Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

De retour à la MCJP
Dans le bas-quartier de Yokocho (1953)

Image

Un écrivain, qui attend toujours sont heure de gloire, côtoie la pauvreté et les créanciers. Sa jeune épouse plutôt que de se plaindre, accepte avec le sourire cette situation espérant que les épreuves traversées amélioreront son style. Mais elle est enceinte et ils ont plusieurs mois de retards sur leur loyers.

Une fois de plus Shimizu livre un film qui me parait bien anecdotique par sa réalisation. C'est sans doute même sa plus incolore pour un style passe-partout sans réelle personnalité qui pourrait être signer par des dizaines d'artisans consciencieux et appliqués où surnage avant tout un léger travelling arrière ascendant présentant la nouvelle ruelle où va habiter le couple infortuné, filmé en plan large, ou encore l'utilisation de la profondeur de champ lors du déménagement.

Shimizu s'efface totalement derrière ses comédiens, heureusement très attachant et surtout un scénario qui surprend par sa dimension positive. Rien n'altère le couple qui ne connaît ni tension ni doute et pratiquement tous les autres personnages font preuve de bonne volonté envers eux et s'arrangent pour trouver des solutions à leurs difficultés. Les péripéties qu'ils traversent ne semblent d'ailleurs même pas vraiment les atteindre et le mari écrivain semble plus affecter par une radio refusée que lui offrait une voisine que par le risque de mettre sa femme et sa fille à la rue.
Ca pourrait être très artificiel et lénifiant mais c'est cet optimisme qui donne son charme et sa tendresse au film avec une volonté de fuir les pièges du pathos et du misérabilisme. Pas de place ici pour le chantage à l'émotion.
Ca donne une réelle originalité tout en signant ses limites puisqu'on ne peut pas dire qu'on se fasse du souci pour le duo, surtout avec cette réalisation trop "décontractée".
Heureusement certains seconds rôles sont excellents et des séquences plutôt amusantes et rafraîchissantes permettent de passer 90 minutes plaisantes : le pique-nique où l'épouse explique pourquoi sa situation précaire ne la dérange pas, le concours de chant, le déménagement avec le débonnaire employé de la clinique, la radio trop forte ou encore la conclusion très réussie pour le coup qui est vraiment tourné en extérieur dans une rue piétonne surpeuplée qui fait regretter que le film ne joue pas davantage cette carte là.

Rapidement oubliable à priori.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Mr thank you (1936)

Image

A mon tour d'être totalement conquis par cette merveille d'écriture qui condense en 75 minutes une formidable palette de sentiments et d'émotions rendue possible par un scénario aussi simple qu'évident : un conducteur de bus souriant qui remercie tout ceux qui s'écarte de la route (d'où son surnom de "Mr merci" conduit ses passagers d'un petit village reculé jusqu'à Tokyo en devant passer deux cols. Ce n'est pas vraiment un road-movie ni une variation de Boule-de-suif (quoiqu'une scène pourrait s'en rapprocher) mais un film profondément japonais avec ce style entre le néo-réalisme et la chronique humaine où tout passe avec délicatesse, courtoisie qui laisse deviner une gravité et fatalisme autrement plus amer, le tout avec une concision et une capacité à glisser d'un registre à l'autre en quelques secondes, sans jamais s'attarder.
On croise, voire entrecroise fugacement, une bonne vingtaine de personnages, et tous enrichissent un passionnant portrait du Japon des années 30 : la crise économique qui charrie ses chômeurs et ses fortunes brisées, l’émergence d'une nouvelle classe sociale de nouveaux riches méprisant (se déplaçant en voitures de luxe qui tombent en panne et fauchent les enfants), les travailleurs immigrés coréens qui conçoivent des routes qu'ils n'emprunteront jamais (séquence incroyable à priori improvisée lors du tournage), des troupes de Kabuki itinérantes, des jeunes filles vendues par leur famille, la résignation de devoir monter à Tokyo travailler dans des conditions éprouvantes... Sans oublier quantité d'autres rencontres plus ou moins légères comme des enfants qui courent pour s'accrocher à l'arrière du bus, des paysannes en demande de disques à la mode, de vieux libidineux ridicules, de personnes en deuils ou allant à un mariage...
La liste serait longue à dresser (75 minutes donc) mais chaque séquence est délicieusement composée et interprétée avec un tournage entièrement en extérieur et dans un bus en déplacement sur de vraies routes de campagnes cabossées pour un immersion immédiate dans les vallées verdoyantes, les chemins en montagnes et les petites bourgades.

