Allan Dwan (1885-1981)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Mam'zelle vedette (Rebecca and the Sunnybrook Farm) de Allan Dwan 1938 20TH CENTURY FOX

Rebecca, une petite fille de 8 ans qui aime chanter pourrait facilement devenir une vedette de la radio si sa tante ne le lui interdisait et si son beau-père ne posait pas la condition d'en tirer un maximum de profit...

Pas grand chose à dire : les films avec Shirley Temple se suivent et se ressemblent tous plus ou moins sans que dans l'ensemble ils soient aussi désagréables qu'on aurait pu le penser (Our little Girl de John S. Robertson [drame d'à peine 60 minutes ayant pour sujet le divorce vu par les yeux d'une petite fille] étant même une assez belle réussite). Paradoxalement, ce sont ceux réalisés par les cinéastes les plus prestigieux qui s'avèrent les moins bons. Après John Ford qui met en scène l'un de ses pires films avec La mascotte du régiment, Allan Dwan tourne coup sur coup un Heidi sans intérêt et ce musical un peu meilleur grâce justement à ses séquences chantées et dansées. Shirley Temple a grandi mais sa voix reste la même et elle se débrouille toujours aussi bien avec les claquettes notamment dans le numéro final qui ressemble beaucoup à celui de Poor Little Rich Girl, une fois encore costumée en petit soldat. Ses partenaires sont Randolph Scott, Jack Haley et Gloria Stuart. L'ensemble se suit assez bien grâce à ces derniers et aux mélodies de Harry Revel et Mack Gordon mais l'incursion, comme dans Heidi, de gags burlesques est totalement raté. Moyen, assez terne mais néanmoins regardable.
daniel gregg
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Allan Dwan (1885-1981)

Message par daniel gregg »

Henry Miller disait à propos de Jean Giono : "...de lui je dirai que "le chef d'oeuvre" était l'acte créateur en lui même..." (cf."les livres de ma vie" par Henry Miller). On peut faire sienne cette formule qui correspond si bien à ce réalisateur qui confiait dans les années 60 à la revue "Présence du cinéma" : "...avant tout j'aime travailler, j'aime tourner...". Et depuis ses débuts en 1911 où il réalise son premier film en remplaçant un metteur en scène ivre mort jusqu'à 1961 date à laquelle il tourne son dernier film The Most Dangerous Man Alive, il n' a cessé de tourner, enchantant des générations de cinéphiles.
Il dirige ses premiers succès en collaboration avec Douglas Fairbanks et Gloria Swanson (Manhandled; Robin Hood; Iron Mask). Les débuts du parlant le voient réaliser une oeuvre rare que je n'ai hélas personnellement pas vu :While Paris sleeps en 1932 qui a ses partisans dont Tavernier et Lourcelles. Peter Bogdanovich cite Wicked, autre film invisible.
Puis viennent quelques comédies un peu verbieuses dont High Tension et One mile from heaven jusqu'à Suez, superproduction qui ne reflète pas totalement les immenses qualités du cinéaste.
Les années 40 le verront élaborer lentement ce goût du réalisateur pour des dialogues à la simplicité touchante qui rendent ses personnages si attachants. Pour la plupart ce sont des héros à la recherche d'un paradis perdu qui s'inscrivent de manière paisible et naturelle dans le Monde.
De cette période quelques oeuvres se détachent telles que Driftwood avec Nathalie Wood enfant, The Inside Story et Angel in exile coécrits avec les scénaristes et auteurs de romans Policiers Mary Loos et Richard Sale. Il faudrait voir également Brewster's Millions dont Tavernier et Coursodon disent le plus grand bien et Getting Gertie's Carter.
Au début des années 50 Dwan entame une série de petits westerns aux qualités indéniables dont Belle le Grand, Montana Belle et The woman they almost lynched qui préfigurent la fabuleuse collaboration du réalisateur avec le producteur Benedict Bogeaus et le chef opérateur John Alton.
En effet de 1954 à 1958 il met en scène de nombreux chefs d'oeuvre dans des genres différents tel que le western : Silver Lode, film à l'acuité sèche et imparable, Cattle queen of Montana, dont le technicolor de John Alton rend inoubliables les plans d'extérieur de cette nature à la virginité rousseauiste, Tennessee's Partner enfin avec l'une des meilleures compositions de Ronald Reagan.
Pour le film noir il livre un modèle du genre : Slightly Scarlet aux couleurs et décors somptueux avec les délicieuses Rhonda Fleming et Arlene Dahl.
Citons aussi ce sommet de poésie dont les innombrables qualités ont déjà été vantées avec talent ici par Beule, que constitue Passion avec la sublime Yvonne De Carlo.
Parrallèllement à sa collaboration avec Bogeaus, Dwan signe The Restless Breedun western dont les thèmes (quête du rachat, recherche d'un port d'attache,etc..) constituent une synthèse parfaite de son oeuvre. Citons également The River's edge agréable thriller avec l'excellent Ray Milland.
Enfin Dwan dirige en 1961 son dernier film, une oeuvre de science fiction The most dangerous man alive dont on dit le plus grand bien et que je n'ai malheureusement toujours pas vu.
Pour l'ensemble de cette carrière à la richesse foisonnante, Allan Dwan mérite l'éternité...
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Jeremy Fox
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

