Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Image(Henri Debain)
Le Costaud des Epinettes (1922, Raymond Bernard) avec Henri Debain, Pierre Vermoyal et Germaine Fontanes

Claude Brévin (H. Debain), un ancien joueur démuni, fréquente un bal musette de Montmartre où on le surnomme le 'costaud des Epinettes'. Il est embauché par le maître-chanteur Doizau (P. Vermoyal) pour récupérer des lettres compromettantes chez une théâtreuse Irma Lurette (G. Fontanes)...

Raymond Bernard adapte de nouveau une pièce de son père, Tristan Bernard pour cette comédie. Il avait auparavant déjà réalisé Le Petit Café (1919) et Triplepatte (1922) qui était également des adaptations de Tristan Bernard. Dans le rôle principal, on reconnait Henri Debain qui fût également Triplepatte. Cet acteur longiligne, légèrement lymphatique rappelle le jeune Alec Guinness avec son visage allongé et son air ahuri. Il a cette même innocence qui lui attire les ennuis dans le bal musette un peu louche où il dîne. Mais, le frêle jeune homme se révèle adepte des arts martiaux qui lui permettent de terrasser ses adversaires. Ses ennuis ne font que commencer lorsqu'il doit éliminer une femme et récupérer un paquet de lettres. Evidemment, il tombe amoureux de la belle Irma Lurette et ne réussit pas à la tuer. Ce charmant film de Raymond Bernard m'a semblé moins réussi que Triplepatte à cause d'une narration manquant de ressort qui avance à coup de carton d'intertitres. Néanmoins, il contient quelques très bonnes scènes comme lorsque Henri Debain explique à son logeur comment il s'est fait renvoyé de tous ses boulots par son inaptitude. Nous découvrons alors ses maladresses visuellement: il oublie les enfants qu'il doit accompagner plongé dans un livre ou il asperge le visage d'un client dans un établissement de bain. D'autres séquences comme celles où il doit assassiner Irma Lurette offre un très bel éclairage en clair-obscur suggérant la tension qui l'anime. Mais, le film reste assez prévisible. Il faut aussi remarquer les très beaux décors signés Robert Mallet-Stevens. Il est fort dommage que le film soit incomplet : les scènes finales ont disparues. Mais, on peut deviner aisément que Claude Brévin va rester avec Irma Lurette. La copie de la Cinémathèque était extrêmement belle: une copie teintée splendidement contrastée et d'une grande finesse de grain.
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Ann Harding
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Triplepatte (1922, Raymond Bernard) avec Henri Debain, Edith Jehanne et Pierre Palau

Robert de Houdan (H. Debain) -surnommé Triplepatte- a été promis en mariage, avant sa naissance, à la famille de Crèvecoeur. Sa promise n'est qu'une gamine ; mais, il doit toucher une forte somme d'argent le jour de ses noces. Il est poursuivi par son usurier, M. Boucherot (P. Palau) à qui il doit beaucoup d'argent...

