David Wark Griffith (1875-1948)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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David Wark Griffith (1875-1948)

Message par bruce randylan »

EDIT DE LA MODERATION:

Vous pouvez également consulter le topic d'ntolérance (1916)








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Abraham Lincoln ( D.W. Griffith - 1930 )

Ca a autant d'interet qu'un manuel scolaire d'un éléve de CE2

Donc Abraham Lincoln est né au bout de 2 minutes. Il est marié au bout de 10, il est avocat au bout de 15 minutes, il est président au bout de 22 et puis c'est guerre alors il est un peu dans la deche, il gagne finallement et se fait assassiner. Mais c'est pas grave, sa statue est belle et grande.

La rapidité avec laquelle sont passée ses 1ères année sont ridicules ( 3 pauvres fondus enchainés pour un meeting electorale :roll: ), les acteurs sont vraiment à l'ouest, la mise en scène d'un platitude gênante venant de Griffith dont le seul éclat est le travelling dans la forêt au début.
Quand au portrait de l'homme, c'est tout aussi superficiel.
Certes le coté gauche, maladroit et simple de Lincoln peut le rentre attachant mais le contenu est tellement creux que la frustration est immense. En Fait l'action du président se borne à répéter "l'Union doit être préserver"

Le DVD Bach film n'est pas des brillants ( encore un master analogique ) mais propose au moins quelques court-métrages plus interressant que le film en lui-même et en plus présenté dans de meilleurs conditions. Le Fugitif et La Bataille sont ainsi deux merveilles d'humanité où la sensibilité et l'absence de manichéeisme de Griffith marquent durablement.
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allen john
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David Wark Griffith

Message par allen john »

A l'heure ou Kino s'apprête à donner une suite à son coffret Griffith Masterworks d'il y a quelques années,
http://www.silentera.com/DVD/boxGriffit ... s2DVD.html :mrgreen:
il conviendrait de se rafraichir la mémoire sur cette grande figure du cinéma. Si j'ai un grand faible pour les oeuvres majeures du monsieur, notamment ses mélos avec Lillian Gish, je garde une grande tendresse pour tous ces courts métrages (1908/1913) qu'on nous a tant vantés du temps où les dévédés n'existaient pas et où l'on était obligé de croire sur parole les historiens chanceux, vieux ou décédés qui nous disaient tant de choses pertinentes mais invérifiables sur tous ces petits joyaux a priori fascinants. Maintenant, le dévédé existe, et nous avons accès à un grand nombre de ces petites perles. J'en dénombre une quarantaine dans ma collection, et la présence de nombreux coffrets, compilations, bonus (Les longs métrages de Mary Pickford, par exemple, aussi bien chez Milestone que chez Bach, sont fournis avec un Griffith en Bonus. On peut citer ici aussi la thématique Guerre de Sécession du coffret Kino Birth of a nation, qui donne accès à 8 films sur ce thème, ce qui n'est pas rien, etc.). Tant qu'à faire, on ne va pas s'arrêter là, et on pourrait même, pourquoi pas, confronter nos opinions et s'écharper sur Intolerance et Birth of a Nation, en particulier sur ce dernier d'ailleurs.
Vaste programme :roll: , mais après tout si Griffith, désormais disponible en DVD, n'est pas vraiment la tasse de thé des programmateurs de télévision par exemple, il reste d'actualité: Le festival de Pordenone programme depuis quinze ans ses films, regroupés en intégrale (!) et je crois que le dernier "épisode" est pour cette année: 1925/1931. Et on va justement mettre la main grace à Kino sur son dernier film The struggle, en même temps que le plus célèbre, mais pas moins problématique Abraham Lincoln... Donc, voilà. A très bientôt, donc...
Dernière modification par allen john le 29 oct. 08, 18:48, modifié 1 fois.
julien
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Re: David Wark Griffith

Message par julien »

A propos, pour ceux qui sont sur Paris, Un Cine Concert est prévu le lundi 26 Janvier 2009 au théâtre du châtelet. l'Orchestre National d’Ile de France sous la direction de Jean Deroyer dirigera la formidable partition d'Antoine Duhamel et de Pierre Jansen composée pour le film muet Intolerance.
Image
"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
allen john
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

The adventures of Dollie (1908)
On peut difficilement trouver plus symbolique que ce film pour entamer la révision de la carrière de David Wark Griffith : c’est très officiellement le premier! Billy Bitzer a eu des doutes sur la véritable place à accorder à ce film, mais c'est le premier Griffith sorti par la Biograph, alors on ne va pas pinailler…Avant cela, Griffith était acteur, et pourvoyeur de scénarios pour la American Biograph. Ce sont sans doute ses scénarios qui lui ont permis cette promotion, mais Bitzer, le principal caméraman de la Biograph de l’époque, aurait tout aussi bien pu devenir le metteur en scène numéro 1 de la firme… Il deviendra malgré tout le chef-opérateur attitré de Griffith. Quoi qu’il en soit, c’est Arthur Marvin qui est crédité de la photo de ce petit film de 1908, d’environ 700 pieds, soit à peine une bobine de pellicule. Le scénario est du pur mélodrame, mais éclaire d’un jour intéressant un certain nombre des futures obsessions tant thématiques que picturales de l’auteur : importance de la famille face à la menace extérieure, prégnance du suspense, la tension qui nait de l’introduction du drame dans le cadre intime du bonheur familial… Mais il importe d’être franc: si vous n’avez jamais vu ce premier film de Griffith et vous attendez à un saint Graal, passez votre chemin : ce film est cru, primitif, et pour tout dire anecdotique. Il faut bien commencer par quelque chose.…
Dollie, présenté dans une copie aujourd’hui délavée (Elle provient d’une sauvegarde sur papier, et c’est laid comme tout), ne possède pas (Plus ?) d’intertitres, même si des commentaires publiés ailleurs (Les cahiers de la cinémathèque, n°6, 1972) font état de quelques textes sentencieux de-ci de-là. Le film possède 13 plans, ce qui nous permet exceptionnellement d’en tenter la description :

