Billy Wilder (1906-2002)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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allen john
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

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ONE, TWO, THREE (1961)

Un, deux, trois : dès le titre, justifié ça et là par les ordres mécaniques et survoltés aboyés par Jim Mac Namara à ses subalternes, on a l’idée d’un rythme collectif, d’une sorte de danse qui devient rapidement éffrènée : ce film est le plus volontairement burlesque et mécanique de Wilde, mais aussi l’un des plus froids, à l’égard de ses personnages, s’entend : qui va-t-on pouvoir aimer dans cette histoire ? C’est aussi, paradoxalement, un film à raccrocher à A foreign affair, parce qu’il a été tourné à Berlin, mais le Berlin de juste avant le mur, celui des zones, de la corruption, de la fuite par la porte de Brandebourg, un monde qui au moment de la sortie du film aura disparu, mais qui est ici très bien reproduit.

Un, deux : il faut semble-t-il choisir son camp. C’est ce que rappellent les capitalistes les plus acharnés, le président de Coca-Cola qui envoie sa fille à Berlin, qui n’arrivera que si « les cocos ne font pas exploser l’avion » ou le chef de la branche Berlinoise, donc Jim MacNamara, garant d’un système qui lui garantit une ascension, à lui qui vise justement le poste de directeur général de la firme pour l’Europe, sis à Londres. Mais les « autres », intermédiaires Soviétiques en visite pour négocier un contrat auprès de Mac Namara ou policier Est-Allemands, sont semblent-ils très attachés à leur monde binaire. Nous, c’est nous, eux, c’est eux, semblent-ils dire. L’arrivée de Scarlett Hazeltine, fille du président de Coca Cola à Berlin, aurait pu signaler l’heure du rapprochement : puisqu’elle tombe amoureuse d’un jeune communiste local, et se marie illico avec lui, si Wilder n’avait décidé d’en faire une ravissante idiote, et de son fiancé un imbécile dogmatique, insupportablement surjoué par un Horst Buchölz plus mauvais que tout.
Un, deux, trois : lassée des ambitions survoltées de son mari, de ses frasques extraconjugales, de la petite guéguerre Berlino-Berlinoise et de devoir voyager au gré des changements de poste de son mari, Mrs Phyllis MacNamara a finalement réussi à échapper au rouleau compresseur de Wilder et Diamond, et émerge seule rescapée de ce jeu de massacre : elle a beau exhiber dans un premier temps un cynisme caustique et salace, elle fait montre d’une vraie souffrance le moment venu, et Arlene Francis sait doser son jeu, à l’opposé d’un James Cagney déterminé à battre le record du monde de nervosité ; par moment, on croirait voir Louis de Funès…

Tourné en plein Berlin, un Berlin en crise, et souvent truffé de gags plus énormes les uns que les autres, le film tranche bien sur avec la palette plus délicate du film précédent. Il inaugure pourtant une série de trois films qui vont sérieusement pousser le bouchon très loin, et faire exploser les limites du bon gout, de la morale, et de ce qu’on peut dire et montrer au cinéma ou pas : il y est question de sexe, bien sur, désormais omniprésent dans l’œuvre de Wilder, et on appréciera la lourdeur pensée des allusions, entre MacNmara et sa secrétaire, supposée lui donner des cours de langue, ou le moment ou celle-ci déambule en chemise : MacNamara lui dit d’aller se rhabiller, parce que ‘sa chair de poule’ se voit, faisant allusion à la pointe de ses seins! Les enfants se tiennent d’ailleurs à la page, et Wilder s’amuse de ce monde qui joue entre deux langages, ou un docteur incapable de trouver le mot « pregnant » (Enceinte) se voit seconder par des enfants (« Elle attend des chiots ») Les noms retrouvent cette tendance d’artisan de l’allusion de Wilder, qui cisèle des noms qui à chauqe fois sonnent juste, et permettent des gags en retour : Scarlett Hazeltine, jeune bourgeoise d’Atlanta, est absente ? Inévitablement, quelqu’un glisse : « She’s gone with the wind ! » ; Piffl, le communiste, sonne comme un rien du tout. Et bien sur, doté d’un nom qui sonne comme une trompette, Cagney hurle, tempête, en fait des tonnes, et encore une fois, c’est bien là que le bât blesse. Ca fatigue, honnêtement… Il semble en vouloir en permanence au peuple Allemand, auquel il reproche son incorrigible rigidité militariste (Mais il est vrai que le plus inoffensif des assistants ou le plus affable des journalistes semblent cacher des Nazis invétérés), et lui aboie dessus en permanence. Des réminiscences de Ninotchka, à travers les trois commissaires soviétiques qui traitent avec MacNamara, nous font décidément regretter le coté mécanique de ce film.

