Hollywood's Horror movies : Les années 30 et 40

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Avatar de l’utilisateur
hellrick
David O. Selznick
Messages : 13823
Inscription : 14 mai 08, 16:24
Liste DVD
Localisation : Sweet Transylvania, Galaxie Transexuelle
Contact :

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par hellrick »

Le film le plus connu et réussi du coffret Lugosi d'Artus

WHITE ZOMBIE

Intéressant classique de l’âge d’or, WHITE ZOMBIE met en scène des zombies soumis au pouvoir du vaudou, une option « réaliste » ensuite oubliée au profit des morts vivants anthropophages lancés par LA NUIT DES MORTS VIVANTS et ses dérivés.

Couple nouvellement marié, Neil et Madeleine passent à Haïti leur voyage de noces, invités par Charles Beaumont. Ce dernier, épris de Madeleine, imagine un plan macabre pour conquérir la jeune femme et sollicite l’aide de Murder Legendre, un initié Vaudou. Beaumont souhaite « assassiner » Madeleine à l’aide d’une drogue en apparence mortelle avant de la ramener à la vie via les pouvoirs du vaudou…mais la ressuscitée n’est plus qu’une poupée vide.

En dépit de son grand âge, WHITE ZOMBIE demeure une des plus convaincantes illustrations des pouvoirs du Vaudou, plus tard illustrés par deux métrages aussi efficaces que méconnus : L’INVASION DES MORTS VIVANTS et L’EMPRISE DES TENEBRES.
Tourné en onze jours pour un budget ridicule, WHITE ZOMBIE met en vedette Bela Lugosi, acteur alors auréolé d’une gloire consécutive à son interprétation de Dracula dans le film homonyme de Tod Browning. Dans le rôle de Murder (sic !), le Hongrois compose un personnage de méchant diabolique du plus bel effet et parvient à ne pas trop verser dans le cabotinage. Lugosi livre ici une de ses plus mémorables performances et reste l’attraction principale de ce WHITE ZOMBIE. A ses côtés, le reste du casting souffre, par contre, d’une pâleur parfois catastrophique, peu aidé par un manque de caractérisation préjudiciable. Ainsi Marge Bellamy, dans le rôle de la désirable Madeleine, passe l’essentiel du film les yeux dans le vague et son amoureux, joué par John Harron, ne semble guère plus concerné.
Si le manque de budget se marque dans des décors très artificiels, ceux-ci parviennent, paradoxalement, à conférer un charme indéniable au métrage, baigné dans une atmosphère onirique prenante. Malheureusement, les moyens restreints dont dispose le cinéaste se ressentent également dans une mise en scène paresseuse qui abuse d’effets faciles (les yeux en surimpression, les images qui s’ouvrent et se ferment de manière incongrue,…) et manque fortement de tonus. Pas très doué, Victor Halperin se soucie peu de bouger sa caméra et d’offrir au métrage le moindre mouvement, préférant se focaliser sur la création d’une suite de tableaux figés plus ou moins convaincants. Certains plans acquièrent ainsi une puissance évocatrice indéniable en exposant des décors sinistres ou des figurants inquiétant mais, hélas, les moments plus mélodramatiques, déjà peu intéressants, souffrent d’une piètre illustration et paraissent désespérément statiques.
Enfin, WHITE ZOMBIE doit se contenter d’une musique pas vraiment appropriée et fatigante, laquelle envahit l’espace et laisse peu de place aux effets sonores, pourtant plus intéressants, ou, au contraire, disparaît lorsque les images demandent un accompagnement mélodique approprié.
Ces faiblesses empêchent le film de prendre sa place auprès des grands chefs d’œuvres de l’épouvante des années ’30 mais l’intrigue, originale et bien menée, se suit cependant avec grand plaisir et suffit à rende le métrage appréciable. Un bel effort est d’ailleurs fourni pour inscrire le récit dans un contexte « authentique », en citant, par exemple, des articles de loi haïtienne traitant du problème de la « zombification » d’innocents par les pouvoirs magiques du vaudou. Des qualités totalement oubliées par Victor Halperin dans REVOLT OF THE ZOMBIES, une séquelle de sinistre mémoire sortie en 1936.

Dominé par l’interprétation de Lugosi, WHITE ZOMBIE, inscrit dans l’Histoire du Cinéma comme le premier « zombie movie », s’avère une redécouverte plaisante pour les nostalgiques. Son scénario habile, ponctué de quelques scènes au climat macabre efficient, compense, au final, une mise en scène laborieuse et des seconds rôles au jeu médiocre. Bref, une œuvre estimable à l’indéniable importance historique.
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

Image
riqueuniee
Producteur
Messages : 9706
Inscription : 15 oct. 10, 21:58

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par riqueuniee »

Le premier du genre, et un film qui présente des vrais zombies, conforme à la tradition des Caraïbes (après le mot a pris -en ce qui concerne le cinéma fantastique- un autre sens) : des personnages "téléguidés" grâce à des pratiques de sorcellerie.
Voir aussi, sur le même thème, Vaudou de Tourneur (dont le titre original est I walked with a zombie.
D'ailleurs, les zombies peuvent ne pas être des cadavres réanimés : ça peut être des vivants envoûtés.
Avatar de l’utilisateur
magobei
Assistant opérateur
Messages : 2652
Inscription : 11 sept. 07, 18:05

