Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Ann Harding
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Message par Ann Harding »

Voici un nouveau portrait sur mon blog. La méconnue Sandra Milowanoff:
http://annhardingstreasures.blogspot.co ... -1957.html
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M le maudit
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L'Argent
Marcel L'Herbier, 1928

Adaptation du roman de Zola du même nom. Un "social epic" muet de 2h45 à l'image du Dr. Mabuse le joueur de Fritz Lang. Bien que réalisé à la fin de l'ère muette, le film arbore une réalisation relativement conventionnelle quoi qu'extrêmement compétente. La lumière est ici utilisée à son plein potentiel, dans un style que l'on pourrait qualifier d'impressionniste.

Au contraire de plusieurs oeuvres muettes tardives, par exemple celles de Murnau, il n'y a ici aucune économie d'intertitres, donc le dialogue est très présent. Plusieurs scènes superbes, notamment celles de la Bourse avec plus de deux mille figurants. Un bon exemple de superproduction muette au budget immense, qui conserve toutefois une fluidité narrative et une intégrité artistique étonnantes.
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Ann Harding
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Image Albert Capellani

Les Misérables (1913) d'Albert Capellani avec Henry Krauss, Henri Etiévant, Maria Ventura et Mistinguett

Cette adaptation du roman de Victor Hugo en quatre parties dure 2h42 ce qui fait de ce film un des premiers longs métrages du cinéma. Contrairement à son Notre Dame de Paris (1911), ce film de Capellani est une grande réussite. Henry Krauss est un Jean Valjean de très grande qualité dont le jeu est tout à fait moderne contrairement aux froncements de sourcils et moulinets des bras prodigués par Henri Etiévant qui est un Javert de bande dessinée. Pour ce qui est du récit, il est très bien mené avec une grande économie au niveau des intertitres. Il est seulement dommage que ceux-ci annoncent l'action qui va suivre dans les cinq minutes qui suivent... Au niveau des cadrages, on reste la plupart du temps en plan d'ensemble au demi-ensemble, les gros plans ne sont pas encore arrivés dans la grammaire moyenne du cinéma de l'époque. Mais, si on compare ce film avec celui de Léonce Perret, L'Enfant de Paris (1913), alors il faut reconnaître que ce dernier a plus de poésie et de charme. Néanmoins, Il y a plusieurs scènes excellentes dans cette version des Misérables. J'ai beaucoup aimé la perfomance de Maria Ventura dans le rôle de Fantine, particulièrement la scène déchirante où elle va vendre sa chevelure à un perruquier. Ventura a un physique étonnant pour l'époque: mince, longue avec des pommettes saillantes. Elle a un visage de biche effrayée qui fait merveille en Fantine. Quant à Mistinguett, elle dessine avec beaucoup de fraîcheur la silhouette d'Eponine, la fille des Thénardier. Elle se promène pieds nus dans une robe déchirée et trouve l'attitude parfaite pour cette pauvre fille qui mendie pour ses parents indignes. Le film évolue entre les décors de studios fait de toiles peintes, un peu platement éclairées et des extérieurs beaucoup plus excitants comme les rues pavées de Paris. Un bon Capellani.
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Ann Harding
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L'Enfant du Carnaval (1921, Ivan Mosjoukine) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Paul Ollivier

Octave de Granier (I. Mosjoukine) est un noceur patenté qui fait la fête tous les jours au milieu du carnaval niçois. Un jour en rentrant au matin, fort éméché, il trouve un bébé abandonné devant sa porte. Il ramasse le nourrisson et se transforme en papa-poule...

