Erich Von Stroheim (1885-1957)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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allen john
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par allen john »

Walking down Broadway1932 /Hello sister 1933

Acte I: Walking down Broadway

Walking Down Broadway est donc le nom du film tourné par Stroheim pour la Fox en 1932. Il semble qu’il ne s’agisse pas pour lui d’un film important, mais plutôt d’une de ces marques bizarres de sa bonne volonté, effectuées afin de prouver aux studios que contrairement à la légende, il peut faire ce qu’on attend de lui (The Merry Widow) … ou d’un metteur en scène sous contrat (Walking down Broadway). En choisissant cette histoire urbaine, moderne, située à New York en pleine crise économique (Elle est citée par les personnages), Stroheim ne fait pas vraiment du « Stroheim », mais il se situe dans la ligne des comédies dramatiques de la Fox d’alors, et son film ne détonne pas énormément avec la production moyenne du studio. Il accepte même de tourner avec des jeunes acteurs sous contrat à la Fox, qu’il n’a donc pas formés : James Dunn et Minna Gombell sont en effet des jeunes pousses du studio (Ils ont notamment tous les deux tourné dans Bad Girl, de Borzage). Bots Mallory n’en est pas exactement à son coup d’essai, ayant tourné un ou deux films, mais on constate que c’est la moins expérimentée qui rafle le rôle principal. Quant à Zasu Pitts, on ne la présente plus. Elle a un rôle pivot dans l’intrigue concoctée par Erich Von Stroheim (Telle que racontée par Herman G. Weinberg, dans son Stroheim : a pictorial record of his nine films, Dover books, 1975) : Deux provinciales naïves (Mallory, Pitts) débarquent à New York ou elles peinent à se faire des amis, et grâce à l’aide d’une jeune femme installée depuis longtemps (Et qui se prostitue assez ouvertement) elles prennent confiance en elles et sortent afin de rencontrer des hommes. Lors d’une sortie sur Broadway, elles rencontrent deux hommes, joués par James Dunn (Le gentil Jimmy, délicat et timide) et Terence Ray (« Mac », entreprenant, faux-jeton et aux mains baladeuses). Celui-ci jette son dévolu sur Peggy (Mallory), la jolie fille, et Jimmy se retrouve plus ou moins contre son gré coincé avec Mille (Pitts), qui à partir de là fait une fixation sur celui auquel elle se croit liée pour l’éternité. Après une journée à Coney Island, les quatre rentrent chez les filles, ou Mac a un getse déplacé, qui provoque la colère de Peggy. Jimmy vient la consoler, et ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre, réalisant qu’ils sont faits l’un pour l’autre, ce que Millie constate très vite : elle va s’acharner sur le couple, afin de les séparer, mais sans succès. Au moment ou elle réalise qu’elle s’apprêtait à détruire un couple d’amoureux sincères et innocents, qui attendent un enfant et vont se marier, elle décide de se suicider avec le gaz, et provoque l’explosion de la maison. Jimmy, qui vient de rompre avec Peggy suite aux mensonges de Millie, accourt pour sauver sa fiancée, dont il ne sait pas qu’elle est hors de danger, et sauve Millie juste à temps pour l’amener à l’hôpital, ou elle meurt après une confession sincère.
On le voit, si le couple principal reste les gentils Jimmy et Peggy, qui ont droit à leur romance, leur poésie (ils aiment à ouvrir le vasistas, regarder dehors la tête sous les étoiles), leur destin (Ils attendent un enfant), le rôle joué par Millie est très important, et on le mesure d’autant plus que Stroheim l’a confié à Zasu Pitts. Il va même jusqu’à prendre acte que dans l’esprit du grand public, Pitts est une comédienne, qui a déjà été vue dans des courts chez Roach, mais on a sans doute oublié la Cecilia et la Trina de Stroheim, ainsi que son rôle de mère tragique dans le Lazybones de Borzage. Elle est donc au départ une fantasque excentrique (Au moment de rencontrer les garçons, elle se lance dans une diatribe enthousiaste sur les enterrements, sa passion…) , avant de jouer la vengeance et de devenir une figure tragique : Stroheim avait besoin de distance et de longueur pour faire passer la mutation. De même, là ou les films pré-code de la fox ou de la Warner auraient privilégié un début énergique, avec le plus de mouvement possible, Stroheim installe ses héroïnes à New York, afin de les doter d’une personnalité : il sait que le public aura tôt fait d’assimiler ses personnages à des prostituées si il ne prend pas le temps de montrer le contraire. Enfin, il joue sur un grand nombre de ses petites habitudes, opposant les personnages (Mac / Jimmy, ou le retour de Danilo et Mirko), reposant sur ses petits cailloux (Lorsque Millie prend congé de Peggy, elle prend bien soin d’allumer la lumière, un geste manique annonçant son suicide à la fin du film) et sur ses obsessions : le final permet à Stroheim de ressortir son alerte de pompiers de Foolish Wives. Les femmes sont peintes de façon complexe, avec leurs spécificités, de Millie la fantasque à Peggy la romantique (Oui, mais en cette période Pré-code, on peut être romantique et enceinte…) en passant par la très attachante prostituée Mona qui veille sur ses copines et qui mène moralement tout ce monde.