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par magobei »

hellrick a écrit : Si le manque de budget se marque dans des décors très artificiels, ceux-ci parviennent, paradoxalement, à conférer un charme indéniable au métrage, baigné dans une atmosphère onirique prenante.
A noter que le film, tourné en 11 jours, réutilise des décors d'autres films, dont Dracula et Frankenstein. Ce qui m'avait procuré une légère sensation de déjà-vu...
Dominé par l’interprétation de Lugosi
Personnellement, je l'ai trouvé totalement sans nuance, comme s'il rejouait son rôle de Dracula, en appuyant un peu plus. Les récurrents gros plans sur ses "zombie eyes" (dixit le tagline) n'aident pas... Certes, le film est intéressant, mais surtout par sa place dans l'histoire du genre, vu que c'est une première. Après, en ce qui concerne ses qualités cinématographiques propres, heu... :?
"In a sense, making movies is itself a quest. A quest for an alternative world, a world that is more satisfactory than the one we live in. That's what first appealed to me about making films. It seemed to me a wonderful idea that you could remake the world, hopefully a bit better, braver, and more beautiful than it was presented to us." John Boorman
Avatar de l’utilisateur
hellrick
David O. Selznick
Messages : 13823
Inscription : 14 mai 08, 16:24
Liste DVD
Localisation : Sweet Transylvania, Galaxie Transexuelle
Contact :

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par hellrick »

magobei a écrit :
Personnellement, je l'ai trouvé totalement sans nuance, comme s'il rejouait son rôle de Dracula, en appuyant un peu plus. Les récurrents gros plans sur ses "zombie eyes" (dixit le tagline) n'aident pas...
A noter que REVOLT OF THE ZOMBIES la séquelle lamentable (parue chez Bach) réutilise ces gros plans pour les caser un peu partout...pathétique ;-)

Sinon c'est quand même, de loin, le meilleur des trois films du coffret Artus :wink:
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

Image
Bugsy Siegel
Accessoiriste
Messages : 1674
Inscription : 1 sept. 07, 17:42
Localisation : Flamingo Hotel

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Bugsy Siegel »

magobei a écrit :
hellrick a écrit : Si le manque de budget se marque dans des décors très artificiels, ceux-ci parviennent, paradoxalement, à conférer un charme indéniable au métrage, baigné dans une atmosphère onirique prenante.
A noter que le film, tourné en 11 jours, réutilise des décors d'autres films, dont Dracula et Frankenstein. Ce qui m'avait procuré une légère sensation de déjà-vu...
Je préfère largement White Zombie à Dracula pour ma part.
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
Avatar de l’utilisateur
hellrick
David O. Selznick
Messages : 13823
Inscription : 14 mai 08, 16:24
Liste DVD
Localisation : Sweet Transylvania, Galaxie Transexuelle
Contact :

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par hellrick »

THE RAVEN

De tous temps, les nouvelles d’Edgar Allan Poe inspirèrent des cinéastes qui, bien souvent, se contentaient de reprendre un titre marquant et l’une ou l’autre idée pour proposer des métrages fort éloignés de la prose morbide de l’écrivain. Au début des années ’30, une première vague d’adaptations voit ainsi se succéder MURDERS IN THE RUE MORGUE, THE BLACK CAT et, enfin, THE RAVEN. Ce-dernier, cependant, se distingue des précédents par son intérêt marqué vis-à-vis de l’œuvre de Poe, dont un brillant chirurgien, incarné par Bela Lugosi, s’avère un amateur fanatique.

La jeune danseuse Jean Thatcher, victime d’un accident de voiture, risque de rester paralysée à vie et son fiancé, le docteur Jerry Halden, ne peut la sauver. Le père de la victime, un juge bien connu, propose à un des amis, chirurgien aujourd’hui à la retraite, Richard Vollin, de reprendre du service pour la soigner. Mais Vollin préfère se concentrer sur sa passion, à savoir la vie et les œuvres d’Edgar Allan Poe dont il est un connaisseur éclairé et un collectionneur fanatique. La seule manière de convaincre le chirurgien consiste, apparemment, à jouer la carte sensible en flattant son égo surdimensionné, ce que fait le Juge en présentant Vollin comme le seul espoir de sa fille. Flatté, Vollin accomplit un miracle et rend sa mobilité à la demoiselle accidentée. Malheureusement, l’admirateur de Poe finit par tomber amoureux de Jean et une relation trouble se noue entre eux, accentuée, par exemple, par un ballet inspiré par le poème favori de Vollin, « Le Corbeau » sur lequel la jeune femme effectue une chorégraphie inspirée. Inquiet devant la tournure des événements, le Juge Thatcher interdit à sa fille de revoir le médecin, afin que le mariage prévu avec Halden puisse avoir lieu sans incidents.
Peu après un repris de justice recherché pour meurtre et torture, Edmond Bateman (Karloff) atterrit chez Vollin et lui demande de changer son visage par la chirurgie esthétique. Voyant le parti qu’il peut tirer de cette visite, Vollin propose au fugitif d’utiliser sa connaissance des terminaisons nerveuses pour modifier son apparence mais, en échange, le criminel devra torturer et tuer pour lui. Bateman accepte mais, pour s’assurer sa collaboration, le médecin lui donne une apparence monstrueuse et affirme qu’il lui rendra un visage normal lorsque sa vengeance sera complète. Vollin invite donc le Juge Thatcher et le docteur Halden, ainsi que Jean, dans sa propriété décorée d’éléments provenant des nouvelles de Poe, dont une reconstitution très réaliste du “puit et du pendule”...