Tellement prolifique qu'il est évident et somme toute logique que sa filmographie ait été un peu en dents de scie. Du peu (très peu même) que j'ai pu voir, il réalise dans les années 30 quelques films sans intérêt, voire même médiocre : j'ai trouvé son Heidi (avec Shirley Temple) insupportable et son Frontier Marshall (dont Ford fera un remake avec My Darling Clementine) ennuyeux.
L'éclosion de Tombstone suite à la découverte de l'or dans les montagnes alentour, l'arrivée d'un certain Wyatt Earp qui devient le Marshall de la ville, son amitié avec Doc Holiday que deux femmes se disputent et un règlement de compte à OK Corral. Vision totalement fantaisiste de tous ces faits historiques mais ça ne serait pas bien grave si le film nous avait tenu en haleine ; ce qui n'est pas franchement le cas tellement le scénariste, voulant faire le plus mouvementé possible en un minimum de temps (70 minutes), part dans tous les sens en oubliant de nous rendre attachant les personnages qui composent son histoire. Allan Dwan possède certes du métier et nous délivre de nombreuses séquences bien troussées mais il n'arrive pas plus que ça à rehausser son scénario. Les nombreux seconds rôles sont eux aussi sacrifiés à l'action. Dommage car Randolph Scott et surtout Cesar Romero (étonnante ressemblance physique à de nombreuses reprises avec le Holliday de Kirk Douglas) s'en tirent plutôt très bien. Logique donc que ce film pourtant signé Dwan soit passé inaperçu au milieu de tous les chefs-d'oeuvre du genre sorti cette même année 1939, faste pour le western. Certainement le film le moins intéressant mettant en scène Wyatt Earp.
Dans les années 40, je n'ai vu que son superbe Iwo Jima. Dwan était surtout connu pour sa série de westerns produit par Benedict Bogeaus dans les années 50. Certains m'ont laissé sur ma faim comme Passion ou Cattle Queen of Montana (qu'ils faudarit quand même que je revois dans de bonnes conditions) mais d'autres m'ont enchantés tel le fameux et sombre Silver Lode mais surtout et avant tout ce western atypique, sensible et coloré (l'un des plus flamboyant Technicolor jamais vu) qu'est Tennesse's Partner (Le mariage est pour demain) avec son acteur de prédilection, le très bon John Payne et Ronald Reagan certainement dans son meilleur rôle. Sans oublier la splendide Rhonda Fleming encore à l'affiche du non moins superbe Slighty Scarlett

Bref autant dire que l'on ne connait encore pas grand chose de ce cinéaste. Espérons que Carlotta commencera à le faire sortir de l'oubli
Tancrède
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Tancrède »

je ne suis pas d'accord pour Frontier Marshall, j'y trouve une poésie archaïque et primitive qui me rappelle DeMille. Sans l'idéologie réactionnaire.

et comme beaucoup de monde, je place la demi-douzaine de ses collaborations avec Bogeaus que j'ai pus voir au firmament du cinéma hollywoodien.

En plus des titres cités par Daniel gregg, les films d'aventure Les rubis du prince birman et La perle du Pacifique sud m'avaient émerveillé.
Fatalitas
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Fatalitas »

Jeremy, il y a The River's edge dispo en Z1 avec st anglais, si tu veux approfondir avec Dwan :wink:

http://www.dvdpacific.com/item.asp?ID=728352
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Jeremy Fox
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

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La Ville de la vengeance (The Restless Breed - 1957) de Allan Dwan
EDWARD L. ALPERSON PRODUCTIONS


Avec Scott Brady, Anne Bancroft, Jay c. Flippen, Jim Davis, Rhys Williams
Scénario : Steve Fisher
Musique : Edward L. Alperson Jr.
Photographie : John W. Boyle (Eastmancolor 1.85)
Un film produit par Edward L. Alperson


Sortie USA : Mai 1957


Peu de temps avant qu’Allan Dwan ne mette un terme à sa prolifique carrière, voici qu’avec ce plaisamment suranné The Restless Breed prend malheureusement fin son corpus de westerns, l’un des plus attachants qui ait été : ce que le fécond cinéaste aura réalisé dans le genre depuis le début des années 50 se sera révélé aussi discret que dispensateur de bonheur et de réjouissance. Aujourd’hui, tous ces films restent pour la plupart encore assez méconnus à l’exception de Silver Lode (Quatre étranges cavaliers) ; probablement à cause de leur trop grand classicisme et à leur absence totale d'ironie qui ne cadrent plus bien non seulement avec l'époque actuelle mais qui devaient déjà sembler anachroniques à la période de leur sortie. Il y eut tout d’abord sa série RKO / Républic qui ne manquait pas de charme avec les plaisants La Belle du Montana (Belle Le grand), Montana Belle et, pour point d’orgue, l’excellent La Femme qui faillit être lynchée (Woman they almost Lynched) ; puis ce fut le début de sa fameuse collaboration avec le producteur Benedict Bogeaus et le superbe et puissant Quatre Etranges Cavaliers (Silver Lode) suivi par Tornade (Passion) , curieux mais pas totalement abouti, le somptueux livre d’images qu’était le séduisant et naïf La Reine de la Prairie (Cattle Queen of Montana), et enfin le tendre et splendide Le Mariage est pour demain (Tennesse’s Partner) qui donnait à John Payne, Ronald Reagan et Rhonda Fleming peut-être leurs plus beaux rôles. Sans atteindre le niveau de cette dernière 'série' de films, notamment du point de vue plastique, le dernier western de Dwan mérite néanmoins qu’on lui donne une chance et qu’on le défende.