Merci Mr Merci ! :D
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Les enfants de la ruche (1948)

Image

Dans l'immédiate après-guerre, un soldat de retour du front se prend d'affection pour une petite bande d'orphelins vagabonds aux ordres d'un estropié sadique qui les exploite pour faire du marché noir. Alors qu'ils se rencontrent une nouvelle fois sur la route, ils décident de voyager ensemble et de gagner honnêtement leur vie.

Sans que ce soit officielle, il s'agit en réalité d'une "suite" à la Tour d'introspection tourné en 1942 (cf page précédente) : le soldat est en est un ancien élève et invite ses nouveaux camarades à y aller pour suivre une éducation.
Ce film poursuit ses recherches visuelles et thématiques avec une approche néo-réaliste criante (et parfois douloureuse) dans son ancrage documentaire et une mise en scène qui cherche à inscrire ses personnages dans un environnement et la nature avec beaucoup de plans larges, de nombreux travellings latéraux et une grande profondeur de champ.
Qu'il s'agisse du début autour de la gare, des ruines environnante, des nombreux paysages de campagnes, des bord de mer, de pont arrondi ou des stupéfiants et glaçants vestiges d'Hiroshima, les plans sont tous plus inspirés les uns que les autres, avec un sens du cadre et d'accompagnement du mouvement qui ne manque pas de lyrisme.
Et comme dans La tour d'introspection, la notion de groupe est indissociable de la dynamique narrative.
Seule la dernière partie rompt avec cette idée en délaissant les travelling au niveau du sol pour des mouvements de caméra qui précédent la douloureux escalade d'un enfant portant sur son dos un camarade malade désireux de voir la mer depuis le sommet d'une montagne verdoyante. Une séquence tout simplement magistrale et déchirante qui mériterait d'être citer dans tous les dictionnaires du cinéma par sa perfection plastique, la justesse de ses mouvements de caméra (qui n'ont pas du être évidents à mettre en place) et sa progression quasi géométriques au milieu des lignes et courbures des flancs et arrêtes montagnardes. Sa conclusion est d'ailleurs d'une violence qui laisse pantois.

Pourtant malgré ses qualités indiscutables et plusieurs moments aussi touchants et poétiques que graves et amers (la jeune femme se cachant dans les ruines d'Hiroshima, un garçon appelant sa mère à chaque fois qu'il voit l'océan où celle-ci se noya), Les enfants de la ruche n'est pas aussi bouleversant et immersif qu'on aurait souhaité. J'aurais du mal à expliquer vraiment pourquoi. Il y a quelques réponses probables : une musique trop présente et un traitement des personnages trop théoriques qui n'ont pas la véracité de la mise en scène et du contexte... Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une œuvre absolument majeure du cinéma japonais de l'après-guerre.

Il faut croire en tout cas que Shimizu tenait à ces enfants (et pour cause, il avait adopté lui-même plusieurs orphelins à la fin de la guerre), il donna une nouvelle suite intitulé : Ce qui est advenu des enfants de la ruche (1951). Va falloir que je trouve ça !

Sinon, j'ai découvert ce film à la Cinémathèque mais on le trouve sur youtube
Spoiler (cliquez pour afficher)
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Alligator
Réalisateur
Messages : 6629
Inscription : 8 févr. 04, 12:25
Localisation : Hérault qui a rejoint sa gironde
Contact :

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par Alligator »

Merci pour le lien :D
Avatar de l’utilisateur
Ender
Machino
Messages : 1153
Inscription : 6 janv. 07, 15:01
Localisation : Mizoguchigrad

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par Ender »

Image

L'Ecole Shiinomi (1955)

Les films de l'âge d'or d'avant-guerre réalisés par Shimizu, particulièrement Monsieur Merci (Arigatô-san), restent ses plus célèbres et célébrés (espérons que la rétrospective à venir à la Cinémathèque élargisse encore leur renommée), sans doute à juste titre. Plus tard, Les Enfants de la ruche en 1948 creusait joliment la veine réaliste du cinéaste, mais le goût de Shimizu pour la tendre observation des jours et des peines tirait vers un sentimentalisme appuyé ; il livrait un lamento d'après-guerre un peu trop typique et tiède. Très en retrait cette fois d'autres portraits des souffrance de l'époque, les chefs-d'œuvre contemporains des maîtres les plus fameux (Les Femmes de la nuit de Mizoguchi ; Chien enragé de Kurosawa ; et sur un sujet plus proche, Récit d'un propriétaire d'Ozu).