Avec cette comédie très enlevée, Raymond Bernard est un précurseur des comédies de René Clair telles que Un Chapeau de Paille d'Italie (1927) et Les Deux Timides (1928). Son héros, Robert de Houdan est un aristocrate molasson et attachant qui fuit le mariage. Cette cérémonie, si importante pour les grands bourgeois et les aristocrates, est au centre de l'intrigue. En adaptant, la pièce de son père Tristan Bernard, le réalisateur réussit un coup de maître. Dans le rôle principal, Henri Debain est parfait. Il est l'incarnation de ce Triplepatte, ainsi nommé car comme son cheval de course du même nom, il hésite toujours à franchir les obstacles. Bien qu'il soit constamment harcelé par Mme de Crèvecoeur et son infernale gamine et par la non moins envahissante Baronne Pépin, Robert de Houdan ne rêve que de liberté. Malheureusement son porte-feuille est vide. Il doit donc convoler en justes noces rapidement pour le remplir. On lui trouve une charmante fiancée, Yvonne Herbelier (interprétée par la très jolie Edith Jehanne). Mais, néanmoins, les chaînes conjugales lui font peur et on doit le traîner à la mairie en pyjama ! Le jeu de l'acteur principal, Henri Debain, n'a rien à envier aux meilleurs acteurs comiques. Indolent, l'air légèrement ahuri ou franchement hilare, il donne à son personnage tout le relief voulu. Face à lui, on reconnaît le formidable Pierre Palau. Cet acteur chauve, qui fit le bonheur des cinéphiles comme dans La Main du Diable (1942, M. Tourneur), est ici déjà le superbe comédien qu'on connaît en usurier prêt à tout pour recouvrer sa créance. Quant à Edith Jehanne, cette charmante actrice, qui fut une étoile filante dans le cinéma muet français, fait ici ses débuts à l'écran. Elle apparaitra encore dans deux autres films de Bernard, Le Joueur d'Echecs (1927) et Tarakanova (1930) et un de Pabst, Die Liebe der Jeanne Ney (1927). Son joli visage mutin offre une image parfaite de la jeune fille face à sa mère envahissante et vulgaire, attifée de plumes qui la font ressembler à une autruche. Le film montre aussi un Raymond Bernard qui expérimente avec la caméra lors d'un cauchemar de Triplepatte qui se voit au ralenti poursuivi par un couple équipé d'un filet à papillon. Les décors splendides sont signés Robert Mallet-Stevens. Voilà un film de Raymond Bernard qui mériterait une sortie en DVD!
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Ann Harding
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Espérons que ce Capellani trouvera le chemin du DVD dans la future boîte de chez Pathé en mai prochain! :)

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L'Assommoir (Albert Capellani, 1909) avec Eugénie Nau, Alexandre Arquillière, Jacques Gretillat et Catherine Fontenay

Ce film de trois bobines d'une durée de 36 min est certainement une des toutes premières adaptations d'Emile Zola. Malgré cette courte durée qui condense le récit considérablement, Capellani réussit à transcrire à l'écran l'atmosphère des romans de Zola. Certes, le récit a subi quelques modifications en particulier sur l'influence néfaste de Virginie (C. Fontenay) qui va multiplier les actes criminels pour se venger de Gervaise (E. Nau). C'est elle qui provoque la chute de Coupeau (A. Arquillère) d'un échaffaudage ou qui lui donne une bouteille d'absinthe en lieu de vin pour provoquer sa mort. Ces entorses au récit de Zola donnent à l'intrigue plus de cohésion. Le jeu des acteurs (tous issus des théâtres parisiens) est dans l'ensemble une bonne surprise. Nous sommes après tout en 1909 ! La bagarre entre Virginie et Gervaise au lavoir est très bien amenée avec toutes les filles qui s'agglutinent pour mieux voir. De même, le repas d'anniversaire de Gervaise distille quelques rires bien venus lorsqu'un des convives s'empare de la soupière. Il boit toute la soupe avec la louche tout en trempant une baguette entière dedans. Le film donne l'impression d'être un pamphlet contre l'alcoolisme avec plusieurs références à l'absinthe, le poison du temps. D'ailleurs la scène finale montre Coupeau, en état de délirium tremens avancé, qui s'agite comme un damné avant de tomber raide mort. l'ensemble du film est filmé en plan large - comme c'était la règle avant 1910. Néanmoins, Capellani montre un sens du cadrage déjà fort élaboré. De nombreuses scènes sont filmées en extérieurs et donnent au film un cachet remarquable. Encore un très bon Capellani !
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Message par allen john »

Ann Harding a écrit :Espérons que ce Capellani trouvera le chemin du DVD dans la future boîte de chez Pathé an mai prochain! :)