Et si tout cela avait un sens ? S’il nous fallait jeter tout ce monde bipolaire au profit du je-m’en-foutisme plus humain de Mrs Hazeltine ? Tourné de part et d’autre d’un mur invisible qui ne demandait qu’à devenir concret, One, Two, Three n’oublie pas plus que A foreign Affair de nous montrer les quartiers détruits de Berlin, sa tristesse et sa nudité. Ce monde n’a que deux solutions, soit les rouges, soit Coca-Cola, il lui en faut peut-être une autre…
A propos de Coca-Cola, largement cité, sans détour, ni regret, la firme ne sort pas indemne, et son esprit de conquête, le sens du secret, la volonté d’hégémonie aussi finissent par incarner l’esprit Américain carnassier déjà souvent incarné par d’autres institutions : la presse dans Ace in the hole, Hollywood dans Sunset Boulevard, Sheldrake et sa compagnie d’assurances dans The apartment. C’est intéressant, mais le film reste malgré tout trop dominé par l’énervement systématique de sa star, et le coté mécanique qui s’ensuit, pour toucher juste. Le film suivant saura au moins se doter de personnages plus aimables.
Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

ARIANE (1957)

Quel meilleur moyen de conclure ses vacances qu'un film de Billy Wilder qui estompe l'espace de deux heures l'appréhension d’une reprise imminente. Cela faisait quelques temps déjà que je n'avais pas visionné de Wilder (comme Jeremy ou Allen John, j'aurais bien voulu avoir le courage du visionnage chronologique mais je me suis dégonflé à force d'attendre) et j'ai enfin pris le temps de revoir cet opus méconnu mais pourtant si riche et émouvant.

Avec LOVE IN THE AFTERNOON, Billy Wilder se fait plaisir. S’éloignant des contraintes du système Hollywoodien, il vient tourner à Paris une comédie “à l’ancienne” où il adapte le style de son maître Ernst Lubitsch : avec I.A.L. Diamond ils mettent au point un récit plein d’esprit appelant parfois l’imaginaire d’un spectateur qui saura en combler les vides. Wilder joue sur les clins d’œil, les effets Lubitschiens, et finit par les mettre à sa sauce. Le meilleur exemple est peut-être ce quatuor gitan d’abord accessoirisé par la mise en scène pour annoncer le rendez-vous puis l’accouplement adultère – avec ses entrées et sorties « de scène ». Le manège est répété jusqu’au moment où Flannagan se saoûle dans sa chambre, scène pendant laquelle Wilder utilise alors le quatuor comme acteur de l’action et catalyseur de la folie qui gagne alors le lieu. Par la musique tsigane – et la tablette roulante avec les alcools – Wilder apporte un souffle de folie bénéfique et délicieusement délirant, limite burlesque, qui souligne en même temps le côté excentrique du personnage de Flannagan lorsqu’ils partiront tous ensemble jusque dans un sauna. Wilder reprendra presque ce procédé de la musique qui développe les sens et la folie ambiante dans une scène (déjà alcoolisée, me semble-t-il) de UN DEUX TROIS en 1961.

Billy Wilder est taraudé par les questions sur la sexualité. C’est un sujet qui l’interpelle et qu’il a abordé « de biais » par le passé dans au moins UNIFORMES ET JUPON COURT, ASSURANCE SUR LA MORT, BOULEVARD DU CREPUSCULE et SEPT ANS DE REFLEXION. Il revient régulièrement sur ce terrain en le traitant de plus en plus frontalement, époque oblige. Avant de soulever les foudres de l’Amérique puritaine dans EMBRASSE-MOI, IDIOT en 1964, il intègre dans le récit d’ARIANE des éléments provocants et surtout très modernes. Pour passer le cap du grand public, il développe une intrigue aux angles ronds (tant que faire se peut) qu’il imprègne d’une touche sulfureuse : Flannagan a l’existence dissolue d’un ado irresponsable obsédé par le sexe, il a l’âge d’être le père de sa maitresse, laquelle assume pleinement leurs moments de sexualité purement physiques, loin de l’amour généralement requis.

Mais cela n’empêche pas Wilder de toucher dans ARIANE à un romantisme délicat avec cette héroïne moderne, déterminée, cachée derrière une apparente fragilité. Par une succession de trouvailles toutes plus malines les unes que les autres (l’œillet, par exemple), Wilder en fait un personnage marquant et extrêmement touchant. Audrey Hepburn, qu’on a rarement vu aussi adorable, trouve là l’un de ses meilleurs rôles, aussi subtil que sa performance.