Acte II : Hello sister

A la fin, Stroheim peut donc donner à la Fox un film certes long (On parle de 14000 pieds, soit environ deux heures et demie), mais moderne, mouvementé, agrémenté d’ingrédients épicés, avec des personnages pas trop complexes, mais suffisamment riches pour soutenir l’intérêt. Le final cut lui est malgré tout retiré, et Stroheim se désintéresse du projet. Les raisons, encore aujourd’hui sont mal connues, il ya néanmoins deux théories : les luttes d’influence commencées à la Fox au moment de l’éviction de William Fox, considéré comme incontrôlable, et qui fait peur à l’industrie toute entière avec ses coups de poker permanents, ont laissé en la Fox un studio fragile sans vrai capitaine, et les dirigeants se succèdent, et la bagarre fait rage entre Winfield Sheehan et Sol Wurtzel. Sheehan, lors d’une période ou il contrôlait la production, a permis à Stroheim de faire son film, Wurtzel prenant le contrôle vadétruire le travail de Sheehan (et donc le film de Stroheim). La deuxième théorie repose dans le fait que c’ets un film de Stroheim, et suivant la vision de Weiberg, Eisner ou Langlois, le studio va forcément casser le film. Il me semble que c’est un peu court, d’autant que c’est la Fox qui lui a confié le film, mais c’est la version communément admise. Peut-être faut il prendre en compte la durée du film : rares sont les films de la Fox qui fassent plus de 90 minutes ; et pour la majeure partie des petits films (parce que Walking down Broadway est un petit film !) qui sortent à l’époque, on est plus près de 60 minutes que de deux heures… Le film sera coupé (et partiellement re-tourné) afin de le raccourcir d’une part, mais aussi de changer certains aspects : notamment le personnage de Millie qui va devenir moins important. Un nouveau personnage est inventé, un poivrot que personne ne prend au sérieux, et qui ramène du début à la fin du film des quantités impressionnantes de dynamite, permettant à la nouvelle version d’exempter Millie de son destin tragique. C’est désormais Peggy qui risque sa vie dans l’immeuble en flammes et c’est Millie qui dit la vérité à Jimmy, lui permettant d’arriver à temps et de sauver sa fiancée. Les deux amants se pardonneront sur les toits, près des étoiles, au lieu de finir le film à l’hôpital au chevet de leur amie. Le rôle de Mac prend du même coup plus d’envergure, puisqu’il devient le principal responsable de la brouille entre les deux amoureux. Il n’a aucune envergure, et dans la version exploitée, il est difficile de le prendre au sérieux. Le début du film est aussi coupé, on commence dès l'introduction par la fameuse marche dans Broadway après une courte introduction du personnage de poivrot fatal...

Pourtant, un grand nombre de touches Stroheimiennes demeurent, et l’une des plus spectaculaires reste la tentative de viol dans un placard (C’est Mac qui brutalise Peggy), qui débouche sur une confrontation violente entre Mona et Mac, la prostituée volant allègrement au secours de son amie. La prostitution, justement, est traitée avec une franchise, sans que la morale bourgeoise trouve son compte ; ce n’est pas Stroheim seul qui veut ça, il suffit de voir les films que la Warner concoctait à l’époque ; mais c’est la preuve qu’une cohabitation est possible dans le système Hollywoodien des années 1930/1934 entre Stroheim, ses producteurs et le public. Le metteur en scène n’est pas venu les mains vides, et a construit son film en y intégrant ses thèmes favoris : c’est de nouveau d’une histoire de femmes qu’il s’agit, je pense l’avoir prouvé ; sinon, la peinture de l’Amérique moderne se double d’un intérêt pour les gens les plus modestes, qui nous rappelle que Stroheim verra toujours les Just plain Danilo Petrovitch derrière toutes le altesses sérénissimes : il n’y a pas de richesse ni de réussite phénoménale dans ce New York qui nous est montré. Les décors de la version actuelle, largement retournée, ne brillent pas par leur véracité ou l’abondance de détails chers à Stroheim, mais la pluie lors de la rupture, l’épreuve du feu à laquelle est soumis Jimmy, ou encore les touches festives à l’approche de noël qui sont disséminées dans le décor New Yorkais, nous renvoient droit à l’univers du symboliste qu’était le metteur en scène.

Pour finir, le titre qui avait été choisi par Stroheim fait écho à la première séquence durant laquelle Mona suggère à ses deux copines de marcher sur Broadway, elles seront sures de trouver des hommes, ce qui enfonce le clou quant à l’identité de la prostituée, mais qui montre l’importance de situer l’histoire en un lieu suffisamment chargé en sens (Les paillettes, mais aussi la vie fourmillante de la grande ville). Le titre finalement choisi pour la version finale renvoie à une phrase prononcée par Mac au retour de Coney Island lorsqu’il aperçoit Mona. D’une part, c’est une phrase courante du parler familier, d’autre part, c’est une allusion du titre au personnage de prostituée, ce qui tend à prouver que décidément ce n’est pas toujours Stroheim qui a mis en valeur le graveleux dans ses films, et que ce n'est sans doute pas pour des raisons morales que son oeuvre a été mutilée, massacrée, anéantie.
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Silenttimo »

Petit up de ce sujet...

Une rétrospective von Stroheim n'était-elle pas prévu au 1er semestre 2009 par la cinémathèque française ?

J'avais lu cela il y a quelques mois, et puis j'ai beau chercher, je ne trouve rien !!!

Et j'attend avec une telle gourmandise de revoir sur grand écran "les rapaces" (pour la 5e fois), "Queen Kelly" ou "la symphonie nuptiale" ... je ne m'en lasse pas.

D'autant que j'en ai parlé à pas mal d'amis qui rêvent de découvrir Stroheim !

Je croise les doigts.
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Ann Harding »

Non c'est au musée d'Orsay. Il faut vérifier mais je crois que c'est prévu pour février. :wink:
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Silenttimo »

Ann Harding a écrit :Non c'est au musée d'Orsay. Il faut vérifier mais je crois que c'est prévu pour février. :wink:
Merci beaucoup !

Je savais que je n'étais pas devenu sénile...

Excellente nouvelle, j'aime bien l'auditorium d'Orsay et (contrairement à la cinémathèque) je n'y ai jamais vu de muet non-accompagné musicalement !
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Ann Harding »

Silenttimo a écrit :
Ann Harding a écrit :Non c'est au musée d'Orsay. Il faut vérifier mais je crois que c'est prévu pour février. :wink:
Merci beaucoup !

Je savais que je n'étais pas devenu sénile...

