’une aventure de Philip Marlowe au Far West. Les éléments qui rendent ce film de série très agréable sont donc avant tout, une idée de départ ingénieuse (les enquêtes ayant pour cadre le Far West étant encore excessivement rares ; nous n'avions vue jusqu'à présent que
Tall in a Saddle avec John Wayne et
Fury at Furnnace Creek avec Victor Mature) mais surtout des dialogues constamment jouissifs et percutants, impertinents et tranchants à la manière justement de Raymond Chandler ou de l’une des adaptations cinématographiques de ses romans comme
Le grand sommeil de Howard Hawks ou
Adieu ma belle dans lequel, 3 ans plus tôt, Dick Powell tenait le rôle du fameux détective. L’acteur s’est très certainement inspiré de Marlowe pour jouer ce lieutenant des Services Secrets de l’armée, représentant du gouvernement, se faisant passer pour un civil afin de démasquer un gang de voleurs et de tueurs.
Outre un Dick Powell, futur réalisateur de films comme
Torpilles sous l’Atlantique, assez à l’aise dans son unique western, le reste de la distribution est également assez bien choisi. La belle Jane Greer, surtout connue pour avoir joué dans
La griffe du passé (1947) de Jacques Tourneur et pour avoir été plus tard Antoinette Mauban dans la fameuse version du
Prisonnier de Zenda (1952) de Richard Thorpe, tient ici le rôle de la femme fatale dont tombe amoureux l’agent secret. Cette femme, au premier abord douce et tendre, est en fait une séductrice et une manipulatrice qui tient la ville et ses habitants sous son emprise : Burl Ives dira d’elle "
Charlie possède la ville, fossoyeur et shérif inclus. Elle possède tout sauf la classe de catéchisme. Elle possède même une partie de moi et il vous arrivera la même chose si vous restez en ville." Agnes Moorehead, actrice dans les deux célébrissimes premiers films d’Orson Welles, interprète la riche propriétaire de la mine, personnage assez romantique, qui va épouser l’officier supérieur du corps d’armée basée dans la région ; c’est d’ailleurs grâce à l’amour du vieux militaire (Tom Powers) pour cette honnête femme que l’armée décide de s’occuper de "l’affaire". On ne peut pourtant pas parler d’une "faible femme" puisqu’elle n’hésite pas à se servir d’un revolver quand il le faut. Raymond Burr, que l’on verra plus souvent à la télévision qu’au cinéma, mais dont tout le monde se rappelle sa composition du "méchant" dans
Fenêtre sur cour de Hitchcock, joue ici "
un avocat sans plaidoiries", rempli de dettes de jeu et n’assumant pas son rôle par couardise et corruption, tenant plus à sa peau qu’à la justice : "
Si vous croyez me faire peur, vous avez tout à fait raison : je ne suis ni un héros, ni un idiot" dira t’il au détective, ce dernier le tenant en joue avec un revolver.
Enfin, le personnage le plus original est tenu par l’imposant Burl Ives, inoubliable patriarche des
Grands espaces (1958) de William Wyler et de
La chatte sur un toit brûlant (1958) de Richard Brooks. Avant ça, il se retrovait donc ici dans la peau d’un tenancier d’hôtel, espèce de "narrateur ménestrel", la guitare toujours à portée de main et donnant des conseils au héros en chanson. Dick Powell, lui demandant ce qu’il sait faire à part tenir l’hôtel, il répond "
Certains me disent poète, d’autres, idiot du village. Qui suis-je pour les contredire ?" Il s’agit en quelque sorte d’un démiurge qui sait tout et sur tout le monde, source d’informations inaltérable et celui qui relance l’action au moment ou notre héros se retrouve un peu perdu. Un allié pour Haven ayant l'air de connaître à l’avance toute l’intrigue du film et s'avérant drôlement machiste, le dernier couplet de sa chanson concluant le film résonnant de ses paroles : "…
Et un homme ne peut pas vieillir tranquille entouré de femmes et d’or".
Si la mise en scène de Lanfield se révèle assez fade et somme toute banale, elle est entièrement au service de l’excellent scénario co-écrit par Winston Miller (
My Darling Clementine) et Frank Fenton, ce dernier prouvant par la suite que cette petite réussite dans le genre ne sera pas restée unique. Mais comme nous le disions ci-dessus, ce sont surtout des dialogues finement ciselés qui ont permis à ce film de ne pas sombrer corps et biens dans l'anonymat et l'oubli. Un véritable feu d’artifices de répliques qui font mouche et qui tiennent en haleine le spectateur, ce dernier n’attendant qu’une seule chose, que le sarcastique Dick Powell ouvre la bouche pour savoir si sa réplique suivante sera aussi cinglante que la précédente ; en effet, c’est l’acteur principal qui bénéficie de presque tous ces "mots d’auteur". En voici quelques exemples pour le fun! Une fille de bar lui demandant s’il ne trouve pas triste de boire seul, il lui rétorque "
Non, pas quand on boit beaucoup". Tenu en respect par un homme voulant vraisemblablement le corriger, il lui dit sèchement : "
Tu me tabasses ou tu restes planté là ? " Se faisant embaucher par Jane Greer, celle ci lui demandant s’il est prêt à tout, il lui réplique "
A tout sauf à la potence"…
D’autres détails assez incongrus comme le pianiste n’arrêtant pas de jouer car non dérangé par la musique à cause de sa surdité, une scène de bagarre très efficace et sacrément vigoureuses à l'aide d'une caméra tenue quelquefois sur l’épaule, un très beau panoramique ouvrant le film et nous plongeant immédiatement dans l’intrigue, un ensemble de "petites choses" qui finissent de nous rendre éminemment sympathique ce film qui ne pourra pourtant être pleinement apprécié que par les inconditionnels des films de série de l’époque. Une oeuvre assez sympahique qui se regardera avec une délectation certaine par les amateurs de westerns.