Excellente surprise que ce film moins glorieux dans la carrière du réalisateur alors qu’il s’agit à l’évidence d’un grand cru. Au pire, peut-être, pourra-t-on lui reprocher une légère baisse de régime à mi-parcours, au moment du retour de Flannagan à Paris. Il faut dire que le film, passionnant jusque-là, aurait très bien pu s’arrêter là, après la nuit consommée et la séparation des amants. Cette petite faiblesse était probablement inévitable pour relancer l’élan d’une histoire qui réservera de multiples surprises.
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Alligator
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Alligator »

The apartment (La garçonnière) (Billy Wilder, 1960) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... tment.html

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Ce film là reste pour moi attaché à une personne qui a compté dans ma vie. C'était un de ses films fétiches. Elle me l'a fait découvrir. Et puis elle avait quelque chose de Shirley McLaine, une certaine douceur, une petite frimousse, du caractère, des yeux rieurs, une amoureuse et une complice.

Et puis difficile d'échapper au charme du couple Jack Lemmon / Shirley McLaine. La savoureuse mécanique que mettent en place Diamond et Wilder au scénario est implacable. Les dialogues exquis swinguent sur un rythme formidable. Le sous texte est appuyé par le cadre new-yorkais, l'humour propre aux films de Billy Wilder et qui en fait l'un des maitres du cinéma américain. Je ne suis pas un grand admirateur des USA, du moins je le suis autant que je peux l'être pour l'Italie, la Tchéquie, le Laos ou le Vénézuela, mais sa perméabilité culturelle et sa capacité d'adapter le talent des autres à sa propre histoire est assez épatante. Billy Wilder en est la parfaite illustration. Comme bien d'autres de Sirk à Siodmak, en passant par Lang et Mankiewicz il est parvenu à créer des films très américains malgré sa culture germanique tout en ne se réfutant pas lui même, bien au contraire. Quand je pense à Wilder, je ne peux m'empêcher de penser à Lubitsch, cependant Wilder investit ses propres histoires, évolue sur son propre parcours. Son style est immédiatement identifiable. La garçonnière n'est pas lubitschienne. Le personnage de Lemmon pourrait être Wilder lui même : il est plein de courage et de vie. Il est issu de la classe moyenne ou bien inférieure, ne se départit pas d'un bel optimisme. Chez lui le rêve américain prend forme grâce à la garçonnière qu'il prête à ses supérieurs hiérarchiques.

On peut saluer la construction de cette histoire, le placement judicieux des personnages et leurs demandes de plus en plus excessives. La progression, ni lente, ni rapide suit un rythme que l'instinct du spectateur ressent comme naturel. C'est beau comme une rivière qui coule de source.

Là dessus l'idylle entre les deux êtres "purs" ne peut qu'aboutir à ce fameux climax. Encore une fois, Wilder et Diamond nous pondent une des plus belles dernières scènes du cinéma : une émotion gigantesque emporte tout.
"I adore you!
- Shut up and deal!"
Le visage ahuri de Lemmon qui regarde la femme qui va sans doute partager le reste de son existence est éclairé par celui de McLaine, tout sourire, pimpante et fière. Ravie de l'entendre se déclarer ainsi, elle savoure l'instant, dans une grande simplicité, de grand bonheur. Elle n'a pas besoin de répondre explicitement à cet homme qui sait d'ores et déjà que c'est réciproque. Ils sont là tous les deux et jouent la partie de gin qui fait débuter officiellement leur vie commune. On atteint le sublime.

Jusque là le film nous aura fait passer par des hauts et des bas. Sans jamais atteindre au mélodrame, les personnages subissent cependant mauvaises passes. Lemmon noie son chagrin dans l'alcool quand McLaine tente de se suicider.

Jack Lemmon figure parmi ces rares acteurs à être suffisamment ambigus et talentueux pour parvenir à jouer sur toutes les émotions pratiquement dans le même temps. Il peut rendre un certain pathétique et faire rire à la fois, comme si sa tessiture émotionnelle pouvait être garantie par son physique expressif très riche. En tout cas, il est tout bonnement très impressionnant dans ce rôle.

Shirley McLaine est une comédienne que je connais moins bien et qui m'intrigue de plus en plus. J'ai encore le souvenir ému de son incroyable performance dans "Comme un torrent" de Minelli. Mes souvenirs d'Irma la douce commencent à se dissiper. Et cette garçonnière me rappelle combien l'actrice semble très forte, elle aussi paraissant bénéficier d'une ambiguïté, plus féminine, où puissances et faiblesses orientent tout à tour le parcours du personnage, ballotée par des sentiments mal définis, une sorte de malédiction affective, celle qui semble à certains moments de la vie nous mettre volontairement des bâtons dans les roues.

Face à ces deux-là, Fred McMurray force le trait du mari volage et bonimenteur, borné et malhabile. Effectivement, le personnage ne peut pas indéfiniment faire de l'ombre à celui de Jack Lemmon.

