Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Roy Neary
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Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Roy Neary »

Un film d'Orson Welles sort en DVD cette semaine, on n'allait pas rater l'occasion de le chroniquer.
Aux manettes : un certain Phylute, le rédacteur aux contre-plongées narratives incisives. :D

:arrow: Mr. Arkadin
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ed
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par ed »

Roy Neary a écrit : le rédacteur aux contre-plongées narratives incisives. :D
Les images adjointes à la chronique, et notamment la contre-plongée sur le château, me donneraient presque envie de redonner une chance à un film qui m'avait - il y a longtemps - passablement ennuyé, malgré les prouesses de mise en scène. Je compte sur la lecture intégrale de la chronique pour me convaincre de l'urgence de la reconsidération.
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cinephage
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par cinephage »

C'est un film que j'aime énormément. Après Kane, mon préféré de Welles... Le style y est constamment exubérant, virtuose, l'oeil ne s'ennuie jamais, et ce personnage d'Arkadin est un magnifique personnage de cinéma, qui mange la pellicule (l'histoire de la grenouille et du scorpion, que je connaissais par ailleurs, n'a jamais été contée avec autant de truculence et de brio).
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Watkinssien
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par Watkinssien »

ed a écrit :
Roy Neary a écrit : le rédacteur aux contre-plongées narratives incisives. :D
Les images adjointes à la chronique, et notamment la contre-plongée sur le château, me donneraient presque envie de redonner une chance à un film qui m'avait - il y a longtemps - passablement ennuyé, malgré les prouesses de mise en scène. Je compte sur la lecture intégrale de la chronique pour me convaincre de l'urgence de la reconsidération.
Bonne initiative, ed !

La plupart des oeuvres de Welles prennent une dimension complètement amplifiée à la seconde vision, voire à la troisième vision.

Ce Mr. Arkadin est une merveille de mise en abîme sur une des thématiques les plus récurrentes de Welles : le secret.

Très belle chronique, encore une fois ! :)
Dernière modification par Watkinssien le 28 mars 16, 20:23, modifié 1 fois.
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Sergius Karamzin II
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par Sergius Karamzin II »

Je n'ai toujours pas compris si le Opening reprend la version longue (celle voulue par Welles) à l'identique du Criterion, ou si c'est la version remontée?
Cadichon
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par Cadichon »

Je ne l'ai pas vu depuis longtemps: j'en garde un très bon souvenir surtout un film où les seconds plans avaient autant d'importance que les premiers. Un peu comme si Orson nous laissait libre de voir le film que l'on voulait.
someone1600
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Re: Mr. Arkadin / Dossier secret

Message par someone1600 »

Cet article me donne bien envie de voir ce film... disponible chez Criterion en zone 1 je crois.

J'adore le cinema de Welles. :D
Strum
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Strum »

Très bonne analyse, Phylute. Je viens de découvrir le film, et pour répondre à ta question, Sergius, le opening reprend la version remontée.

Quelques mots sur le film :

Qui suis-je ? De quoi suis-je coupable ? Ces questions courent dans les veines de l'oeuvre de Welles ; on les aperçoit aussi marchant cette fois au grand jour dans les romans inachevés de Kafka. Cette parenté secrête entre ces deux grands artistes, Arkadin la révèle une nouvelle fois. Au moment où débute le film, et cela nous ne le savons pas encore, le mystérieux Arkadin a échappé à son passé. Il n'est alors plus coupable d'exister, plus coupable d'avoir été un criminel, puisqu'il n'est plus lui-même : il s'est forgé une autre personnalité, il a bâti un empire. Pauvre répit, pauvre illusion ! Scorpion il était, scorpion il demeure lorsqu'il pique les flancs de la grenouille le transportant au travers des flots (cette fable d'Esope est citée par Welles dans le film). Dès lors, à quoi bon vivre, si c'est pour vivre prisonnier de soi-même ?

Qui suis-je ?

Quoi de mieux que l'image pour se cacher, surtout quand elle prend comme dans Mr. Arkadin la forme d'un puzzle ? Par ses multiples plans en contre-plongée, notamment sur Arkadin, Welles nous montre des personnages se rêvant plus grands qu'ils ne sont en réalité. Arkadin avance masqué (le film devait initialement s'appeler Mascarade), qu'il porte un masque au vu de tous dans les fêtes qu'il donne, ou qu'il n'en porte pas, car sa barbe elle-même et son nom sont des masques. Cette image qu'il projette au-devant de lui, Arkadin la substitue à son ancien personnage d'escroc, de même que Welles, devenu un paria en son pays, substituait volontiers l'image d'un roi américain en exil européen à la réalité d'une carrière américaine ratée (du moins selon les critères d'Hollywood). Welles aimait faire l'acteur, il aimait parler dans ses films, y incarner une voix off ou doubler des seconds rôles en post-production. Il pouvait ainsi jouer un autre personnage que lui-même.