Jolie réussite de l’épouvante, THE RAVEN s’appuie sur un poème d’une cinquantaine de vers, originellement publié en 1845. Difficile dès lors, d’en tirer un scénario de long-métrage. Rusés, les producteurs vont utiliser les écrits de Poe de manière détournée en faisant de leur principal protagoniste un médecin à demi fou fasciné par ce poème. Cette option intéressante permet de développer une classique mais plaisante histoire de vengeance dans laquelle les scénaristes peuvent greffer quelques éléments en provenance d’autres nouvelles de Poe, en particulier le dispositif de torture du « Puit et du Pendule », utilisé à bon escient pour un climax angoissant (selon les standards de l’époque du moins). Dans le rôle de cet admirateur meurtrier, Lugosi s’avère grandiose et son cabotinage éhonté constitue un élément clé dans la réussite d’un métrage non dénué d’humour noir et, parfois, à la limite de la parodie macabre.
Karloff, pour sa part, incarne un repris de justice transformé en monstre par le diabolique chirurgien décidé à prouver ses théories farfelues : « un homme horrible accomplit des actes horribles » expose, par exemple, un Lugosi en roue libre. La séquence où Karloff découvre sa difformité et détruit à coup de révolver les miroirs de la pièce sous les rires sadiques de Lugosi demeure une belle idée à l’indéniable efficacité. Si Karloff se voit offrir la tête du générique, il est ici davantage le faire valoir d’un Lugosi, lequel lui vole complètement la vedette, y compris lorsqu’il verse dans la caricature. Le plus bel exemple reste la réplique, fréquemment citée, « Poe ! You’re now avenged » hurlée par un Lugosi gesticulant et ensuite secoué par un rire voulu démoniaque. Un grand moment, complètement « over the top », involontairement drôle et par conséquent mémorable même si l’intention humoristique n’était probablement pas voulue au départ.
Les deux acteurs évoluent en outre dans un décor intéressant, entre la maison hantée du cinéma à l’ancienne et le train fantôme de fête foraine. Un lieu surchargé de référence à Poe, lesquelles vont d’un corbeau empaillé à divers instruments de torture dont une pièce aux murs mouvant qui menacent de se refermer pour écraser leurs victimes. Les pièces secrètes et autres passages dissimulés dans les murs épais de la bâtisse permettent également à Lugosi d’exercer sa vengeance savamment préparée, livrant son ennemi le juge en pâture au redoutable balancier d’une lame s’approchant lentement de son coeur. Dommage que les personnages « positifs », de leur côté, soient bien moins intéressants et développés que les « méchants » : le père concerné, la jeune fille hurlant à tout bout de champ et le fiancé beau gosse sont, hélas, de simples clichés qui épousent tous les stéréotypes du fantastique des années ’30.
Les aspects mélodramatiques pèsent, eux-aussi, sur une intrigue sauvée, paradoxalement, par sa complète absence de vraisemblance. Les rebondissements et le plan, aussi tortueux qu’absurde, imaginé par Lugosi rendent le métrage peu plausible mais, par contre, particulièrement agréable à suivre. La mise en scène de Lew Landers, spécialiste du bis (RETURN OF THE VAMPIRE) et, surtout, de la télévision, n’offre, de son côté, rien de particulier mais reste techniquement correcte et professionnelle.

Souvent mésestimé, THE RAVEN se montre pourtant une plaisante série B, rondement menée en à peine une petite heure de projection. Son scénario délirant et l’interprétation outrée de Lugosi, associée à celle plus modérée de Karloff, en font une vision conseillée pour les nostalgiques de l’épouvante de l’Age d’or.
Critiques ciné bis http://bis.cinemaland.net et asiatiques http://asia.cinemaland.net

Image
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

The most dangerous game (La chasse du comte Zaroff) - Réalisé par Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel / 1932 :

Image

Budget : 218 869 dollars

L’année 1932 a bien démarré pour le cinéma d’épouvante. Malgré un succès en demi-teinte pour Murders in the rue Morgue, les films White zombie produit par la Halperin Productions et Doctor X produit par la Warner Bros ont su renouveler l’engouement du public que l’année 1931 avait installé. Mais alors que les plus importants projets doivent sortir en fin d’année (The mask of Fu Manchu, The mummy…), la RKO présente son premier film d’épouvante : The most dangerous game. Le film a fait l’objet d’un tournage en parallèle avec celui d’une autre production de la RKO qui doit sortir bientôt et qui se nomme King Kong. Ce sera, selon toute vraisemblance, un film à très gros budget dont la finalisation continue encore. Moins difficile à mettre en boite, plus rapide en regard de son scénario moins ambitieux, The most dangerous game sort donc sur les écrans en premier. Le film fait l’effet d’une bombe et son succès public est immédiat. Plus circonspecte est la presse, en regard du sadisme dégagé par le récit, mais ce dernier ne prolonge finalement que plus encore la vague de thématiques inconfortables et polémiques projetées par le cinéma d’épouvante depuis l’arrivée de Dracula, l’année précédente. Et comme la plupart des productions de l’époque se concentrant sur un postulat horrifique, The most dangerous game brille avant tout par son originalité. En effet, cette production estampillée RKO est la première du genre à allier à la fois le Fantastique, caractérisé par la photographie contrastée et les décors gothiques, et le film d’aventures, caractérisé par l’île perdue au milieu de l’océan et une jungle très dense. L’alliage des deux genres réside également en son intrigue, mélange d’effroi glacial et de chaleur étouffante, et en ses personnages, entre un comte « draculéen » et un aventurier spécialiste des grands fauves. Cette combinaison d’éléments surprend autant qu’elle fonctionne.

