Kon Ichikawa (1915-2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Kon Ichikawa (1915-2008)

Message par Jeremy Fox »

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Spike
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Re: Kon Ichikawa (1915-2008)

Message par Spike »

TOKYO OLYMPIAD D’ICHIKAWA KON : LES JEUX OLYMPIQUES DE 1964 EN IMAGES
EastAsia a écrit :La version restaurée de ce gigantesque fait d’époque est disponible (...) sur le site japonais des JO (version initiale de 2h43) en doublage d’origine avec sous-titres français.
(source)
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Profondo Rosso
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Re: Kon Ichikawa (1915-2008)

Message par Profondo Rosso »

The Makioka Sisters (1983)

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Les quatre sœurs Makioka tentent de préserver le prestige de leur nom. Depuis que leurs parents sont décédés, les deux aînées ont pris en charge les deux cadettes, essayant de leur trouver un époux. Mais les deux jeunes filles, chacune à leur manière, se montrent réticentes à se conformer aux obligations que leur imposent les traditions...

The Makioka Sisters est une adaptation du roman Quatre sœurs de Jun'ichirō Tanizaki, produite pour célébrer les 50 ans du studio Toho. On va placer à la tête du projet le talentueux vétéran Kon Ichikawa, rompu aux adaptations prestigieuses et notamment Tanizaki dont il adapta La Clef dans son film L'Étrange Obsession (1959). La fresque familiale Quatre sœurs se situe dans la seconde partie de l'œuvre littéraire de Tanizaki. Sous le choc du tremblement de terre du Kantô en 1923 où il échappa de peu à la mort, Tanizaki à partir de ce moment-là délaisse l'influence occidentale de ses débuts désormais consacrer ses écrits à la célébration des valeurs et de la culture japonaise, à travers des romans ou des essais poétiques comme Éloge de l'ombre. Ce qui a trait à la culture occidentale est désormais observé avec méfiance dans des romans comme Un amour insensé. Quatre sœurs est un roman traitant précisément de cette bascule de valeurs entre un Japon traditionnel représenté par la famille, l'influence occidentale bousculant les équilibres ancestraux, mais aussi l'arrière-plan d'un Japon belliqueux et conquérant dont les actions feront sombrer le pays. Ce dernier élément est vraiment en pointillé dans le roman (ce qui ne l'empêchera d'être interdit de publication en 1943 pour ne paraître sous forme de feuilleton qu'après-guerre entre 1946 et 1948) tandis que Kon Ichikawa le souligne davantage dans le film.

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Dès les premières minutes, on comprend avec bonheur qu'Ichikawa a bien saisi l'essence du roman et du propos de Tanizaki. Un des passages les plus touchants du livre était celui où les quatre sœurs Makioka, l'aîné Tsurouko (Keiko Kishi), la cadette Sachiko (Yoshiko Sakuma), Yukiko (Sayuri Yoshinaga) et la cadette Taeko (Yūko Kotegawa) effectuaient leurs promenade annuelle de printemps pour des sakura, la floraison des cerisiers. La grâce des mots de Tanizaki transparaît dans l'imagerie irréelle et poétique que déploie Ichikawa, capturant l'émerveillement enfantin des sœurs et magnifiant la beauté de la flore dans une pure élégie, porté par le score envoutant Shinnosuke Okawa et Toshiyuki Watanabe. Ichikawa cherche là à immortaliser une des rares scènes en extérieur, et ce qui sera le vrai dernier moment insouciant partagé par les quatre sœurs. Toutes les contraintes inhérentes à leur sexe, rang social, place dans la fratrie s'imposeront à elles durant tout le reste du film. Ichikawa impose par la suite un pur film d'intérieur, les décors studio se pliant entièrement à ses partis pris filmiques à travers lesquels il cherche à faire transparaître les sentiments et le contexte social dans lequel évoluent les sœurs Makioka. Héritières d'une prestigieuse famille d'Osaka dont l'éclat est déchu depuis la mort de leur père, les sœurs sont chacune à leur manière inadaptées au monde qui les entoure. L'aîné Tsuruko cherche à imposer une ligne de pensée et de conduite dépassée à ses cadettes, rencontrant l'opposition de la plus compréhensive Sachiko, ainsi que la défiance de Yukiko et Taeko. Yukiko est une personnalité timide, discrète et éthérée typique de la jeune fille japonaise traditionnelle, l'épouse idéale d'un passé révolu mais toujours célibataire tant l'homme japonais moderne ne peut répondre à ses attentes. Au contraire Taeko est une pure moga (néologisme issue de la prononciation japonaise de modern girl né durant l'ère Taisho), s'habillant à l'occidentale, fumant, ayant ouvertement des aventures avec des hommes et ne supportant pas les contraintes de son rang et des valeurs traditionnelles japonaises.