Arkadin est aussi une somme de fragments, de fanfreluches et de souvenirs de voyages dans divers pays d'Europe. Issus du cerveau en mouvement perpétuel de Welles, ces fragments, ces décors bariolés, composent une image qui n'a pas la pureté du cinéma classique, et ne figure que très rarement sur un seul plan, en un seul tenant. C'est que Welles est entre deux mondes, un pied dans la réalité, l'autre dans le rêve, un oeil lucide et dégrisé, un autre voyageur enthousiaste toisant les univers. C'est peut-être pour cela qu'il aimait tant les films se présentant sous la forme d'une enquête, comme Mr. Arkadin. Il pouvait ainsi assembler à sa guise les images de ses visions éparses, les décrocher de son esprit où elles attendaient. Sans l'aide de Greg Toland, Welles n'est plus à même de travailler la profondeur de ses plans autant qu'il le voudrait. Mais cela sert davantage son univers, plus composite et pourtant plus cohérent que jamais : les détails et les objets de ses images ne se superposent plus en strates successives et profondes pouvant faire croire en l'existence d'univers distincts, ils se juxtaposent sur un même plan, qu'il soit vertical ou horizontal : passé et futur, vie et rêves, se nourrissent alors l'un de l'autre, puisque leur nature commune est affirmée. Ces images fragmentaires, si contradictoires en leur diversité d'objets, forment les masques d'un seul homme, Orson Welles. Car chez lui, l'homme n'est pas seulement la somme de ses actes, mais aussi la somme de ses rêves, de ses visions, de ses désirs, qu'ils prennent la forme de bals masqués, de capharnaüms sans issues ou de chateau en Espagne aperçu en contre-plongée en arrière plan (peut-être une autre reminiscence de Kafka). Enfin, au diable les faux raccords ! Car selon la méthode de travail de Welles, quand une image traverse son esprit, il faut la fixer immédiatement sur pellicule de crainte qu'elle ne disparaisse telle une comète ! De là sans doute, la raison du très long travail de montage qui suivait le tournage de ses films. Si cette fête baroque rappelle parfois les films de Von Sternberg (avec lequel Welles a une parenté stylistique certaine), c'est avec une force décuplée car on sent que chez Welles, ce monde-là est le résumé de son personnage, le seul langage qu'il sait utiliser.

Malgré certaines prouesses en ce domaine dans Citizen Kane ou La Soif du Mal, il n'est nul besoin de plans séquences dans ce dispositif de mise en scène auquel Welles recourt si naturellement et qui est la marque de son génie ; au contraire, comme dans La Dame de Shanghaï, Othello ou... Le Procès, Mr. Arkadin se distingue par un découpage très prononcé des séquences, qui défilent parfois comme des suites d'images tirés par un manège, et par une vitesse de narration qui défie l'analyse (et qui peut laisser certains spectateurs à quai), pour que le rêve et la réalité se rencontrent enfin. Le film roule alors comme un bateau pris dans le ressac, et quand les personnages sont dépassés par les évènements, quand l'enquêteur est lui-même en danger de devenir une victime prochaine, on entend résonner dans ce chaos les échos du monde absurde et sans loi tel que Kafka le concevait. Dans ce monde, l'homme tombe sans pouvoir s'accrocher, et s'il s'élève, c'est qu'il est porté momentanément par une illusion ; la chute est alors inéluctable. L'imagination chez Welles et Kafka a un caractère vertical et ce n'est pas un hasard si la plongé et la contre-plongée sont les figures stylistiques récurrentes du cinéma de Welles.

De quoi suis-je coupable ?

Des souvenirs taraudent Mr. Arkadin ; il voudrait davantage qu'une nouvelle vie, il voudrait ne plus savoir que des hommes et des femmes l'ayant connu dans sa précédente vie existent ! Il voudrait ne plus avoir à se souvenir. Et ce fou qui se souvient trop se fait passer pour amnésique ! Comme il l'appelle de ses voeux, cette amnésie ! Mais en cherchant à supprimer les fantômes de son passé, dont il confie la chasse à un escroc à la petite semaine, double raté de lui-même, Arkadin se livre pieds et mains liés à ses souvenirs en redevenant cet autre qu'il hait. "Je ne sais pas ce que je fais, je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais" (Epitre aux Romains) : ainsi fait Arkadin. Par les méthodes, par l'habitude, il redevient lui-même. Comprend-il qu'il est simplement coupable d'exister, d'être lui-même, comme les héros de Kafka ? On n'échappe pas à soi-même autrement que par l'art, en se grimant, en se déguisant d'un manteau d'images fragmentaires. On se construit alors une autre image de soi pour un public, tout en sachant qu'il s'agit là d'une illusion. Mais c'est avec joie que l'on s'y adonne.