Les deux réalisateurs, Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel (chapotés par Merian C. Cooper, qui n’est alors jamais loin de Schoedsack à cette époque), donnent une tournure extrêmement moderne à leur mise en scène. Ils l’ont bien compris, la caméra doit s’adapter au récit, et non le contraire. Et puisque le récit fonce à toute allure du début à la fin, la caméra fait de même. Les dialogues sont filmés avec souplesse, refusant la moindre rigidité (excepté dans certaines scènes isolées), les décors sont mis en valeur par des plans mouvants et les scènes d’action sont fermement soutenues par des trouvailles originales étonnantes pour l’époque. Parmi les morceaux de bravoure de la réalisation, retenons la caméra plongeante en vue subjective se fixant sur le visage résolument déséquilibré du comte Zaroff, ainsi que la traque finale, dont l’un des instants culminants emmène les personnages dans les marécages, filmés en travelings avant, arrière et latéraux. Un grand moment de cinéma et d’action, ébouriffant encore à l’heure actuelle. Bien sûr, ces instants d’une maîtrise absolue ne seraient pas ce qu’ils sont sans la musique, saccadée et très efficacement composée, empruntant son style à Wagner dans tout ce qu’il a de plus entrainant. Dès la première scène, le scénario embrasse le mystère et sacrifie sa situation essentiellement à l’action et au rythme. Incohérence des éléments entre eux et abondance de grosses ficelles, certes, mais immédiatement gommées par un montage frénétique, un récit multipliant les rebondissements, et une thématique principale passionnante. L’Homme est la proie la plus difficile à tuer qui soit sur Terre, un animal capable de penser intelligemment, de réagir avec audace, et dont les ressources dépassent la simple possession de griffes et de crocs. Leslie Banks, d’une présence surprenante, crée un comte Zaroff extraordinaire de sadisme et d’ambigüité. S’il n’est pas interdit d’imaginer Bela Lugosi dans le rôle (l’acteur hongrois aurait pu offrir une éblouissante composition dans ce rôle sur mesure), on ne peut décrier la formidable approche que Banks utilise. Son interprétation, parfaitement maîtrisée, et dont la froideur vient tempérer quelques accès d’humeur infantiles, restera comme l’une des plus géniales du genre Fantastique au sein des années 1930. Son faux accent de l’est achève de lui assurer une place grandiloquente aux côtés des « mad doctors » et autres fous diaboliques de l’époque. Face à lui, la charmante Fay Wray donne tout ce qu’elle a, encore influencée par le jeu outré de l’époque du muet en certains instants. Affichant un érotisme débridé pour l’époque, car présentée comme l’enjeu entre deux « mâles » qui s’affrontent pour une « femelle », ainsi que très légèrement dévêtue à la fin du métrage (l’une de ses deux épaules se retrouvant dénudée), l’actrice offre un personnage féminin assez fort et plutôt intelligent. Tout juste auréolée de gloire, avec Doctor X sorti quelques semaines plus tôt, Fay Wray connaîtra la consécration avec King Kong, l’année suivante. Pour le jeune héros dont le charisme n’est pas encore totalement formé, c’est Joel McCrea qui s’y attèle. L’acteur y démontre toute l’étendue de ses capacités, avec ses quelques défauts (un peu fade comparé à Leslie Banks) et ses nombreuses qualités (sportif, souple, avec un jeu fonceur). Il offre une prestation très honorable et ne démérite pas au sein de cette œuvre ô combien aboutie. Passons sur la prestation correcte mais négligeable de Robert Armstrong, également présent dans King Kong, et invité sur le tournage de ce film afin de réduire les coûts de production. Enfin, on peut également apercevoir Noble Johnson, présent dans plusieurs productions d’épouvante de l’époque, dans un rôle muet mais inquiétant, celui de Ivan, et qui demeure l’unique véritable élément bâclé par l’histoire, puisque sa mort, en plus d’être dérisoire, vient brutalement mettre fin aux attentes du spectateur quant à un affrontement plus direct avec le héros.

L’esthétique provient avant toute chose de l’importance de la photographie soignée et des décors antagonistes et singuliers. On retrouve le château macabre surplombé de contrastes de lumières, avec ses grands escaliers et ses tentures, ses chambres secrètes et ses portes grinçantes. Mais autour de ces décors raffinés que l’on dirait tout droit sortis des productions de la Universal, il n’y a ni montagne ni vaste plaine ombragée. Il y a par contre une forêt exotique, au malaise constant, qui donne toute son originalité aux lieux de l’action. Quant aux dialogues, ils sont d’une grande beauté, ainsi que très intéressants et parfaitement orchestrés autour d’une montée en puissance de la tension, jusqu’au déferlement de rythme dans les quinze dernière minutes qui réduisent l’essentiel des échanges verbaux en de pures et simples réactions de circonstances. L’exercice formel est complètement réussit, de même que l’aspect diégétique qui reste un modèle d’influence pour le cinéma d’action moderne, et particulièrement pour certains fleurons du genre, tels que Predator (réalisé par John McTiernan en 1987) pour l’objet de la traque d’hommes dans la jungle, ou dans un autre style, tels que Battle royale (réalisé par Kinji Fukasaku en 2000) pour la part de bestialité qui sommeille en chaque homme. Moult variations ont vu le jour depuis la sortie de ce petit bijou de Schoedsack et Pichel en 1932, mais aucune ne semble avoir encore évincé l’original.