Excellente nouvelle, j'aime bien l'auditorium d'Orsay et (contrairement à la cinémathèque) je n'y ai jamais vu de muet non-accompagné musicalement !
Effectivement il y a tjs de la musique mais c'est parfois...comment dire...pas très bon... :? Genre électro-acoustique planant ou pianiste cinglé qui délire.
Mais si tu vois le nom de Karol Beffa ou Jean-Pierre Bret comme pianiste tout va bien. 8) A fuir: Patrick Scheyder!!! :x :x
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Silenttimo »

Merci.
je viens de vérifier : c'est du 13 au 29 mars.

J'avais vu à Orsay des accompagnements moyens (Rodolphe Burger, pas idéal pour le film, un Browning je crois) et des trucs très chouettes. Mais il y a toujours de la musique (je reste sur mon souvenir de 1er muet sans accompagnement au Palais de Tokyo vers 93 : "la passion de Jeanne d'Arc" était du coup encore plus lugubre... et on entendait les gens se moucher, même discrètement).

Mes trois meilleurs souvenirs :
- "Metropolis" au NFT de Londres en 1992,
- "Les rapaces" (déjà) en clôture du plein-air à la Villette (vers 2000),
- "Tempêtes sur l'Asie" au Louvre il y a 5 ou 6 ans.

Certains films d'ailleurs, de par leur rythme, sont même très plaisants sans musique : j'ai vu deux fois "Bessie à Broadway", et il est tellement enlevé que je l'ai préféré sans musique (la 1ère fois) à la Cinémathèque qu'avec musique au Max Linder !
J'avais discuté avec le pianiste qui m'avait dit avoir eu énormément de difficultés avec ce film (il avait accompagné "la symphonie nuptiale" 2-3 jours avant ou après) car il ne voulait pas donner un rythme redondant à l'image, et le rythme visuel était tel qu'il n'avait pas réussi à trouver le sien...
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par someone1600 »

Encore une retrospective que j'adorerais voir mais dont je vais devoir me passer encore une fois... :(
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Ann Harding »

Tous les détails sur la rétro Stroheim à Orsay:
Cliquez ICI
Nestor Almendros
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Nestor Almendros »

HELLO SISTER (1933)

C'est le premier Von Stroheim que je vois. C'est dommage, je ne commence pas par le meilleur, ou plutôt: pas par du pur Stroheim puisque la version présentée par Brion (que je viens de voir) est une oeuvre hybride complètement refaite sans son auteur. Et cela se sent à plusieurs reprises.

Le film est un curieux objet, un surprenant mélange de légèreté et de noirceur. Ainsi la trame principale est une histoire romantique très fleur bleue, très simple voire très simpliste, qui a visiblement été rajoutée pour donner un liant "tout public". Pourtant, sans être novatrice, cette partie amoureuse n'est pas désagréable. Malgré des situations clichesques et des dialogues convenus au possible il se dégage un certain charme qui n'est pas étranger à celui de la jeune héroine Boots Mallory.

Et au milieu de tout ça, on peut croiser régulièrement des éléments plus noirs, glauques, moralement plus douteux. Il y a évidemment l'ami voyou, ce Mac qui porte bien son nom et qui est tout de suite présenté sous son vrai jour. Au milieu de l'histoire "conte de fées", l'apparition de ce mauvais personnage réussit à rendre mal à l'aise non seulement par crainte d'éclabousser le héros (chevalier blanc) mais aussi parce que l'acteur a quelques chose de pas net. Physiquement il a une vraie sale gueule et son personnage, au-delà du méchant lambda, est vraiment mauvais. Il n'hésite pas, d'ailleurs, à s'en prendre aux femmes.

Il y a aussi une approche moins lisse de la sexualité dans ce film. D'abord l'héroine et son amie qui vont draguer les hommes, ce qui est plutôt inhabituel (on n'est pas surpris de voir, par contre, le héros et Mac essayer de séduire les deux jeunes filles). Il y a aussi Mona, la voisine de l'héroine, probable prostituée et fille visiblement facile à avoir (qui succombe en quelques minutes à Mac et à ses diamants de pacotille).

La scène qui clôt la première partie, de loin la plus intéressante, est celle où Mac tentant de violer Peggy dans sa chambre est pris à partie par Mona. S'en suivra une bagarre très physique (les baffes ne sont pas simulées) jusque dans les escaliers. Scène étonnante par sa violence (une femme se bat contre un homme), son réalisme, et sa durée (on frôle la minute). Probable vestige de la version initiale de Stroheim...

Au final, pas déçu du voyage (c'était intérressant, dirons-nous) mais je n'ai pas encore découvert Stroheim...
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par allen john »

allen john a écrit : BLIND HUSBANDS(1919)8 bobines
Le premier film de Stroheim est celui-ci qui est aujourd'hui le plus intact. Non qu'il n'y ait pas eu la moindre dissension entre l'auteur-acteur-réalisateur et la Universal, mais les concessions de l'un et de l'autre ont permis une atmosphère de travail qui a bénéficié au film, et sa sortie s'est accompagnée d'un grand succès.
Disponible en Z1(Kino), en Z2(MK2, Edition Filmmuseum, Bach). BH est, aujourd'hui, le seul film conforme à la vision de Stroheim qui subsiste.
J'ai acheté l'édition filmmuseum de Blind husbands, et il y a des surprises. D'une part, il ne s'agit pas d'un montage effectué d'après un négatif d'exportation, mais d'une version dont les images sont de la même provenance que l'autre. Par ailleurs, il n'y a ici aucune scène supplémentaire, hélas, mais des plans, des champs-contrechamps, des broutilles, des séquences différentes (Des plans insérés différemment, permettant un montage parallèle entre une scène d'ascension et une autre de séduction, un type de comparaison pas spécialement éloigné du style de Stroheim, voir à ce sujet la séquence du chat dans Greed). Cette copie Autrichienne date d'avant la copie abrégée de la ressortie Américaine (En 1924), dont Kino a tiré son DVD. Il y a fort à parier qu'elle se rapproche d'autant plus de la version montée par Stroheim. Comme quoi j'avais (Décidément) tort: Blind Husbands n'est finalement sans doute pas, aujourd'hui, et à la lumière de cette version alternative,
allen john a écrit :le seul film conforme à la vision de Stroheim qui subsiste
puisque aucune des deux copies, que ce soit la version Américaine ou l'Autrichienne, ne contient les 8 bobines de la version sortie en 1920...