Dans Mr. Arkadin, Welles projette cette image à sa fille de cinéma, Raina (l'actrice Paola Mori, qu'il épousera peu après le tournage du film), et son personnage se donne des allures de créature mythologique, pareil à un enfant s'étant affublé des postiches (barbe et coiffure) du Zeus de la mythologie grec. A la fin du récit, croyant que Raina a découvert son secret, Arkadin se voit soudain nu et privé de ce masque naïf.
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Il se tourne alors vers cette autre solution plus radicale et permanente pour échapper à soi-même: la mort.
Welles, lui, est déjà parti ailleurs, tourner d'autres films pour arborer d'autres masques. Ces films, il ne les achevait pas toujours, comme son alter ego Kafka là encore, car il se fatiguait vite de ses masques et de ses métamorphoses.
Dernière modification par Strum le 5 déc. 08, 10:36, modifié 9 fois.
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Watkinssien
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Watkinssien »

Très beau texte, une fois de plus, mon cher Strum !

Je rajouterais que Mr. Arkadin est un film brillamment complexe.

Mais le génie absolu de la mise en scène est tellement vivace qu'il fait oublier les massacres que les producteurs et autres distributeurs ont conçus.

Où Welles veut en venir ? Cette question amène un élément de réponse que je trouve absolument passionnant.
Le secret gardé d'un être "démiurgique". A partir de ce film, la présence de Welles devant la caméra est une volonté de mettre en scène à l'intérieur de son film la création de ses désirs, de ses rêves aussi utopique que cela puisse paraître. Que cherche Welles à part percer le secret de son identité créatrice, celle de l'artiste qui s'interroge plus sur lui-même que sur le monde qui l'entoure. Ce film est, comme tous ses films, une partie d'un puzzle qui formerait le portrait définitif de Welles l'artiste et c'est pourquoi son oeuvre demeurera inachevée.

C'est là qu'il faut chercher l'émotion et la grandeur de son oeuvre et ce Mr. Arkadin en est un brillantissime fragment, qui file à cent à l'heure, rempli de métaphores visuelles et d'inventivité, de souplesse et de dynamisme, de cadrages prodigieux et d'intelligence d'écriture.
Dernière modification par Watkinssien le 28 mars 16, 20:24, modifié 2 fois.
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par someone1600 »

Superbe texte Strum, qui me donne encore plus envie de voir ce film... :roll: :D
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Strum »

Watkinssien a écrit :Mais le génie absolu de la mise en scène est tellement vivace qu'il fait oublier les massacres que les producteurs et autres distributeurs ont conçus.
Tout à fait. C'est étonnant n'est-ce pas, cette capacité des films de Welles à survivre aux remontages imposés par les studios ? Mêmes remodelés, on les reconnait toujours. C'est à croire que sa personnalité irréductible réside dans chaque plan et que le montage ne peut pas l'altérer (ce qui prouverait que, contrairement à ce que prétend Lourcelles, Welles est très éloigné des formalistes russes). Sinon, merci à toi et someone. :)
Dernière modification par Strum le 5 nov. 08, 10:51, modifié 2 fois.
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par someone1600 »

Ce qui malheureux tout de meme c est que les studios n'appréciait jamais ses montages et se sentait toujours l'obligation de retoucher ses films. :?
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Jack Carter
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Jack Carter »

une edition FSF est sortie le 8 avril

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d'apres la jaquette, duree : 1h45 (contre 1h33 pour le Opening), cette version FSF est annoncée comme la plus complete (sans plus de precision), voila pour les completistes qui voudraient avoir differentes versions du film :wink:
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par Blue »

J'hésite entre l'édition Opening et FSF (cette dernière semble plus longue). Laquelle je dois prendre selon vous ?
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cinephage
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Re: Mr. Arkadin / Dossier Secret (Orson Welles - 1955)

Message par cinephage »

Blue a écrit :J'hésite entre l'édition Opening et FSF (cette dernière semble plus longue). Laquelle je dois prendre selon vous ?
Je crois que c'est un coup où l'édition Criterion s'impose : c'est la seule édition qui regroupe les différentes versions existantes de ce film à l'histoire malmenée... STA seulement, en revanche. Disons que c'est la meilleure façon de choisir "sa" meilleure version. Sinon, la FSF est très bien, c'est la version que j'avais découverte initialement (mais pour la qualité de l'image, je ne sais pas).
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