The most dangerous game est un film fascinant, comme l’esthétique de son cadre : une île à la végétation compacte et aux falaises déchirées qui la rendent aussi oppressante que la Transylvanie du comte Dracula. Une réussite qui doit autant à la sagacité de son rythme qu’à la noirceur de son incroyable histoire.
Image
Image
Avatar de l’utilisateur
Père Jules
Quizz à nos dépendances
Messages : 16894
Inscription : 30 mars 09, 20:11
Localisation : Avec mes chats sur l'Atalante

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Père Jules »

Celui-ci est un de mes films favoris. Très content qu'il t'ait plu aussi (même s'il y avait vraiment peu de chance que ça ne soit pas le cas). Je me souviens encore de mon premier visionnage, totalement fasciné !
Dernière modification par Père Jules le 3 juil. 11, 19:11, modifié 1 fois.
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

Père Jules a écrit :Celui-ci est un de mes films favoris. Très content qu'il t'ait plus aussi (même s'il y avait vraiment peu de chance que ça ne soit pas le cas). Je me souviens encore de mon premier visionnage, totalement fasciné !
Je l'ai découvert il y a 10 ans, je ne m'en suis jamais remis. Ce film là fait sans aucun doute partie de mes 10 préférés pour les films fantastiques des années 1930. :wink:
Image
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

Werewolf of London (Le loup-garou de Londres) – Réalisé par Stuart Walker / 1935 :

Image

Budget : 195 393 dollars

Werewolf of London fait indéniablement partie de cette poignée de classiques oubliés qui refont surface un jour ou l’autre. En 1935, coincé entre tous les succès de l’épouvante qui prolifèrent sur les écrans, le film essuie un semi-échec immérité auprès du public et tombe dans l’indifférence générale. Il faudra attendre The wolf man avec Lon Chaney Jr, basé sur une toute autre structure et nanti de stars, pour que le mythe du loup-garou explose les sommets du box-office et rentre ainsi dans la légende. En effet, Werewolf of London pâtît de deux comparaisons : il paraît moins flamboyant que ses concurrents contemporains, tels The raven, Mad love ou encore et surtout le sublime The bride of Frankenstein, et il paraît bien inférieur au film mettant en scène Chaney Jr six ans plus tard. Néanmoins, ce millésime de 1935 mérite-t-il cet oubli et ce mépris général ? Pas du tout. Werewolf of London est un film parfois légèrement emprunté, un peu frustrant, mais souvent ingénieux et terriblement divertissant. Nous avons affaire à un film généreux, beau dans ses effets, très différent de ce que le mythe sera par la suite dans les années 1940, intéressant dans son approche du sujet et absolument jamais méprisable.

A première vue, la Universal a produit un film jouant sur un principe assez inhabituel en ce qui la concerne, c’est à dire l’absence quasi-totale de stars. Alors que le public raffole de Bela Lugosi, Boris Karloff, Lionel Atwill et autres Peter Lorre, le film de Stuart Walker préfère tenter une aventure légèrement plus périlleuse. L’absence de grands noms aurait pu provoquer la découverte d’acteurs intéressants (à l’instar de Claude Rains dans The invisible man) et ainsi mettre à jour d’autres talents, mais le casting ne tient pas ces promesses-ci. Malgré un Henri Hull tout à fait convaincant dans le rôle du docteur Glendon (alias le loup-garou), le film peine à trouver des marques de sympathie, le reste de la distribution demeurant particulièrement inintéressant. Valerie Hobson joue parfois presque faux, Lester Matthews (que l’on apercevra la même année en bellâtre un peu fade dans The raven) joue un amoureux transi au fond indéniablement bon de la manière la plus plate qui soit, et ce n’est pas Warner Oland (l’interprète des Charlie Chan de 1931 à 1937) qui relèvera le niveau, tant son jeu reste terne et trop en retrait, comme s’il n’avait pas compris qu’il était ailleurs que dans un épisode de la série dont il s’était échappé le temps d’un film. Et l’on remercie le réalisateur de ne pas trop multiplier les scènes secondaires montrant de petites vieilles dames se chamailler ou dans des beuveries, tant l’artifice humoristique a depuis perdu de sa superbe. Passé ces quelques menus défauts, on se retrouve en face d’un scénario original et très différent du film de 1941 : ici l’action se passe à Londres, la malédiction démarre au Tibet (pour l’exotisme), le docteur Glendon est à l’opposé de Larry Talbot (un homme pragmatique et dur par rapport à un homme solide, massif, mais tourmenté), la légende du loup-garou ne prend en compte ni pommeau de canne en argent, ni relation gitane… En revanche, on gagne en plus la menace d’une épidémie ravageuse, certes à peine esquissée par le scénario, mais bel et bien présente. L’histoire d’amour s’étiole pour peu à peu devenir irrespirable, Henri Hull insuffle une parfaite dureté mêlée d’humanité et d’impuissance à son personnage, et il court après l’antidote distillé par la plante qu’il a ramené du Tibet. En fait, rien ou presque ne semble rapprocher le scénario de ce film de celui de son successeur, à commencer par un personnage principal qui n’a que très peu de choses en commun avec la création interprétative de Chaney Jr. On doit donc admirer ce Werewolf of London comme un film unique, à l’échec immérité, et qui doit être redécouvert.