La garçonnière est une très bonne comédie romantique, un des meilleurs Wilder.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Federico »

Autant je trouve One, Two, Three très lourdingue et représentatif de la mauvaise fa(r)ce de Wilder, autant La garçonnière est une merveille de comédie amère et pour moi, le meilleur des films que je connaisse de lui. Sur un sujet qui aurait sans doute plu à son mentor Lubitsch et même à son camarade de classe lubitschienne Mankiewicz (toujours le jeu des maîtres et des valets, des manipulateurs et des manipulés), Wilder a posé sa marque personnelle. Plus méchant, pessimiste et cynique que Lubitsch, moins intellectuel et brillant que Mankiewicz mais pas moins efficace que lui pour démontrer que la vie est une guerre (surtout dans une grande cité) et qu'il vaut mieux être un beau salaud malin qu'un gentil naïf pour faire son trou avant de finir dedans. Un vaudeville qui en plus de faire rire, fait chialer, c'est rare. Wilder, plus compassionnel qu'à son habitude, y retrouva le secret des grands joyaux du muet décrivant la vie des fourmis humaines perdues dans les mégapoles américaines : La foule, L'aurore ou Les lumières de la ville. Et il a eu sous la main les deux interprètes idéaux. Un Jack Lemmon grandiose en brave type (synonyme de "pauvre type" aux yeux de "winners" comme son boss) complètement inadapté à la loi du plus fort, semblant être encore un de ses ados américains qui n'a pas quitté sa chambre de high school (le gag de la raquette-passoire !). Et une Shirley MacLaine une fois de plus désarmante de charme et de candeur et qui d'un sourire triste ferait fondre la banquise. Comme le décrit bien Alligator, cette actrice est un peu à part. La même année que La garçonnière, elle réussira à justifier la vision d'un film sympathique mais assez médiocre en apparaissant seulement pour une (trop) brève scène : un caméo amical dans la première version de Ocean's Eleven où elle joue la plus adorable des filles pétées comme un coing.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Lord Henry »

Mentionnons la première édition officielle de la bande originale de Sunset Boulevard à partir des archives de la Paramount:

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La présentation, ici.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par allen john »

IRMA LA DOUCE (1963)

Le dix-neuvième film de Billy Wilder, et son quatrième en couleurs, est adapté d’une comédie musicale, on attendrait donc assez logiquement qu’on y chante. Il y a bien de la musique, de grande classe, signée d’André Prévin, et un intermède chanté ou deux, mais ils sont systématiquement en situation : une jeune prostituée met un disque dans le juke box, et tout le monde danse, et sinon il y a une adaptation de Alouette, gentille alouette, interprétée par une cargaison de « poules » ( pour reprendre le terme choisi, en Français dans le texte, par Wilder et Diamond), qui menacent assez clairement de faire subir les derniers outrages à l’agent Nestor Patou qui les a embarqué dans un panier à salade. Bref : ne faisant rien comme tout le monde, et ayant de toute façon décidé de faire rendre gorge à la censure et au (toujours en vigueur)code de production de 1934 qu’il a continuellement attaqué, Wilder fait un film totalement personnel à partir d’une comédie musicale Parisienne, et c’est un plaisir.

Mais un plaisir parfois un peu long, c’est le principal défaut de ce petit plaisir coupable. L’argument vaut bien sur une fois de plus d’être exposé : à Paris, Rue Casanova, dans le quartier des Halles, les « poules » et leurs « macs » (Toujours en Français dans le texte) vivent en bonne intelligence avec les gens de la police, qui ne les empêchent nullement d’exercer leurs lucratives activités, et y puisent de temps en temps de quoi les aider à fermer les yeux. Au milieu de cette situation bien établie, arrive Patou , un flic honnête, mais un peu distrait, qui met du temps à comprendre la dite situation. Pourtant une fois qu’il ouvre les yeux, il n’est pas long à réagir, et opère une rafle, qui se passe tellement bien, que le pauvre Nestor Patou va devoir ensuite abandonner son uniforme, ayant un peu molesté certains clients, dont son supérieur hiérarchique. Il trouve alors refuge auprès d’Irma La Douce, la plus populaire des prostituées de la rue, dont il devient assez rapidement le souteneur. Le problème, c’est qu’il est aussi très amoureux, et surtout très jaloux…