Boîte? :shock: quelle boîte?????????????
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

allen john a écrit :
Ann Harding a écrit :Espérons que ce Capellani trouvera le chemin du DVD dans la future boîte de chez Pathé an mai prochain! :)
Boîte? :shock: quelle boîte?????????????
C'était mentionné dans le topic des sorties. Pour le moment, pas d'infos sur le contenu. Mais, les 4 DVDs sont annoncés pour le 11 mai. 8)
allen john
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Message par allen john »

Ann Harding a écrit :
allen john a écrit :Boîte? :shock: quelle boîte?????????????
C'était mentionné dans le topic des sorties. Pour le moment, pas d'infos sur le contenu. Mais, les 4 DVDs sont annoncés pour le 11 mai. 8)
Eh bien je ne l'avais pas vu; c'est pré-commandé, et you just made my day.

Merci! :mrgreen:
bruce randylan
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Message par bruce randylan »

C'est génial cette nouvelle !

Ca me permettra de faire connaissance avec ce cinéaste que je ne connais pas du tout :oops:
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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Et encore quelques courts-métrages signés Perret. Que du bonheur ! 8)

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Le Gardian de Camargue(1910, Léonce Perret) avec Joë Hamman

Arlette, une jeune actrice parisienne, vient passer ses vacances chez sa vieille nounou en Camargue. Elle y en rencontre Hector (J. Hamman), un jeune gardian naïf, qui tombe fou amoureux d'elle...

Ce charmant court-métrage a été tourné en Camargue, probablement au même endroit où Jean Durand tournait ses westerns. On y retrouve le cavalier émérite Joë Hamman, héros des westerns de Durand, ici en gardian. L'intrigue est simplicissime. Un gardian s'amourache d'une parisienne. Désespéré, il se suicide lorsqu'elle repart à la capitale. Mais, comme toujours avec Perret, on apprécie les cadrages, l'utilisation habile des extérieurs et un côté documentaire sur la vie de l'époque. On voit les jeunes arlésiennes en costume traditionnel partir à la cueillette des amandes et revenir avec leurs paniers vers la ville. Le jeu de Joë Hamman est plutôt exagéré, mimant un désespoir grandiloquent. Mais, le final, où il part à cheval dans les vagues pour y trouver le repos de la mort conserve un charme intact. Perret sait rythmer une séquence et lui donner l'atmosphère requise.

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La Petite Béarnaise (1911, Léonce Perret) avec Valentine Petit et Yvette Andréyor

A Pau, le roi Henri de Navarre séduit une petite béarnaise. Mais, sa mère Jeanne d'Albret lui présente sa future épouse, Marguerite de Valois...

Ce court-métrage historique raconte une aventure du Vert-Galant. Il séduit une jolie Béarnaise qui ne survivra pas au désespoir d'être quittée par le roi. Cette histoire simplette se révèle un vrai plaisir pour l'oeil grâce aux superbes prises de vue autour du château de Pau. Le roi au panache blanc repère, depuis un pont, une jolie fille au bord d'une rivière. Ce conte bénéficie d'une atmosphère particulière qui nous fait croire immédiatement aux démêlées d'Henri et de sa belle. Le jeu des acteurs est excellent comme dans la plupart des films Gaumont des années 10. Très joli!

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La Dentellière (1913, Léonce Perret) avec Suzanne Grandais et Emile Keppens

La dentellière Yolande Wouvermann (S. Grandais) voudrait épouser Peter Claes. Mais, le père de celui-ci réclame une dot de 5000 florins qu'elle n'a pas. Elle se présente à un concours de dentelle, espérant gagner le premier prix...