Dans L'Ecole Shiinomi, drame de 1955, il reste peu de choses du ton doux-amer et de la subtilité morale des œuvres des années 1930. Il faut attendre la deuxième partie du film pour lui découvrir une réelle originalité.
La première nous conte les malheurs de la famille d'un enseignant dont le fils aîné, puis cadet, souffrent de la polio. Le schématisme et le sentimentalisme de ce drame familial peuvent provoquer des allergies : les parents sont irréprochables, les camarades de classe cruels, les séquences d'hôpital à forte teneur lacrymale se succèdent. Qu'il est désagréable d'être entraîné dans une grise mécanique, répétitive, d'émotions ! Triste échafaudage, plate montagne russe. Quand le deuxième enfant tombe malade, on commence à se demander dans quelle histoire de talk-show des familles on nous embarque.

Néanmoins, le film opère à ce moment un virage, en vient à son véritable sujet. Pour répondre à l'acharnement du sort, les parents modèles dépensent leur fortune afin de fonder une école dédiée aux enfants malades, à la fois un havre et le prototype d'un système éducatif adapté pour eux (rééducation physique, encouragements à la confiance en soi et aux autres, expression de soi par l'initiation artistique...). Cette deuxième partie, chronique de l'expérience pédagogique, délaisse jusqu'à un certain point les lourdeurs de la fiction et les accents pathétiques pour l'observation plus spontanée, le plan large à échelle du groupe dont est saisie la dynamique, l'attention aux activités quotidiennes des enfants au rythme de leur démarche heurtée. Le changement de ton est audible, la musique d'accompagnement sirupeuse est mise en sourdine et laisse la place aux chants de la classe. Shimizu retrouve les décors qu'il affectionne : le cadre naturel de l'école bâtie dans les hauteurs, entourée de montagnes et jouxtant la rivière, symbolise bien le deuxième souffle d'un film qui s'aère enfin. Shimizu a réuni de véritables enfants malades et respecte la méthode semi-documentaire qu'exige le tournage d'un tel film. Chronique de la socialisation scolaire des enfants et de méthodes d'enseignement progressistes ; inserts sur les dessins enfantins avec documentation de leur évolution dans le temps... L'Ecole Shiinomi rappelle irrésistiblement, dans ses meilleurs moments, les documentaires éducatifs de Hani Susumu, Les Enfants dans la classe ou Les Enfants qui dessinent, exceptionnels exemples de cinéma-vérité et exacts contemporains du film de Shimizu. La première partie du film pourrait passer rétroactivement pour une trop longue introduction, sur des rails de fiction sommaires et maladroits, pour un beau projet essentiellement documentaire, si la fin du film ne renouait pas avec les morales trop univoques du "drame à sujet", les niaiseries en musique, les facilités de scenario, qui donnent à nouveau le sentiment que Shimizu a perdu la formule alchimique, le mystérieux équilibre de ses grands petits films d'avant-guerre.
Avatar de l’utilisateur
Spike
Electro
Messages : 850
Inscription : 2 janv. 07, 13:07
Localisation : Belgique
Contact :

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par Spike »

Rétrospective consacrée au cinéaste à la Cinémathèque française du 22/04 au 25/05 (le programme) et en parallèle à la MCJP.
Avatar de l’utilisateur
Père Jules
Quizz à nos dépendances
Messages : 16901
Inscription : 30 mars 09, 20:11
Localisation : Avec mes chats sur l'Atalante

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par Père Jules »

John Holden a écrit : 7 avr. 17, 22:13 Image

Mr thank you de Hiroshi Shimizu (1936)
magobei a écrit :Arigato-san (Hiroshi Shimizu, 1936)

Un petit bijou ce film. Arigato-san ("Mr. Thank You" en anglais), c'est le chauffeur d'un bus qui relie la campagne reculée d'Izu à Tokyo. Dans le bus, parmi une galerie de personnages truculents, une jeune fille, prostrée, rejoint la capitale où elle a été vendue comme prostituée. Du coup, le film jongle entre un ton léger, primesautier, émaillé par les retentissants "Arigato" que lance le chauffeur en dépassant les piétons, et une tonalité plus sombre, tragique. Tour de force, Shimizu réussit à faire d'un simple voyage en bus (le film est court, 76 minutes) une expérience poignante, livrant en même temps une radiographie d'un pays frappé par la Dépression.