Grace au rythme franchement indolent de cette mini-épopée des faubourgs, on peut voir la machinerie Wilder à l’œuvre. C’est aussi ce que beaucoup de commentaires reprochent au film, le fait de tourner un peu à vide, parfois. Admettons, d’une part, que le film pêche parfois par trop de fausse guimauve (ces couleurs !!), voire par excès de mauvais gout, franchement revendiqué. Ajoutons que certaines situations rappellent un peu trop d’autres films, notamment la scène lors de laquelle, seule avec un client (qui s’avère être Nestor déguisé, prétendant être irrémédiablement impuissant) Irma réveille de façon inattendue ses ardeurs, ce qui nous renvoie à Some like it hot, mais le champagne en moins. Il faudrait ajouter qu’en dépit de la ressemblance, la scène dans Irma ressemble à une provocation : dans le film précédent, sis en 1929, on y parlait d’embrassade, ce qui évidemment ne trompe personne. Là, on parle à mots à peine couverts, d’érection, d’impuissance, de rapports sexuels. C’est d’ailleurs la franchise du film, plus que son bricolage pour le rendre faussement naïf, qui en fait la force. Mais aussi les limites ; Wilder, en France, avec les décors d’Alexandre Trauner, et les mêmes comédiens (et quels!) que dans The apartment, ne pourra pas faire un film aussi beau que celui qu’il a fait aux Etats-Unis. Si ni Irma ni Nestor ne sont dénués d’intérêts, s’ils sont décidément bien mignons, et si leurs aspirations peuvent passer pour tendrement comiques (Irma, qui souhaite se dédier à son métier), ou si adorablement naïves (Nestor, qui se dévoue pour son Irma, sans que celle-ci ne s’en aperçoive, va travailler dès le lever du soleil afin de lui éviter le trottoir), il faut bien dire que la France présentée dans ce film tient vraiment de la fantaisie poétique, et qu’il est bien difficile de prendre le film au sérieux, ce qui n’est d’ailleurs nullement l’intention. Le film, après tout, tient une fois de plus du conte de fées : il y a même une authentique fée, en la présence de Constantinescu, dit Moustache, un homme qui a tout fait : la guerre, avocat, médecin, et qui va aider le proxénète Patou afin de donner un revenu à Irma dans pour autant qu’elle couche avec un autre que lui, et tous deux vont inventer Lord X. Drôle de prince charmant, joué par un Jack Lemmon qui se lâche, mais qui n’oublie pas de se retrouver un moment avec une seule des chaussures de sa Cendrillon vêtue de collants verts. Mais lord X, lui aussi, va échapper à ses créateurs, dans un final ouvertement fantastique.

Placé entre deux charges grossières, irritantes, mais si féroces à l’égard des Etats-unis (One, two, three, et bien sur Kiss me stupid), Irma est une petite halte, en forme de bluette, mais une bluette qui permet à Wilder d’être l’un des premiers au cinéma à montrer une femme enceinte avec un relief convaincant, dans un film qui voit Shirley McLaine se coucher nue dans un lit, et faire un regard lourd de promesses à Jack Lemmon. Le film a démontré l’inutilité du code de production, qui n’allait pas tarder à rendre l’âme. Quant à ce film mal fichu, mais adorable, il continue à intriguer, placé au cœur des années 60, et constamment sur le fil du rasoir : hautement provocateur, revendicatif et sordide, mais tourné avec un soin de maniaque, par des artistes du cinéma à l’ancienne… Pour ma part, et sans que je puisse l'expliquer, c'est l'un de mes préférés.
Dernière modification par allen john le 14 janv. 11, 18:01, modifié 1 fois.
someone1600
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par someone1600 »

J'aime beaucoup moi aussi ce Wilder, mais comme j'aime beaucoup tout les Wilder que j'ai vu... :oops:
allen john
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par allen john »

KISS ME, STUPID (1964)

Le dernier mot, voilà ce qui a pu caractériser la perfection accomplie par Wilder dans ses deux films les plus brillants de la période qui nous occupe. Aussi bien le « Nobody’s perfect » de Some like it hot que le « Shut up and deal » de The apartment sont des conclusions d’une grande élégance, des affirmations absolues de la maitrise du cinéaste sur son œuvre, qui résonnent encore longtemps après avoir fini le visionnage. Autant dire tout de suite qu’il me semble un peu alarmant que le titre choisi pour ce 20e film soit précisément cette dernière réplique. La dévoiler d’entrée de jeu, c’est vendre la peau de l’ours de façon un brin prématurée. Mais c’est aussi que cette réplique est celle qui va tout exorciser, et par tout, je veux dire 120 minutes corrosives, vulgaires, provocantes et particulièrement épicées…

Climax, Nevada, la ville dans lequel se déroule le film, existe : on ne pourra donc pas (trop) accuser Wilder d’avoir cherché la provocation jusque dans ses moindres recoins, mais bien sur il a choisi la ville dont le nom est synonyme d’orgasme comme lieu de la rencontre d’un certain nombre de personnages pour une suite d’évènements qui vont entrainer un certain nombre de péripéties inévitables, et des changements dans un certain nombre de vies. Et puis on est dans l’Amérique profonde, celle ou le puritanisme des uns s’accommode fort bien du relâchement des autres, à quelques encablures de las Vegas : le chanteur Dino (Dean Martin), en route pour L.A., s’arrête à Climax pour un plein. Il ne sait pas qu’il est tombé sur un pompiste qui a de l’ambition : Barney (Cliff Osmond) écrit les paroles de chansons composées par son ami Orville (Ray walston). Ils prennent la décision d’empêcher le chanteur, connu pour être un séducteur, de repartir, afin de placer des chansons. Le problème, c’est qu’Orville est marié et très amoureux, et donc très jaloux, et qu’en plus Barney entend bien profiter de la faiblesse de Dino pour le beau sexe, afin d’endormir son sens critique. Les deux hommes conviennent donc d’échanger Zelda (Felicia Farr), l’épouse légitime, contre Polly ( Kim Novak), une serveuse d’un bar louche, ce qui permettra à Orville de laisser Dino la séduire et de rendre le placement de chansons plus facile.