:evil: on n'en sortira jamais...
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par allen john »

C'est encore moi. :mrgreen:

Il est bien sympa, ce topic, mais il y manque quelque chose:

STROHEIM AVANT BLIND HUSBANDS

Stroheim, né en Autriche en 1885, et immigré aux Etats-Unis en 1906 ou 1909, est venu au cinéma en 1915. C’est un peu tardif, mais après tout son maître à penser (Du moins le reconnaissait-il officiellement comme tel…) Griffith a débuté sa carrière en 1907, à l’âge de 32 ans. A cette époque, le cinéma ne s’enseigne pas, il se vit ; Stroheim deviendra rapidement un homme de confiance pour Griffith, par le seul moyen qu’il connaissait possible : l’occupation systématique du terrain : il joue des coudes pour se voir confier les cascades les plus spectaculaires et les rôles de figurant les plus divers, réussissant finalement à s’imposer au metteur en scène par son apparente connaissance de la chose militaire: pour le film Hearts of the World, situé en Europe en pleine Première guerre mondiale, Griffith s’en remet à Stroheim pour régler tous les détails des uniformes et les détails en rapport avec l’armée Germano-Austro-Hongroise. Aujourd’hui, on en sait plus; s’il a sans doute été militaire, Erich von Stroheim, qui prétendait s'appeler Erich Oswald Hans Carl Marie Stroheim von Nordenwall et se disait fils d’officier, et suivant les contes tous plus délirants les uns que les autres qu’il a été amené à raconter, a également prétendu que sa mère avait été proche de l’impératrice. Certaines biographies délirantes parues dans les années 20 faisaient état d’un statut de dame de compagnie, d’autres en faisaient une cousine… Mais le Von était fictif : Erich Maria Stroheim était le fils d'un chapelier, et sa maman, une Juive modeste, n’avait pas du tout ses entrées au palais… Le reste de cette biographie, construite en particulier par Denis Marion dont l’aboutissement des recherches dans ce domaine a fait tomber bien des certitudes dans les années 60, laisse toujours un certain nombre de questions en suspens: on ne sait pas pourquoi exactement Stroheim arrive en 1909 (ou trois ans plus tôt ?) aux Etats-Unis; tout au plus sait-on qu’il y aurait eu un scandale. Il a toujours prétendu qu’il avait eu maille à partir avec les autorités militaires suite à un scandale impliquant une dame de la haute société, mais le fait n’a laissé aucune trace.

On l’aura compris, ce fabulateur virtuose a su s’envelopper d’une telle aura de mystère, qu’il ne pouvait que croiser le cinéma. Ce sera plus une opportunité qu’une vocation pourtant… C’est en 1913 qu’il apparait à Hollywood, d’abord comme conseiller technique, puis comme membre de l’équipe de Griffith, dont l’essentiel de l’œuvre a été pour l’heure tournée dans l’Est (A Fort Lee, new Jersey ou dans l’état de New York). Attiré par les conditions météorologiques plus clémentes de la Californie du Sud, Griffith va se lancer d’ici peu dans une œuvre épique qui traitera de la guerre de sécession. :twisted:

S’il est malaisé de détecter la présence de Stroheim dans The birth of a nation, tout au plus sait-on qu’il y est un cascadeur, une impressionnante chute d’un toit ayant été authentifiée comme sa contribution par un certain nombre de témoins (Il vaut sans doute mieux être prudent et ne pas se contenter de ce qu’il en a dit lui-même!) ; En revanche, sa participation à Intolerance, tourné en 1915 et 1916, est plus facile à voir : dans son autobiographie, Lillian Gish a raconté les premières fois qu’elle a vu l’acteur : « Alors que le tournage d’Intolerance avançait, je remarquai un homme d’assez petite taille, au visage impassible et avec un monocle, qui jouait un pharisien dans l’épisode Biblique. M. Griffith nous signala qu’il avait été figurant sur Birth of a nation. » Elle raconte ensuite comment son allure faisait peur à toutes les femmes de la production, jusqu’au jour ou Stroheim fondit en larmes lorsqu’un rôle qu’il convoitait fut donné par Griffith à un autre acteur… Elle signale également, sans dater ni donner de chronologie stricte, que Stroheim fut bien l’un des assistants réalisateurs de Griffith. On sait que si les assistants furent très nombreux sur Naissance d’une nation, certains d’entre eux n’y ont travaillé à ce poste que quelques jours : Raoul Walsh, passé par l’école Griffithienne au même moment, a bien expliqué qu’il s’agissait pour Griffith de trouver l’homme capable d’assumer une tache précise, un jour donné. Sur Intolerance et Hearts of the world en revanche la présence de Stroheim est plus permanente, le talent de l’acteur a coller au plus près des desiderata de on metteur en scène d’une part, et son intelligence en matière de chose militaire (Quelle qu’en ait été la source… ) ayant fait mouche. Il aura également, comme on l’a déjà dit, un rôle important sur la vraisemblance des uniformes dans Hearts of the world. Néanmoins, sa place d'assistant/homme à tout faire chez Griffith sera plutôt confinée aux productions plus secondaires des John Emerson et Christy Cabanne, dont les films sont "supervisés, ce que je traduirais volonters par "produits" par Griffith. Les seuls Griffith auxquels il a collaboré sont Birth of a nation, Intolerance et Hearts of the world.