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L’avocat Mitch Baker (Scott Brady) apprend que son père, membre des services secrets américain, chargé de mener une enquête sur un trafic d’armes au profit de l’Empereur Maximilien, vient de se faire tuer par Ed Newton (Jim Davis), le chef du gang organisant cette contrebande. Mitch décide alors d’aller incognito venger son père en se rendant dans la petite ville du Texas à la frontière mexicaine où l’assassinat à eu lieu. Il retrouve la mission qui avait hébergé son père : elle est tenue par le Révérend non ordonné Simmons (Rhys Williams), le seul de la ville qui était au courant de la véritable profession de son père et qui veille assidument sur de jeunes orphelins métisses qu’il recueille ; parmi eux, la belle Angelita (Anne Bancroft) dont Mitch tombe immédiatement amoureux et qu’il peut séduire à son aise puisque Simmons a accepté de lui offrir le gite à son tour. Peu de temps après son arrivée, Mitch assiste à l’assassinat du shérif en place, le troisième à se faire descendre en l’espace seulement de deux mois, tous piégés par les complices de Newton commandés par le vil Cherokee (Leo Gordon). Il abat deux des meurtriers et du coup on lui propose de devenir l’homme de loi de la petite bourgade. Il refuse, n’ayant pas l’intention de rester en ville une fois ‘sa mission’ remplie. Un nouveau shérif vient prendre son poste, une vieille connaissance de Mitch, Steve Evans (Jay C. Flippen), qui n’est autre qu’un des meilleurs amis de son défunt père. Il critique violemment le désir de vengeance de Mitch et décide de prendre lui-même en charge l’enquête ; pour se faire, il doit révéler les intentions de Mitch aux habitants qui découvrent par la même occasion sa véritable identité et ses principales motivations. On lui demande alors de quitter les lieux…

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Un homme cherche à venger son père assassiné ; d’abord mal considéré par les habitants, il va faire retrouver la quiétude à la ville dans laquelle le meurtre s’était déroulé et où les shérifs ne faisaient pas long feu ; il va tomber amoureux de la protégée de son hôte et s’en faire aimer. A priori, rien de bien neuf : une intrigue tout ce qu'il y a de plus classique, vue et revue. Mais ce cinéaste discret n’a jamais vraiment cherché à être original ; c’est avant tout par la douceur de ton de ses films et par son humanisme qu’il s’est souvent démarqué de ses confrères westerniens. D’ailleurs dans The Restless Breed, personne n’ira dans le sens du vengeur, tous lui conseillant même de ne pas sombrer dans cette facilité peu glorieuse, ne lui procurant même aucune aide si ce n’est pour l’encourager à ne pas accomplir cette idée entêtante, à commencer par la jeune Angelita qui préfère le garder vivant ; comme de nombreuses femmes dans le genre, plus prosaïques que leurs compagnons (sans que ce ne soit nécessairement péjoratif), elle ne cherche pas à trouver de l’héroïsme dans l’homme qu’elle aime mais avant tout de la raison et de l'affection. Le shérif n’acceptera pas que le jeune homme se charge de tuer l’homme qu’il a désormais pour mission d’appréhender, estimant que ce serait hors-la-loi d’exercer lui-même sa propre justice ; lorsqu’il lui donnera son insigne au moment de mourir, il finira néanmoins par légitimer son action puisqu’elle aura alors lieu sous couvert de la loi. Avant d’avoir obtenu ce ‘laissez-passer’, le tireur d’élite aura sombré quelques jours dans l’alcoolisme, dépité de ne pouvoir être soutenu par quiconque (même parmi ses plus proches) dans son idée de vendetta. Une idée scénaristique vraiment intéressante et encore assez rare que de voir ce ‘héros’ pur et dur’ tomber aussi bas sous le regard même de la femme qu’il aime ; ce qui le rend du coup très humain comme déjà le fait de l’avoir surpris auparavant jouer au macho en séduisant Anne Bancroft sans aucune finesse, lui volant un baiser dès qu’il en avait eu l’occasion. On constate donc assez vite qu’au travers de cette banale histoire de vengeance, par quelques digressions bienvenues, Allan Dwan nous aura fait néanmoins réfléchir sur la loi, l’ordre, l’héroïsme et la justice tout en nous brossant le portrait de quelques personnages très attachants, surtout ceux joués par le vengeur Scott Brady et le Marshall Jay C. Flippen.

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Il est d’ailleurs étonnant que Phil Hardy parle de comédie dans sa notule à propos de ce film au sein sa ‘bible’ westernienne, car The Restless Breed est au contraire un film plutôt très sérieux. Ce n’est effectivement pas parce que nous assistons à quelques séquences mettant en scène de souriants enfants musiciens, à deux ou trois scènes de séduction assez cocasses ainsi qu’à une danse lascive et endiablée d’Anne Bancroft, que ce western peut raisonnablement être taxé de comédie. Les inquiétants Leo Gordon et Jim Davis sont d’ailleurs là pour nous rappeler que l’amusement n’est pas vraiment de la partie et que les gêneurs seront vite envoyés Ad Patres. Contrastant avec la relative douceur de l’ensemble, la sécheresse des quelques séquences de violence font toute leur réussite, que ce soit celles de l’assassinat des shérifs piégés par une ‘tenaille’ mise en place par les bandits, ou encore le gunfight final. A côté de ça, il est vrai que le reste est un peu naïf (sans que ce ne soit péjoratif) et détonne un peu à côté de la plupart des autres westerns sortis à peu près à la même époque ; mais c’est ce qui fait aussi son charme désuet. Il est par exemple clair que le générique final avec son défilé des comédiens qui apparaissent tour à tour derrière une fenêtre pourrait prêter à sourire ; mais on sent une telle sincérité de la part de toute l’équipe de s’être prêtée à ce 'petit jeu de la révérence' que la pilule passe très bien. Ce petit côté 'théâtral' colle même assez bien avec le fait que le film se déroule quasi intégralement dans un seul décor extérieur de studio, par ailleurs bien mis en valeur et surtout remarquablement bien utilisé ; Dwan n'avait pas son pareil quant il s'agissait de devoir se contenter de peu.