Prostitution, déjà évoquée dans les grandes largeurs sous son aspect mythologique dans Irma La Douce, crise de la quarantaine, obsession sexuelle, envies soudaines au beau milieu de l’après midi, douches à deux, adultères, les figures évoquées dans le film ne manquent pas, et pour Wilder, il ne s’agit plus d’appeler un chat autrement qu’un chat. Les dialogues, souvent effectués en duo (Orville – Barney, Dino – Zelda, Orville - Polly) sont truffés e gaillardise, comme il sied… Et pourtant c’est assez triste. Un drame se joue dans ce film, celui de la frustration, mais pas de tout le monde : les deux femmes sont non seulement l’objet d’un troc assez crapuleux (l'une sans le savoir, mais l'autre en est amèrement consciente), mais en plus elles souffrent. Bien sur Zelda est mariée à un homme qui a un cœur d’or, mais il est aussi si jaloux qu’elle n’en peut plus, et il est clair qu’elle avait besoin d’un prétexte pour aller faire une pause. C’est donc approprié que cette fan de Dino, le chanteur, puisse trouver comme par enchantement au milieu de cette pause Dino lui-même, servi sur un plateau, dans une scène de séduction assez délicate somme toute en dépit des circonstances (dans une caravane au milieu du désert) ; de son coté, Polly, la serveuse revenue de tout pour repartir vers rien, découvre en Orville un homme aimant et délicat, et se laisse séduire par lui, alors que ce n’était bien sur pas prévu, mais cela lui permet l’espace d’un instant d’être Mrs Orville Spooner, au lieu d’être une marchandise. Bien qu’il les oppose, en mettant en avant la douceur conjugale tranquille de Zelda et le coté charnel de Polly (C’est Kim Novak, quand même), il les rend complémentaires, et on a presque l’impression qu’elles pourraient être amies…

Obsession, maitre mot d’un grand nombre de personnages de Wilder : ici, on a trois obsédés : Dino, bien sur, joué avec un grand sens de l’autodérision par lui-même, ou presque, est annoncé dès l’ouverture : chanteur talentueux, mais qui boit sur scène, et qui truffe ses chansons d’apartés exposant ses deux passions, les femmes et l’alcool. Sitôt mis en présence des traces d’une femme (nuisette, mannequin), il se met en marche, et n’aura de cesse que de l’ajouter à sa collection; un temps, il croit ou feint de croire devoir se reposer un peu, ayant peut-être atteint un climax en matière de relations. Il est intéressant de constater que la seule relation sexuelle qu’il consommera durant le film sera avec Zelda, qui pourrait, vu ses fréquentations, être la seule vraie dame qu’il ait jamais eue. Sauf que lui ne s’en est jamais aperçu, persuadé qu’il faisait la rencontre de Polly… Barney est, lui, obsédé par la chanson, dans son versant économique. Il écrit, oui, mais elles sont toutes nulles, et la seule chose qu’il en retire, c’est d’imaginer le futur succès en espèces sonnantes et trébuchantes. Son nom, ingrédient Wilderien, est Millsap : mélange entre « mill » (moulin : le coté besogneux d’un homme qui ne ménage pas ses efforts ?) et « sap », andouille, et le fait est qu’il n’est pas précisément d’une grande classe. Quant à Orville J. Spooner (Encore un nom de minable), le prof de piano aux pulls en hommage à Bach et Beethoven, on aurait pu croire qu’il était obsédé par la musique, mais non : sa manie, c’est la jalousie maladive, du même calibre que l’obsession manifestée par Tom Ewell dans The seven year itch, les fantaisies visuelles en moins. Wilder a décidé d’être aussi réaliste que possible dans ce nouveau film, et laisse donc à André Prévin le soin de commenter ironiquement la jalousie obsessionnelle du héros en truffant la partition de Fur Elise, de Beethoven, de rajouts de contrebasse à l’archet à chaque fois qu’Orville est jaloux. Un petit caillou, en apparence anodin, lie d’ailleurs la jalousie et l’aventure improvisée à la fin du film entre Zelda et Dino : un mot laissé à l’attention du laitier par Zelda dans la bouteille de lait vide (afin d’effectuer une commande) trouve un écho parfait dans les billets de banque laissés par le chanteur pour récompenser « Polly » dans une bouteille de whisky.