La Dentellière est certainement un des plus beaux courts-métrages de Perret. Dans le rôle principal, Suzanne Grandais est une délicieuse petite hollandaise revêtue d'une coiffe de dentelle. Le personnage apparemment impressionna tant Mary Pickford qu'elle demanda aussi à jouer une hollandaise. Mais, au-delà, de cet aspect folklorique, le film est une lumineuse recréation d'une Hollande picturale. Dans des intérieurs, en clair-obscur, qui font penser à Vermeer et à Rembrandt, Suzanne se lève au milieu de la nuit pour voir se former sur la vitre les critaux de glace. Ils forment -miraculeusement- un motif de dentelles qu'elle cherchait vainement pour son concours. Une petite merveille de grâce et de poésie!
Dernière modification par Ann Harding le 1 avr. 11, 17:59, modifié 1 fois.
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Message par Ann Harding »

J'ai enfin pu voir sur grand écran ce superbe film de Marco de Gastyne. :)
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La Merveilleuse Vie de Jeanne d'Arc (1929, Marco de Gastyne) avec Simone Genevois, Gaston Modot, Philippe Hériat et Jean Debucourt

La vie de Jeanne d'Arc de son adolescence à Domrémy jusqu'au bûcher à Rouen.

Ce film à grand spectacle a été tourné en même temps que La Passion de Jeanne d'Arc (1928) de Dreyer. De nos jours, le film de Dreyer est un grand classique indétrônable et le film de Gastyne, un oublié de l'histoire du cinéma. Et c'est bien dommage. Il serait vain de comparer les deux films car Dreyer réalise une oeuvre intime et entièrement en studio. Il se concentre sur le procès et la mort de Jeanne alors que celui-ci déroule la vie de Jeanne de Domrémy à sa mort. En 1927, lorsqu'on commence le tournage du film, le cinéma français essaie de son mieux de concurencer le cinéma américain en produisant des films que l'on nommerait de nos jours des super-productions. Abel Gance tourne Napoléon, Gaston Ravel Madame Récamier et Raymond Bernard Le Joueur d'Echecs. Jeanne d'Arc est évidemment un personnage à part dans l'histoire de France. On a toujours essayé de récupérer son image à des fins politiques (il en est encore ainsi de nos jours). Les intertitres de ce film sont sans ambiguité: il s'agit d'un 'film national' qui est là pour exalter les sentiments patriotiques. Le film commence par une citation de Michelet exaltant la 'France éternelle'.
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Heureusement, le film dépasse largement le simple message patriotique. Pour le rôle principal, une jeune fille de 16 ans a été sélectionnée parmi plus de 1000 candidates: Simone Genevois. Elle n'était pas une débutante au cinéma. Elle avait déjà joué enfant avec Ivan Mosjoukine dans La Maison du Mystère (1922, A. Volkoff) et elle était l'adolescente Pauline Bonaparte dans Napoléon (1927, A. Gance). Elle doit endosser les différentes personalités de Jeanne: simple paysanne pieds nus, jeune femme habillée en homme rencontrant le Dauphin, guerrière revêtue d'une cuirasse, prisonnière des anglais et finalement supliciée sur le bûcher. Voilà un rôle qui demande beaucoup de travail de la part de son interprète! Simone Genevois, certainement très bien dirigée par le metteur en scène, se montre à la hauteur du challenge. On croit de bout en bout à sa Jeanne. Elle a la jeunesse pour elle, l'innocence, le naturel et même l'humour lorsqu'il le faut.
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Autour d'elle, s'agitent de nombreux personnages tels que le très indécis Charles VII (excellemment interprété par Jean Debucourt) et le dangereux Gilles de Rais (Philippe Hériat à l'allure impériale). Chaque personnage secondaire a été choisi avec soin, de même que les figurants qui offrent des trognes dignes de Bruegel. Le film se décline en deux parties. La première montre Jeanne recevant le 'message de Dieu' et partant rejoindre le Dauphin suivi du siège d'Orléans. La deuxième partie est consacrée à son emprisonnement, son procès et sa mort. Il faut préciser que ce film était à l'origine beaucoup plus long que la copie actuelle (un bon tiers est encore manquant). On sent particulièrement les manques dans la première partie du film qui contient de nombreux fragments issus d'une copie 17,5 mm (Pathé rural). Il en résulte parfois une impression de vide pour certains personnages qui sont peu détaillés. Néanmoins, le film conserve son ampleur grâce à des scènes de bataille spectaculaires avec de nombreux figurants. Le réalisateur a eu la bonne idée de choisir de filmer à Reims, Carcassonne, Pierrefonds, Aigues-Mortes et au Mont-Saint-Michel (pour le procès). En combinant ces différents lieux, il réussit à recréer un moyen-âge tout à fait crédible.
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Le procès final est également une grande réussite avec une Jeanne fragile, mais qui répond intelligemment aux questions tordues de ses juges. Puis, la scène finale sur le bûcher donne véritablement froid dans le dos dans son dépouillement. Pour un tel film, il faudrait une partition orchestrale de premier ordre. Une projection en silence réduit singulièrement l'impact des grandes scènes de bataille. Le film avait été diffusé par le passé avec un accompagnement musical au synthétiseur qui était une première tentative de lui rendre la couleur qu'il mérite. On espère qu'un jour ce film trouvera le chemin du DVD.

