Fritz Lang : rétrospective personnelle

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

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Clash by Night

En partant, l'inclusion de ce film dans le genre du film noir est extrêmement discutable. Certainement, on retrouve un travail soigné au niveau des nuances du noir et du blanc, et dans une certaine mesure il y a une femme fatale (bien qu'étant foncièrement différente de l'archétype habituel), mais ça s'arrête là. Ce qui ne veut cependant pas dire qu'il s'agisse d'un mauvais film. Si on le prend pour ce qu'il est, c'est à dire un mélodrame, c'est même un film assez efficace, et puis ça demeure du Fritz Lang, donc rien à redire au niveau de la réalisation qui est foisonnante de symbolisme (parfois un peu gros, parfois plus subtil, mais on est habitué). On peut toutefois noter que pour du Lang, le style est somme toute assez impersonnel.

La vraie force du film réside cependant dans le jeu des acteurs, qui forment un trio vraiment solide. Barbara Stanwyck, qui a plus d'un film noir à son actif, livre une performance de femme acerbe et cynique assez mémorable, tandis que Robert Ryan est parfaitement dégoûtant dans le rôle du faux ami qui veut se sauver avec votre femme. Paul Douglas, quant à lui, se façonne un caractère qui n'est pas sans rappeler Lennie dans le célèbre bouquin de Steinbeck. Tout le long, on attend le moment où sa force brutale va se déchaîner malgré lui. Il faut l'avouer, je suis assez vendu à ce type de film "théâtraux" (c'est quand même adapté d'une pièce de Clifford Odets) qui rappellent un peu Tennesse Williams. Le thème général de l'oeuvre m'a accroché, mais c'est une appréciation tout à fait personnelle, et je suis conscient qu'il s'agit d'une oeuvre qui peut rebuter certaines personnes. Mais pour moi, ça a été une agréable surprise.


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The Blue Gardenia

Réalisé la même année que "The Big Heat", "The Blue Gardenia" fait en quelque sorte figure de bouche-trou. On sent Lang pressé et le résultat est décent, mais loin d'être mémorable. Le film suscite d'ailleurs peu d'intérêt de la part du public comme des critiques et ce malgré une thématique langienne... mollement langienne. L'intrigue est extrêmement simple et linéaire et le film n'est définitivement pas créé dans l'espoir d'en faire un classique. C'est un petit suspense bien mené, mais qui ne recèle que peu de traces de la réalisation habituellement coup de poing de Lang. Le principal problème, c'est que l'héroïne accusée de meurtre n'est visiblement pas capable d'en commettre un tant elle est présentée comme vertueuse. Alors le spectateur attend sans grand intérêt que le vrai coupable soit découvert... Au final, ce n'est pas mal foutu, ça passe bien l'heure et demie, mais sans plus.
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Je continue mon sujet sous l'indifférence générale. :mrgreen:

[img]http://auteurs_production.s3.amazonaws.com/stills/100505/the-big-heat-1953.jpg[/img]

The Big Heat

Réalisé sur les talons du banal "Blue Gardenia", "The Big Heat" est sans aucun doute le plus pur film noir de Lang, l'une de ses meilleurs oeuvres américaines et aussi l'une de ses plus violentes et sans compromis. Dave Bannion, sergent détective au caractère bouillant, en a marre du laxisme et de la corruption de son service de police. Lorsqu'il paie une visite musclée au richissime criminel Mike Lagana, les choses s'enveniment: une femme qu'il avait questionnée est retrouvée morte, puis on s'en prend à sa propre famille pour le faire taire. N'ayant plus rien à perdre, Bannion se lance pour son propre compte dans une enquête impitoyable où tous les coups sont permis. La vengeance seule pourra le satisfaire.

Lang développe ici sans retenue l'une de ses thématiques favorites: la revanche. Bannion, homme fier et droit, produit presque parfait de l'american way of life, est forcé de lutter seul contre la corruption grandissante. Il paie donc le prix de cette nage à contre-courant. Chez Lang, nul n'est à l'abri de l'envahisseur, et qui dérange le statu quo ne s'en tire pas indemne. Il en est de même pour Debby, la petite amie du malfrat Vince Stone, qui est défigurée par un jet de café bouillant lorsqu'elle est aperçue avec Bannion. Cette scène, d'une rare violence pour un film des années 50, marquera fortement l'imaginaire collectif. Figure de rédemption, Debby est interprétée avec brio par Gloria Grahame dans une performance aussi mémorable que celle de "In a Lonely Place" de Ray.