1 : dans un petit bois bien propre, au fond, une petite fille puis sa mère font leur entrée, depuis la gauche. Elles sont suivies du père, et la famille ainsi reconstituée batifole un instant dans la clairière. La mère et la fille sortent ensuite du plan sur la droite, alors que le père sort par là où il est venu, en gesticulant quelque « a tout à l’heure » à l’adresse de sa famille. En un plan, Griffith aura finalement établi un décor, aussi simple soit-il, mais aussi un cadre : celui de la famille. Cette famille, réunie un plan durant, se sépare à la fin du plan. De là va venir le danger…

2 : On « suit » la mère et la fille, bien sur : le plan montre une route, fréquentée par deux jeunes garçons, qui n’auront aucune incidence sur l’action. Au fond du plan, les deux héroïnes s’avancent vers nous. Elles s’assoient à l’avant-plan, un peu en retrait de la route, et un gitan entre par le fond du plan, il porte des paniers. Il tente d’intéresser la mère à ses paniers, sans succès. Il repart, le geste menaçant, pose ses paniers et revient, en tentant de dérober un objet (Un sac à main de 1908 ?). La mère se défend, et le père, surgi du fond de l’écran, intervient, frappe et cogne pendant que sa femme prend leur fille sous son bras pour la protéger. A la fin du plan, le gitan retourne la d’où il était venu, le regard et le geste lourds de menaces… Ce deuxième plan n’établit pas le drame, il en est le prélude. On constatera une utilisation plus prononcée de la profondeur de champ, par l’utilisation d’un angle de prise de vue frontal : la route vient vers nous, les personnages aussi ; ce mouvement vers le spectateur sera utilisé plus tard dans le film à des fins de suspense. Sinon, les deux jeunes hommes anonymes qui passent au début du film sur la route, et qui vont eux dans le sens contraire de l’action apportent une nuance quasi réaliste à la scène bucolique. Il refera souvent usage de la vie contenue dans le décor de ses histoires au lieu de se contenter de la platitude du cadre.

3 : Une roulotte à gauche, un cheval plus au fond à droite, une gitane couchée par terre qui fume ; le gitan du plan 2 entre par la gauche, montre ses blessures, profère des menaces et gesticule : il va se passer quelque chose. Il ressort du champ par la gauche. Composition plus classique, mais aussi un effort pour enrichir le contexte du drame : la roulotte devient du même coup un signe, et resservira bientôt… Sinon, on peut noter ici que le paternalisme et les préjugés raciaux nauséabonds n’ont pas attendu Birth of a nation

4 : Le drame. Le père et la fille jouent dans une nouvelle clairière, rejoints par la gauche par la mère, puis celle-ci ressort, suivie par le mari. La fille est seule, au fond le gitan arrive et hésite, puis se jette sur elle et l’emporte par là où il est venu ; la mère revient dans le champ, panique, gesticule, et le mari la rejoint bientôt. Ici interviennent deux nouveaux personnages, non identifiés : une femme qui rentre par la gauche, soit du même endroit que la famille, ce qui l’associe au cercle intime, et un homme qui entre par la droite : un passant ? Ici, en tout cas, le drame devient potentiellement une tragédie. Ce n’est pas seulement la famille, mais la société qui est attaquée…

5. Ici, encore un plan dont le (ou les )mouvement(s) est(sont) depuis le fond vers la caméra : le gitan entre par le coin supérieur gauche avec Dollie dans les bras. IL court, péniblement, puis finit par passer devant la caméra et sort du champ par la droite. En haut à droite, on aperçoit un homme qui travaille aux champs (Bien que le relief soit accidenté, et le cadre ressemble plus à un maquis qu’à autre chose…) Le mari et l’homme non-identifié du plan précédent entrent à leur tour par la gauche, parlent au troisième homme qui les rejoint dans la poursuite, et ils sortent par la droite à leur tour. Beaucoup de choses à dire ici ; tout d’abord , le choix du décor permet de délayer l’action en prolongeant le suspense et le dynamisme de la poursuite. Ensuite, la présence d’un témoin justifié par son activité permet d’ajouter une nouvelle preuve à l’idée que retrouver Dollie, c’est l’affaire de tous. Enfin, le contraste entre le cadre doucereux et domestiqué du sous-bois et le coté « nature indomptable » de ce décor de ronces et de relief accidenté accentue les différences entre la bonne société dont fait partie la petite famille et le monde des gitans. On est chez Dickens !

6 : la roulotte sous un nouvel angle ; La gitane est en plein rangement. Le Gitan entre par la gauche avec Dollie, la dissimule dans un tonneau, juste à temps pour l’arrivée des trois hommes ; Les deux gitans restent très calmes pendant que les héros fouillent, puis repartent bredouilles. Les gitans laissés seuls terminent de ranger leurs effets puis sortent du cadre. La roulotte part. A nouveau, ce plan de la roulotte est moins chargé de sens que les autres, mais il est intéressant ne serait-ce que parce qu’il comprime efficacement la durée de son action, mais aussi parce qu’il souligne la volonté des auteurs du film de ne pas choisir deux fois le même angle de prise de vue.