Moment fort et significatif, un passage met en scène un groupe de travailleurs coréens, minorité qui avait rarement droit de cité (surtout dans le Japon militariste) au cinéma. Et ailleurs non plus.

8/10
On ne peut plus d'accord avec tout ça !
Rarement vu alterner légèreté et gravité avec autant de dignité et de retenue.
Forcément prétendant au titre de film du mois !
Je sens que je vais me régaler avec tous les titres de Shimizu dispos sur Youtube... :D
Ce film est tout simplement prodigieux ! Le vernis réaliste (quotidienneté, décors naturels, prises directes) est pour Shimizu le prétexte à inonder l'écran d'humanité. Si le propre des grands cinéastes est de faire de la simplicité la grâce et inversement, alors nul doute que le réalisateur nippon s'inscrit parfaitement dans cette veine. Tout est subtilité, amour et bienveillance pour les personnages (même les plus bougons, comme le fonctionnaire moustachu), dignité dans chaque instant, chaque situation. L'argument (un taxi reliant la province reculée à la capitale) permet de croiser autant de protagonistes que d'enjeux dramatiques et humains, même pour une poignée de secondes. En somme, si la noblesse au cinéma avait un nom, durant 76 minutes, elle s'appellerait Shimizu. Grand. Film du mois.
Avatar de l’utilisateur
Sybille
Assistant opérateur
Messages : 2148
Inscription : 23 juin 05, 14:06

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par Sybille »

Excellent souvenir de ce film qu'il me faudra revoir un de ces jours.
Avatar de l’utilisateur
John Holden
Monteur
Messages : 4881
Inscription : 1 sept. 14, 21:41
Contact :

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par John Holden »

Père Jules a écrit : 12 févr. 21, 15:13
John Holden a écrit : 7 avr. 17, 22:13 Image

Mr thank you de Hiroshi Shimizu (1936)



On ne peut plus d'accord avec tout ça !
Rarement vu alterner légèreté et gravité avec autant de dignité et de retenue.
Forcément prétendant au titre de film du mois !
Je sens que je vais me régaler avec tous les titres de Shimizu dispos sur Youtube... :D
Ce film est tout simplement prodigieux ! Le vernis réaliste (quotidienneté, décors naturels, prises directes) est pour Shimizu le prétexte à inonder l'écran d'humanité. Si le propre des grands cinéastes est de faire de la simplicité la grâce et inversement, alors nul doute que le réalisateur nippon s'inscrit parfaitement dans cette veine. Tout est subtilité, amour et bienveillance pour les personnages (même les plus bougons, comme le fonctionnaire moustachu), dignité dans chaque instant, chaque situation. L'argument (un taxi reliant la province reculée à la capitale) permet de croiser autant de protagonistes que d'enjeux dramatiques et humains, même pour une poignée de secondes. En somme, si la noblesse au cinéma avait un nom, durant 76 minutes, elle s'appellerait Shimizu. Grand. Film du mois.
Père Jules, je te gratifierai désormais d'un Saint Jules. 8)
Image
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Un peu frustré d'attendre depuis bientôt un an la grande rétrospective Shimizu, repoussé à plusieurs reprises, j'ai finalement pris un peu d'avance sur le retard.