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La moquerie facile pourrait également très bien avoir lieu à l'encontre de la musique signée par le fils du producteur, le même compositeur qui était à l’origine du score d’une autre production de son père, L’Attaque de Fort Douglas (Mohawk) de Kurt Neumann : deux compositions emphatiques qui manquent donc singulièrement de finesse mais qui respirent l’enthousiasme du créateur et dont les mélodies répétées à satiété deviennent vite entêtantes au point de se surprendre à les attendre et à ne pas rechigner à les réentendre encore et encore. Ici, Edward L. Alperson Jr. a concocté trois chansons qui, remodelées et réorchestrées, forment un tout musical franchement plaisant, ne manquant ni de lyrisme ni de panache, mais qui, pour les multiples raisons évoquées ci-avant, pourra néanmoins certainement en agacer certains. On pourrait d’ailleurs décrire de la sorte une grande majorité des westerns de Dwan y compris ce dernier ; à l’exception des deux chefs-d’œuvre presque unanimement appréciés de la période Bogeaus (Silver Lode et Tennessee's Partner), les autres auront pu assez logiquement en rebuter un grand nombre par leur trop grand classicisme, leur trop grande candeur, éléments justement qui en enchanteront beaucoup d’autres, à commencer non seulement par moi mais également par son plus grand admirateur, Jacques Lourcelles. Parmi les petits plaisirs coupables disséminés ici et là, outre la danse d'Anne Bancroft et la gaieté communicative des jeunes métisses, on pourra encore trouver cocasse l'obsession 'd'espionnage' que semblent avoir eu les auteurs en faisant constamment écouter aux portes ou regarder par les trous de serrures deux de leurs personnages, l'indicateur lâche ainsi que le révérend, paraissant être jaloux qu'un autre que lui puisse jeter le dévolu sa fille adoptive.

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Si matière à ironie il y a et une fois admis qu’il s’agit d’un western mineur du cinéaste, ce dernier prouvait qu’il n’avait encore rien perdu de sa capacité à bien diriger ses comédiens : que ce soient Scott Brady (qui force une fois de plus la sympathie), la toute jeune Anne Bancroft ou encore Jay C. Flippen, ils sont non seulement très bons mais arrivent à rendre leurs personnages très attachants même si on regrette qu’Angelita soit un protagoniste manquant singulièrement de richesse dans l’écriture. Alors certes le film ne soutient pas la comparaison avec la série Bogeaus de par son budget encore plus étriqué (une rue en studio et presque seulement trois pièces au sein desquelles se déroulent l’intrigue : la mission, le saloon et l’hôtel) et sa photographie loin d’être du niveau de celles d’un John Alton par exemple, mais l’ensemble se suit néanmoins sans ennui et même avec grand plaisir. Il clôture cette série de westerns avec une grande cohérence dans le ton et les thématiques abordées, sorte de synthèse des films qui ont précédés, le mysticisme et la religion, certes discrètement, étant même de la partie (Mitch étant vu comme un archange par les enfants). Du point de vue de la pure mise en scène, c’est également très carré et professionnel, les cadrages, les placements et mouvements de caméra étant toujours parfaitement soignés, les séquences d’action bougrement efficaces. Un western nonchalant évidemment mineur, candide et suranné mais dans le même temps extrêmement doux et attachant, parfait exemple du sobre humanisme presque primitif de son auteur. Le Gunsliger vengeur et brutal, au contact de plusieurs personnes bienveillantes, verra son itinéraire moral positivement évoluer et en fin de compte tendre vers plus de sérénité et plus de compréhension. Vive les happy-end lorsqu’ils sont délivrés avec autant de sincérité !
Tancrède
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

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c'est vraiment n'importe quoi ces agrégations de topics.
les fils n'ont ni queue ni tête.
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Nestor Almendros »

Tancrède a écrit :c'est vraiment n'importe quoi ces agrégations de topics.
les fils n'ont ni queue ni tête.
Pour ton information, puisqu'il faut encore se justifier auprès des rares réticents, je garde (quand il y en a) les conversations ou les quelques réponses qui suivent les avis. Je ne peux pas les inventer...
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

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Quatre étranges cavaliers (Silver Lode, 1954) de Allan Dwan
RKO


Avec John Payne, Lizabeth Scott, Dan Duryea, Dolores Moran, Emile Meyer, Robert Warwick, John Hudson, Harry Carey Jr., Alan Hale Jr., Stuart Whitman.
Scénario : Karen DeWolf
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la RKO


