Guy Gilles (1938 - 1996)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Guy Gilles

Message par bruce randylan »

aelita a écrit :Je ne sais pas si tu as prévu de voir ce film (si ce n'est déjà fait), mais j'ai retrouvé ce topic, qui prenait la poussière dans les oubliettes du forum :
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... =2&t=34060
Non pas vu. Mais pour soulager mon planning de séances, j'ai acheté le coffret 3 films évoqués en début du topic. :wink:

le crime d'amour (1981)

un jeune homme contacte un journaliste pour lui dire qu'il vient de découvrir le cadavre d'une femme assassinée. Mais rapidement, il s'avère que le jeune homme connaissait la victime.

Peu valorisé dans le texte de présentation de la cinémathèque, je m'attendais à un navet et au final j'ai bien aimé ce drame teinté de policier. Le mélange des deux fonctionne mieux que dans le jardin qui bascule. Ici, même si l'argument policier reste artificiel, l'aspect criminel n'a rien d'anodin au final.

Relations entre les personnages souvent à peine esquissées, personnages secondaires peu fouillés, direction d'acteurs alléatoire, construction bancale et de nombreux élements mal exploités, sans oublier une réalisation moins aboutie que d'habitude font que cette oeuvre souffre de nombreux défauts évidents... Pourtant, j'ai trouvé que ces lacunes accompagnaient au final le propos du film : cette approche effleurée pour raconter l'histoire, des personnages qui se sentent incomplets ou qui possèdent un profond malaise, une compréhension partielle des actes et des comportements etc... Le genre de problèmes qui me rendent l'oeuvre au final plus attachants d'autant qu'on sent encore la sensibilité si particulière de son auteur : romantisme à fleur de peau, cette crise existentialiste, cette passion dévorante et ces protagonistes mélancoliques. Alors oui, l'approche est souvent maladroite (la bisexualité est traitée plus grossièrement que dans ces autres oeuvres) mais si l'émotion et les personnages prennent vie, c'est le plus important à mes yeux et la relation entre le jeune héros et Macha Méril donnent plusieurs sèquences très belles entre douceur, spleen et cruauté.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
bruce randylan
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Re: Guy Gilles

Message par bruce randylan »

Absences répétées (1972)

Image

Un employé de banque qui a pour habitude de se droguer est renvoyé pour ses trop nombreuses absences. Il s'isole bientôt chez lui, sombrant dans un mal-être de plus en plus profond

N'ayons pas peur des mots : voilà un chef d'oeuvre déchirant.
C'est une sorte de cousin Au Feu follet de Louis Malle avec cette solitude existentielle et son personnage dans une fuite en avant vers l'auto-destruction (sans oublier la présence de Jeanne Moreau) mais dans une approche moins distante, plus colorée et peu moins moins "cynique". Il est difficile d'en parler car Gilles en fait quelques choses de purement sensoriel et presque instinctifs dans ces procédés qui reposent une nouvelle fois sur un gros travail de découpage/montage, d'alternances couleurs/noir et blancs, de choix chromatiques et d'un recours très réduit à la parole.
Absences répétées est une sorte de cri du désespoir qui resterait coincé dans la gorge et qui finirait par redescendre en s’insinuant dans l'ensemble du corps humain, contaminant chaque veines, chaque pulsations cardiaques, chaque battements de paupières dans une longue agonie psychologique, au grand désespoir de ses proches qui se sentent impuissant.
Pourtant contrairement à ce que laisse supposer ma comparaison, le film n'est pas glauque, n'est pas misérabiliste et ne cherche pas à tirer des larmes. D'abord le travail de la mise en scène court-circuit l'aspect malsain et cruel de l'histoire et ensuite grâce à la sensibilité de Guy Gilles, croisement de pudeur, de retenue et de délicatesse. C'est le cinéma d'un poète adepte du spleen, d'un esthète, d'un é-coeur-ché vif.