Car à côté de tous ces éléments, on retrouve avec bonheur les artifices si poétiques des productions collatérales de l’époque. La photographie profite d’un contraste toujours saisissant, quoique plus grisâtre par endroits, conférant une ambiance parfois différente à cet opus de la Universal. La mise en scène de Walker est dénuée de génie, mais n’en reste pas moins solide et vigoureuse, proposant un cadre régulièrement subtil, et cela en dépit d’un montage pas toujours très heureux (certains raccords offrent des instants au rythme discutable, même si les scènes de climax fonctionnent efficacement). Reste des jeux d’ombres bienvenus, une ambiance horrifique exemplaire et des maquillages très réussis. A noter que Jack Pierce, dont le travail sera encore plus probant avec Chaney Jr, officie déjà sur cet opus lycanthropique. Le savant peu à peu frappé par le désespoir est finement amené dans un récit qui ne ménage pas le spectateur : on ne s’ennuie jamais, même pendant les innombrables scènes de dialogues qui parsèment le film. Cependant, le métrage, aussi exemplaire soit-il, ne se hisse pas au niveau de ses concurrents de l’époque. L’ensemble est excellent, mais n’a pas le sadisme et le macabre d’un The raven magnifiquement « Poeien », n’a pas non plus l’incomparable poésie d’un The bride of Frankenstein, ni l’efficacité millimétrée d’un The invisible man, ni même la folie destructrice d’un Mad loveWerewolf of London doit se contenter d’un bon traitement divertissant, truffé de bonnes idées (le héros cherchant à s’enfermer pour éviter de faire du mal à des innocents, l’espérance concernant la fleur du Tibet aux vertus curatives), amputé par l’absence de vraies têtes d’affiche, mais dignement mené par un acteur principal très concerné par son rôle. La fin, réellement tragique, et le ton de l’intrigue, très noir (évitant de tomber dans des arcanes trop conventionnels), furent immanquablement les outils supplémentaires facilitant son échec public. Dommage pour ce modèle appréciable du genre.

Werewolf of London doit être réévalué comme il se doit. Oublié en raison de son flop inopportun à l’époque et de la présence du grand classique que constitue le film de George Waggner en 1941, cette œuvre reste une belle réussite et, oserais-je dire, un très bon film qui a totalement sa place au sein d’un genre qui ne manque pourtant pas d’œuvres bien supérieures.
Image
Image
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8963
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par feb »

Julien Léonard a écrit :The most dangerous game (La chasse du comte Zaroff) - Réalisé par Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel / 1932 :
Quelle version conseilles-tu Julien ? La version Editions Montparnasse, la version Wild Side ou la version Bach ?
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

feb a écrit :
Julien Léonard a écrit :The most dangerous game (La chasse du comte Zaroff) - Réalisé par Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel / 1932 :
Quelle version conseilles-tu Julien ? La version Editions Montparnasse, la version Wild Side ou la version Bach ?
La version Montparnasse, non, parce que l'éditeur a la mauvaise habitude de ne pas maîtriser tout à ait la compression. De plus, il s'agit davantage de gris et gris que de noir et blanc. La version Bach Films est meilleure, contre toute attente. Le master est convenable et l'effort éditorial est vraiment louable (c'est la meilleure édition concernant les bonus), mais il subsiste pas mal de bruit vidéo. Imparfait mais intéressant.

Perso, j'ai préféré prendre l'édition Wild Side. Elle a quelques défauts, comme cette habituelle problématique de la compression (la collection Vintage Classics en est régulièrement victime). Néanmoins, comme d'habitude (cf L'ange et le mauvais garçon, Du sang dans le soleil, Mon homme Godfrey, Meurtre au chenil... etc etc... excepté La piste de Sante Fe, édition beaucoup moins bonne que celle proposée par Warner), Wild Side propose le film dans les meilleures conditions possibles (le DVD fait honneur à la collection, comme presque toujours). Pour un film libre de droits, il est ici bien présenté. :wink:
Image
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

The return of doctor X (Le retour du docteur X) - Réalisé par Vincent Sherman / 1939 :

Image

Depuis la sortie couronnée de succès de Son of Frankenstein au tout début de l’année 1939, les majors compagnies hollywoodiennes se sont emparées du phénomène afin de bénéficier de ce réel regain d’intérêt du public pour le cinéma Fantastique. Le rythme de production est encore partiellement timide, mais annonce d’ors et déjà une année 1940 quantitativement plus dense, ce qui est une tendance qui va manifestement se vérifier par la suite. La Warner ne semble pas très intéressée par ce genre, mais n’était-ce pas déjà le cas durant la décennie précédente où, parallèlement aux autres firmes profitant généreusement de la mode, elle n’avait produit que des essais, certes très réussis, mais à une cadence sporadique ? Paresseusement, plus par opportunisme financier que par intérêt artistique, la puissante Warner propose donc une série B sympathique, surfant sur les succès du genre qu’elle obtint plusieurs années plus tôt. Paresseux, parce que le scénario tente de bâtir une intrigue originale autour d’un personnage (le docteur Xavier) déjà usité dans un autre film, mais sans disposer de lui avec efficacité. Opportuniste, parce que ce personnage surajouté au récit n’a strictement aucun rapport avec celui que l’on connaissait dans le film de Curtiz, et que son utilisation ne donne ici lieu qu’à des situations factices et banales : en deux mots, la Warner vend son film sur un titre à moitié mensonger, espérant rentrer dans ses frais grâce à l’aura dont dispose encore le film de 1932. Car mis à part le nom de Xavier, rien ne relie Doctor X à ce soi-disant retour.

Mais la Warner va encore plus loin dans la négligence qu’elle porte au Fantastique, affectant ainsi à la confection du film des artefacts tout droit sortis du genre qu’elle commence à créer et qui fera sa gloire dans les années 1940 : le Film Noir. Entre deux eaux, c'est-à-dire entre le film de gangsters qui, depuis 1931, commence à s’essouffler sérieusement, et le Film Noir qui n’apparaitra définitivement qu’en 1941 (dès le superbe The maltese falcon de John Huston), la Warner conçoit donc un film Fantastique aux relents techniques appartenant à ces deux courants cinématographiques. Le film de gangsters se voit ici représenté par un flic incompétent, une course poursuite en voitures vraisemblablement filmée dans les rues de la ville, la présence d’Humphrey Bogart (alors très habitué au genre depuis sa contribution remarquée dans The petrified forest en 1936) et enfin par la mort par balle du docteur Xavier, encerclé par la police (topos bien connu du gangstérisme au cinéma). Le Film Noir est par contre partiellement annoncé par un noir & blanc plus lisse, la photographie ne permettant guère de procéder à la déformation ou au contraste des objets et visages, et cela même si le Film Noir sera la plupart du temps visuellement bien plus esthétique que The return of doctor X (rendons effectivement pleine justice à ce courant aussi prolifique qu’artistiquement exigeant). Enfin, parmi les deux personnages principaux se détache le médecin qui décide de mener son enquête, tel un détective privé qui n’aurait aucune accointance avec la police. A la différence qu’il ne subsiste ici aucune femme fatale.