Monsieur Shoshuke Ohara-san (1949) est un joli drame dénué de tout artifice. On y suit un propriétaire, qui a vécu tout sa vie dans l'oisiveté et la boisson, se retrouvant criblé de dette quand la réforme agraire est mise en place en 1946 (redistribuant les terres au détriment des riches propriétaires donc). Shimizu n'en fait ni une œuvre politique ni un mélodrame mais un sorte de chronique rurale tout en sobriété, une sorte de portrait - littéralement - en creux d'un homme symbolisant la fin d'un époque semi-féodale. Aucun ressentiment chez ce dernier, ni rancune, ni aigreur, mais la compréhension presque existentialiste d'un homme conscient de sa propre vacuité et qui ne désire pas tourner le dos à sa débonnaireté et sa générosité (comme lorsqu'il profite d'un meeting politique pour détourner le programme d'un candidat en le forçant malgré lui à adopter pour un programme progressiste et humaniste). Il se dégage du film une curieuse sérénité, qui n'est jamais mise en avant ou surligné. Elle passe davantage par un dépouillement spirituel qui s'accorde idéalement avec la déchéance de Ohara-san contraint de vendre ses biens ou qui espère se reconvertir dans la manutention (ses couturières défiant la cadence d'un moine scandant ses soutras).
Shimizu fait ainsi preuve d'une sobriété qui n'exclut ni la mélancolie, la tendresse, l'humour ou la chaleur et ce, uniquement, grâce à sa science du cadrage, du découpage et du montage. C'est peut-être d'autant plus réussi que le film prend son temps pour décrire indirectement ses enjeux, ses personnages et leur relation à l'images des rapports avec l'épouse du protagoniste. Ainsi, l'air de rien, la fin touche droit au cœur.

La perle éternelle (1929) évoque une femme amoureuse du mari de sa soeur et préfère sacrifier ses sentiments au bonheur de celle-ci. Contrairement au précédent, c'est un pure mélodrame au style davantage démonstratif, ce qui ne l'empêche pas d'être une belle réussite qui semble annoncer (et surpasser même) les films à venir de Mizoguchi d'avant-guerre. Il y a une vraie justesse dans le traitement, l'écriture et la direction de ses comédiens et comédiennes. La valse des sentiments émeut ainsi ainsi rapidement, porté par un lyrisme assez virtuose.

J'ai beaucoup moins accroché aux Quatre saisons des enfants (1939). Avec cette nouvelle histoire d'enfance malheureuse, le cinéaste est pourtant dans son élément mais pour le coup la sobriété du style empêche tout attachement ou empathie. Pour peu, j'ai même envie de dire qu'on se désintéresse totalement du sort des personnages, d'autant que c'est étiré sur 2h20 qu'on sent vraiment passer. Après, Shimizu a toujours un certain talent pour les extérieurs, avec quelques très jolis plans à la clé, malheureusement terriblement désincarnés.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Je continue la (non)rétro dans mon coin :mrgreen:

Les châtaignes et les glands (1941) est un court-métrage de presque 30 minutes qui sent la participation à l'effort de guerre. Une sorte de chronique initiatique où un orphelin de la ville fraîchement débarqué à la campagne refuse de participer aux jeux de ses camarades par peur de se blesser. Son père-adoptif va donc essayer d'en faire un garçon digne de ce nom, une manière de dire qu'un vrai Japonais se doit d'être courageux, d'aimer se battre et doit prendre goût aux risques (ici affronter un camarade plus âgé, traverser une rivière sur une planche ou grimper dans un arbre). Et pour cela, rien de tel qu'une éducation à la dure donc.
Fort heureusement, derrière le discours édifiant, il y a toute la sensibilité du cinéaste qui évolue en terrain connu : le monde des enfants face à l'adversité et le contact à la nature. En omettant quelques dialogues insistants, ce film évite la simple propagande et ne manque pas de malice, de tendresse, d'ironie ou de poésie. Le style est particulièrement soignée avec une belle fluidité et une ode sincère à la faune et la flore qui transparait dans les cadrages et la photographie.