Bon, celà dit, on peut tout à fait pleurer toutes les larmes de son corps lors (notamment lors des dernières séquences avec son douloureux parallèle)... ou réagir comme Yves Robert et ne pouvoir qu'exprimer qu'une résignation mutique face à quelque chose d'inéluctable quand bien même cela n'aurait rien de rationnel.

Le film est sorti dans la collection Gaumont à la demande et il va sans dire que je le recommande fortement.

Et pour le plaisir des oreilles, la magnifique chanson de Jeanne Moreau



Pour retourner aux courts métrages :
Soleil éteint (1958) et au biseau des baisers (1959) sont ces 2 premiers réalisations, deux courts tournés avec des bouts de ficelles, en amateurs et sans son direct. Le premier est petit film choral pour 3-4 personnages, sans rapport entre eux, évoquant leurs états d'âmes en voix-off : ambiance mélancolique, lyrisme prosaïque et photographie sombre. Pas forcément réussi (ça reste artificiel comme procédé) mais on sent une sensibilité à part.
Le second est une co-réalisation avec Marc Sator, un ami de jeunesse et cameraman. Le film devait être à la base une charmante ballade amoureuse filmée lors d'un séjour en Algérie mais quand Guy Gilles retourna en France faire le montage, il changea totalement la tonalité en rajoutant des dialogues pour transformer l'intrigue en un triste état des lieux sur l'incompréhension homme-femme. C'est très bricolé, bourré de problèmes techniques mais là encore, Gilles en fait quelque chose de vraiment atypique en choisissant de s'affranchir de plus en plus d'une synchronisation labiale pour une ambiance vraiment grave et désabusée, pour créer une réalité qui n'appartient qu'à lui.

Chanson de gestes (1965) me semble une étape importante dans l'élaboration de son style (il faudrait quand même vérifier avec son premier long-métrage l'amour à la mer tourné 2 ans plus tôt) : c'est là qu'il commence à vraiment fragmenter son découpage, à s’intéresser au détail, au gros plan, aux métonymies et aux synecdoques. Dans l'état, c'est un court plein de charme et d'esprit où ce sont les gestes et non les paroles (ou mêmes les personnages) qui racontent l'histoire. C'est entre le documentaire, le reportage et la comédie de mœurs. Vraiment réussi.

Sinon, le journal d'un combat (1964) est assez intéressant aussi. Raconté par Alain Delon, on suit en direct et sur plusieurs jours, un peintre façonner un tableau. On le voit dessiner, effacer, redessiner, corriger, supprimer, enlever avant d'arriver à une forme satisfaisante avant de pouvoir lui donner vie avec la couleur. Là encore on peut se dire que ça a du inspirer Guy Gilles dans sa manière très spécifique de raconter une histoire par touches, comme par une accumulation de différentes couches sensorielles.

A noter aussi qu'il fit ses débuts professionnels avec François Reichenbach même si la co-réalisation de Histoire d'un petit garçon devenu grand (1962) se passa mal et que Gilles retira son nom du générique. C'est un court qui se rapproche du roman photo (c'est antérieur à la Jetée), original mais inabouti et au final anecdotique. Reichenbach devait tout de même avoir une influence sur Gilles quoiqu'il en soit, c'est d'ailleurs visible sur Un dimanche à Aurillac, petit documentaire captant l'atmosphère rural de ce village auvergnat. Celà dit, je ne connais absolument pas le cinéma de Reichenbach donc je peux pas confirmer mais c'est ce qu'on m'a expliqué. :mrgreen: (mais heureusement, la cinémathèque prévu prochainement le rétro sur lui :) )
Dernière modification par bruce randylan le 17 mai 19, 23:09, modifié 1 fois.
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Re: Guy Gilles

Message par Viggy Simmons »

bruce randylan a écrit : Le film est sorti dans la collection Gaumont à la demande et il va sans dire que je le recommande fortement.
Pareil, c'est même pour moi l'un des 15 ou 20 plus beaux films de l'histoire du cinéma français.
bruce randylan
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Re: Guy Gilles

Message par bruce randylan »

Nefertiti (1992)

Lors d'une fouille en Egypte, un jeune homme retrouve un collier ayant appartenu à Nefertiti. Il raconte qu'il l'aurait connu dans une ancienne vie.