En ce qui concerne sa structure Fantastique, le film aligne les laboratoires de chimie et les savants fous avec méthode, rappelant régulièrement au public qu’il a affaire à une histoire dont le point de mire ne peut être réaliste. Sang synthétique (référence probablement involontaire à la chair synthétique de Doctor X) et docteur persuadé d’œuvrer pour l’humanité sont donc de la partie. Le débutant Vincent Sherman nous gratifie d’une mise en scène très propre, sans aucun talent particulier, mais porteuse de l’efficacité habituelle du style Warner. Il parvient à servir correctement le scénario, arrangeant quelques petits instants de frayeur, tout en ne parvenant pas non plus à sauver les dix dernières minutes qui concluent le film d’une façon aussi prévisible que mécanique. La musique souligne l’ensemble avec savoir faire, faisant ressortir quelques malices de Max Steiner préfigurant le travail qu’il exécutera sur The big sleep d’Howard Hawks en 1946. Restent les décors, très simples et réalistes, et le casting : Wayne Morris joue le journaliste aventurier un peu simplet de rigueur (agréable, surtout quand il cesse d’imiter vainement Lee Tracy dans Doctor X), Dennis Morgan est un jeune médecin sans charisme mais au jeu très convenable, John Litel est un savant fou finalement gentil et oubliable, et Rosemary Lane échoue dans un rôle féminin méprisé par le récit à chaque instant. Bien sûr, remplaçant l’excellent Lionel Atwill dans le rôle de Xavier, Humphrey Bogart est étonnant. Bien loin des personnages de « bad guys » qui l’on enfermé dans un type de rôles desquels il désire s’échapper, il n’est pas encore la superstar hollywoodienne mythique que consacreront rapidement High Sierra de Raoul Walsh, The maltese falcon de John Huston (tous deux en 1941) et Casablanca de Michael Curtiz en 1942, ainsi qu’une multitude d’autres films qu’il tournera par la suite. C’est une expérience unique que d’observer Bogart déambuler l’espace de quelques séquences comme un monstre de la Universal, le teint blafard et une mèche blanche terrassant sa chevelure sombre, à l’image de Boris Karloff dans The walking dead de Michael Curtiz en 1936, également labellisé Warner. Le rôle ne lui convient pas, inutile de tergiverser sur cet élément. Acteur sous contrat avec la firme durant les années 1930 et 1940, on devine aisément qu’il accepta ce rôle pour gagner sa vie, à l’heure où sa carrière n’était pas encore solide comme un roc. Doté d’un professionnalisme à toute épreuve, il ne ridiculise pourtant pas le personnage, se contentant de l’incarner avec retenue, conscient qu’il n’est pas à sa place. Heureusement pour ce très grand acteur, les années difficiles seront bientôt un souvenir. Place, alors, au détective privé en gabardine et chapeau sur la tête, au résistant anti allemand malgré lui et à l’aventurier imparfait.

The return of doctor X est un aimable petit film d’épouvante qui n’offre au spectateur qu’un simple moment d’évasion. N’évitant pas toujours l’ennui, l’habileté bien connue de la Warner lui donne toutefois une stature convenable. Malgré tout, sa présence ne bouleverse en rien la production d’épouvante du moment.
Image
Image
Julien Léonard
Duke forever
Messages : 11824
Inscription : 29 nov. 03, 21:18
Localisation : Hollywood

Re: Hollywood's Horror movies : Les années 30 et 40

Message par Julien Léonard »

The invisible man returns (Le retour de l'homme invisible) - Réalisé par Joe May / 1940 :

Image

Budget : 270 000 dollars

Fort du grand succès remporté par Son of Frankenstein en 1939, la Universal commence à reprendre les autres mythes de l’horreur qu’elle a lancé au cinéma dans les années 1930. C’est donc tout naturellement que The invisible man returns se présente devant les spectateurs en 1940. Reprenant un récit relativement similaire à sa préquelle tournée sept ans plus tôt, ce nouveau millésime s’avère des plus réjouissants malgré de grosses faiblesses. Il s’agit d’être clair, cette suite n’arrive jamais à égaler le formidable chef-d’œuvre de James Whale qui était un modèle de précision, d’originalité et de rythme, surmonté d’une mise en scène à la fois diablement ingénieuse, énergique et moderne. Comparé à ce résultat hypertrophié de perfection, The invisible man returns fait parfois légèrement sourire. Qu’importe cela dit, puisque le film flirte constamment avec la qualité : autrement dit, l’on ne doit pas perdre de temps à comparer ce très bon film avec son aîné qui pourrait écraser sans aucun problème les deux tiers de la production horrifique de la Universal. Car le plaisir que délivre le film, de la première à la dernière image, demeure évident. Appelé à la réalisation, Joe May exécute un travail soigné et bien ficelé, mais limité. Le cadre est bon, mais sans génie. La fluidité est belle, mais pas transcendantale. Bref, la mise en scène est efficace, mais pas non plus brillante, même si certains instants se retrouvent soulignés par une caméra un peu plus audacieuse que de coutume : le cadrage se déplaçant assez vite pour tenter de capter visuellement l’homme invisible quand celui-ci parle à Willie Spears dans la forêt (l’effet est inattendu et appréciable). De plus, il y a suffisamment de plans inoubliables pour que l’on soit satisfait. La photographie et la musique font le reste pour créer une atmosphère toujours aussi délicieuse, à base d’ombres, de contrastes entre lumière et obscurité, d’effets visuels qui, bien que déjà vus auparavant, font toujours leur petit effet. Plastiquement, aucun doute, nous sommes bien dans une production Universal de qualité.

