Hop je profite de la remontée pour remettre ça là
Station Terminus de Vittorio De Sica (1953)
Une Américaine mariée, en visite chez des parents à Rome, a entretenu durant son séjour une liaison avec un homme. Elle décide qu'il est temps d'y mettre un terme, et commence à envisager son retour aux États-Unis, auprès de son mari. Mais elle réalise rapidement qu'elle n'est pas sûre de ce qu'elle veut, de ce qu'elle doit faire, et ne cesse de se tourmenter.
Terminal Station est le fruit de la rencontre de deux conceptions de cinéma, le néoréalisme italien et le mélodrame hollywoodien. A l’époque Vittorio De Sica est salué par la critique internationale pour ses chefs d’œuvre néoréalistes comme
Le Voleur de Bicyclette,
Umberto D ou encore
Sciucia. Cependant le public italien s’est lassé de ce type de films sinistres et le réalisateur a toute les peines du monde à monter des projets plus onéreux et ambitieux dans son pays. Quant à David O’ Selznick, sa carrière est finalement déjà derrière lui et c’est en Europe qu’il vient désormais monter ses projets avec des réussites comme
Le Troisième Homme de Carol Reed et La Renarde de Michael Powell et Emeric Pressburger. Représentants de la quintessence de leur cinéma respectifs, les deux hommes décident donc de s’associer dans ce projet et la confection du film va dans ce sens d’équilibrage entre tradition hollywoodienne et tonalité européenne. C’est donc Cesare Zavattini (scénaristes de tous les classiques de De Sica à l’époque) qui signe un premier jet de l’histoire bientôt repris (officieusement) par Ben Hecht tandis que les dialogues en anglais sont écrits par Truman Capote. Le casting donne lui dans le pur glamour hollywoodien avec Jennifer Jones et Montgomery Cliff qui s’insèrent dans un contexte italien.
Dès les premières minutes, ce surprenant mélange détone. La scène d’ouverture montre ainsi l’américaine Mary Forbes (Jennifer Jones) se présenter à la porte de Giovanni (Montgomery Cliff), hésiter à frapper puis s’enfuir à toute jambes vers la gare de Rome pour un départ en catastrophe. La construction de la séquence évoque
Brève Rencontre de David Lean par sa mise en scène isolant une Jennifer Jones confuse et assaillie par les émotions mais aussi par l’usage de la voix off lors d’un court moment épistolaire qui nous en dévoile plus (elle a connu et aimé un homme à Rome mais s’enfuit par culpabilité envers sa fille et son mari). Cet instant dans le train réduisant la bande son au silence tandis qu’un gros plan s’attarde sur Jennifer Jones perdue dans ses pensées lorgne également sur le classique de Lean et donc dans une tradition de mélodrame classique anglo - saxon. Montgomery Cliff se présente alors juste avant le départ du train, parvient à retenir Jennifer Jones et c’est un tout autre film qui commence.
Un mélodrame typique userait très certainement du flashback pour montrer le passé amoureux, la rencontre et le bonheur récent du couple. Il n’en est rien ici et De Sica fait de ces supposés adieux une longue errance en huis-clos au sein de cette gare où les amants vont s’embraser, s’affronter et se déchirer. Les échanges se font ainsi sur le ton du reproche et de la rancœur entre une Jennifer Jones amoureuse mais rattrapée par ses responsabilités et un Montgomery Cliff intense qui ne peut se résoudre à la laisser partir. La réalisation de De Sica les entoure d’un côté naturaliste surprenant (notamment les scènes d’amours bien plus appuyées que dans un film hollywoodien), sans artifice où de long moments dialogués reposant sur la conviction des acteurs s’alternent avec d’autres retrouvant le sens de l’emphase mélodramatique du réalisateur (Giovanni traversant une voie ferrée où passe un train pour rejoindre Mary). L’alchimie entre les deux acteurs est magique entre une Jennifer Jones (loin des rôles sulfureux qui ont fait sa gloire) rongée par le doute et la culpabilité et Montgomery Cliff bouillonnant face à une séparation imminente qu’il ne peut accepter.
Ils font tous deux preuves d’un abandon assez remarquable où on sent l’empreinte de De Sica dans la manière de les diriger. Celui-ci fait d’ailleurs de la gare un personnage à part entière, grouillant de vie et dont les rencontres vont accompagner les atermoiements et hésitations du couple.La sublime scène où Jennifer Jones offre des friandises aux enfants d’une femme enceinte qu’elle a secourue (et la rappelant ainsi à son propre rôle de mère) éveille une émotion comme seul De Sica est capable avec le contrechamp entre le visage radieux des enfants et celui heureux et coupable à la fois de son héroïne.Le rythme se fait ainsi volontairement bancal au gré des retrouvailles/séparations des amants voulant autant fuir que prolonger ses ultimes instants. Cela fonctionne parfaitement hormis une trop longue péripétie finale dans un commissariat censée appuyer la culpabilité du couple et accélérer la séparation. La touche néoréaliste forme une sorte d’arrière-plan à une romance obéissant aux canons hollywoodien, le croisement des deux offrant une émotion finalement universelle par la grâce d’un final déchirant.
Le tournage ne se fera pas sans heurts à cause du légendaire interventionnisme d’O’Selznick mais De Sica tiendra bon. Il lui arrivera malheureusement la même mésaventure que Powell/Pressburger sur
La Renarde pour la sortie américaine puisque Selznick remontera le film (qui passe de 89 minutes à 72 et changera de titre pour
Indiscretion of an American Wife) dont il élaguera justement tous ces petits moments annexes pour se concentrer de manière plus prévisible sur l’intrigue amoureuse. Cet autre montage n’est pas inintéressant néanmoins pour ressentir comme le souligne Ann Harding les différences entre cinéma américain et européen des années 50. Pas de doute à avoir cependant, le grand film est à chercher du côté de la version De Sica. 6/6