Sortie USA : 23 juillet 1954

Jusqu’à présent, à l’exception en 1939 de Frontier Marshall (L’aigle des frontières), bien terne version de l’histoire du shérif Wyatt Earp et de son amitié avec Doc Holiday dont John Ford fera un remake avec My Darling Clementine (La poursuite infernale), Allan Dwan nous aura déjà offert en ce début de décennie trois autres westerns on ne peut plus plaisants : La Belle du Montana (Belle Le Grand) et La Femme aux revolvers (Montana Belle), deux westerns mélodramatiques du plus bel effet, aussi charmants que désuets, ainsi que La Femme qui faillit être lynchée (Woman who almost Lynched) qui sortait un peu des sentiers battus, donnant tous les rôles principaux à des femmes au sein d’une intrigue d’une étonnante richesse. Silver Lode marque le début d’une fameuse collaboration avec le producteur Benedict Bogeaus et confirme que Dwan était non seulement un homme sensible mais également le cinéaste qui, dans le genre, s'intéressait le plus aux personnages féminins, leur donnant une étoffe, une éthique et une importance encore assez rares. Un western lorgnant du côté du film du film noir ; un des grands chef-d'oeuvre de la série B !

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Le jour de la fête nationale à Silver Lode, on s’apprête à célébrer le mariage de Dan Ballard (John Payne) avec Rose Evans (Lizabeth Scott), la fille du plus riche notable de la localité. La cérémonie se voit interrompue par l’arrivée inopinée de "quatre étranges cavaliers" dont le chef se dit être un Marshall (Dan Duryea) venu arrêter Ballard. Il l’accuse d’avoir, deux ans plus tôt, tué son frère d’une balle dans le dos et d’avoir dérobé 20 000 dollars. Il souhaite le ramener dans l’Etat où la tragédie s’est déroulée afin qu’il y soit jugé. Grâce à l’appui de ses concitoyens, Ballard obtient un sursis de deux heures afin de prouver son innocence. Le mystérieux Marshall, grâce à quelques malheureux concours de circonstances, va arriver à faire se retourner l’opinion publique en sa faveur, Ballard devenant ainsi la brebis galeuse et allant désormais devoir se défendre (presque) seul et contre tous. La tension est à son comble ; la violence ne va pas tarder à éclater et faire de nombreuses et innocentes victimes…

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En plus de marquer le début de l’association Dwan/Bogeaus, Silver Lode est la première rencontre entre le cinéaste et l’un de ses interprètes de prédilection, l’excellent et trop méconnu John Payne (déjà mémorable dans l'excellent mais trop ignoré L'aigle et le vautour (The Eagle and the Hawk de Lewis R. Foster). C’est également le plus réputé des dix films de la collaboration prolifique entre le réalisateur et le producteur, auxquels il faut ajouter le compositeur Louis Forbes, le monteur James Leicester et le chef opérateur John Alton qui l'accompagneront tout du long. Et non seulement il s’agit d’un magnifique et âpre western de série B mais aussi dans le même temps, après les célèbres High Noon (Le train sifflera trois fois) de Fred Zinnemann et Johnny Guitar de Nicholas Ray, d’une nouvelle charge féroce contre le maccarthysme qui venait de gangréner l’industrie du cinéma de l’époque. Dwan n’avait pas eu personnellement à souffrir de la "chasse aux sorcières", et disait toujours ne pas s’intéresser à la politique, mais il semblait pourtant en avoir gardé un sacré ressentiment qu’il exprime vigoureusement dans ce virulent pamphlet. Western urbain comme le fameux Train sifflera trois fois (High Noon), il s’en rapproche tout en allant bien plus loin et surtout plus frontalement. Il faut néanmoins savoir que cette hypothèse est venue de France, Dwan lui-même n’en ayant jamais fait cas dans ses interviews, ne semblant jamais avoir eu en tête une telle idée.

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Il faut pourtant se rendre à l’évidence ; cette théorie tient toujours remarquablement bien le coup ! Jugez plutôt en relisant l'intrigue sachant que, comme son illustre prédécesseur, sa structure dramatique respecte également l’unité théâtrale de lieu et de temps ! L’élément primordial qui n’avait pas encore été indiqué lors du résumé est que le nom de famille du Marshall (qui n’est autre que le "bad guy" de l’histoire, personne n’en doute, et ce dès sa première apparition) n’est rien d'autre que McCarty. Comme le sénateur du même nom (au moins phonétiquement), sans véritables preuves à l’appui, ce manipulateur va réussir à lui seul à gagner la confiance des habitants de la ville alors qu’ils étaient jusque-là entièrement dévoués à l’accusé (le « We are behind you ! » des concitoyens de Ballard ne fera pas long feu). La réputation d’un homme connu pour son intégrité morale va être entachée en quelques heures par une simple accusation venue d’on ne sait trop où. Après un temps de lucidité et de compréhension (« Admettons que Dan ait pu se tromper dans le passé. Qui d’entre nous est immaculé ? »), le venin de McCarty va vite se propager et le doute va s’installer bien ancré dans les esprits. Au final, les résidents de Silver Lode vont, sans trop de problèmes de conscience, retourner leurs vestes. On ne pouvait guère faire plus transparent de la part de la scénariste Karen DeWolf. Devant la tristement célèbre Commission des Activités Anti-américaines, les personnalités invitées à témoigner réussissaient à détruire la réputation de leurs collègues en guère plus de temps. Mettons que Dwan ne se soit pas rendu compte de 'la parabole' mais ça me semble assez peu probable !

