
Après les difficultés rencontrées sur le tournage de Le Procès (1962) et de nombreux projets avortés, Welles reste toujours en France et décide de se tourner (avec un terrible désespoir) vers la télévision française pour adapter un "conte" de Karen Blixen.
En 1968, sur les écrans de télévision française sort donc une œuvre pleinement cinématographique, qui demeurera l'oeuvre la plus onirique du cinéaste : Histoire Immortelle.
Welles raconte l'histoire d'un homme (im)puissant Monsieur Clay, obsédé par une histoire malsaine. Cette dernière raconte donc l'intrigue d'un jeune marin qui rencontre un homme riche, vieux, qui lui offre cinq guinées pour concevoir un enfant avec sa femme, plus jeune que lui.
Clay (incarné par un Welles imposant et terrifiant) se met donc en tête de reproduire dans la réalité cette histoire avec un jeune étranger et sa propre femme (la merveilleuse Jeanne Moreau).
Histoire Immortelle se distingue par plusieurs points : tout d'abord, c'est la première œuvre de Welles totalement en couleur. Le cinéaste avait toujours eu une crainte de l'utiliser dans ses films, par peur de "trahir" un principe photographique du cinéma. Mais Welles est, en plus d'un comédien, scénariste, metteur en scène de théâtre, décorateur, musicien, polyglotte, prestidigitateur, metteur en onde, également un peintre doué (sa première formation artistique) et propose toute sa science de la colorisation dans ce film où les couleurs chaudes et froides ne sont pas uniquement symboliques, mais faisant partie d'une stylisation métaphysique.
Puis le film se distingue par rapport à une des thématiques les plus passionnantes du cinéaste. On a déjà mentionnés dans le topic consacré à Mr. Arkadin, que la présence de Welles à l'écran était la projection "démiurgique" du créateur dans la propre histoire qu'il raconte. Et c'est exactement le propos même du scénario de ce film, précisément. Welles acteur et Welles cinéaste sont les deux phases d'une même personne qui tentent de comprendre le secret de son travail créatif, ainsi que le secret de sa propre personnalité.
L'œuvre est donc une mise en abîme, et je ne trouve pas d'autres termes, véritablement géniale en même temps qu'évidente.
Visuellement splendide, d'une profondeur prodigieuse, cette tragédie romanesque est tout simplement une œuvre d'art.