En attendant, on peut regarder le film sur le web ici. Attention l'image a été reformatée en 16/9....hélas...
Tancrède
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Message par Tancrède »

merci beaucoup pour le lien ann.

ça fait longtemps que je veux voir le film de Marco de Gastyne et j'étais trop deg qu'il soit projeté en plein après-midi.
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Image (I. Mosjoukine & N. Koline)

Kean, ou Désordre et Génie (1924) d'Alexandre Volkoff avec Ivan Mosjoukine, Nicolas Koline et Nathalie Lissenko

Le célèbre acteur shakespearien Edmond Kean (I. Mosjoukine) est amoureux de la comtesse de Koefeld (N. Lissenko) qui est l'épouse de l'ambassadeur du Danemark. Elle est aussi la maîtresse du Prince de Galles...

Cette biographie de l'acteur Edmund Kean (1789-1833) est une adaptation de la pièce qu'Alexandre Dumas écrivit pour un autre grand acteur Frédéric Lemaître en 1836. La vie turbulente de l'acteur anglais était du pain béni pour les auteurs romantiques français qui cherchaient à s'échapper des conventions du théâtre classique français. Shakespeare était aux antipodes de notre théâtre néo-classique racinien. Il représentait le bruit, la fureur, la vulgarité et l'explosion des sentiments en scène. De même, l'arrivée des immigrés russes dans le cinéma français des années 20 apportent une bouffée d'oxygène dans notre cinéma hexagonal. Ivan Mosjoukine est leur figure de proue avec son magnétisme, son athlétisme et ses qualités protéiformes. Il n'est pas étonnant qu'il ait voulu interprété le rôle de Kean, un artiste, comme lui, qui vivait le moment présent au risque de bruler la chandelle par les deux bouts. Produit par la Sté Albatros, le scénario du film modifie considérablement la pièce originale de Dumas. Il n'y aura pas de fin heureuse : Kean va mourir par une nuit d'orage. Ce recentrage de l'intrigue vers le destin tragique de Kean est une brillante idée. Mosjoukine (qui a participé à l'écriture du scénario) peut y déployer ses talents complets d'interprète. Kean est une idole des planches londoniennes. Toutes les femmes sont folles de lui. Mais, après la représentation, il se retrouve seul avec son seul ami, le souffleur Salomon (N. Koline) qui est son homme à tout faire. Au lieu de passer la soirée dans la bonne société, il part s'encanailler, habillé en marin, dans un bouge 'The Coal Hole Tavern' buvant des litres de rhum et dansant jusqu'au matin. Cette scène de la taverne est l'occasion pour Volkoff de réaliser la meilleure séquence du film. Avec un montage rapide et accéré, nous observons Kean dansant la gigue avec les clients. Alors que la cadence s'accélère, les bouteilles se mettent à danser sur les étagères et la folie semble s'emparer de tous. Reprenant, le système du montage rapide créé pour La Roue (1923), Volkoff l'utilise avec une suprême habilité, si bien, que Gance l'engagera comme assistant réalisateur sur Napoléon (1927) peu de temps après. Le film est un récital Mosjoukine qui est sur scène Roméo et Hamlet avant de mourir dans une débauche de romantisme exacerbé qui ne déparerait pas un tableau de Caspar David Friedrich. A l'agonie, il demande à son fidèle Salomon de lui lire du Shakespeare alors qu'un chien hurle sous la tempête. Kean a été détruit par sa folle passion pour la comtesse de Koefeld (N. Lissenko). Dévoré de jalousie, il perd la raison. Rejeté par le public, il meurt misérable et oublié. On ne peut qu'être frappé par le parallèlisme avec la destinée de Mosjoukine lui-même, qui mourut dans la misère en 1939. Cette recréation du milieu du théâtre des années 1830 a certainement dû avoir un impact sur le jeune Marcel Carné. Et je ne serais pas étonnée qu'une partie des Enfants du Paradis (1945) trouve sa source dans ce film. Le Frédéric Lemaître de Brasseur mène une vie aussi agitée que le Kean de Mosjoukine. Après tout, Carné a travaillé comme assistant de Jacques Feyder à la Sté Albatros à la fin des années 20. Nicolas Koline forme un duo remarquable avec Mosjoukine, alternant comique et tragique. Il faut les voir sortir déguisés, Mosjoukine en marin et Koline en femme, pour échapper aux créanciers ! Le film est un très bel hommage à l'artiste romantique comme le proclame le désordre et le génie du titre.