Ce film réalisé par Mosjoukine a été tourné à Nice. Il a lui même écrit le scénario du film qui combine des éléments du mélodrame à la française avec du comique et une touche tragique typiquement russe. Visuellement, le film profite de l'excellent travail de F. Bourgassoff, un superbe opérateur russe. Une séquence délicieuse montre une ligne de noceurs -très éméchés- en goguette en ombres chinoises sur la Promenade des Anglais. Mais, c'est Mosjoukine qui fait vivre le film avec son talent habituel. Son charisme illumine l'écran alors que le fêtard -qui rentre en dansant, sous le regard désapprobateur de son domestique (P. Ollivier excellent)- se transforme en père attentif qui pouponne l'enfant trouvé. On pense au Kid (1921) de Chaplin -sur un mode mineur- en voyant son intéraction avec le jeune acteur. Nathalie Lissenko, la mère abandonnée dans le dénuement, est engagée comme nurse de l'enfant et un tendre sentiment s'établit entre la bourgeoise déchue et le marquis noceur. Mais, le film évite une conclusion heureuse retrouvant là les origines russes de son auteur. Octave va se retrouver seul alors qu'il pensait que le bonheur était tout proche. Mosjoukine montre avec ce film non seulement son talent d'interprète, mais aussi son talent de metteur en scène avec cette ouverture où il tire le rideau révélant un vaste panorama du Carnaval Niçois, tel un magicien évoquant un conte pour adultes. Un très joli film. La copie de la Cinémathèque est malheureusement peu contrastée et très granuleuse.
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Belphégor (1926) Un film en 4 épisodes d'Henri Desfontaines avec René Navarre, Lucien Dalsace, Elmire Vautier et Genica Missirio

Un fantôme apparaît au Louvre dans la Salle des Dieux Barbares. Un gardien est assassiné durant la nuit. La journaliste Jacques Bellegarde (L. Dalsace) veut élucider le mystère; mais, justement une main mystérieuse semble accumuler les présomptions contre lui. Le fantôme imite son écriture et vole les lettres qu'il a écrites à Simone Desroches (E. Vautier)...

Le scénario de ce sérial est signé Arthur Bernède qui fut le collaborateur attitré de Feuillade sur Judex (1917). On reconnaît la patte de ce scénariste; mais hélas, en 1926, Louis Feuillade n'est plus de ce monde et c'est Henri Desfontaines qui réalise le film. Desfontaines est un réalisateur assez quelconque qui se contente de filmer le scénario sans grande imagination. On retrouve systématiquement la succession : plan d'exposition/plan d'ensemble/plan moyen/gros plan durant tout le film. Néanmoins, il s'agit d'une production de prestige de la Sté des Cinéromans qui a tous les atouts du point de vue de la décoration et de l'interprétation. René Navarre, qui fût Fantômas (1913-15), est ici un détective -ancien agent de la Sûreté- nommé Chantecoq et maître du déguisement qui va démasquer Belphégor. Le journaliste Bellegarde (L. Dalsace) n'est pas vraiment de taille face au machiavélique Fantôme. Elmire Vautier est très bonne dans le rôle de la maîtresse jalouse de Lucien Dalsace et Genica Missirio [qui joue Murat dans le Napoléon (1927) de Gance] est son complice. Dans un rôle secondaire, Alice Tissot est une amusante Baronne Papillon qui tombe en pâmoison à chaque mention du fantôme. Le suspense est très bien mené et le mystère reste entier jusqu'à la dernière bobine. Le film bénéficie de décors Art Déco superbement habillés avec beaucoup de goût, sans aucune surcharge. Les extérieurs ont été tournés au Louvre, dans les rues de Paris et au Château d'Anet. La cinématographie de Julien Ringel et Robert Lefebvre est absolument superbe et on l'apprécie d'autant plus que la copie du Forum des Images est excellente, teintée et d'une grande finesse de grain. Il est bien dommage que Desfontaines n'utilise pas à plein le potentiel de son scénario. Mais, tel qu'il est le film vaut le coup d'oeil malgré sa durée de 4h30.
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L'Homme du large (1920, Marcel L'Herbier) avec Jaque Catelain, Roger Karl, Marcelle Pradot et Charles Boyer
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Michel (J. Catelain) est le fils de Nolff (R. Karl) surnommé l'Homme du Large. Il profite de la bonté de son père pour s'enivrer dans les bouges, poussé par Guenn-la-Taupe (C. Boyer) un mauvais garçon. Pendant ce temps, sa soeur Djenna (M. Pradot) trime avec sa mère...