7 : Plan très court de la route. La roulotte entre rapidement par le fond et sort par la droite.

8 : Le plan le plus célèbre du film ? La rivière occupe tout le cadre. Par la droite, la roulotte arrive, très près de la caméra, puis elle entre dans l’eau. Le tonneau, placé à l’arrière, passe très près de la caméra, et lorsque la roulotte est dans l’eau, le tonneau contenant Dollie tombe. La roulotte achève la traversée et sort du champ, tandis que le tonneau dérive vers la gauche. L’intérêt de ce plan réside dans l’angle de prise de vue, au plus efficace et au plus près du drame. Les plans suivants vont d’ailleurs partir de celui-ci dans la mesure ou tous vont comporter une vue de la rivière, mais à chaque fois la distance sera plus grande :

9 :Le tonneau dérive sur la rivière . Des remous, assez évidents dans le cadre, ajoutent à la menace.

10 :Une cascade. Le tonneau s’approche (Par le fond toujours) puis tombe. Il est intact.

11 : La cascade, vue d’une plus grande distance. Le tonneau continue sa dérive, toujours vers la caméra.

12 : Le tonneau sur la rivière, suivant le même dispositif.
Avec ce dernier plan, le relatif suspense prend fin, puisque le cadre va de nouveau être celui, domestiqué, de la civilisation :

13 : Le bord de la rivière. Visible dans le cadre, un petit mur sert à domestiquer la rive. Au fond du plan, des habitations. Dans ce décor symbolique d’une nature (Et de ses risques) domptée, un pêcheur est à l’avant-plan…. Il aperçoit le tonneau, et s’agite dans le but de le faire venir à lui. IL a des difficultés à le soulever, il est plus lourd qu’il avait prévu. A ce moment, le père arrive par la gauche, et l’aide. Lorsqu’il ouvre le tonneau, et découvre Dollie dissimulée à l’intérieur, il lève les bras au ciel. A ce moment la mère arrive, la famille est reconstituée… Les héros n’y sont pour rien, quant aux gitans, on ne les reverra plus. Déjà, le fatalisme de Griffith s’affiche: que peuvent les gens face aux bouleversements de l’histoire ? S’en remettre à la providence, c’est tout.

En attendant, on voit comment avant le montage, Griffith utilise le plan pour signifier, symboliser, comparer et produire un effet de suspense balbutiant sur le spectateur. il s'efforce d'utiliser la profondeur de champ afin de sortir d'un cadre théâtral, et y parvient plutôt bien dans ce petit film qui respire constamment. D’ici quelques années, le montage viendra raffiner tout cela (On imagine quel profit le Griffith de 1912 aurait pu tirer de la juxtaposition des plans du tonneau et de ceux de la cascade pour faire monter la tension par exemple), les acteurs gesticuleront moins et joueront plus. Les influences (La référence ici est sans aucun doute le Rescued by Rover, réalisé par Cecil Hepworth en 1903) disparaîtront, et le metteur en scène deviendra à son tour un metteur en scène imité par tous. Et (Roulement de caisse claire!!!!! :mrgreen: )c’est par ce film que tout a commencé.
Dernière modification par allen john le 29 oct. 08, 18:49, modifié 1 fois.
allen john
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

1909 est une année importante pour Griffith : ses patrons/commanditaires sont satisfaits de lui, les films se vendent et sont populaires, et il ne fait pas trop de vagues : on le verra, c’est un point important pour la American Biograph, une firme plutôt conservatrice dans ses méthodes, qui abrite paradoxalement le talent probablement le plus important et novateur de ces années de formation du cinéma…
Les films se succèdent, toujours courts, une bobine ou moins, toujours touche-à-tout. En voici deux exemples, qui confirment malgré tout que la route est longue.

Those awful hats
Réalisé sans doute pour agrémenter les sempiternels placards demandant aux clients des cinémas de se conduire de façon décente et sociable, ce tout petit film est constitué d’un plan, truqué crument afin d’insérer un film projeté dans l’image : il a pour cadre une salle de cinéma en pleine activité, au public nombreux et gesticulant. Un client exaspéré de ne pas voir l’écran à travers les extravagantes extensions des chapeaux des dames assemblé change plusieurs fois de place, perturbe la représentation jusqu’à ce qu’un véhicule de chantier intervienne et ne saisisse d’une part le chapeau d’une femme, puis une dame afin de ramener la paix civile… Un carton final avertit les spectatrices : mesdames, s’il vous plait, enlevez vos chapeaux. Au-delà de son déroulement surréaliste, ce film bien connu (Serge Bromberg, notamment, l’a diffusé ici) est cru, et on assiste à d’incessantes gesticulations de la part des acteurs assemblés. Toutefois, un truc utilisé pour faire se dégager le personnage principal (Le monsieur exaspéré) est riche d’évocations pour le cinéphile : il est habillé d’un costume voyant, à petit carreaux noirs et blancs, préfiguration du grotesque de la Keystone. Du reste, c’est le genre de film pour lesquels Griffith délèguera bientôt la direction à Mack Sennett, qui est selon toutes les filmographies l’un des acteurs de cette pochade…