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Yukiko fuit les obligations sociales par ce caractère effacé, Taeko les balaie par son tempérament affirmé. Ichikawa parvient avec concision à traduire toute la mécanique de pure transaction qu'est une perspective de mariage avec les nombreuses entrevues avortées de Yukiko avec des prétendants potentiels où un scandale passé, des finances médiocres, une maladie au sein de la famille suffit à estomper toute vos chance. Yukiko en est victime car confondue avec Taeko pour une faute passée de cette dernière, mais aussi actrice avec les exigences dépassées de Tsuruko, tout en refusant finalement de jouer le jeu tant les sentiments semblent absents. Ichikawa semble ainsi accentuer la dimension satirique du roman lors de cette scène où un prétendant déclare être satisfait de Yukiko sur laquelle il a mené une enquête minutieuse, tout en anticipant celle qui pourrait être faite sur lui en déployant son curriculum vitae tel un entretien d'embauche avec ses études, ses revenus, sa santé. Il justifie cette minutie par son métier de biologiste marin, ce qui lui vaudra le refus de Yukiko ayant un peu trop eu la sensation d'être un poisson disséqué. A ses relations "guindées" de Yukiko s'opposent les amours et flirts libres de Taeko qui au contraire est celle qui se joue des hommes, cherche une relation de manière plus volontaire et rencontrant là l'écueil inverse de sa sœur, l'homme japonais classique ne peut accepter sa manière d'être émancipée.

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Formellement Ichikawa enchaîne des séquences sous formes de tableaux où dans une veine théâtrale, les variations du décor obéissent aux émotions des personnages. Les penchants dissolus de Taeko sont ici implicitement évoqués lorsque Yukiko lui demande si elle n'est pas entretenue par un homme pour être toujours aussi luxueusement apprêtée. La photo de Kiyoshi Hasegawa plonge alors la pièce dans la pénombre, faisant ainsi ressortir l'éclairage rouge irréaliste en arrière-plan. De même lorsque Taeko se réfugie dans l'alcool après la mort de son amant, le bar baigne dans un éclairage vert tout aussi factice mais soulignant la dérive du personnage. Yukiko, poupée de porcelaine si fragile, est quant à elle une silhouette écrasée dans les contraintes sociales et la communauté (son aversion du téléphone) et au contraire une présence gracieuse, élégante et délicate dans le contexte bienveillant de sa famille. Ichikawa traduit tous ces enjeux intimes par ses compositions de plan, le travail sur la profondeur de champs, l'agencement des pièces dans l'architecture si spécifiques des maisons japonaises traditionnelles. Il parvient comme cela par la seule image à faire comprendre des notions qui nécessitaient de longs dialogues dans le livre, par exemple l'aversion de Yukiko et Taeko pour la maison de Tsuruko dont la lumière sombre et l'espace restreint participait à leur oppression, ici en mettant en valeur par sa mise en scène ces éléments du livre le sentiment est clair.

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La construction narrative est assez différente, le scénario creusant notamment par des flashbacks ce qui n'était qu'évoqué à l'écrit, et jouant de l'ellipse pour nombre de péripéties qui s'en trouvent resserrées ou carrément absente (l'inondation, sans doute faute de moyens techniques). On perd donc le sentiment de langueur, de douceur du temps qui passe si envoutant dans le livre mais ces choix servent malgré tous le propos de Tanizaki. Tous les rebondissements majeurs du livre et résolus à différents moments du récit trouvent au contrairement chacun leur aboutissement à la fin au sein du film. Le départ à Tokyo de Tsuruko, le mariage de Yukiko, la quête d'amour de Taeko, tout cela participe à rompre la parenthèse enchantée et hors du temps de la scène d'ouverture sous les cerisiers - le final enneigé s'inscrit ainsi en contrepoint tout en faisant écho au titre japonais du livre, Sasameyuki soit Bruine de neige. Chacune doit lâcher un peu de lest dans son rapport accepté ou rejeté des normes sociales dans ce Japon changeant (les silhouettes de soldats, les annonces de victoires militaires à la radio et dans les journaux) pour maintenir l'union de la fratrie alors que la vie va les séparer géographiquement. Une grande mélancolie baigne ainsi la magnifique conclusion et qui trouve même une force supplémentaire par la caractérisation et l'ajout d'éléments absents du livre (le couple Tsuruko/Tatsouo plus attachant et moins castrateur, Teinosuke mari de Sachiko secrètement amoureux de Yukiko) sans en détournée la portée. Une belle réussite et un sommet du film de studio japonais des années 80. /5/6

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