Marcel L'Herbier, toujours épris d'esthétisme Art Déco, a nommé ce film une marine. Il est en effet visuellement un tableau superbe de la Bretagne autour de Penmarch et de Sainte-Anne-d'Auray. Il fait un vrai travail pictural avec la lumière dans les scènes d'intérieurs intimes aussi bien que les splendides scènes d'extérieurs. Si l'intrigue reste très schématique et mélodramatique -le fils ingrat qui exploite la bonté aveugle de son père- le film atteint néanmoins un véritable lyrisme par son utilisation de la lumière, des paysages, ses teintages et même la décoration ouvragée de ses cartons d'intertitres. De ce point de vue, la restauration de la copie par la Gaumont et du CNC doit être saluée. C'est un véritable travail d'orfèvre. L'interprétation est dominée par Roger Karl dans le rôle titre, un marin bougon qui se fourvoie dans son amour parternel avant de vouloir la destruction de ce fils mal élévé et violent. Jaque Catelain, qui fût un des interprètes chéris de L'Herbier, est ici plus convaincant qu'à l'accoutumée en mauvais fils. Quant à Charles Boyer, c'est ici un débutant prometteur, la cigarette au bec, le béret sur l'oreille soufflant de mauvais conseils à un Jaque Catelain sans volonté. Marcelle Pradot -Mme L'Herbier à la ville- est une petite Bretonne fragile et innocente face à son mauvais frère. Le film est construit en flash-back et c'était une nouveauté en cette année 1920. D'ailleurs en terme narratif, le film est subtil et bien monté. Certes, L'Herbier ne cherche pas à construire une trame psychologique puissante ; mais, il se rattrape grace à son sens visuel. Le film est accompagnée par une partition orchestrale signée Antoine Duhamel qui souligne la violence sous-jacente des sentiments qui animent les personnages. Une restauration exemplaire d'un très beau film français.
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Image (E. Van Daële)
Narayana (1920, Léon Poirier) avec Edmond Van Daële, Laurence Myrga, Marcelle Souty et Marguerite Madys

Jacques Hébert (E. Van Daële) noie sa mélancholie dans la débauche. Un jour, un mystérieux jeune homme indien Sari-Yama (L. Myrga) lui apporte une statuette de Narayana, le Dieu du Bonheur. Elle pourra exhausser cinq souhaits, puis il mourra...

Cette adaptation modernisée de La Peau de Chagrin de Balzac modifie considérablement l'oeuvre originale. Ici, point de peau de chagrin qui rétrécit à chaque voeu exhaussé, mais, une divinité indienne avec un mystérieux serviteur, joué par une femme en travesti (Laurence Myrga). De plus, la scène finale montre un héros qui se repend et sauve le mari de celle qui l'aime au lieu du final nettement plus sombre de Balzac. Edmond Van Daële est un Jacques Hébert (l'équivalent du Raphaël de Valentin de Balzac) crédible face au visage impassible de Laurence Myrga. Le film est orné de décors Art Déco de fort belle facture signés Robert-Jules Garnier, un pilier de la Sté Gaumont à l'époque. Il est fort dommage que la copie restaurée par Gaumont soit aussi médiocre en terme de contraste et de netteté. Il est impossible d'apprécier pleinement la cinématographie. En temps que metteur en scène, Léon Poirier ne montre pas un sens visuel aussi développé qu'un Marcel L'Herbier par exemple. Son découpage est également très classique, pour ne pas dire académique. Il y a cependant de forts beaux moments dans ce film comme lorsque Sari-Yama surprend la déesse vivante dans un temple. Une même actrice (Marcelle Souty) interprète aussi le rôle de Maroussia, une danseuse des Folies Bergères et la maîtresse de Jacques Hébert. Et Sari-Yama se met naturellement à son service. Un film intéressant, mais qui aurait pu utiliser la nouvelle de Balzac avec plus de subtilité.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Et un autre Capellani ! :) Mistinguett se révèle une excellente comédienne.