Le démon de l'or (1937)
Un mélodrame et un réquisitoire assez virulents contre le pouvoir corrupteur de l'argent : amis d'enfance, tour aurait du réunir Kanichi et Omiya mais le père de cette dernière promet sa fille à une homme fortuné. Ecoeuré d'avoir été écarté à cause de ses origines modestes, Kanichi abandonne ses études et devient un recouvreur de dettes désabusé et sans compassion.
Malgré une certaine concision dans la narration (76 minutes et une conclusion percutante) avec des ellipses intelligentes qui permettent à plusieurs séquences pivots de prendre leur temps, le film n'est pas très palpitant ni émouvant à cause d'un déroulement est assez classique. La seconde moité est même très prévisible dans l’enchaînement de ses séquences. L’interprétation est également un peu guindée, tandis que la réalisation, un brin compassée désormais, semble se chercher un style comme en témoigne l'utilisation souvent gratuite de rapides travellings latéraux très rigides qui n'apportent pas de force au récit. En revanche, il y a comme toujours chez le cinéaste une belle utilisation des décors extérieurs (une brouille entre les deux amoureux sur un sentier dans une vallée, au bord d'une rivière) et une science du cadrage qui souligne avec plus d'habileté sur le sentiment d'abandon ou de faillites morales des personnages.
Il s'agit d'une des nombreuses adaptation du roman de Koyo Ozaki qui fut aussi porté à l'écran en Corée et à Taïwan. Celle de 1954 par Koji Shima semble bien côté (d'un autre côté les autres versions - japonaises ou non - doivent être perdues).
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Bonne nouvelle pour la rétro maintenue qui commence dans 10 jours à la Cinémathèque
https://www.cinematheque.fr/cycle/hiros ... u-567.html

Mais comme j'ai continué de prendre de l'avance :

Eclipse (1934) est un mélodrame muet assez frustrant. D'un côté, il y a une forme soignée (qualité de la photographie, de beaux extérieurs), quelques scènes lyriques et des personnages féminins nuancées dans leur rivalité mais aussi beaucoup trop d'intertitres qui nuisent à la fluidité d'un récit déjà fortement répétitif et finalement artificiel. Le héros masculin est en effet un palot fadasse qui croise pas moins de 4 femmes qui tombent amoureuses de lui mais ses tergiversions et son incapacité à s'engager (ou à décevoir un ami qui lui demandait de jouer l'entremetteur) finissent par provoquer la tristesse ou la colère de ses prétendantes... et la lassitude du spectateur qui comprend mal qu'un personnage à ce point amorphe puisse plaire à tant de damoiselles de différents milieux sociaux et ne parvient pas à apprendre de ses erreurs.

Un héros de Tokyo (1935) est un drame intéressant, quoique pas toujours au niveau de son postulat : un veuf qui vient à peine de se remarier disparait après avoir détourné de l'argent et abandonne son fils dans sa nouvelle famille désormais criblé de dette. Sauf que cela n'évoque que le premier quart, sachant que la suite se déroule principalement 10 ans après ce prologue. Malgré sa courte durée de 64 minutes, le scénario est riche et ne manque pas de péripéties ni de matières. Certaines sont assez conventionnelles (la culpabilité de devoir devenir hôtesse et le rejet des enfants) quand d'autres sont un peu plus audacieuses... et pas toujours crédibles (en faisant ré-apparaitre le père devenu yakuza). Mais cela permet d'apporter un pessimisme et un regard moral qui ne date pas le film. Avec ce cadre qui n'est pas celui où il est le plus dans son élément, Shimizu ne signe pas sa réalisation la plus personnelle mais le sens de l'épure et de la concision narrative sont louables.


L'équipe vedette (1936) est une savoureuse comédie qui suit l'excursion sportive d'étudiants en manœuvre à la campagne quelques jours. A part une sous-intrigue dans la seconde moitié aux contours un peu flous, le film est un délice de mise en scène où l'amour pour la nature, la campagne, ses habitants, ses paysages transpirent à chaque plan au point que sa dynamique en fait le sujet même. Sans réel scénario, ce sont les pérégrinations et les rencontres fugaces qui font le cœur du film. J'ai un peu pensé à Henry King et sa sensibilité Americana à capter ces moments simples via des personnages ancrés dans leur réalité et leur quotidien (jeunes filles, éboueurs, paysans) mais avec ici en plus un sens de l'observation qui ne manque pas d'humour admirablement bien porté par la réalisation et le découpage. De surcroit Shimizu n'est pas dupe et brocarde la dimension propagande du récit en assimilant les exercices militaire à des jeux puérils : en effet des enfants suivent leurs ainés et imitent leurs exercices de charges tandis que la caméra de Shimizu pastiche - consciemment - les convention du genre (les nerveux travellings latéraux suivant les pas de courses).
Il en résulte de l'humour, une chaleur et aussi une tendresse revigorante avec quelques bons gags dont une dernière séquence qui voit des escrocs en fuite pour une illustration parfaite du concept de "running gag". C'est certes inconsistant mais c'est ce qui en fait tout le charme et la singularité du cinéaste.