:cry:
Triste fin de carrière pour Guy Gilles qui s'est retrouvé embarqué dans cette improbable coproduction entre la France, l'Italie et la Russie... Tout est catastrophique et il n'y a rien à sauver de ce naufrage artistique. Tout est laid, cheap, sans âme, sans implication et simplement sans intérêt. On a beau chercher, rien ne laisse deviner la présence du cinéaste derrière la caméra (peut-être à la rigueur une séquence avec quelques inserts rapides sur la nature). Reste deux-trois paysages (pas plus) et une actrice jolie à regarder (et souvent peu vêtue).
Fort heureusement, le calvaire ne dure que 70 minutes. Sans doute conscient de la nullité du résultat, les doubleurs français ont attribué la voix de Leslie Nielsen à Ben Gazzara !

Il vaut tout de même dire que les producteurs ont composé un montage charcuté, coupant beaucoup de choses (y compris lors du tournage il me semble). Mais vu la qualité de la reconstitution, je ne suis pas sûr que la version imaginée Guy Gilles eusse été de meilleure qualité.
Dernière modification par bruce randylan le 17 mai 19, 23:07, modifié 1 fois.
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Re: Guy Gilles

Message par Jeremy Fox »

Super Soul a écrit :
Il faut souligner la splendeur formelle de ces films : un sens extraordinaire du cadre et de la lumière qui, bien au-delà de la « belle image », cherche à retenir la beauté fugace du monde (des objets, des couleurs, des corps, des visages), tandis que le présent s'égrène dans une conception très singulière du montage. Par ailleurs, aucun autre cinéaste (outre Coppola) ne me semble avoir utilisé aussi finement que Gilles l'alternance du noir et blanc et de la couleur (dans L'Amour à la mer, Au pan coupé, Absences répétées, Nuit docile) pour marquer des ruptures entre des temps, des espaces ou des états de conscience inconciliables – la mélancolie s'inscrivant alors à même l'image.

C'est tout à fait ça et le premier film de lui que je découvre, l'amour à la mer, est parfaitement décrit ici. Une immense bouffée de poésie, une oeuvre très touchante, une très belle découverte. Je vais poursuivre avec les deux autres films du coffret.
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Re: Guy Gilles (1938 - 1996)

Message par Jeremy Fox »

Olivier Bitoun concluait sa chronique de Le Clair de terre ainsi :
Ponctué de scènes bouleversantes (la visite à Annie Girardot, un repas auprès d’une famille pied-noir menée par Marthe Villalonga, Pierre apprenant la mort de son amie...), porté par des dialogues tout en délicatesse et une mise en scène d’une incroyable intelligence, Le Clair de terre est un film inoubliable, magnifique, qui témoigne de la finesse, de la sensibilité et de l’intelligence du cinéma de Guy Gilles. Un film qui ne se termine pas sur « fin », mais sur « à suivre »… à suivre en nous bien entendu.
Je ne peux qu'acquiescer. :)
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Re: Guy Gilles (1938 - 1996)

Message par Jack Carter »

bruce randylan a écrit : 8 oct. 14, 13:42

Sinon, le journal d'un combat (1964) est assez intéressant aussi. Raconté par Alain Delon, on suit en direct et sur plusieurs jours, un peintre façonner un tableau. On le voit dessiner, effacer, redessiner, corriger, supprimer, enlever avant d'arriver à une forme satisfaisante avant de pouvoir lui donner vie avec la couleur. Là encore on peut se dire que ça a du inspirer Guy Gilles dans sa manière très spécifique de raconter une histoire par touches, comme par une accumulation de différentes couches sensorielles.


Journal d'un combat, court-metrage documentaire, dispo sur HENRI
https://www.cinematheque.fr/henri/film/ ... lles-1964/
Image
The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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