Sous la surface, "The Big Heat" est également une forme d'hommage à la douceur féminine. Chacune des femmes importantes du film est assassinée, laissant les hommes à leur stupide brutalité qui les conduit à leur perte. Lang présente un monde où il est difficile d'être femme sans en subir les contre-coups. La "faiblesse" féminine serait pourtant la seule solution à toute cette mâle agressivité. Mais la colère rend aveugle. Lang ne cesse de l'affirmer depuis les débuts de sa carrière. "The Big Heat" présente également une vision sombre, très sombre de l'Amérique, vision qui se dessinera de plus bel dans ses deux derniers films américains. Suicide, meurtres, corruption et violence dominent la société. Le sujet inspire grandement Fritz Lang, qui réalise un film poignant, extrêmement bien ficelé et tout à fait incontournable.
bruce randylan
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par bruce randylan »

M le maudit a écrit :Je continue mon sujet sous l'indifférence générale. :mrgreen:
Non franchement, tu t'en sors bien je trouve.
Va faire un tour sur les Topic Siodmak ou Wajda :mrgreen:
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cinephage
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par cinephage »

M le maudit a écrit :Je continue mon sujet sous l'indifférence générale. :mrgreen:
Ce n'est pas parce qu'on ne rajoute rien à ton texte qu'on ne le lit pas, bien au contraire. :wink:
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Jeremy Fox
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Jeremy Fox »

cinephage a écrit :
M le maudit a écrit :Je continue mon sujet sous l'indifférence générale. :mrgreen:
Ce n'est pas parce qu'on ne rajoute rien à ton texte qu'on ne le lit pas, bien au contraire. :wink:

Je plussoie ; la preuve, déjà 3 réponses en à peine une heure. Sur mes topics Irving Cummins ou Walter Lang, il y en a eu 3 en à peine une ...... année (comment ça qui est Irving Cummings ? :mrgreen: )
Et effectivement, je trouve aussi que The Big Heat est une de ses plus belles réussites. :wink:
Grimmy
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Grimmy »

Hé ho, c'est pas parce qu'on se tait qu'on ne lit pas tes chroniques !! :wink: C'est très bien : continue !
someone1600
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par someone1600 »

En effet... c'est que personnelement de Lang, je n'ai pas encore vu grand chose, sinon Metropolis, M et Clash by Night. :oops:
Grimmy
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Grimmy »

Hou, la honte ! :mrgreen:
Julien Léonard
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Julien Léonard »

M le maudit a écrit :Je continue mon sujet sous l'indifférence générale. :mrgreen:
Mais non, au contraire. Et personnellement, je viens toujours lire tes textes sur ce topic. Ils sont informatifs et compilent bien les éléments qui font la réussite (ou non) des films de Fritz Lang. J'en ai vu pas mal, mais pas tous non plus, donc ça permet aussi de se faire une idée. :wink:
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M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

Oh, bien merci à tous. Parfois quand on poste deux ou trois textes sans réponses, on a l'impression d'être lourd. Mais puisque je sais que j'ai encore quelques lecteurs!

À venir très bientôt, un Lang très peu vu: Casier judiciaire.
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

[img]http://auteurs_production.s3.amazonaws.com/stills/39215/you-and-me.jpg[/img]

You and Me

Après l'échec commercial de "You Only Live Once", Fritz Lang se tourne vers la Paramount. Le film qu'il se propose de mettre en scène est atypique: en partie un film de gangsters, en partie un mélodrame et même une comédie musicale, "You and Me" est un étrange amalgame de genres. A priori, l'oeuvre ne paraît pas faite pour un cinéaste tel que Lang, bien qu'il s'en tire finalement sans trop de dommage. Pour les quelques segments musicaux, Lang travaille avec un autre immigré allemand et fréquent collaborateur de Brecht, Kurt Weill. La chimie entre les deux hommes est si mauvaise que Weill écrira à sa femme que "Lang donne envie de vomir." Dans la continuité de "Fury" et "You Only Live Once", Lang s'attaque ici au système judiciaire américain, avec cependant bien plus de légèreté que dans les deux premiers volets de sa "trilogie judiciaire", telle qu'on la surnommera.