Vous pouvez voir ci-dessous trois extraits de films avec Mosjoukine. Successivement:
L'Angoissante Aventure (1921, Y. Protazanov) avec la séquence de tournage sur le toit de l'hôtel Crillon
Kean (1924, A. Volkoff) la gigue dans la 'Coal Hole Tavern'
Casanova (1926, A. Volkoff) extraits divers du film avec séquences coloriées en Pathécolor
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Re: Cinéma Muet Français

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Encore quelques courts-métrages de Léonce Perret qui ont le cinéma pour thème.

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Les Béquilles (1911, Léonce Perret) avec Yvette Andréyor, André Luguet et Léonce Perret

Une troupe de cinématographistes avec leur metteur en scène (L. Perret) vient demander la permission de tourner dans une propriété en l'absence des propriétaires. Ceux-ci reviennent de la chasse et surprennent un figurant escaladant un mur armé d'un couteau. Ils le blessent en le prenant pour un criminel. L'acteur blessé (A. Luguet) est accueilli et soigné par la jeune fille de la maison (Y. Andréyor)...

Très tôt, Léonce Perret aimait inclure des séquences de tournage dans ses films. Cette mise-en-abîme est ici au service d'une comédie rondement menée. On assiste à l'arrivée d'une équipe de tournage qui s'installe prestement le long d'un mur pour filmer un cambriolage fictif avec deux apaches. Leur premier plan est anéanti par le passage d'un cycliste sans gêne dans le champ de la caméra. On peut remarquer que les équipes de tournage à l'époque était fort légère avec une seule caméra et un seul opérateur. Puis, la séquence tourne au drame quand un acteur est blessé par le propriétaire armé d'un fusil. Après ce préambule, on retourne à la comédie avec le jeune acteur, équipé de béquilles, qui flirte avec la jeune fille de la maison. Celle-ci se retrouve aussi équipée d'une béquille suite à une chute. Ils feignent tous deux de souffrir le martyr pour pouvoir passer plus de temps ensemble dans le jardin. La supercherie est découverte quand les parents découvrent les béquilles abandonnées sur un banc. Avec cette intrigue légère, Perret réalise une jolie comédie très bien jouée par les acteurs de la Cie Gaumont.

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Les Bretelles (1913, Léonce Perret) avec Léonce Perret, Suzanne Grandais et Emile Keppens

En l'absence de Léonce (L. Perret), Suzanne (S. Grandais) a permis à une équipe de cinéma de tourner dans leur jardin. Léonce revient en son absence et trouve une paire de bretelles sur un paravent. Il commence à soupçonner sa femme d'infidélité...