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La Glu (1913, A. Capellani) avec Mistinguett, Paul Capellani et Henry Krauss

Fernande (Mistinguett), dite La Glu, enjôle les hommes avec son charme canaille. Après avoir épousé le Dr Paul Cézambre (H. Krauss) plus âgé qu'elle, elle le trompe d'une manière éhontée. Elle le quitte et part pour la Bretagne. Elle s'installe au Croisic où elle ne tarde pas à conquérir le jeune pêcheur Marie-Pierre (P. Capellani)...
Cette adaptation d'un roman de Jean Richepin se révèle être une oeuvre remarquable d'Albert Capellani. Il est aidé par la performance excellente d'une Mistinguett tout à fait convaincante en femme fatale. Le film est de plus réalisé pour le plus grande part en extérieurs, en Bretagne. On reconnaît le port du Croisic, la Côte Sauvage et les petites rues de Guérande. Cappelani montre un sens du récit qui est proche en qualités de celui de Léonce Perret. Mistinguett passe d'homme en homme en montrant des qualités d'interprète moderne. Elle danse un tango endiablé avec l'une de ses conquêtes au Pré Catelan, avant de s'aventurer en maillot de bain sur les plages bretonnes sous les yeux d'un jeune pêcheur (joué par Paul Capellani). Elle se roule dans le sable. Voilà une attitude fort indécente en 1913 ! Certes, ce roman de Richepin fait un peu sourire avec ses clichés sur la mauvaise femme qui pervertit les hommes. Mais, Mistinguett est tellement bien dans son rôle de femme libérée que l'on accepte sans problème les excès même de cette histoire fort misogyne. De plus le film offre une vision documentaire de la Bretagne des années 10. On assiste à l'arrivée des bateaux de pêcheurs de crustacés dans le port du Croisic. Le final atteint un sommet mélodramatique avec l'assassinat de La Glu par la mère du jeune Marie-Pierre. Un excellent film de Capellani qui a bien vieilli.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Major Dundee »

Ann Harding, c'est toujours un énorme plaisir et une grosse frustration en même temps que de lire tes critiques sur les films muets français.
Merci mille fois 8)
Charles Boyer (faisant la cour) à Michèle Morgan dans Maxime.

- Ah, si j'avais trente ans de moins !
- J'aurais cinq ans... Ce serait du joli !


Henri Jeanson
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Merci Major pour tes encouragements! :) Et voici encore deux autres films français sur la Guerre de 14-18.

Le Film du Poilu (1928, Henri Desfontaines) avec Daniel Mendaille, Ninon Gilles et Roby Richard
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Le petit Morel vit seul à Montmartre avec sa mère veuve de guerre. Leur voisin Lambert (D. Mendaille), un ancien poilu, est artiste peintre. Il contemple d'un air désaprobateur les jeux de guerres des enfants du quartier. Il demande à un ami de projeter aux enfants son film sur la guerre de 14...