A partir de là, l’histoire de Stroheim est moins dominée par la légende. On sait que le rôle d’officier fourbe et violeur interprété par George Siegmann dans le dernier film cité de Griffith sera repris à son compte par l’acteur dans un certain nombre de films à vocation anti-Germanique: il joue le Lieutenant Kurt von Schnieditz dans The unbeliever (1918), de Alan Crosland, un Von Bickel dans The hun within (1918) de Chester Whitney, Eric von Eberhard dans The hearts of humanity (1919) de Allen Holubar (Le fameux film dans lequel on le voit jeter un bébé par une fenêtre avant de s'occuper de la mère..). Inévitablement, la fin de la guerre sera pour Stroheim une menace, la perspective de retourner à la figuration, ou de redevenir assistant étant dans les circonstances une régression. C’est donc dans ce contexte qu’il devient metteur en scène, en manoeuvrant auprès de Carl Laemmle, le président de la Universal (A cette époque, un studio assez modeste) pour tourner son premier film, Blind Husbands, qui sera un succès...
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par Major Dundee »

allen john a écrit :C'est encore moi. :mrgreen:
Si c'est pour raconter des choses aussi passionantes, reviens quand tu veux 8)
Charles Boyer (faisant la cour) à Michèle Morgan dans Maxime.

- Ah, si j'avais trente ans de moins !
- J'aurais cinq ans... Ce serait du joli !


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Re: Erich Von Stroheim

Message par allen john »

THE WEDDING MARCH (1928)
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allen john a écrit : Une fois de plus, Stroheim est libre après La Veuve Joyeuse. C’est donc le moment pour lui de tenter à nouveau l’aventure de l’indépendance: il contacte en 1926 Pat Powers, un entrepreneur-producteur passionné d’animation, qui s’est lancé dans un partenariat avec Disney, et qui tente alors d’imposer une système de synchronisation sur disque (Steamboat Willie, de Disney et Ub Iwerks, c’est le procédé Photophone de Powers.) concurrent du Vitaphone de la WB. L’affaire dans laquelle se lance Stroheim ressmble tellement à ce qui s’est passé avec Greed que le réalisateur aurait du se méfier de la suite des évènements, mais si Stroheim consultait régulièrement une voyante, il ne semblait pas être très réaliste quant à la tournure que prenaient les choses dans le Hollywood de la fin de la décennie.
L’accord avec Powers portait sur un film dont Stroheim entendait bien garder le final cut : The Wedding March revient 4 ans en arrière, avec des ingrédients et des figures mélodramatiques tirées de The Merry-go-round, à la différence près que cette fois Stroheim s’est imposé dans le rôle principal. Fidèle à son credo de privilégier un jeu naturaliste, il découvre une jeune aspirante artiste, Fay Wray, dont il décide de faire son actrice principale.
Bien lui en prendra : celle-ci est excellente, et s’entendra à merveille avec sa co-star et réalisateur : dans l’introduction filmée par kevin Brownlow pour la présentation sur Channel 4, Fay Wray cache mal son émotion liée à ses souvenirs d’un tournage durant lequel Stroheim a constamment loué son professionalisme et ses capacités. De plus, l’entente entre les deux comédiens, leur complicité, est plus que palpable dans leurs scènes communes.
allen john a écrit : pour le reste, il se sert de sa stock-company : Dale Fuller et Cesare Gravina, Maude George, Zasu Pitts ou encore Matthew Betz (Aperçu en policier à la fin de Foolish Wives) vont être les interprètes du film.
…on peut ajouter à cette liste le fort rondouillard Hughie Mack, déjà vu dans Greed.
L’intrigue du film (Dédié par Stroheim « aux amoureux du monde entier » !) est proche de The Merry-go-round, disais-je, et pour commencer, le film se situe à Vienne en 1914, et confronte deux mondes qui ne devraient pas se rencontrer : le monde de l’aristocratie, incarné par la famille princière des Von Wildeliebe-Rauffenburg : le père (George Fawcett), la mère (Maude George) et leur fils Nickolas (Nicki Von Stroheim), et de l’autre coté, le monde du peuple, incarné par Mitzi (Fay Wray), une jeune femme qui joue de la harpe dans un restaurant, ses parents (Dale Fuller et Cesare Gravina), et Schani, le boucher (Mathew Betz), dont le père(Hughie Mack) voit d’un assez bon œil l’intention de Schani d’épouser Mitzi, voire plus. Mitzi et Nicki se rencontrent, s’aiment, consomment leur amour, mais les parents de Nicki, dans une situation financière désespérée, arrangent son mariage avec Cecelia Schweisser(Zasu Pitts), une plus toute jeune héritière dont le père désespère de jamais la marier : elle est boîteuse, et un peu fantasque, pour ne pas dire idiote.

Stroheim fait de tout cela un conte de fées pour adultes, rarement réaliste, souvent paroxystique, mais dont les 20 premières minutes posent bien le système de jeu de comparaison favorisé par stroheim dans touis ses films : après quelques intertitres d’exposition, aux prétentions littéraires, puis des vues de Vienne, on assiste, le jour d’une importante procession à laquelle ils doivent participer, au lever de chacun des trois Wildeliebe-Rauffenburg : les parents sont réveillés, elle par une bonne, lui par un valet, mais ont en commun de dormir avec des protection en caoutchouc pour ne pas abimer la coiffure de madame et la moustache de monsieur. Sitôt levés, l’un et l’autre s’agressent volontiers, dans une routine manifestement quotidienne. Premier contraste : s’il est effectivement levé par son valet (Ou une ordonnance, l’homme est en uniforme, et le Prince est une soldat), Nicki reçoit tout de suite la visite d’une bonne, qui lui reproche la présence d’un bas de femme dans ses affaires. Ils se chamaillent… La complicité entre Nicki et la bonne ne fait aucun doute, mais contrairement à Karamzin et sa bonne, l’homme semble ici avoir une tendresse réelle pour la jeune femme. Le Stroheim nouveau est arrivé ! Après cette scène, une courte confrontation entre Nicki et chacun de ses deux parents, séparément, permet d’établir assez efficacement, mais par le recours à un dialogue de titres, de nombreux points de l’intrigue : le coté papillon de nuit de Nicki qui demande de l’argent, le mépris dans lequel le père tient son fils, lui suggérant le suicide pour ses sortir des ennuis, puis avouant son manque d’argent ; père et mère lui conseillent également de faire un mariage d’intérêt.