Joe et Helen sont deux ex-prisonniers embauchés dans un magasin général par un grand patron magnanime qui croit en la réinsertion des criminels. Au fil du temps, ils tombent amoureux et se marient. Seulement Joe ignore tout du passé d'Helen, qui tient mordicus à tout lui cacher et qui s'empêtre de plus en plus dans ses mensonges. Pendant ce temps, les anciens camarades de Joe refont surface et tentent de le ramener vers ses anciennes habitudes... Rassurons d'abord les éventuels spectateurs: la portion musicale du film se limite à trois chansons assez courtes dont une seule est réellement interprétée par les personnages. "You and Me" est donc dénué de moments embarrassants et risibles où les protagonistes s'échangent des répliques chantées. N'ayez donc crainte, Lang conserve tout de même sa dignité.

Ce qui ne fait malheureusement pas de "You and Me" un très bon film. Comparé à ses deux excellents compagnons, qui sont sans aucun doute dans les meilleurs films américains de Lang, il fait bien pâle figure. La critique du système est plus molle, plus clémente, moins réaliste. Tout le long, les ficelles sont un peu grosses (toute l'ancienne bande de Joe travaille au même commerce, alors déjà...). Cela culmine d'ailleurs dans l'une des dernières scènes, assez divertissante bien que grotesque, où Helen fait aux ex-détenus la démonstration mathématique de l'expression "le crime ne paie pas", les menant ainsi à reconsidérer complètement leur système de valeur et à vénérer Helen comme une sainte! On se demande d'ailleurs pourquoi cette dernière s'entête à cacher son passé à Joe, alors qu'il est lui-même un ancien prisonnier et qu'il n'aurait assurément pas fait grand cas de la nouvelle. Le jeu unilatéral de Sylvia Sidney est d'ailleurs lassant après trois films où elle paraît interpréter le même personnage sans aucune nuance.

Il fallait s'y attendre: "You and Me" fut un cuisant échec critique et commercial. Visiblement, le public américain ne veut rien savoir de ces variations sur le thème des anciens criminels recrachés par la société. Des trois films qui composent la "trilogie judiciaire", celui-ci est de loin le plus faible. Il ne propose aucune réflexion supplémentaire, non plus qu'il ne présente des personnages particulièrement réussis ou attachants. L'ensemble est très, très gros, tout y est évident et théâtral. Sylvia Sidney agace. Lang tire son épingle du jeu par quelques bons moments de réalisation (notamment la scène des retrouvailles du gang de Joe), mais il est facile de comprendre pourquoi le film est relativement oublié aujourd'hui, n'ayant pas même reçu de traitement DVD à ce jour.
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

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Human Desire

Suite au succès de la paire Ford-Grahame avec "The Big Heat", la Colombia décide (après avoir vaguement flirté avec l'idée de réunir Ford et Rita Hayworth) de les associer de nouveau pour une adaptation de la "Bête Humaine" de Zola. Il est toutefois facile de s'apercevoir que Lang n'a pas lu le roman de Zola et que sa version est plutôt un remake du traitement de Renoir. La scène de la rencontre sur le train entre Jeff (Lanthier) et Vicki (Séverine), par exemple, ne figure pas dans le roman, mais dans le film de Renoir. "Human Desire", il faut l'admettre, n'a pas la puissance et l'exactitude de "La Bête humaine" (film). Son rendu est beaucoup plus américanisé. Jeff Warren, contrepartie de Lanthier, est tout à fait épuré de son dualisme initial et de ses pulsions meurtrières, qui sont plutôt attribuées à Carl Buckley, version américaine du Roubaud de Zola.

"Human Desire" n'en demeure pas moins, si l'on parvient à oublier le roman source et le film dont il est le remake, une oeuvre langienne réussie. Gloria Grahame est parfaite dans son rôle de femme fatale (personne n'en est surpris) et Broderick Crawford fait un vilain assez crédible. Les scènes de violence conjugale véhiculent une tension palpable. Seul le jeu de Glenn Ford est un peu mou et finit par s'essouffler. L'idée d'en faire un vétéran de la Seconde Guerre aurait pu mener à une explication des troubles de violence qu'était supposé avoir son personnage. Au lieu de ça, on nous présente un personnage lisse, patriote parfait sans peur et sans reproche. Il est d'ailleurs le seul qui, lors de la scène finale très "studio américain", s'en tire bien grâce à son intégrité et son honnêteté.