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Mais ce n’est pas tout et, dans la lignée d’autres films délibérément libéraux tels que Fury de Fritz Lang ou, pour rester dans le domaine westernien, L’Etrange incident (The Ox-Bow Incident) de William Wellman et le sublime Johnny Guitar de Nicholas Ray, Silver Lode fustige la lâcheté collective tout en mettant le doigt sur la bêtise de la foule prise dans un engrenage de violence, et qui n’hésite pas à vouloir rendre la justice elle-même sans en passer par un procès équitable. Le film, d’une formidable dignité, se révèle aussi éprouvants que les trois titres cités ci-dessus ; la tension est souvent à son comble au milieu de ce brassage très efficace de thèmes sociaux et politiques pour le moins assez inhabituels dans le western. Mais Silver Lode n’est pas célèbre que pour son aspect extra-cinématographique (un manifeste libéral anti-maccarthiste), ni remarquable uniquement pour son sujet, mais se trouve être dans le même temps splendide sur le plan formel et de plus magnifiquement interprété et photographié.

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Silver Lode a bénéficié d’un budget plus conséquent que les films suivants de la série qu'Allan Dwan tournera avec Bogeaus, même si la somme (800 000 dollars) reste dérisoire en rapport avec les films des grands studios ; ce n’est pas pour autant que le réalisateur l’utilisera à mauvais escient, préférant en rester à un dépouillement en corrélation avec un sujet sombre et dramatique. Il semble d’ailleurs sur ce point avoir parfaitement maitrisé son sujet. Sa mise en scène ne déroge pas au classicisme traditionnel, cependant transfigurée par une sorte d’évidence dans le choix des cadrages et de la succession des plans (le découpage sec et épuré ménage une intensité grandissante et réellement prenante), en même temps que dynamitée par l’intrusion de plans séquences absolument fulgurants comme ce célèbre travelling exalté (loué par Martin Scorsese) qui suit Ballard traqué dans les rues de la ville décorée aux couleurs de la nation. Justement à propos de Ballard, l’un de ces laissés-pour-compte qui auront toujours l’affection du cinéaste, c’est John Payne qui l’interprète avec une sobriété exemplaire, gardant toujours un visage fermé et inquiet sans chercher à trop en faire (certains prendront cette forme "d'underplaying" pour un manque de talent mais il n’en est rien, bien au contraire). Son rival dans le film, c’était déjà celui de James Stewart dans Winchester 73 et plus récemment de Audie Murphy dans le très bon Chevauchée avec le diable (Ride Clear of Diablo) de Jesse Hibbs, l’inquiétant Dan Duryea, ici une nouvelle fois prodigieux avec sa voix haut perchée, sa mine défaite et son sourire cruel. Parmi les seconds rôles apparaissent beaucoup de visages connus, en tout cas plus que leurs noms, ceux de Robert Warwick, Hugh Sanders, John Hudson, Roy Gordon, Emile Meyer et bien d’autres.

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Ce casting quatre étoiles est entériné par Dolores Moran et Lizabeth Scott dans la peau des deux personnages féminins qui sont parmi les plus intéressants du film ; ce sont elles seules qui soutiendront jusqu’au bout l’accusé et qui viendront à son secours tout au long de son itinéraire tragique, compensant la noirceur du regard du cinéaste et de sa scénariste sur la société qu’ils décrivent sans complaisance. Deux femmes d’origines sociales et de caractères presque opposés, qui auraient pu être rivales (l’une est la riche future épouse de Ballard, l’autre son ex maîtresse, Dolly, une prostituée au grand cœur), mais qui préfèreront s’unir pour sauver l’homme traqué et lui faire retrouve sa respectabilité. Si la fiancée a pu douter un instant de son mari, Dolly lui a fait confiance à chaque seconde. Dolly, femme franche et obstinée, ne passe pas par quatre chemins pour balancer leurs quatre vérités aux membres de cette société puritaine et hypocrite qui abandonne l’un de ses siens par honte d’avoir accueilli en son sein un homme qui a pu être un aventurier en son temps. Dolly (dernier rôle de Dolores Moran qui était l’épouse du producteur Benedict Bogeaus) est un personnage que le réalisateur semble avoir beaucoup apprécié, au point de terminer son film par un plan qui la montre courir en fond de plan avec en main un télégraphe innocentant son ex amant.

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Pas plus de graisse dans ce final que dans tout ce qui aura précédé, Allan Dwan étant allé à l’essentiel avec un sérieux jamais pesant (cependant non dénué d’ironie, McCarty étant tué par le ricochet de sa balle sur la cloche de l’église). Il nous aura délivré au bout du compte une œuvre dure, digne et remarquable, stigmatisant les préjugés et l’absence de générosité morale dans une société qui n’hésite pas à piétiner ses propres croyances en allant jusqu’à envahir une église pour attraper le fugitif. Un des très grands westerns américains de l’histoire du cinéma, aussi bien sur le fond que sur la forme. Un western que l'on peut légitimement comparer et préférer au train sifflera trois fois. Dommage que le film de Dwan soit moins célébré que son prédecesseur.
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Jack Carter
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jack Carter »

entrée dans ton top 100 ?? :)
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Jeremy Fox
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

Jack Carter a écrit :entrée dans ton top 100 ?? :)
Oui, il va y trouver sa place ; plus qu'à réfléchir lequel faire partir
:mrgreen:
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Jeremy Fox
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

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Tornade (Passion, 1954) de Allan Dwan
RKO


Avec Cornel Wilde, Yvonne de Carlo, Raymond Burr, Lon Chaney Jr, Rodolfo Acosta, John Qualen, Anthony Caruso
Scénario : Beatrice A. Dresher, Miguel Padilla, Joseph Lejtes, Howard Estabrook
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor 1.37)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la RKO