Avec la deuxième bobine, on passe à la procession proprement dite : celle-ci va aussi apporter son lot d’informations : on y rezncontre Mitzi, Schani et leur familles, venus assister à la procession : le montage isole chacun des protagonistes, nous permettant de cerner la personnalité, le rôle de chacun dans l’intrigue à venir, mais aussi les positions respectives de chacun vis-à-vis de la possibilité d’une union entre Schani et Mitzi : la mère de Mitzi pousse dans la direction du rapprochement, son père est (mollement) contre, et le père de Schani a une confiance aveugle en son fils, qui lui-même considère la chose comme acquise ; Mitzi, on le voit tout de suite, freine tant qu’elle peut, d’ailleurs, un jeune officier à cheval a capté son attention… Le dialogue muet entre Stroheim et Fay Wray commence ici, et c’est en gestes, regards (Mitzi regarde son bel officier des pieds à la tête, dans une inversion des rôles assez inattendue) que l’histoire d’amour entre ces deux là se scelle.
allen john a écrit : Comme d’habitude, le tournage sera un festival d’extravagances en tout genre, sauf que cette fois-ci cela sera sans heurt notable entre le metteur en scène et la production ; l’anecdote est célèbre, on peut la rappeler: désireux d’obtenir des séquences d’orgie réalistes, Stroheim fait venir des dames de petite vertu, alimente le plateau en boissons de contrebande et organise une partie fine géante sous le regard des caméras, en prenant bien soin de respecter au mieux les bonnes mœurs lors du montage.
…Il obtiendra ainsi une séquence qui occupe une grande part d’une bobine, alternée avec une autre séquence décisive, lors de laquelle Nicki et Mitzi vont (Hors champ), faire l’amour. Le parallèle entre l’évidence du stupre dans le bordel et la délicatesse des larmes de Fay Wray à l’issue de cette rencontre charnelle est l’une des touches puissantes de ce film.
allen john a écrit :
Au terme du tournage, le cinéaste monte une version de travail gargantuesque, alors que Powers entre en négociations avec la Paramount en vue d’un arrangement de distribution. A ce moment, Stroheim aurait du voir les nuages noirs s’amonceler dans le ciel…
En 1928, Paramount sort The Wedding March. Afin de sortir les quatre heures de film souhaitées par Stroheim, il sortira sous la forme d’un diptyque, en deux sorties différentes. La première moitié, dont le montage aurait été assuré par Stroheim ET Sternberg, totalise 110 minutes, et est présentée avec des disques Photophone synchronisés. En plus du son synchrone, Stroheim continue ses expérimentations avec Technicolor.
Mais l’unique scène qui en bénéficie a une fonction principalement décorative, montrant la procession à la fin de la deuxième bobine, après la rencontre entre les deux amants. Elle permet au moins de relever symboliquement le coté sacré pour Nicki de sa rencontre avec Mitzi. On peut le lire comme cela, mais on peut aussi penser qu’il s’agit pour Stroheim de nourrir son obsession frustrée pour le décorum.
allen john a écrit : Ainsi, l’accord a finalement été trouvé, et cette première moitié est conforme aux volontés du metteur en scène, qui pendant la sortie s’attelle au montage de la deuxième partie… qui lui sera retirée des mains devant les résultats plus que mitigés du film. Sternberg aurait supervisé le montage de la seconde, que les commentateurs ont jugée expéditive et confuse, et qui a été lancée par Paramount comme un nouveau film, The Honeymoon, afin d’attirer les spectateurs qui n’auraient pas vu la première… Deux bobines au début du film résumaient les 14 de la première partie. Mais Stroheim, toujours intransigeant (On se met à sa place), a refusé que le film soit projeté aux Etats-Unis.
La deuxième partie fait aujourd’hui partie des films perdus, même si il existerait des fragments en 16mm.
On peut toujours se consoler en regardant la première partie, qui est sans doute le plus Stroheimien des montages disponibles des films de Stroheim. La cohérence de l’ensemble ne souffre finalement que des questions irrésolues, ces petits riens ou petits cailloux qui trouvaient à n’en pas douter un écho dans la deuxième partie…
allen john a écrit :On peut dire qu’avec l’affaire The Wedding March, le divorce entre Stroheim et les producteurs est consommé; plus un seul film ne sortira sous son nom aux Etats-Unis désormais. Ce qui est plus grave, c’est que le public, désormais, ne lui est plus acquis. le glas de sa carrière approche donc…
Voilà, maintenant que je l'ai vu, ce que je peux dire de prime abord sur ce film. J'y reviendrai afin de confronter les thèmes déja évoqués, et d'essayer (Ce qui ne sera pas trop difficile :mrgreen: ) d'intégrer The Wedding March à cette réflexion. avant de lacher le crachoir, je me permettrai de dire que si je comprend que des légions de fanatiques se soient battus pour déterminer lequel des films était le meilleur, entre Greed et celui-ci, j'ai, pour ma part, choisi mon camp. Greed est le plus beau des films de son auteur. :D

A suivre, en attendant.
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par allen john »