En 1928, la guerre est finie depuis 10 ans, mais elle affecte encore beaucoup la population dans son ensemble. Le début du film de Desfontaines montre une veuve de guerre qui élève seule son enfant au fruit d'un travail acharné, un ancien poilu qui a perdu une jambe et l'artiste peintre qui est encore affecté par ses souvenirs de tranchée. Le film est construit avec une mise en abîme habile qui projette les enfants 14 ans en arrière au début de la guerre de 14. la seconde partie du film est en fait un montage de bandes d'actualités d'époques tournées par des opérateurs de l'armée. Et c'est là que le bât blesse. Au lieu d'offrir une réflexion sur la guerre, le film se contente de dérouler chronologiquement les événements et de montrer des armées qui défilent avec son cortège de rois et de généraux. Au milieu de ces plans d'archives, on reconnaît quelques séquences de fiction. Comme celle qui montre l'assassinat du Prince François-Ferdinand à Sarajevo. L'assassin n'est autre que Julien Carette ! (voir ci-dessous) :mrgreen: :uhuh:
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Au total, Henri Desfontaines confirme mon impression qu'il est un réalisateur dépourvu d'imagination. A partir d'un bon sujet, il réalise un film très plat qui n'arrive pas à intéresser. Le CNC a réalisé une superbe restauration de ce film malheureusement décevant et il a été publié par l'ECPAD (Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense) avec une bande son qui est un patchwork fort décousu.

Le Noël du Poilu (1916, Louis Feuillade)
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Le caporal Renaud va encore une fois passer un Noël solitaire dans les tranchées. Sa femme et sa fille habitent dans le nord de la France en zone occupée. Mais la marraine de guerre de Renaud va organiser une rencontre avec sa famille...

Avec ce court-métrage d'environ 35 min, Feuillade réussit à évoquer l'atmosphère du pays en guerre d'une manière remarquable quand Henri Desfontaines ne faisait qu'un film scolaire et ennuyeux. Nous découvrons la vie de Mme Renaud et de sa fille et en une seule image tout est dit. La porte du fond s'ouvre révélant un groupe de soldats allemands cantonnés chez elle qui festoient. Avec une grande profondeur de champ, nous suivons le coucher de la petite fille avec en contrepoint les soldats tapageurs dans le fond de l'image. De même, la région est évoquée par la berceuse que Mme Renaud chante à sa fille: 'Le p'tit Quinquin'. Sur ce sujet très simple, Feuillade nous concocte une délicieuse tranche de vie avec les retrouvailles de la famille chez la marraine de guerre. Et le film se clôt sur la même berceuse du 'P'tit Quinquin'. Charmant. :) ce film de Feuillade est un supplément sur le DVD du Film du Poilu chroniqué plus haut.
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Re: Cinéma Muet Français

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Germinal (1913, Albert Capellani) avec Sylvie, Henry Krauss, Jean Jacquinet et Cécile Guyon