The sealed room
Après Sennett, voici une apparition de Henry B. Walthall, alors jeune premier, 6 ans avant Birth of a nation. The sealed room est une incursion de Griffith dans la tragédie en costumes, ici Renaissance. C'est généralement le signe d'un ralentissement de l'action et d'un jeu relativement digne, car on n'est pas loin du théâtre "légitime", dans un souci d'élever les masses et de fournir un traitement "à l'européenne", surtout à la Française, ou à l'Italienne. Mais le film se conclut par du Poe : un roi offre une pièce de son château, privée de fenêtres, à sa bien aimée, dans laquelle il l’emmure avec son amant pendant qu’ils batifolent. Ils meurent asphyxiés. Au-delà de l’anecdote ridicule, on peut noter dans ce film très moyen le désir de Griffith, une fois de plus, de rendre l’action lisible : les trois protagonistes se détachent efficacement du lot durant les premières scènes, malgré la présence d’une foule autour du roi. Le metteur en scène compose l’image autour des trois acteurs et de leurs regards, celui enamouré du roi pour sa femme, celui, plein de promesses friponnes, de Walthall pour l’épouse, celui enfin de l’épouse sui se prépare à tromper son mari tout en trompant son monde… Le final est annoncé par une embryon de montage parallèle, qui voit les amants se retrouver dans la pièce pendant que le roi les observe, puis prend la décision de murer la pièce, et enfin reste à coté du mur pour écouter et s’assurer de la mort des deux tourtereaux. Durant ce passage, le point de vue est totalement partagé, Griffith ne choisissant pas entre la vision du mari (Vengeance odieuse mais légitime), ou le destin tragique des deux amants, qu’en romantique invétéré il ne peut que plaindre ? mais le mari, resté seul en lice, conclut le film, et on peut avoir le sentiment que son point de vue l’emporte, auquel cas on est, décidément, chez Edgar Allan Poe. On peut également voir un intéressant traitement de la cellule familiale chez Griffith: combien de foyers assiégés, d'épouses et de filles séquestrées à venir dans ses films? On progresse…
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Re: David Wark Griffith

Message par someone1600 »

Un réalisateur que j'aimerais découvrir, un jour je m'offrierai peut-etre le coffret Kino. Mais le 23 novembre, TCM Canada diffuse Orphans of the Storm, qui sera donc mon premier Griffith a découvrir. :D :wink:
allen john
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

someone1600 a écrit :Un réalisateur que j'aimerais découvrir, un jour je m'offrierai peut-etre le coffret Kino. Mais le 23 novembre, TCM Canada diffuse Orphans of the Storm, qui sera donc mon premier Griffith a découvrir. :D :wink:
Un beau soir de 1989, notre cinéma de minuit National nous gratifia d'une programmation de ce film, qui fut mon premier Griffith aussi. Ah! nostalgie, quand tu nous tiens... On pensera à toi le 23. :D
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Ann Harding
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Re: David Wark Griffith

Message par Ann Harding »

someone1600 a écrit :Un réalisateur que j'aimerais découvrir, un jour je m'offrierai peut-etre le coffret Kino. Mais le 23 novembre, TCM Canada diffuse Orphans of the Storm, qui sera donc mon premier Griffith a découvrir. :D :wink:
Tu es encore plus chanceux que tu ne le penses. TCM va diffuser pour la première fois la version Photoplay avec la musique de Carl Davis. :D
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

Le retour de 1909
En 1909, Griffith continue à accumuler les films, et à faire feu de tout bois. Si les films de genre (Balbutiants) sont légion, il faut aussi remarquer un grand nombre de films à vocation « sociale ». En voici deux exemples contradictoires :
The voice of the violin
Sorti en mars 1909, ce film est le moins connu des deux, et probablement le plus archaïque, tant idéologiquement que picturalement ou par son montage. Le début fait même craindre le pire, mais le scénario qu’il a lui-même écrit permet à Griffith de se rattraper: un jeune professeur de violon idéaliste, éconduit par sa jeune élève, accepte d’intégrer un groupe d’anarchistes qui lui confient la mission de faire sauter la maison du père de sa dulcinée. Faisant le guet durant l’opération, le son du violon joué par la jeune femme le fait se raviser, et il va tout tenter pour sauver la famille. Un mélodrame dans lequel les révolutionnaires sont donc d’abominables anarchistes qui, sous prétexte d’abolir les différences sociales, veulent évidemment tout faire sauter ; en plus, Griffith dote l’un de ses anarchistes d’un absurde costume masqué du plus beau ridicule, et les révolutionnaires font des serments solennels à roulements d’yeux: des gros sabots, donc .
Le dispositif de mise en scène part d’un début peu intéressant, dans lequel Griffith annonce par un intertitre toute l’action du plan à venir, soit 4 minutes. Ce type d’annonce qui détruit tous les effets en racontant toute l’action se retrouvera jusque dans Orphans of the storm , mais ici, il ajoute au pensum. Heureusement, le metteur en scène va pouvoir, à la fin du film, recourir au montage pour relever le niveau, dans une scène qui commence d’ailleurs par une évocation poétique d’une rue de New York, dont on trouve un peu l’équivalent chez Feuillade lorsqu’il nous montre les rues désertées de voitures de Paris: Lorsque les anarchistes s’introduisent chez le financier par la cave, Griffith démultiplie les cadres : la cave, ou une bombe va être posée ; la rue, ou le héros fait le guet, et l’intérieur de la maison, ou la jeune femme va jouer du violon. Griffith unifie les trois plans en montrant le jeune homme qui réagit à la « Voix du violon » du titre, en implique le public : nous sommes prêts à soutenir le jeune homme puisque désormais sa cause est juste, et nous sommes d’autant plus impliqués dans le suspense qu’il est assez rapidement en mauvaise posture, groggy, assommé par l’autre malfaiteur, à proximité de la bombe fumante.
Malgré cette fin plus prenante et cette utilisation émotionnelle du montage , le film reste lourd, ne serait-ce que par sa convention et son manichéisme paternaliste. Mais Griffith, éternel schizophrène, va faire exactement le contraire avec un film plus connu…