Voici les femmes du printemps qui pleurent (1933) constitue une autre jolie réussite dans le registre du mélodrame social cette fois : des vagabonds débarquent dans le nord du japon pour y travailler dans des mines. Cependant le récit se recentre rapidement sur des femmes qui ont fait le même voyage mais pour y devenir hôtesses. Parmi celles-ci, une réservée qui ne s'attendait pas à ces conditions de vie (climatique et professionnelle) et une mère devenue cynique et délaissant son jeune fils au profit de ses clients. La dimension binaire initiale de la caractérisation (la "pure" Vs la "croqueuse") s'efface devant des sentiments plus complexes et nuancés, en accord avec des décors sobres et dépouillés. L'atmosphère est forcément mélancolique et amer mais si cela peut conduire à une forme de rédemption morale assez touchante qui vient - Shimizu oblige - d'un enfant livré à lui-même.
La réalisation est toujours à dimension humaine, avec de belles idées simples, que ce soit des jolis plans de dos ou un duel sous la neige en hors champ.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Rétro Shimizu en présentiel cette fois :mrgreen:

Le journal d'une femme médecin (1941)

Image

Deux infirmières conduisent un groupe d'étudiants en médecine dans un village montagnard isolé pour des auscultations gratuites. Mais le village qui n'a jamais connu de médecin se méfie de ces visites.

Entre le documentaire, le film à portée éducative et la fiction, ce proto-néoréalisme ne parvient toutefois pas à additionner ses qualités à cause principalement d'une absence d'enjeux dramatiques. Tout est portant là pour Shimizu que donne libre court à sa sensibilité (l'attachement à la nature, le rythme de la campagne, les enfants...) mais à part la beauté de certains plans, la fraîcheur de interprétation des acteurs amateurs, le film a du mal à dépasser son cahier des charges, à savoir sensibiliser les populations isolées à s'ouvrir à la médecine "moderne". Les relations entre les personnages, les problèmes pour se faire accepter par les villageois, les croyances envers les coutumes et traditions ou la crainte de se voir attribuer le nom d'une maladie (et donc de subir des discriminations) ne dépassent malheureusement pas les notes d'intentions. Peut-être que faire appel à une actrice professionnelle comme Kinuyo Tanaka n'était pas une bonne idée, celle-ci ne paraissant pas toujours à l'aise à l'image lors des scènes "médicales". Ce sont d'ailleurs les scènes naturalistes qui sont les plus réussies, celles où la confiance s'installent par de l'attention et des sourires. Le journal d'une femme médecin est avant tout un témoignage sociologique où la vie du village n'a pas l'air trop romancée (même si forcément édulcorée), contrairement à la sous-intrigue sentimentale avec Shin Saburi maladroitement greffée ou une tentative ratée de suspens lors d'une opération sur un nourrisson.
Sa conception bancale pourrait ne pas être un frein au final mais le fait que Shimizu ne parviennent pas à rendre son microcosme attachant l'est davantage, un peu plombé aussi par le rythme inexistant d'une caméra et d'un montage rigides. Il faut dire qu'avec pas moins de 6 réalisation en 1941, le cinéaste n'avait sans doute pas le temps nécessaire pour la cohérence de ce genre de projet.

La voie lactée (1931)

Violée et pour éviter le déshonneur, une femme est obligée d'épouser un associé de son père à qui elle se refuse. Quelques temps plus tard, elle croise pas hasard son agresseur devenu un syndicaliste influent, s'opposant à la direction de la société familiale.

Un muet de 3h08, autant dire que je partais avec quelques craintes... malheureusement confirmée.
A part la bonne surprise d'une projection de seulement 2h40, ce film est dans la lignée de Eclipse avec ses personnages quasi amorphes et trop souvent dans l'indécision. En réalité, j'aurais bien du mal à résumer l'intrigue et ses développements tant j'ai rapidement décroché face à une intrigue confuse, de protagonistes interchangeables (et trop nombreux) et d'une mise en scène terriblement inégale. Malgré quelques travellings latéraux dynamiques et de quelques moments touchants (y compris dans leur amertume), il y a beaucoup de moments creux ou manquant de limpidité, desservi aussi par un style bâclé, comme certains décors bricolés à la va vite (sans doute pour être brûlés à moindre coup lors du final). De plus, la dimension socio-politique ne fonctionne pas non plus.
Un triste sentiment de passivité que je ne semblais pas être le seul à avoir ressenti à écouter les réactions en sortant de la salle.