Deux ans après Les Béquilles, Perret introduit à nouveau le cinéma dans un court-métrage. On constate à quel point le cinéma a évolué durant ces deux années. Le sempiternel plan large est maintenant soutenu par des plans moyens. Et l'intrigue est construite avec beaucoup plus de subtilité. A partir de ces bretelles, Léonce échaffaude les pires conjectures et ne réussit qu'à se fâcher avec son épouse. Perret introduit des idées comiques fort audacieuses, comme celle où en se disputant avec Suzanne, il se place devant deux immenses cornes pendues au mur qui semblent signaler son état de cocu. D'ailleurs, Suzanne elle-même remarque cette position incongrue qui la fait éclater de rire. Le couple se réoncilie avec Léonce qui, comme toujours, prend le spectateur à témoin. La mise-en-abîme se clôt avec le couple qui soumet à une Cie cinématographique le scénario de leur mésaventure. Délicieux.
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

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Casanova (1926, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Diana Karenne, Suzanne Bianchetti, Rudolf Klein-Rogge et Michel Simon

Le séducteur vénitien Casanova (I. Mosjoukine) est obligé de quitter précipitament Venise après les nombreuses plaintes reçues par le Conseil des Dix. Il part pour l'Autriche, puis pour la Russie où il rencontre la Tsarine Catherine II (S. Bianchetti)...

Avec cette super-production réalisée avec une débauche de moyens, Ivan Mosjoukine tire sa révérence à l'écran muet français. L'année suivante, il sera à Hollywood croyant donner à sa carrière un nouvel élan, qui fera long feu. Il avait quitté la Société Albatros après avoir joué le rôle principal dans Feu Mathias Pascal (1926, M. L'Herbier). Il ne fera plus que deux films supplémentaires en France: Michel Strogoff (1926, V. Tourjansky) qui sera tourné aux studios Billancourt d'Abel Gance et en Lettonie, puis ce Casanova tourné à Venise. Le scénario nous donne une vision joyeuse et romanesque du séducteur et aventurier vénitien. Le film est une comédie d'aventures fort bien mené où Casanova/Mosjoukine passe de conquête en conquête avec un entrain contagieux. Il se moque des maris jaloux et des créanciers avec une bonne humeur communicative. Il réussit à effrayer l'affreux Menucci en lui faisant une (fausse) scéance de sorcellerie cabalistique qui terrorise le créancier et ses deux hallebardiers (dont l'un est un Michel Simon à l'allure ahurie). Alexandre Volkoff utilise au mieux la ville de Venise avec son carnaval trépidant qui est comme un écho de la vie de Casanova. Léger et vigoureux comme un héros de cape et d'épée, Mosjoukine saute en selle, escalade une façade de palais ou se bat en duel contre six hommes d'armes. Il sait aussi faire preuve de son sens comique habituel alors qu'il se fait passer pour M. Dupont, le fournisseur de Catherine II. Les costumes sont d'une grande somptuosité, virant par moment au grotesque, comme les basques fort larges et excentriques de l'habit de Casanova à la cour de Russie. Volkoff introduit juste ce qu'il faut de sensualité et de nudité affriolante pour transmettre l'atmospère de licence et de libertinage du XVIIIème siècle. Le film contient une scène coloriée au pochoir (le carnaval final) qui est une réponse aux séquences en Technicolor bichrome que produisent les américains à l'époque. L'épisode russe est l'occasion de nous montrer l'assassinat du Tsar Pierre III (R. Klein-Rogge) dont la démence ne fait guère de doute. Suzanne Bianchetti, qui était abonnée aux rôles de tête couronnée (Marie-Antoinette, Eugénie, Marie-Louise), se montre plus convaincante que d'ordinaire en impératrice croqueuse d'hommes. Mais, le film appartient à Mosjoukine qui atteint ici son apogée de star du cinéma français. Il ne retrouvera jamais par la suite cette liberté et cette légèreté. Pour finir, il faut saluer la très jolie partition de Georges Delerue qui apporte l'atmosphère pétillante et joyeuse que requiert un tel film.
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Music Man
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Music Man »