A corner in wheat
Connu, et même reconnu, ce court métrage est l’un des chefs d’œuvre de Griffith, l’une de ses grandes adaptations (de Frank Norris, d’après son roman The Pit), et un film-pamphlet à la forme intrigante. Dès le départ, sans intertitre polluant, les premières images suggèrent avec efficacité le désespoir et la tragédie des pauvres agriculteurs, dont le jeu lent et expressif, aidé par la tristesse du champ nu et immense qu’ils ont à charge, suggère toute la misère du monde. En contrepoint, il nous montre soudain la richesse d’un grand spéculateur, présenté comme le « roi du blé ». Celui-ci, qui après tout est lié aux gens qu’on nous a dépeint jusqu’ici, a droit à son propre intertitre : The Wheat King, ce qui a un effet disruptif : tout ne va pas de soi, les deux mondes sont donc séparés ; le montage devient ici commentaire social. Le reste du film nous montre les efforts des spéculateurs pour s’enrichir, et les effets sur les petites gens, le prix du pain qui flambe, la révolte de la population et la répression par la police avec la complicité des commerçants. Le film culmine lorsque le « Roi du blé » tombe dans une minoterie, et meurt asphyxié, Zolaïquement. La ou la fin aurait permis une certaine satisfaction du spectateur, Griffith nous montre les amis du spéculateur qui récupèrent sa dépouille, pleurent, et à la fin du film les agriculteurs du début, qui sèment. Le plan est ambigu. D’une part la vie continue, ils ont toujours du travail. D’autre part, le système n’a pas changé.
On le voit, il ne s’agit pas ici de se faire l’apôtre de la révolution, ce qui serait beaucoup demander au victorien Griffith. Le propos est surtout de faire part d’une réelle indignation, sans pour autant totalement remettre en cause les fondements du système. Le film est sincère, plastiquement plutôt beau, et souvent intrigant, notamment ce célèbre plan fixe (Non pas une photo, mais bien un plan « tableau vivant » durant lequel les acteurs sont priés de ne pas bouger, afin de jouer la peine des pauvres gens face à la montée des prix) : Griffith expérimente !
En attendant, en quelques mois, Griffith n’a pas changé : c’est bien le même homme qui fustige la révolte ici et tape sur la bonne société là, qui enfile les bottes de père fouettard d’un coté pour jouer la main tendue de l’autre. De la même manière, il multipliera les contradictions toute sa carrière durant.
Dernière modification par allen john le 29 oct. 08, 18:51, modifié 1 fois.
bruce randylan
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Re: David Wark Griffith

Message par bruce randylan »

:o
Whaou ! Quelle lecture !
Merci pour cette passion contagieuse :D

Comme les films que tu évoques sont presque tous sur youtube, je vais pouvoir suivre tout ça en parallèle.
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someone1600
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Re: David Wark Griffith

Message par someone1600 »

Ah tiens, je ferai ca aussi alors... malgré que le PC au boulot soit vraiment pas tres bon pour la video... faudra que je vois ca chez moi.
Ann Harding a écrit :
someone1600 a écrit :Un réalisateur que j'aimerais découvrir, un jour je m'offrierai peut-etre le coffret Kino. Mais le 23 novembre, TCM Canada diffuse Orphans of the Storm, qui sera donc mon premier Griffith a découvrir. :D :wink:
Tu es encore plus chanceux que tu ne le penses. TCM va diffuser pour la première fois la version Photoplay avec la musique de Carl Davis. :D
Tu as vu ca sur le site de TCM ? En tout malheureusement je ne serai pas devant la tele le 23 quand ca va passer a minuit car je travaille, mais soyez assuré que l'enregistreur sera pret. Il travaille fort celui-la. :D
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

bruce randylan a écrit : Merci pour cette passion contagieuse :D
De rien :mrgreen:
bruce randylan a écrit : Comme les films que tu évoques sont presque tous sur youtube, je vais pouvoir suivre tout ça en parallèle.
D'ailleurs les films disponibles sur Youtube proviennent des coffrets Image Entertainment et Kino que je suis en train de re-visionner, il n'y a pas de mystère... Le monde est petit.
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

La revanche du fils de 1909
Un petit aperçu d’autres films, tous brillants et pleins de promesses, tournés en cette même année. Griffith apprend très vite, et est secondé par une troupe d’acteurs qui sont décidément très capables…

The redman’s view
L’un de nombreux films visant à s’intéresser à l’univers des Indiens, ou des Américains Natifs comme on est supposé dire aujourd’hui, ce qui peut étonner sans doute tant l’image de Griffith aujourd’hui est attachée solidement à son racisme. Pourtant, rien qu’en 1909, il sort The mended Lute, The Indian runner’s romance, Comata the Sioux, et ce Redman’s view ; la plupart d’entre eux ont été tournés à l’été 1909, et Griffith a profité du beau temps de la nouvelle Angleterre, mais ce film est différent, la nature y est moins festive, plus menaçante.
Il nous conte l’histoire d’un exode, d’une tribu indienne chassée par un parti de colons grossiers et supérieurs en nombre. A cette tragédie, qui n’aura pas de résolution, Griffith ajoute le drame intime de l’un des guerriers, qui voit partir sa bien aimée, gardée par les blancs afin de servir de domestique, et sans doute plus si affinités. Après avoir laissé faire, poussé par ses pairs qui étaient conscients de l’impossibilité de la lutte face à l’homme blanc, le jeune homme est revenu et a plaidé sa cause. Grâce à la magnanimité d’un des blancs, la jeune femme lui est revenue, à temps pour se recueillir sur la dépouille mortelle de son père, le vieux chef mort durant l’exode.