Fidèle à ses penchants pour l’amour vache qui le lie à son pays d’adoption, Wilder retrouve paradoxalement dans ce film à vocation satirique les accents méchants de son Ace in the hole : rien de mieux que les déserts pour faire la radiographie de la médiocrité, semble-t-il… sauf que si les femmes sont ici les deux clés du film, elles renvoient toutes les deux à Orville, le minable prof de piano, que l’une a épousé, et que l’autre a convoité, alors qu’on lui promettait des frissons dans les bras du bellâtre à la mode. Et d’ailleurs, Orville aura gagné le droit de passer la nuit avec Polly après s’être conduit de façon chevaleresque avec elle, puisque comme toujours chez Wilder(Daphné dans Some like it hot, Lord X dans Irma la Douce peuvent tout à fait en témoigner), à force de prétendre, comme ici que Polly soit Zelda, elle devient vraiment la femme légitime d’Orville. Dino, lui, n’aura comme seul geste de remerciement qu’un lâcher négligent et contractuel de billets… Eloge de la médiocrité, film qui montre un visage de l’Amérique qui cache de moins en moins son obsession sexuelle, Kiss me stupid est un film qui vaut bien mieux que sa réputation.
Dernière modification par allen john le 14 déc. 10, 08:46, modifié 1 fois.
someone1600
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par someone1600 »

Personnellement il s'agit d'un de mes préférés de Wilder. Encore une fois une sacrée analyse allen john. WOW. :D
allen john
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par allen john »

someone1600 a écrit :Personnellement il s'agit d'un de mes préférés de Wilder. Encore une fois une sacrée analyse allen john. WOW. :D
Merci, et d'ailleurs, je n'ai aucun mérite: j'ai même oublié de parler de la récurrence de Sheldrake, ici le nom d'un dentiste assez anodin, mais qui est considéré comme une menace par Orville, qui trouve que Zelda va trop souvent le voir. :mrgreen:
someone1600
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par someone1600 »

Tiens, je n'avais pas remarqué celle-la. :oops:
allen john
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par allen john »

THE FORTUNE COOKIE (1966)

Pour son 21e film, Billy Wilder semble commencer à accuser le coup d'un insuccès chronique: suite au triomphe de son film The apartment, qui lui a rapporté son deuxième Oscar du meilleur film, il accumule échec sur échec, tant public que critique, et la volée de bois vert que lui a valu le très provocateur Kiss me stupid lui est particulièrement resté en travers de la gorge. C'est pourquoi il va déverser une grande rasade de bile dans ce film, qui fait souvent semblant d'épouser les expériences formelles de la période, mais est du pur Wilder: écrit à la virgule près, avec des acteurs acquis (Lemmon, Cliff Osmond) ou qui font une entrée tonitruante dans son univers (Walter Matthau); il destine, comme souvent, son jeu de massacre à l'Amérique, dont un certain nombre de traits sont ici représentés: Omniprésence des médias et en particulier de la TV, carriérisme, mais aussi fausse mobilité sociale, ségrégation de fait, symbolisme vide des droits civiques récemment conquis par les noirs sous la bannière de Martin Luther King... Wilder mobilise ses vieux thèmes, et s'amuse à pousser sa logique du mensonge, ou de la dissimulation, jusqu'au bout, dans un film qui nous conte les aventures d'un avocat véreux (Matthau) qui tente d'exploiter un petit accident dont son beau-frère (Lemmon) a été victime, afin de récupérer le pactole. Tourné avec la rigueur d'un film noir, structuré en 16 chapitres apparents (Chacun son titre, numérotés de 1 à 16), le film est ce qu'on pourrait appeler une comédie triste, et tient son titre d'un de ces "fortune cookies", les gateaux Chinois qui contiennent un conseil, un dicton, ou une vision d'avenir. Ici, le cookie dit en substance: 'tu ne peux pas tromper tout le monde une fois, ou une personne tout le temps.', et pourtant Willie Gingrich, l'avocat, est bien parti pour tromper son monde. le seul point sur lequel il n'avait pas compté, c'est l'honnêteté non pas d'un, mais de deux hommes...