Avec cette adaptation de Zola, Capellani réalise, à mon avis, son chef d'oeuvre. Ce Germinal tient parfaitement la route et reste probablement une des meilleures adaptation de Zola. Les cinéastes ont très tôt été très intéressés par les romans sociaux de Zola. On trouve une version de L'Assommoir dès 1909, réalisée également par Capellani. Puis suivent, Travail (1919, H. Pouctal) Thérèse Raquin (1928, J. Feyder), Nana (1926, J. Renoir), L'Argent (1929, M. L'Herbier), Au Bonheur des Dames (1930, J. Duvivier) qui à chaque fois sont des réussites exemplaires de chaque cinéaste. Mais, en 1913, Capellani est un novateur. Il a choisi un groupe d'acteurs remarquables, au premiers rangs desquels Henry Krauss, un habitué des productions de Capellani (il fut Valjean et Quasimodo) qui trouve ici un rôle qui lui va comme un gant, Etienne Lantier. Ce mineur qui provoque le soulèvement de ses collègues pour réclamer un meilleur salaire, est incarné avec une parfaite exactitude et un naturalisme étonnant. Face à lui, j'ai été époustouflée par la performance incroyable de Sylvie en Catherine Maheu. Oui, il s'agit bien de Louise Mainguené dite Sylvie qui est l'inoubliable meurtrière du Dr Vorzet dans Le Corbeau (1943, HG Clouzot). Ici, âgée de 30 ans, elle est pensionnaire du Théâtre Antoine et son jeu naturaliste fait merveille dans son rôle. Elle est la fille de Maheu qui descent à la mine habillée en homme pour travailler comme hercheuse (elle remplit les wagons). D'ailleurs la scène où Lantier (H. Krauss) découvre qu'elle est une femme est absolument formidable. Elle ôte son fichu et sa longue chevelure se répand sur ses épaules devant un Lantier ébahi alors qu'ils mangent au fond de la mine.
Image H. Krauss et Sylvie
Le film a un caractère quasiment documentaire et bien qu'il soit rythmé essentiellement avec des plans d'ensemble et de demi-ensemble (les gros-plans sont encore très rares en 1913, en France), les personnages vivent et meurent avec un étonnant relief. La scène de la grève et l'arrivée des troupes pour mater les grévistes fait encore froid dans le dos. De même, les dernières scènes avec la mine inondée où croupissent Lantier et Catherine près du cadavre de Chaval ont conservées leur pouvoir émotionnel. Il faut aussi rendre hommage à Capellani pour son utilisation économe des intertitres. Il y en a très peu. Ils commentent l'action à des moments clés, mais, tout le message est essentiellement porté visuellement. Lantier se fait licencier par un contremaître tatillon au début du film sans aucun intertitre, mais chaque geste nous fait comprendre la mauvaise foi du contremaître qui cherche un prétexte fallacieux pour le renvoyer. Un véritable chef d'oeuvre du cinéma français qui mériterait amplement un DVD. :D
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Re: Cinéma Muet Français

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Mauprat (1926, Jean Epstein) avec Sandra Milowanoff, Maurice Schutz et Nino Costantini

A la fin du XVIIIème siècle, dans le Berry, la famille Mauprat composée de brigands terrorise les habitants. Edmée de Mauprat (S. Milowanoff), issue d'une autre branche de la famille, se retrouve captive de la Roche Mauprat. Elle y rencontre son cousin Bernard de Mauprat (Nino Costantini), un être fruste et violent...

Cette belle adaptation du roman de George Sand a pour cadre sa région d'élection, le Berry. Le film d'Epstein a tourné essentiellement en extérieurs et on retouve dans ses images l'amour de Sand pour la nature. Les grandes forêts ombragées, les chênes centenaires et les immenses fougères entourent de vieilles forteresses. Edmée de Mauprat est une jeune femme courageuse qui ne doit son salut qu'à son esprit vif. Sandra Milowanoff se révèle à nouveau remarquable en aristocrate fière et libre. Face à elle, son cousin Bernard est un petit voyou sans éducation qui la désire immédiatement et souhaite la prendre de force s'il le faut. Petit à petit, il se transforme sous l'influence de sa cousine. Mais, celle-ci refuse de lui avouer son amour. Il faudra un drame pour que leurs sentiments s'expriment enfin. Autour des deux personnages principaux gravitent les membres de la famille Mauprat et ses brigands. Et c'est là que le film péche un peu. Les personnages secondaires manquent de relief. Epstein a bien choisi des 'trognes' très intéressantes ; mais, il n'arrive pas à conduire son récit avec suffisamment de vigeur. Si la cinématographie est remarquable avec la lumière qui filtre entre les arbres et les intérieurs en clair-obscur, par contre les relations entre les personnages restent floues (à part celles d'Edmée et de Bernard). On ne peut que le regretter car la trame aurait permis d'apporter certainement plus d'atmosphère qu'il n'y en a. Néanmoins, un joli film.
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Re: Cinéma Muet Français

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Image(Léon Mathot)
Barberousse (1917, Abel Gance) avec Léon Mathot, Emile Keppens et Maud Richard

Un mystérieux criminel, Barberousse, fait la une de tous les journaux. Le journaliste Trively (L. Mathot) enquête pour démasquer Barberousse...