L’ouverture du film est sans ambiguité: l’histoire sera celle des Indiens, et dans un premier temps, seule l’image a droit de cité ; le premier plan nous montre un campement indien, efficacement juché en haut d’une colline, ce qui donne au relief une présence dramatique, tout en étant faux historiquement : ces Indiens auraient installé leur campement dans une vallée. Mais l’utilisation du relief accidenté est l’une des constances de ce film, tout comme celle de la nature : le seul plan de sous-bois Idyllique est le deuxième, il nous conte le flirt de l’héroïne avec le jeune guerrier, au bord d’une source ; une félicité vite démentie par la suite de l’histoire. Le premier intertitre annonce l’arrivée des Blancs, les « Conquérants » nous dit-on; en faits, ils apparaissent, de plus en plus nombreux, à la faveur d’une crête, et très vite ils emplissent l’écran, et pour ne rien arranger ils ont des sales têtes. Bref, des méchants. Lors des pourparlers, bien rapides comme d’habitude, Griffith oppose sciemment la dignité des Indiens à la grossièreté affichée des blancs, dans des plans un peu fouillis : il va falloir du temps avant de bien gérer les plans de foule : ceux-ci sont mal fichus et mal joués. Lors de l’exode, une nouvelle preuve de parti-pris affiché est à glaner dans un intertitre : « La mer devant nous », nous dit Griffith : il a choisi son camp, une bonne fois pour toutes. Les plans concernant la séparation des deux héros sont différents des autres : la ou les plans de foule insistent sur la dignité et la lenteur des Indiens face au malheur, l’action se précipite dès lors qu’on suit l’Indienne tentant de s’échapper, ou son galant tentant de la faire s’évader. Le bon vieux dispositif Griffithien qui consiste à mettre en parallèle un drame intime et une tragédie est déjà en place, pour longtemps ( Voir Birth of a nation, Intolerance, Orphans of the Storm, America…). Mais au final du film, on ne s’y trompe pas, le propos du film est d’apporter un éclairage sur les populations Indiennes, en les présentant non comme des sauvages, mais comme une civilisation : on nous gratifie d’une cérémonie funéraire en bonne et due forme. Le plan final fait se rejoindre la tragédie et le drame pour l’instant évité : le jeune couple se recueille, de dos, devant la dépouille mortelle, celle du vieux chef, mais aussi celle des Indiens en général.

The country doctor
Ce film, qui appartient à une série plus éducative, avec morale à la clé, est intéressant en particulier à deux titres : d’une part par sa construction en trois actes, très étudiée, et soulignée par la mise en scène ; d’autre part pour le jeu et la dilatation du temps : Griffith à l’époque tendait à comprimer le temps, enfilant en un plan de 15 secondes des actions qui auraient pris 15 minutes : la fouille de la roulotte de Dollie, par exemple, ou la mort du vieux chef dans le film précédent. En revanche, dans ce nouveau film, le metteur en scène pousse ses acteurs à délayer les réactions, à jouer de façon mesurée. Un parti-pris intéressant qui se répercutera aussi bien sur le réalisme et la dignité de l’ensemble, mais qui est aussi salutaire afin de préserver l’implication du spectateur face à un film qui prend un chemin assez radical, on le verra.
Après un intertitre moraliste, un panoramique nous dévoile un joli paysage de la nouvelle Angleterre, avant de s’immobiliser sur une jolie et massive maison, dont sortent les trois membres d’une famille : la mère, la fillette et le père. Ils sont heureux, et se promènent : en deux plans, Griffith nous confirme leur bonheur : un champ dans lequel ils marchent, prenant leur temps ; au loin, un bel arbre, au bord d’un plant d’eau. Le plan suivant les voit continuer leur promenade dans un champ de fleurs, jusqu’à ce que la famille emplisse le cadre. C’est la fin du prologue.

Le deuxième acte est celui de l’exposé du drame : la petite fille est malade, et alors que le parents sont inquiets pour la suite des évènements, quelqu’un vient chercher le père : il est en effet docteur, et son devoir est d’assister ses patients ; une autre petite fille malade a besoin de lui. Après des hésitations, il va se rendre à son chevet… et laisser mourir sa fille.
Le troisième acte voit le docteur retourner chez lui, et constater le décès de sa fille. Le dernier plan est une répétition inversée du premier, avec le même panoramique qui part cette fois-ci de la maison avant de nous détailler le paysage alentour.

Les acteurs de ce film sont des piliers de la Biograph, dont le docteur, joué par Frank Powell, qui deviendra vite l’assistant de Griffith, puis le deuxième réalisateur des courts métrages, sous la supervision du maitre. On reconnait aussi Florence Lawrence (la mère), Kate Bruce (La mère de la deuxième petite, future mère Sudiste dans Birth of a nation), et bien sur Mary Pickford, qui joue la sœur de la deuxième petite malade. Le jeu est juste, les seules marques de précipitation étant justifiées : alors que la femme du docteur, inquiète, reste au chevet de sa fille, la bonne va faire le trajet aller et retour entre la maison et la cabane ou le docteur est au chevet de la patiente, à plusieurs reprises, et toujours plus vite. Le contraste entre sa précipitation et la lenteur méthodique du docteur est le principal procédé utilisé par Griffith pour impliquer le spectateur.