Sortie USA : 06 octobre 1954

Après le joli succès remporté par le superbe Silver Lode (Quatre étranges cavaliers), toujours en 1954 le cinéaste réalisait encore deux autres westerns aux tons globalement assez différents dont le premier fut Tornade. Nous avions dit précédemment que, suite à leurs disputes, Allan Dwan avait décidé de ne plus jamais travailler pour Benedict Bogeaus ; c’est pourtant ce dernier qui appellera le réalisateur à la rescousse trouvant que celui qui officiait sur Tornade sabordait le film. Allan Dwan reprend donc le tournage depuis le début et mène le projet à son terme en à peine quinze jours. L’ayant auparavant bien apprécié, je dois avouer avoir eu un peu de mal lors de cette nouvelle vision, le trouvant vraiment trop naïf pour le thème abordé, bien moins convaincant que tous les précédents westerns réalisés par Dwan depuis le début de la décennie y compris les plus légers Belle le Grand ou Montana Belle.

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De retour chez lui avec son troupeau après des mois d'absence, Juan Obreon (Cornel Wilde) se rend dans l’hacienda de son ami Gaspar Melo. Il apprend avec bonheur que sa fiancée Rosa (Yvonne de Carlo), la fille de Gaspar, vient d'accoucher. Mais sa joie est de courte durée puisqu’il n’a le temps de célébrer ni le mariage ni le baptême prévus. En effet, les hommes de Don Domingo, un riche propriétaire terrien ne voulant plus que l’on occupe ses terres malgré les promesses orales faites par son père, déciment la famille Melo dont la seule survivante est la sœur jumelle de Rosa, Tonya. Fou de douleur et ayant compris que la police locale, pourtant dirigée par son ami le capitaine Rodriguez (Raymond Burr), ne lèverait pas le petit doigt, Juan décide alors de rendre justice lui-même en éliminant un à un les cinq hommes responsables du massacre, en commençant par Castro dont Tonya a reconnu le rire. Il devient donc hors-la-loi, et, bien évidemment, se trouve poursuivi à son tour alors qu’il continue de son côté d’accomplir ses actes de représailles…

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Même s'il y eut quelques précédents, Il s’agit de l'un des premiers films du genre à aborder avec sérieux le thème de la vengeance à partir ici d’une trame assez (trop) simple mais très animée ; un sujet que reprendront à foison les westerns italiens dès la décennie suivante et qui sera aussi à l’œuvre dans d’autres westerns américains tels Le Dernier train de Gun Hill de John Sturges, Bravados de Henry King ou Nevada Smith de Henry Hathaway pour ne citer que les plus connus parmi les films à venir. Mais attention, Allan Dwan n’est certainement pas le modèle de Michael Winner, dissipons tout de suite un malentendu qui pourrait se faire jour ! Connaissant le cinéaste, on se doute bien que Tornade n’est aucunement le précurseur d'Un justicier dans la ville (Death Wish) et ne se veut aucunement un film prônant l’autodéfense et le fait de se faire justice soi-même ! On peut, sans l’excuser, concevoir qu’un homme ait été fou de douleur après avoir perdu sa femme et son enfant dans de si tragiques circonstances et qu’il agisse de la sorte sous le coup d’une forme de démence ; on devine d’ailleurs cette folie à travers le regard fixe d’Obreon lorsqu’il se met à poursuivre Sandro à pied au sommet des glaciers. On comprend à cet instant que rien ne pourra le faire reculer, quitte à ce qu’il aille au bout de ses forces pour rattraper (et ramener) son ennemi. Mais le cinéaste américain réfute toute justification de la violence et ne prend pas un plaisir sadique à nous la montrer frontalement ; il suit juste le parcours d’un homme devenu éperdu de douleur : Obreon semble penser, à travers son esprit brumeux et perturbé, pouvoir retrouver, une fois ces actes meurtriers accomplis, le bonheur perdu, ce qui sera néanmoins impossible tellement celui-ci paraissait baigner dans une plénitude liée à la présence des trois membres de la famille.

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Car dans le premier quart d’heure de son film, même si la menace planait déjà, Dwan décrivait l’hacienda de Gaspar Melo comme une sorte de havre de paix, un véritable paradis dans lequel Juan avait retrouvé non seulement sa fiancée mais l’enfant qu’elle a eu de lui, tous trois présentant une image naïve mais ô combien touchante de la félicité sans aucuns nuages à l’horizon. A ce propos, le plan de Cornel Wilde à genoux devant le berceau, ébahi devant la beauté de son enfant, ou cet autre plan au cours duquel, regardant de l’extérieur la fenêtre éclairée de sa bien-aimée, on le sent mourir d’impatience de la retrouver pour lui faire l’amour, ou bien encore, immédiatement après, le sourire d'Yvonne De Carlo couchée dans le lit sachant que d’une seconde à l’autre son époux allait venir se blottir contre elle… se révèlent d’une immense tendresse et d’une grande délicatesse tout en étant esthétiquement superbes. Tornade se déroule d’ailleurs dans des paysages et des lieux encore assez peu filmés à l’époque, surtout en couleurs, ceux de la Californie sous domination mexicaine, région néanmoins bien connue par les admirateurs de Zorro.