THE WEDDING MARCH: suite et fin

Ce grand film, dont Stroheim a bien cru que cette fois-ci on le laisserait faire, avant que la deuxième partie tourne à la débâcle, nous permet au moins de voir le montage « à la Stroheim » sous un jour à peu près authentique ; « a peu près », dis-je, car des faits troublants relatés par Lotte Eisner au sujet de la redécouverte par Stroheim de son film dans les années 50 jettetnt le doute, non seulement sur la paternité du montage de The wedding March (la première partie du dyptique) mais aussi sur Stroheim lui-même et sa façon de gérer ses souvenirs. Néanmoins, ces 109 minutes portent sa marque, depuis l’exposition extrêmement fluide dans laquelle tout fait sens, depuis le réveil jusqu’au claquement des bottes du fils face à son père, depuis la vision de la grimaçante Dale Fuller qui reluque son gendre potentiel d’un œil salace jusqu’au regard direct et mutin de Fay Wray. Du coup, cette exposition se déroule durant 20 bonnes minutes, mais elle est fascinante. Pour le reste, le film ne faillit pas à la tradition, utilisant avec maestria le montage alterné, favorisant le fondu enchainé (Comme plus tard dans Queen Kelly) afin de lier les actions au sein d’une même séquence(ou peut-être afin d’empêcher le remontage ?) ; les séquences lyriques trouvent écho dans les séquences sordides, tout comme les personnages résonnent tous plus ou moins : Nicki arrivant dans l’univers de Mitzi remarque bien les cochons qui s’ébattent, le coté populaire du lieu, mais il se garde d’en dire quoi que ce soit, afin de ne pas froisser Mitzi. Schani, rejoignant Mitzi sous les pommiers afin de la tirer de sa rêverie, ne remarque pas les cochons, et son pas brutal les fait fuir. En deux séquences, deux caractères que tout oppose, si ce n’est que l’un et l’autre sont amoureux de la même femme. Un autre aspect qui éclate au grand jour dans ce montage, c’est le respect de Stroheim pour son spectateur : on sait que le metteur en scène a le goût du détail authentique, et aime à peupler ses décors de fourmillement d’objets, d’artefacts et d’inscriptions censés donner une apparence de vie aussi tangible et crédible que possible. En 1927/28, c’ets une norme dans ce genre de film, d’ailleurs largement sous l’influence de Stroheim, mais aussi de Lubitsch ou des grands drames de prestige de la MGM. Mais ces derniers exemples (Flesh and the devil, par exemple) sont tous plus factices que le film de Stroheim, de par la volonté de ce dernier de ne rien traduire, de laisser le décor conter sa propre histoire : tout ce qu’on peut lire dans ce film en tant que publicités, enseignes, etc, est en Allemand, à l’exception d’un entrefilet de journal à la fin. Si j’insiste sur ce détail, ce n’est pas pour admettre que j’ai cru un seul instant qu’il avait été tourné à Vienne, mais c’est parce que le film apparait dans toute la splendeur éclatante, tel que l’a voulu Stroheim. Pour lui, ces détails sont importants, mais n’importe quel exécutif qui aurait mis le nez dans son film aurait certainement arrondi les angles.

CONFLIT DE CLASSES
Voici un thème, que j’ai laissé de coté lors de mes posts au sujet de Stroheim il y a un an, et qui mérite d’être évoqué en particulier avec ce film. Pourtant, il y a plus à glaner chez le Griffith d’Intolerance que chez Stroheim à ce sujet. Toutefois, l'élève est plus consistant, bref, moins contradictoire que le maître: il a constamment représenté la bourgeoisie, et même, voire surtout l’aristocratie, accompagnée de domestiques, et les uns se satisfont finalement des autres. Non qu’il n’y ait pas antagonisme, au contraire : Foolish Wives, The Merry Widow en sont la preuve. Mais cet antagonisme est généralement ressort dramatique, plus que préoccupation sociale. Et ici, de préoccupation sociale, il n’y a point ; si Schani s’indigne des privilèges de l’aristocratie, c’est bien parce qu’il a vu un galonné qui veut lui piquer sa fiancée, et qu’en plus celle-ci en redemande. D’ailleurs, Schani est autant un politicien que Marcus dans Greed: c’est un aboyeur, il ne faut certainement pas le prendre au sérieux… Ce qui est plus intéressant chez Stroheim, c’est de constater que de temps en temps, ces deux mondes qui se cotoient s’interpénètrent (Sans aucune prétention de caractère sexuel, quoique) par le biais de rencontres, de coucheries (Karamzin et la bonne), de coups de foudre aussi (Danilo et Sally, Patricia et Wolfram, et ici Nicki et Mitzi). Mais si les personnages des films des années 20 aspirent au bonheur et à s’élever, qu’ils y parviennent (Harold Lloyd) ou non (Beggars of life ou encore The Crowd), chez Stroheim les pauvres aspirent à vivre heureux en se contentant de peu, et certains riches tentent de s’abaisser, tels Wolfram prêt à renoncer à tous ses privilèges, ou Nicki prêt à tout accepter de Mitzi puisqu’elle est tout ce dont il a besoin. Mais soyons réalistes… C’est ce que fait le film à la fin de sa première partie, et donc à la fin de ce qu’il en reste : il retombe sur terre. Stroheim constate qu’il y a des classes différentes (La preuve, le peuple n’est pas admis à suivre la cérémonie dans l’église, et doit attendre à l’extérieur), mais il constate aussi qu’elles cohabitent tellemnt peu qu’il n y a pas grand-chose à faire…

ALIENATION FAMILIALE
Un autre thème important qui prend tout son sens avec The wedding march, c’est la peinture de la famille comme un champ de ruines, présent ici non seulement à la vision des réveils successifs de la famille Wildeliebe-Rauffenburg, savoureuse scène dont les photos souvent publiées rendent bien le mélange de dégoût et d’humour qui s’en dégage, mais présent aussi dans le point d’honneur mis par Stroheim a détacher les protagonistes plus populaires de son drame, lesquels ne s’écoutent pas, ou se respectent encore moins, à part Mitzi et son père. Comme le dit la princesse von Wildeliebe-Rauffenburg, l’amour est une chose, le mariage en est une autre. On serappelle ici de la reine de The Merry Widow, mais aussi de Trina dans Greed prète à couper les ponts avec sa mère si celle-ci ose lui réclamer de l’argent… Faut-il rappeler que Stroheim a fui son Autriche natale et a ensuite passé une vie entière à dissimuler ses origines ?

MELO
Je l’ai déjà dit à la lecture seule du scénario, mais bien sur ce film est un grand mélodrame, dont l’utilisation du gros plan permet au final d’atteindre au sublime de la tragédie, du moins dans l’esprit de son créateur. Le manque de succès du film tend à prouver que le public de 1928 ne voulait pas forcément abonder dans ce sens.