En 1917, Abel Gance travaille pour les Films d'Art et Louis Nalpas, en charge de la production l'envoie dans le sud de la France pour faire deux films. Gance écrit les scénarios en vitesse dans le train. Barberousse ressemble à un sérial de Feuillade légèrement parodique. Malheureusement, la construction du film est assez fragile, probablement le reflet de la hâte avec laquelle le scénario a été écrit. Néanmoins, le film possède de nombreuses scènes intéressantes qui valent le coup d'oeil. Odette Trively (Maud Richard), la femme du journaliste est poursuivie par des buissons dans une forêt dans une séquence qui rappelle Macbeth. Certes la séquence s'étire beaucoup trop pour être réellement effective, mais, visuellement cela tient la route. On retrouve l'oeil de l'opérateur Léonce-Henry Burel dans de nombreux plans: Maud Richard se reposant à l'ombre des arbres avec le soleil qui filtre entre les branches ou Maud évanouie dans une barque avec les rayons du soleil qui se reflètent sur l'eau. Léon Mathot, un pilier du cinéma muet des années 10, est nettement moins bon que dans Travail (1919, H. Pouctal). Il surjoue son journaliste alors qu'Emile Keppens (présent dans de nombreux films Gaumont des années 10) est lui beaucoup plus sobre. On remarque quelques trouvailles techniques tels que les fermetures en rideau et une image divisée en trois montrant deux interlocuteurs au téléphone plus l'homme qui les espionne. Le film permet de voir Gance à ses débuts avant l'épanouissement dans son talent dans La Xème Symphonie.
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Re: Cinéma Muet Français

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Image(Romuald Joubé)

Les Travailleurs de la Mer (1918, André Antoine) avec Romuald Joubé, Andrée Branbant et Armand Tallier

A Guernesey, le pêcheur Gilliat (R. Joubé) vit reclus dans sa petite maison évitant le contact des hommes. Il est amoureux de Déruchette (A. Branbant) la fille de Mess Lethierry, propriétaire d'un bateau à vapeur, la 'Durande'. Or, le navire fait naufrage...

Ce très beau film d'André Antoine à été tourné à Camaret-sur-mer (Finistère) où le metteur en scène avait une maison. Il adapte avec bonheur cette oeuvre de Victor Hugo écrite durant son exil sur l'Ile de Guernesey en filmant ses interprètes dans un paysage maritime près de la Presqu'île de Crozon. Romuald Joubé est Gilliat qui sous son apparence sauvage cache une sensibilité cachée. Il soigne les oiseaux et joue de la cornemuse sous les fenêtres de Déruchette. Il va prendre de grands risques pour obtenir la main de celle qu'il aime. Hélas, Déruchette lui préfèrera un vicaire. Comme dans tous les films d'Antoine que j'ai pu voir, les acteurs jouent avec un grand naturalisme qui se fond dans les paysages sauvages. Romuald Joubé est particulièrement remarquable comme dans Le Coupable (1917) du même Antoine. Andrée Brabant -portant des anglaises à la Mary Pickford- est une Déruchette sensible et charmante. Tous les personnages secondaires ont été choisis avec soin et leurs visages burinés semblent issus de cette région sauvage et rocheuse. Antoine a su diriger ses acteurs en évitant la théâtralité. Le film est incomplet; mais, on peut quand même apprécier la beauté et l'atmosphère de ce superbe film d'Antoine.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Cinéfil31 »

Je me joins au Major pour saluer tes critiques Ann ! Je les lis toujours avec plaisir, et j'enrage de voir que si peu de muets français soient disponibles en DVD. Il y a de quoi crier au scandale... Avec les œuvres d'Abel Gance, Jean Epstein, André Antoine, Albert Capellani, Max Linder..., il y aurait pourtant à faire ! Espérons aussi qu'Arte et France 3 (enfin, Patrick Brion surtout) leur consacrent des cycles dans les mois qui viennent...
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