Et j'enchaîne cet après-midi sur les Sept mers (même période, même durée et même registre à priori) :oops:
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Avatar de l’utilisateur
John Holden
Monteur
Messages : 4881
Inscription : 1 sept. 14, 21:41
Contact :

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par John Holden »

bruce randylan a écrit : 30 mai 21, 12:46 Rétro Shimizu en présentiel cette fois :mrgreen:
...



Et j'enchaîne cet après-midi sur les Sept mers (même période, même durée et même registre à priori) :oops:
Intéressé par celui ci, malheureusement ça ne collait pas avec les horaires. J'essaierai de le voir à la MCJ lorsque la rétrospective sera transféré là bas d'ici quelques semaines, enfin si j'ai bien compris.
La semaine prochaine je pense assister aux séances de lundi, mardi et jeudi. Et mardi L'organiste de la cathédrale Saint Guy à la fondation Pathé, ce sont des collègues qui ont travaillé sur la réparation, mais ça c'est du HS. :mrgreen:
Image
bruce randylan
Mogul
Messages : 11658
Inscription : 21 sept. 04, 16:57
Localisation : lost in time and lost in space

Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

John Holden a écrit : 30 mai 21, 15:18 La semaine prochaine je pense assister aux séances de lundi, mardi et jeudi. Et mardi L'organiste de la cathédrale Saint Guy à la fondation Pathé :mrgreen:
Il n'y a pas de séance le mardi à la CF :fiou:

L'organiste de la cathédrale Saint Guy me tentait bien mais pas disponible.

Les Sept mers : Virginité & Chasteté (1931-1932)

Image

La jeune Yumie, issue d'un milieu modeste et fiancée à Jo, est abusée par Takehiko qui vient lui d'une riche famille. Apprenant que sa fille est déshonorée, le père (déjà malade) de Yumie décède tandis que sa grande sœur sombre dans la folie à cause de ces deux évènements. Pour payer l'hospice et les soins de cette dernière, Yumie accepte d'épouser Takehiko pour son argent, ce qui provoque la colère et l'incompréhension de Jo qui coupe les ponts avec elle. Mais Yumie est bien décidée à se venger de sa nouvelle famille et commence à dilapider leur fortune.

Après Eclipse, La voie lactée, ce diptyque (sortie à 3-4 mois d'écart) reste dans la même lignée et il faut croire que ce genre était vraiment populaire au Japon durant ces années. On retrouve une nouvelle fois un homme qui n'hésite pas à manipuler un ami pour lui voler sa fiancée, le mariage malheureux et les héros indécis et un peu lâche.
Celui-ci fonctionne mieux que les deux précédents grâce à son récit plus recentrée sur la seule héroïne pour mieux réduire les sous-intrigues ou les péripéties cycliques. On gagne en clarté autant qu'en impacte dramatique. On bascule presque dans le film de vengeance mûrement préméditée par une femme implacable et déterminée. Ce n'est à ce titre pas forcément toujours réaliste, comme en témoigne le résumé qui évoque l'essentiel du premier film, même si le film possède une cohérence narrative et esthétique. Il y a quelques plans sublimes d'ailleurs, notamment lors de l'ouverture dans le train où la photo et la profondeur de champ sont admirables. L'intensité dramatique de la deuxième partie tient plutôt bien le coup et l'on se demande même si le film va tenir sa noirceur jusqu'au bout ou non. Sur ce point, Les sept mers ne remplit par entièrement ses promesses et rappelle qu'on est devant un mélodrame commercial et convenu qui semble reproduire une formule établie reposant sur un certain cahier des charges. L'accroche qui clôture d'ailleurs la première partie et qui annonce la suite ne cache pas la superficialité de son entreprise.
Ça reste un divertissement bien fait, parfois sensible mais il manque tout de même d'âme. Il n'est pas surprenant de voir que Shimizu creusera bientôt un autre sillon. Détail révélateur, ce sont régulièrement les séquences avec la petite sœur de Yumie qui sont les plus touchantes (jouée par Hideko Takamine, âgée de 7 ans).

PS : La MCJP vient de mettre ses horaires en ligne
https://www.mcjp.fr/fr/agenda/hiroshi-shimizu
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
Répondre