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Cinéaste classique, Dwan possédait dans le même temps un sens plastique indéniable [d'ailleurs ce n’est absolument pas incompatible, mais on ne le répètera jamais assez car il semble qu'une majorité oppose les deux]. Il était fortement aidé dans la série des films Bogeaus par le grand chef opérateur John Alton qui nous offre ici des images de toute beauté, certaines faisant même penser à des toiles de maîtres, comme ce portrait de profil de la femme de Sandro alors qu’elle voit son époux partir, le plan décrit plus haut de cette chambre au crépuscule voyant les futurs époux penchés sur le berceau où s’agite leur nouveau-né, ou encore certains intérieurs divinement éclairés, inspirant la plupart du temps une forte sérénité mais parfois aussi l’inquiétude, sans oublier la splendide image finale, la caméra s’avançant vers la fenêtre donnant sur un paysage idyllique au moment où notre héros retrouve une signification à sa vie. On pourra s’étourdir également devant ces plans sublimes de la nature en Technicolor lors de la belle et longue poursuite finale en pleine montagne, même si cette séquence épique est ponctuée de stock-shots et de raccords studio qui n’arrivent pourtant pas à altérer l’harmonie de l’ensemble. Dans cette séquence, Allan Dwan nous octroie ses fameux travellings et panoramiques récursifs et (ou) inversés dont il s’était fait une spécialité, la plupart emportés par un grand souffle lyrique. Certaines séquences d’action ne manquent pas non plus d’une certaine beauté plastique, tel ce duel au couteau dans la pénombre entre Cornel Wilde et l’inquiétant Lon Chaney Jr. ou cet autre duel un peu plus tard se déroulant sous les pieds de chevaux. Bref, même si certains pourraient être déçus par un scénario manquant singulièrement, tout comme les personnages, d’étoffe et de chair, ils pourront déjà apprécier un western à l’atmosphère hispanisante, magnifiquement filmé et photographié.

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Car cette « tragédie optimiste », « ce poème raffiné et délicat sur le thème du bonheur perdu et retrouvé », « ce film tendre sur la violence » comme le décrivait avec une passion non réfrénée le principal adorateur du cinéaste, à savoir Jacques Lourcelles, aurait effectivement pu confiner au chef-d’œuvre si les scénaristes avaient été plus originaux et s’ils avaient enrichi psychologiquement leurs personnages qui paraissent tous un peu monolithiques, n’évoluant pas vraiment sur la durée. L’empathie à leur égard n’est au final pas spécialement de la partie d’autant que l’interprétation d’ensemble, même si très honorable, n’accomplit pas de miracles ni ne fait d’étincelles ; Cornel Wilde s’avère même peu à sa place dans ce rôle principal, moyennement convaincant. Alors il est vrai que la naïveté désarmante de la première partie élégiaque nous comble d’aise et qu’un certain bonheur vient nous envahir à le voir aussi profond chez les autres. Il faut avouer que les éclairs de violence qui la suivent nous font d’autant plus mal par contraste, et que les yeux embués de Cornel Wilde alors qu’il apprend la tragédie ne laissent pas indifférents et nous procurent quelques frissons.

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C’est la partie "vengeance", se déroulant trop linéairement et sans grandes surprises, qui peut ensuite légèrement décevoir ; mais le rythme soutenu de l’intrigue, associé au fait que ce qui se déroule sous nos yeux s'avère parfois être un enchantement visuel, balaie parfois notre scepticisme. Lorsqu'on sait que Passion est le premier film dans lequel Dwan innove son système de bricolage et de récupération, orchestré avec le chef décorateur Van Nest Polglase (celui des films du duo Astaire / Rogers), provenant de bouts de décors piqués à droite à gauche et issus de précédents films d’autres studio, en l’occurrence ici la Warner et Universal, on ne peut qu’être étonné par le résultat de ce travail réalisé avec de tels bouts de ficelle et avec un minimum de moyens techniques et financiers. Très loin d’être aussi irréprochable et homogène que son prédécesseur, Passion n’en est pas moins pour autant un honnête western de série B même s’il laisse un goût amer de déception au vu de ce que Dwan nous avait auparavant offert. Un western qui, contrairement à son titre, manque singulièrement de passion !
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par francesco »

Merci pour ces critiques Jeremy, il me tarde de voir le coffret.

Une question à propos de Dwan : pourquoi est-ce que Suez a l'air invisible ? Comme il était dans le bouquin de Brion sur les films d'aventure j'avais en tête qu'il était regardable. Mais je ne l'ai jamais trouvé ni en VHS, ni en DVD, même pas en Z1 sans stf (et pourtant il y a ce coffret Dwan, il y a eu des rétrospective, il y a eu deux coffrets Tyrone Power ...) . Jamais vu à la télévision non plus. Et on dirait que personne n'en parle non plus sur ce topic. Est-ce que c'est une Arlesienne ? Je me suis toujours demandé ce que pouvait donner Loretta Young en impératrice Eugénie.
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

Oui, bizarre car Suez est toujours cité en bonne place dans les biographies du cinéaste, que ce fut un grand succès et qu'il semble avoir bonne réputation, la meilleure de ses sombres années 30.
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Re: Allan Dwan (1885-1981)

Message par Jeremy Fox »

francesco a écrit :Merci pour ces critiques Jeremy, il me tarde de voir le coffret.
Merci :wink: Et encore, je n'ai pas encore écris mon avis sur Tennessee's Partner, son chef d'oeuvre à mon humble avis. Hâte de voir ce que Carlotta aura fait à partir de ces films ; j'espère des copies de toute beauté
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