Au final, on a le sentiment de voir à travers ce film une somme déjà impressionnante des qualités développées en un an par le metteur en scène de la Biograph : jeu juste et convaincant, efforts de construction savants et payants, et toujours un commentaire social, cette fois un peu paternaliste quand même : bien que riche, ce docteur sacrifierait y compris sa fille pour faire son devoir et sauver une petite fille pauvre, Le décor accentuant d’ailleurs les différences sociales entre les deux maisons. En tout cas, voici encore un film majeur.

The lonely villa
Avec Mary Pickford, dont le rôle est bien effacé, ce court métrage connu est un film-matrice important dans l’œuvre de Griffith : il s’agit d’une de ces histoires de famille assiégée dont les exemples abondent, et dont Griffith savait faire fructifier le suspense. A ce titre, il est exemplaire !

L’argument est simple : Voulant investir sa maison, des vagabonds éloignent un bourgeois, et assiègent l’épouse et les trois filles (La plus grande est jouée par Mary Pickford, ici s’arrête sa contribution) tandis que réalisant son imprudence, le mari téléphone à son épouse, et revient sur ses pas avec d’autres homes, et la police. Sa voiture ne fonctionnant pas, il emprunte une roulotte à des bohémiens et arrive à temps. On le voit, c’est pour nous de l’éprouvé, du classique, mais chez le Griffith de 1909, c’est une recette qui reste à établir, et en prime, le metteur en scène va savamment doser le suspense, et ce dès le premier plan : il nous présente en effet les vagabonds qui complotent à l’extérieur avant de nous montrer la famille. Une façon d’annoncer la couleur, et ça marche ! Sinon, il utilise efficacement les ressources à sa disposition : voiture, téléphone (Un échange téléphonique est d’ailleurs à la source du dispositif de montage qui fait monter le suspense : l’épouse et les filles assiégées/ le mari qui téléphone depuis un café/l’épouse qui répond /le mari qui exprime sa surprise/les bandits qui assiègent la pièce ou sont les trois fille et la mère/retour à la mère, etc…) ; Les plans sont courts, nombreux, et le film est une fois de plus très excitant à suivre, et très maitrisé. Il y aura des variantes, et même un remake, cette fois centré sur les filles : The Unseen Enemy(1912), d’autant plus célèbre que les Sœurs Gish y assurent leur première apparition chez Griffith. Un autre film célèbre citera ouvertement l’un des plans (Ou du moins une photo de plateau qui s’y réfère) de the Lonely Villa: Night of the hunter, de Charles Laughton, dont le scénariste, le Sudiste James Agee, était un admirateur inconditionnel de Griffith. De plus, la présence de Lillian Gish dans le film de Laughton ajoute du sel à l’anecdote. Le monde est petit, vous dis-je.
Dernière modification par allen john le 11 déc. 08, 21:45, modifié 1 fois.
someone1600
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Re: David Wark Griffith

Message par someone1600 »

C'est vraiment intéressant ton topic Allen John, tout comme celui sur Van Stroheim. :wink:
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Re: David Wark Griffith

Message par allen john »

1910 et la guerre civile

La série des courts métrages consacrés à la guerre de Sécession, nommée simplement « Civil war» aux Etats-Unis dans la mesure où ils n’en connurent qu’une, est inaugurée en septembre 1909 avec In old Kentucky, un film au scénario hautement symbolique : Selon la filmographie établie par Patrick Brion, « La déclaration de la guerre civile déchire une famille dont les deux fils finiront pourtant par se réconcilier, après avoir combattu dans des camps opposés. » Le choix du Kentucky était dramatiquement important, puisqu’il s’agissait durant la guerre civile d’un état neutre, un état du sud ayant choisi de ne pas faire sécession par prudence, mais dont de nombreux habitants prendront la décision de rallier l’un ou l’autre des deux camps. Le choix permettait à Griffith de conter une histoire qui renvoie à l’âme Américaine avant tout, mais avait une résonnance familiale aussi, puisque le metteur en scène était natif du Kentucky, d’une famille dont le coeur, c’est bien connu, penchait franchement du coté de la confédération, son père, Jacob ayant combattu aux cotés du Général Lee. Pourtant, si les films sont nombreux à revenir à cette guerre, il me semble que c’est moins par le coté personnel que par le coté dramatique que Griffith s’est attaché à revenir souvent à la guerre. Après tout, pour Griffith, c’était un terrain rêvé : les histoires de l’ouest Américain et des Indiens l’intéressaient, mais n’avaient pas ce coté fédérateur et historique qu’il recherchait, dans la mesure où il ne les datait jamais, à plus forte raison s’il devait en critiquer les protagonistes blancs : on peut considérer qu’ils étaient à la fois contemporains et historiques. Les sujets bibliques ou renaissance l’intéressaient pour pouvoir faire concurrence aux Européens, mais ils sont bien médiocres, et académiques aujourd’hui ; non, le sujet de la guerre civile était cet élément dramatiquement rassembleur dont Griffith avait besoin pour emporter l’adhésion du public, et comme il tournait des œuvres distribuées sur tout le territoire, il pouvait privilégier les deux cotés alternativement, afin de ne pas s’aliéner le public de la Biograph. Au moment de voir ces petits films aujourd’hui, il faut se rappeler que dans de nombreuses familles, on avait des anecdotes de la guerre civile, cocasses, patriotiques, authentiques ou romancées, vécues ou rapportées par un tiers. Ce sont toutes ces anecdotes qui vont former le matériau de base de ces courts métrages, qui une fois rassemblées représentent une assez bonne vue d’ensemble de l’héritage de la Guerre de sécession, finie 45 ans plus tôt, en ce début du 20e siècle. Toutes ces raisons expliquent pourquoi au moment de passer au très long métrage en 1914, il a choisi une histoire liée à la guerre civile. Le seul problème est qu’il choisira à cette occasion un matériau un peu trop explosif, mais n’anticipons pas.