Ce film américain tardif de Lang en prend souvent pour son rhume, notamment parce qu'il fait un peu pâle figure face au chef-d'oeuvre de Zola et à l'excellente adaptation de Renoir. Glenn Ford n'est pas un Jean Gabin. La version de Lang est donc supportée majoritairement par Grahame qui s'en tire à merveille. Lorsqu'on considère le film dans son ensemble en mettant de côté les comparaisons, on découvre une réalisation et des thématiques éminemment Fritz Lang. L'oeuvre souffrira toujours d'être arrivée deuxième et d'avoir été remaniée par les producteurs américains, mais Lang a tout de même réussi à livrer la marchandise à sa manière. Pas un aussi bon remake que "Scarlet Street", mais tout de même, à mon sens, un incontournable de la période américaine du réalisateur.
franzgehl
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par franzgehl »

Toujours aussi intéressant ce topic, cela donne envie de se replonger dans la filmo de Lang !
"Or maybe juste whistle..."
M le maudit
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par M le maudit »

[img]http://auteurs_production.s3.amazonaws.com/stills/28828/while-the-city-sleeps.jpg[/img]

While the City Sleeps

Dans cette première partie du diptyque final de Lang en sol américain, trois journalistes se battent pour l'obtention d'un poste de chef éditorialiste en tentant de s'arracher des scoops sur une série de meurtres en cours. Pendant ce temps, un quatrième journaliste, qui refuse quant à lui de participer à la compétition, déchiffre peu à peu en solo le mystère de l'identité du meurtrier, alors qu'il essaie de jongler entre les jeux de pouvoir et sa jeune et jolie fiancée.

Ouf! Voilà un scénario qui a du mal à trouver son point central. On passe d'une intrigue à une autre sans trop de fil conducteur, sans trop savoir laquelle est la plus importante et quels sont les enjeux réels. Lang ici ne semble pas tout à fait maître de son matériel. Il y a énormément de filons laissés pendants et les ficelles sont parfois immenses (deux personnages importants habitent dans le même édifice, l'un en face de l'autre, et ce sans jamais paraître s'en apercevoir). L'intrigue avec le meurtrier est en soi assez risible, en particulier la scène où le personnage de Dana Andrews déballe toute sa psychologie en direct à la télévision. Sans parler du petit côté Norman Bates qui est lancé à la sauvette sans jamais être développé...

Mais bon, si mon opinion paraît essentiellement négative, c'est bien parce que mes attentes étaient élevées. Lang était épaulé par une superbe distribution: Dana Andrews, Rhonda Fleming, Ida Lupino, George Sanders, John Barrymore Jr, et j'en passe. Il est donc clair qu'au niveau du jeu, c'est à peu de choses près impeccable. La performance de Barrymore manque un peu de subtilité, mais quelque chose dans sa physionomie fait de lui un maniaque plutôt convaincant malgré tout.

On peut se demander ce qui s'est passé pour que Lang ne déploie pas toute sa force avec un scénario au potentiel incroyable. Encore des exigences de producteurs? Cette fois-ci, j'en doute. Une épuration et une dernière mise au propre auraient été de mise avant de tourner. Mais qu'on se le tienne pour dit: le film, dans l'ensemble, est assez bon. Il n'est pas toujours des plus crédibles, mais il est divertissant. Certains moments forts de réalisation rappellent même "M". Mais en définitive, l'oeuvre souffre d'un scénario décousu qui aurait gagné à être revu une dernière fois.

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Beyond a Reasonable Doubt

Afin de prouver l'absurdité de la peine de mort, un homme s'incrimine volontairement pour un meurtre qu'il n'a pas commis en comptant exposer au dernier instant les preuves de son innocence. Point de départ prometteur, surtout si l'on se souvient de "Fury" et "You Only Live Once", deux précédents films de Lang qui s'attaquent aussi au système américain et qui s'avèrent être deux des meilleurs films du réalisateur. Malheureusement, le rendu est un peu mou. Le tout est bel et bien intrigant, et les acteurs font un travail correct, mais quelques absurdités patentes au niveau du scénario rendent le développement de l'histoire peu crédible.