DUALITE
Bien sur, The wedding march ne fait pas exception à la règle, groupant les personnages par deux afin d’explorer toutes les facettes de l’humain. Ici, mes couples sont : Nicki/Schani, j’en ai déjà parlé), mais aussi Mitzi et Cecelia. Cette dernière, plus Zasu Pitts que jamais, est un curieux personnage, « sauvé » par Stroheim (D’autant qu’elle se sacrifie dans la deuxième partie perdue), parce qu’ incurablement romantique. Elle est boiteuse, mais Mitzi aussi puisqu’elle a un accident au début du film. Seulement chez elle c’est temporaire. Mais Cecelia ne parvient jamais à extirper son infirmité de son esprit. Sinon, toutes deux aiment les pommiers en fleurs…

LES FEMMES, LES HOMMES
Si Nicki poursuit le raffinement de son personnage pour Stroheim après les « princes par procuration » qu’étaient Norman Kerr et John Gilbert, il est d’autant plus intéressant qu’il est interprété par Stroheim lui-même. Coureur, mais tendre, flambeur, mais foncièrement doux, le personnage est attendrissant, mais aurait sans doute bénéficié d’être vu à travers les quatre heures du film. Mitzi est beaucoup plus « complète » que lui. Si elle est à la base la mêlme personne que l’héroïne de The merry-go-round, Fay wray interprète une jeune femme plus solide et beaucoup plus attachante : Mitzi sait ce qu’elle veut, et elle agit en conséquence. Stroheim a su, au travers des tournages de Greed et the merry widow, s’attacher à la création de figues féminines plus complexes, et ce film en bénéficie largement.

LE MENSONGE
On ment peu dans ce film, on ne dissimule pas ses sentiments non plus. Le pire des mensonges est sans doute le mariage de Nicki et Cecelia, cette dernière finissant persuadée que son mari l’a épousée par amour. Mais le principal menteur, c’est toujours Stroheim, qui se présente devant nous en officier Viennois plus vrai que nature, fidèle à sa légende totalement bidonnée.

LA NATURE, LES ELEMENTS
Si le feu est absent de ce film, les dix dernières minutes (Autour du mariage) sont marquées par l’arrivée de la pluie, ue pluie extrème , surnaturelle, qui redouble au moment de voir Mitzi confrontée à Nicki sortant de l’église avec Cecelia à son bras. Une fois de plus, la pluie joue son rôle de surlignage grinçant de l’horreur d’une situation, des sentiments exacerbés, et une fois de plus, la pluie souligne ce qu’il peut y a voir de déréglé dans l’humain.

EROS
On n’est pas prude dans The Wedding march, et bien sur toutes les figures imposées sont au rendez-vous, moins diluées que d’habitude : Nicki vit ses amours nombreuses (Conquêtes, prostituées, Mitzi, bonne) au grand jour, et Mitzi elle-même le sait. Celle-ci fait un petit signe de tête réprobateur à son Roméo (il est à sa fenêtre) lorsque venu la chercher en pleine nuit, il fixe avec insistance le lit au fond de la pièce, mais elle va coucher avec lui sous les pommiers : au moins ne réveillera-t-elle pas ses parents. Schani aime Mitzi, la preuve, il essaie de la violer. Quand au mariage, il sera conclu entre les deux pères (Saouls, la vieillesse est un naufrage) lors d’une séance mémorable de papy-sitting orchestrée par des dizaines de participants éméchés d’une orgie hollywoodienne qui renvoie Cecil B. DeMille à sa Bible.
Le sexe est partout, et si dans le cas de Nicki et Mitzi il sait rester sain, on voit que la perversion, rigolote ou maléfique, est bien présente. Il reste selon moi assez fascinant, dans ce film, de voir ce bon Nicki, en plein bordel, tapoter gaillardement la joue des 17 prostituées dépenaillées qui l’entourent en leur expliquent qu’il a un rendez-vous d’amour et partir voir sa Mitzi en laissnt son père (un habitué des lieux) s’encanailler sur place…Wildeliebe, en Allemand, ça doit bien donner "Amour sauvage", non?

Restauration et préservation
Le film est donc, on l’a dit et redit, incomplet. Mais aux yeux de Stroheim, il était quasiment inachevé; après tout, on lui a retiré le montage de la deuxième partie. On est habitué, forcément, à ces coups de gueule d’un Stroheim-artiste qui renie un film parce qu’il n’a pu le mener à bout : The merry-go-round, Greed, The Merry widow et Queen Kelly ont tous subi ce même traitement de sa part. Mais ici, c’est plus grave : lorsqu’à l’invitation d’Henri Langlois il va voir The wedding march, il va obtenir de la Cinémathèque Française la possibilité de reprendre le montage, afin de résoudre des problèmes aperçus lors du visionnage. Il refusera pourtant de revoir la deuxième partie, qui retournera dans les placards de la cinémathèque, ou elle brulera en 1917. C’était l’unique copie. Si Stroheim l’avait repris en mains… Lors de cette restauration effectuée par Stroheim avec la complicité de Renée Lichtig , le metteur en scène se plaindra souvent de détails apportés par Sternberg, se plaignant des plans d’animaux qui selon lui polluent la scène d’amour. Sternberg a-t-il vraiment été amené à travailler au montage de ce film ? La question reste posée, on sait bien sur qu’il a contribué au montage de la deuxième partie, mais la plupart des sources attribuent le montage de la première au seul Stroheim. De plus, ces fameux plans d'animaux restent assez dans sa manière... Quoi qu’il en soit, si on a des copies décentes de ce film aujourd’hui, c’est grâce à ce remontage : les versions préservées aux Etats-Unis ne gardent que 90% du film en 35 mm. Par contre, c’est à une copie Américaine qu’on doit la préservation du Technicolor : les séquences couleur n’étaient pas aussi faciles à conserver que les séquences en noir et blanc, et les copies Françaises en étaient privées. On l’aura compris, Kevin Brownlow et Patrick Stanbury se sont livrés à un travail titanesque de puzzle, ce qui ne se voit jamais. et donne sacrément envie d'être revu! :mrgreen:
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Euphémiste
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Re: Erich Von Stroheim (1885-1957)

Message par someone1600 »

Encore une fois, c est diablement intéressant. :D
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