Côté casting, c’est une bonne surprise, même si composé de relatifs inconnus à l’époque. Cedric Hardwicke est plutôt bon dans son rôle de traître criminel et Cecil Kellaway campe un inspecteur de police convaincant et humain, quoique sous-employé. Mais la vraie bonne surprise provient du trio de tête. Le docteur Griffin (le frère du docteur Jack Griffin dans le film de Whale) est solidement incarné par un John Sutton extrêmement sympathique et sobre, la fiancée de Geoffrey est élégamment tenue par la fraîche Nan Grey, et l’homme invisible est solidement présenté par un Vincent Price encore débutant. Grâce à une voix rauque et impressionnante, Price parvient à s’imposer en créant un personnage dénué de nouveauté mais convenablement construit. S’il ne s’avère pas aussi génial que Claude Rains dans le premier film, il sait en tout cas faire preuve de truculence et d’ardeur. La distribution est donc soignée, à défaut d’avoir une vraie star dans le film.

Mais les trouvailles novatrices abondent en certaines occasions, avec par exemple un homme invisible devenu visible grâce à la fumée ou à la pluie. Pour être honnête, ce sont surtout les nombreuses trouvailles scénaristiques qui construisent les meilleures séquences de ce joli moment de cinéma, en enfilant les idées intelligentes avec talent : Geoffrey se déguisant en policier masqué pour sortir de la maison enfumée, le poison dans le verre constituant un bon climax… Reprenant un schéma déjà bien huilé, l’histoire en profite pour multiplier les bonnes idées et reprendre certaines ficèles importantes du film précédent, la folie émanant de la formule d’invisibilité après injection demeurant un excellent ressort dramatique. Certes, cela procure la sensation d’avoir une intrigue « à tiroirs », mais après tout l’ensemble fonctionne très bien. Toutefois, le métrage manque de rythme à intervalles réguliers, et les nombreuses idées de script servent surtout à relancer l’intérêt du spectateur. S’attarder sur l’alcoolique Willie Spears ou sur des buissons qui bougent n’est peut-être pas ce que le film propose de mieux. De plus, là où Jack Griffin créait un mouvement de panique paranoïaque incontrôlable parmi les foules, notre Geoffrey Radcliffe se retrouve à suivre un emploi du temps nettement moins intéressant. On a toujours l’impression de regarder un film bien fait, mais jamais une grande œuvre. On pourrait traduire cela par un manque d’ambition en provenance d’un produit commercial qui cherche à contenter le spectateur en lui donnant ce qu’il attend, mais pas plus. The invisible man returns est efficace et carré, c’est peut-être là ce qui fait sa principale qualité et dans le même temps son principal défaut. Amusant et prévisible, rassurant et sans vraies ambitions, tels sont les paradoxes de ce film généreux mais pas trop. Les effets spéciaux, quant à eux, sont nombreux et variés, mais pas toujours réussis. Si la plupart s’en sortent haut la main, on peut quelquefois remarquer diverses malfaçons, notamment et surtout avec le pistolet dont se saisit l’homme invisible pendant cinq bonnes minutes : les fils censés manipuler l’objet pour les besoins du tournage sont odieusement visibles les trois quarts du temps. D’autres effets sont bien plus soignés, emplis de poésie et de magie, mais souvent redondant avec le précédent film : des objets déplacés dans le vide par-ci, un homme invisible en train de se déshabiller par-là… Malgré tout, ces astuces de trucages procurent toujours le même amusement. Enfin, les décors remplissent leur tâche, et l’on retiendra surtout la fameuse scène finale où Radcliffe et Cobb se battent sur un chariot de mine qui monte inéluctablement vers le sommet d’une bute très dangereuse. Cette scène de bravoure, située au sein d’un agencement original, constitue le point d’orgue d’un bon divertissement qui trouve néanmoins assez rapidement ses limites.

The invisible man returns est un bon spectacle rondement mené, mais trop formaté. Il ne faut cependant pas reprocher cela au film trop violemment, car ce serait passer à côté d’un divertissement haut de gamme, parfaitement entretenu par un scénario qui distille les scènes rocambolesques avec bonheur pour masquer un indubitable manque de substance.
Image
Image
feb
I want to be alone with Garbo
Messages : 8963
Inscription : 4 nov. 10, 07:47
Localisation : San Galgano

Re: Hollywood's Horror movies : les années 30 et 40

Message par feb »

Julien Léonard a écrit :Perso, j'ai préféré prendre l'édition Wild Side. Elle a quelques défauts, comme cette habituelle problématique de la compression (la collection Vintage Classics en est régulièrement victime). Néanmoins, comme d'habitude (cf L'ange et le mauvais garçon, Du sang dans le soleil, Mon homme Godfrey, Meurtre au chenil... etc etc... excepté La piste de Sante Fe, édition beaucoup moins bonne que celle proposée par Warner), Wild Side propose le film dans les meilleures conditions possibles (le DVD fait honneur à la collection, comme presque toujours). Pour un film libre de droits, il est ici bien présenté. :wink:
C'est noté merci Julien :wink:
Répondre