On ressent quelque peu la rapidité d'exécution du projet ainsi que son faible budget. Dommage, car Lang signe ici son dernier film américain, qui aurait facilement pu être l'un de ses plus mémorables. Pas mauvais tout de même, simplement il ne remplit pas ses promesses. À la décharge du réalisateur, le film tel qu'il l'envisageait formait un plaidoyer contre la peine de mort, mais des coupures hors de son contrôle ont presque complètement évacué cet aspect. Lang termine le film brouillé avec la RKO et quitte pour son Allemagne natale.
Alligator
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Re: Fritz Lang : rétrospective personnelle

Message par Alligator »

M (M le maudit) (Fritz Lang, 1931) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010/06/m.html

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La première fois que je l'ai vu, c'était au Jean Vigo, à Bordeaux, un petit ciné comme on n'en fait plus, une salle unique, d'aspect théâtral, avec des fauteuils qui couinent, pas très confortables, mais avec ce charme fou de velours, des petites loupiotes en patère sur les parois sombres, un air de "temps jadis" que les mégacinés actuels ont popcornisé. Des mondes différents, ce n'est pas plus mal, c'est la vie et le temps qui passent. Rien de sale. Mais je suis obligé de placer cette chronique sous les bons auspices de Madame Nostalgie parce que "M le maudit" a été à ce moment là un coup de massue terrible, de ceux qui vous marquent une vie de cinéphile, qui placent la salle de cinéma au dessus de tous les autres écrans.

De par sa maitrise du temps, du cadre et de l'acteur, ce film de Fritz Lang, peut-être parfait, m'a plongé dans le Berlin des années 30 au cœur des basses fosses urbaines, du mal-être et de l'hypocrisie des masses, celles-là même qui se sont mises à applaudir devant les vitupérations malades du moustachu autrichien. Pas étonnant que ce film humaniste fut interdit par les nazis.

Pourtant, il montre avec netteté la duperie des conventions sociales qui nous présente la pègre comme l'opposé de la bourgeoisie. Par ses méfaits, le malade assassin attise le zèle policier. Les forces de l'ordre se mettent en chasse du monstre mais par voie de conséquence altèrent la bonne marche des trafics interlopes, dérangent les malfrats qui, comme les bons bourgeois, aspirent à l'ordre, non moral, mais bien pécuniaire. Avec le tueur en série en activité, les affaires louches perdent de leur souffle. Police et criminels, même combat, s'attèlent à retrouver le meurtrier. Le monde du crime établit son propre tribunal, juge l'assassin et le condamne en dépit de la plaidoirie de son avocat, frappée au coin du sens humaniste et pas suffisamment à celle du bon sens populaire qui demande le lynchage. Cette parabole est extrêmement puissante. Le parallèle avec notre époque est criant. Les années de crise précipitent la raison dans les cachots de l'oubli : l'émotion gouverne, les instincts ressurgissent. C'est le temps de l'action, de l'extrême, du couperet. La justice invoque des lois simplistes, celle du Talion en tête. Quand le film dénonce l'auto-défense, les tribunaux d'exception, la violence répressive aveuglée par l'émoi collectif, les nazis en prennent forcément ombrage. De là à voir dans l'accoutrement cuir noir de Gustaf Gründgens, l'uniforme militaire du prototype nazillon il n'y a qu'un pas que je fais sans l'ombre d'un doute.

Ce qui permet au film d'être un très grand film c'est la performance gigantesque de Peter Lorre. Aidé de son physique de crapaud avec sa bouille ronde, ses yeux globuleux prêts à sortir de leurs orbites à la moindre crise d'angoisse et ses paluches énormes de boucher, telles des battoirs trop immenses, trop lourds, encombrants, des boulets de prisonnier, le comédien transcende son personnage, dépasse les clichés de l'assassin d'enfant. Non content d'incarner avec tant de puissance physique ce personnage monstrueux, le comédien dessine une profondeur, une douleur à son personnage, une souffrance d'une incroyable humanité : le tueur en série responsable des crimes les plus effroyables est malgré tout un être humain, emprisonné dans ce corps massif et assujetti à la torture de son esprit. Et Lang de parvenir à rendre sinon sympathique du moins pitoyable cet immonde créature, sans faire appel au discours béni-oui-oui, ni à une quelconque volonté supra-naturelle mais bien par l'expression de la raison ainsi que par la main tendue, compassionnelle qui fait appel à la compréhension dans le sens le plus large afin de dépasser les élans irrationnels et la brutalité de l'émotionnel.

Un film gigantesque d'une incroyable et pathétique actualité. Universel coup de latte dans l'estomac (pour rester poli). Obligatoire.
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