Images splendides : ça donne franchement envie
allen john
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Re: Cinéma Muet Français

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :ImageImage
Casanova (1926, Alexandre Volkoff) avec Ivan Mosjoukine, Diana Karenne, Suzanne Bianchetti, Rudolf Klein-Rogge et Michel Simon

Le séducteur vénitien Casanova (I. Mosjoukine) est obligé de quitter précipitament Venise après les nombreuses plaintes reçues par le Conseil des Dix. Il part pour l'Autriche, puis pour la Russie où il rencontre la Tsarine Catherine II (S. Bianchetti)...

Avec cette super-production réalisée avec une débauche de moyens, Ivan Mosjoukine tire sa révérence à l'écran muet français. L'année suivante, il sera à Hollywood croyant donner à sa carrière un nouvel élan, qui fera long feu. Il avait quitté la Société Albatros après avoir joué le rôle principal dans Feu Mathias Pascal (1926, M. L'Herbier). Il ne fera plus que deux films supplémentaires en France: Michel Strogoff (1926, V. Tourjansky) qui sera tourné aux studios Billancourt d'Abel Gance et en Lettonie, puis ce Casanova tourné à Venise. Le scénario nous donne une vision joyeuse et romanesque du séducteur et aventurier vénitien. Le film est une comédie d'aventures fort bien mené où Casanova/Mosjoukine passe de conquête en conquête avec un entrain contagieux. Il se moque des maris jaloux et des créanciers avec une bonne humeur communicative. Il réussit à effrayer l'affreux Menucci en lui faisant une (fausse) scéance de sorcellerie cabalistique qui terrorise le créancier et ses deux hallebardiers (dont l'un est un Michel Simon à l'allure ahurie). Alexandre Volkoff utilise au mieux la ville de Venise avec son carnaval trépidant qui est comme un écho de la vie de Casanova. Léger et vigoureux comme un héros de cape et d'épée, Mosjoukine saute en selle, escalade une façade de palais ou se bat en duel contre six hommes d'armes. Il sait aussi faire preuve de son sens comique habituel alors qu'il se fait passer pour M. Dupont, le fournisseur de Catherine II. Les costumes sont d'une grande somptuosité, virant par moment au grotesque, comme les basques fort larges et excentriques de l'habit de Casanova à la cour de Russie. Volkoff introduit juste ce qu'il faut de sensualité et de nudité affriolante pour transmettre l'atmospère de licence et de libertinage du XVIIIème siècle. Le film contient une scène coloriée au pochoir (le carnaval final) qui est une réponse aux séquences en Technicolor bichrome que produisent les américains à l'époque. L'épisode russe est l'occasion de nous montrer l'assassinat du Tsar Pierre III (R. Klein-Rogge) dont la démence ne fait guère de doute. Suzanne Bianchetti, qui était abonnée aux rôles de tête couronnée (Marie-Antoinette, Eugénie, Marie-Louise), se montre plus convaincante que d'ordinaire en impératrice croqueuse d'hommes. Mais, le film appartient à Mosjoukine qui atteint ici son apogée de star du cinéma français. Il ne retrouvera jamais par la suite cette liberté et cette légèreté. Pour finir, il faut saluer la très jolie partition de Georges Delerue qui apporte l'atmosphère pétillante et joyeuse que requiert un tel film.
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Oui, c'est un très grand film. C'est un peu son Thief of Bagdad, et il est irrésistible... on n'osera à peine demander une édition DVD de ce classique (Qui a longtemps été occulté par les sadoul et consorts, d'ailleurs: le "génial historien" l'éxécute en trois lignes dans son Histoire générale du cinéma.
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