L’année 1910 est d’autant plus riche en films consacrés à la guerre civile que le public suit. La plupart des films permettent à Griffith, en jouant sur les cordes universellement sensibles de l’honneur, de la lâcheté, de la perte d’un membre de la famille, d’éviter de prendre ouvertement parti pour un camp ou pour l’autre. Tous ces films reposent sur le savoir-faire désormais solide de Griffith, de ses acteurs et de Billy Bitzer, et utilisent à merveille les ressources des décors naturels du New Jersey, en particuliers les collines qui permettent systématiquement à Griffith de donner du relief à ses compositions. La guerre y est présentée comme une fatalité, un déchirement, et on le voit, les thèmes et les tendances qui seront à la base des ressorts dramatiques de Birth of a nation sont déjà là, sauf le racisme, sinon dans la représentation occasionnellement paternaliste( His trust, His trust fulfilled) des esclaves. Et cerise sur le gâteau, Griffith se sent tant pousser des ailes avec la guerre qu’il va tenter son premier film « long », en fin 1910, sur ce thème.

In the border States
Ce premier exemple est d’une richesse incroyable pour un court métrage d’une bobine, qui bat le rappel d’un grand nombre de thèmes chers à l’auteur, tout en utilisant à merveille les ressources de l’évocation folklorique de la guerre civile ; toutefois, il ne s’agit, pas plus que les deux suivants, d’une leçon d’histoire : dans un état du sud de l’Union, un jeune père quitte sa famille pour partir à la guerre, avec son régiment Nordiste. Une fois le père partie, les filles reçoivent la visite d’un soldat sudiste en fuite, qui leur demande asile ; la plus petite le cache et ce faisant le sauve. Plus tard, au moment de tuer ou d’arrêter le père de la petite, le soldat sudiste se rappelle son geste, et fait autant pour le Nordiste. Le message du film est clair : c’est la même nation ; le fait que ce soit une jeune fille qui prenne la décision importante permet de faire le lien entre la jeune génération et le refus de la guerre ; symboliquement, la jeune fille anticipe sur la période d’après-guerre. Le film regorge de moments Griffithiens, du départ à la guerre vécu par une famille rassemblée dans un plan à la composition très étudiée, au siège de la maison dans laquelle le père s’est réfugié avec sa fille. La famille, une fois de plus, est au cœur du film, ici symbolique de l’unité de la nation fragilisée par la sécession. Le point de vue est partagé entre le nord et le sud, la petite fille se plaçant au-dessus du clivage…

The house with closed shutters
Le film précédent dirigeait son lyrisme vers l’idéal d’une nation rassemblée, mais celui-ci nous parle d’héroïsme et de patriotisme jusqu’au délire. L’anecdote est cette fois l’histoire d’une jeune femme, typique aristocrate du sud, qui remplace son frère au front lorsque celui-ci se révèle trop lâche pour accomplir son devoir. Tuée au combat, elle continue d’assumer jusque dans la mort l’identité de son frère, et la famille n’a pas d’autre choix que d’enfermer le couard (Walthall, bien loin du colonel Cameron, surjoue jusqu’au ridicule son alcoolique lâche) derrière les volets clos du titre. Ici, le danger qui menace la famille est le déshonneur, mais le choix de Griffith de titrer le film la maison aux volets clos porte justement l’attention non sur la guerre elle-même, mais sur l’acte morbide qui s’ensuit ; une fois de plus, l’ombre d’Edgar Poe plane sur ce film, trop grandiloquent pour être honnête. Toutefois, les scènes de bataille sont excellentes, avec toute la ressource plastique qui pouvait être retirée de l’opposition entre les bleus et les gris, ou entre les deux drapeaux, si cousins et si lointains en même temps.

The fugitive
On retourne à la division entre deux points de vue avec ce film, toutefois moins réussi que le premier des trois exemples. Il nous conte la confrontation entre deux soldats ennemis: le nordiste en terre ennemie tue le sudiste, puis se réfugie chez la mère de celui-ci. Lorsque celle-ci comprend ce qui s’est passé, elle prend la décision de laisser le soldat vivre malgré tout. Le message est proche donc de In the border states, à deux différences près : c’est ici une mère courage qui joue le rôle fédérateur, et elle est Sudiste. Un détail dans un plan, dans la pièce ou se joue l’essentiel du drame, nous permet de ne pas nous tromper : un portrait de George Washington…
Griffith joue beaucoup sur le suspense, axant les premières 5 minutes de ce film sur l’évolution parallèle des deux soldats, mais il nous les montre également en famille, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguité : il n’y a pas de méchants dans ce drame. Les décors naturels sont splendides, et Griffith est désormais très bien rodé à la représentation de la guerre: toutes les scènes de batailles, d’escarmouche, de soldats seuls qui se cachent sont du grand et du beau cinéma…

Après ces quelques efforts, Griffith retournera à la Guerre civile une dernière fois pour l’année 1910, et cette fois il se lancera avec His Trust dans un long film: deux bobines! Mais cela ne sera pas du goût de ses patrons de la Biograph…

…A suivre, donc.
Dernière modification par allen john le 11 déc. 08, 21:46, modifié 1 fois.
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