Un soir de match de football, à Cleveland, la couverture média de l'évènement est assurée par CBS, et Harry Hinkle (Jack Lemmon) est l'un de leurs cameramen. Hélas, pendant une action de "Boom boom" Jackson, un populaire joueur Afro-Américain (Ron Rich), ce dernier lui rentre dedans et provoqie un évanouissement du caméraman. A l'hôpital, ce dernier reste quelques heures en observation, toujours inconscient, pendant que sa famille attend: sa mère, sa soeur et son beau-frère (Willie Gingrich: Walter Matthau), ces derniers accompagnés de leurs deux enfants, vont rester un petit temps à attendre, et nous donner une splendide image de médiocrité auti-satisfaite (Aucun rapport d'affection ni de tendresse ne semble colorer les rapports de Gingrich et de son épouse, et il n'a pas l'air de se soucier de ses enfants non plus, la mère ne l'ouvre que pour pleurer, et se faire envoyer sur les roses d'un sonore "Shut up" par son gendre). Mais surtout, il vont fournir une occasion en or aux scénaristes: particulièrement avide de s'élever de sa médiocrité financière, et totalement dénué de scrupules, Gingrich apprend de la bouche de sa belle-mère que Hinkle a été victime d'un accident étant enfant, ayant eu une vertèbre sérieusement abimée: celle-ci doit toujours avoir le même aspect. Il décide de monter une arnaque avec Hinkle, prétendant que ce dernier a été à demi-paralysé par le choc. Hinkle n'est pas très chaud au départ, puis finit par accepter dans l'espoir que sa femme, Sandi (Judi West) lui revienne: aspirante chanteuse, et surtout à la recherche d'un bon parti, elle est partie avec un chef d'orchestre, alors que les perspectives de carrière de Harry ne semblaient pas aller très loin. Elle n'a pas percé pour autant.

Les grains de sable dans cette affaire vont être fournis par trois facteurs: d'une part, bien sur, les avocats de CBS, qui connaissent la réputation de Gingrich, ne croient pas une seule seconde à la paralysie, et engagent Chester Purkey,(Cliff Osmond, la garagiste parolier de Kiss me stupid), un détective très fort, qui a déja croisé la route de Gingrich. celui-ci va devoir se méfier des micros et autres caméras de surveillance installés par l'infatigable Purkey, sis en face de l'appartement de Hinkle. D'autre part, le joueur de football par lequel toute cette histoire est arrivée, le bien nommé "boom boom", s'en veut, et va être aux petits soins avec Hinkle, jusqu'à le servir littéralement: il s'installe avec lui, lui fait la cuisine, lui sert le café, et va même jusqu'à récupérer sa femme à l'aéroport. Et en allant la chercher, il ne met pas longtemps à flairer que la jeune femme ne revient pas nécessairement parce qu'elle aime son mari, mais bien plutôt parce qu'elle a compris qu'elle pouvait se faire de l'argent en revenant au bon moment, juste avant une opération qu'elle sent juteuse. Lui qui se dévoue pour Harry, sans compter, ne supporte pas de voir les rapaces s'agiter autour de son ami. Enfin, autre grain de sable, et non des moindres, Harry qui ne voulait pas de cette arnaque avant de comprendre qu'elle pouvait lui rendre sa femme, ne va pas vraiment apprécier la tournure que prennent les choses, et va finir par refuser de continiuer jusqu'au bout.

Wilder fait du Wilder, et avec Izzy Diamond, il a concoté des dialogues avec une délectation évidente. le principal moteur, c'est l'odieux Gingrich, mais il s'amuse aussi beaucoup avec les échanges aigre-doux entre Purkey et son collaborateeur. par contre, il a trop insisté sur l'angélisme de Boom Boom, qui confine parfois à une certaine forme de naïveté un peu gênante... Les deux scénaristes se sont amusés sinon à glisser quelques allusions aux médias du moment: le film commenbce par la couverture médiatique d'un match de football, mais le caméraman qui filme l'apprtement de Hinkle depuis l'autre coté de la rue a hâte de rentrer chez lui pour regarder Batman... Toujours, cette tendance à mettre en valeur l'importance de la culture populaire chez ses personnages....Comme toujours, Wilder a aussi su inventer des noms évocateurs, tous chargés soit en sens soit en résonnances: au-delà du très simple Hinkle, qui ressemble à un "Twinkle" qui aurait été raboté de son début (To twinkle, c'est le verbe qui veut dire "scintiller", comme les étoiles donc), on a bien sur Gingrich, le nom qui rappelle vaguement le "Grinch", et qui est porté par un personnage odieux et sans scrupules, joué avec gourmandise par Walter Matthau: bref, un sale bonhomme, qui trompe tout le monde tout le temps, n'a de famille que parce qu'un jour il a couché avec sa secrétaire, et a sans doute couché avec sa belle soeur (Il lui met la main aux fesses, et lui signale qu'elle a pris un peu de rondeurs); sinon, Chester Purley, parfois surnommé "tas de graisse" par son collaborateur, est un personnage rondouillard, mais habile. Un détective privé avec "Key" dans son nom, quoi de plus approprié? Enfin, Boom boom Jackson, le personnage le plus honnête de cette sarabande, est doté d'un patronyme intéressant: jackson, c'est la capitale du Mississippi, l'état dans lequel les plus importantes avancées de la lutte des noirs pour les droits civiques se sont tenues...Ce ne peut être un hasard, mêms si le film semble s'en défendre, on constate que le thème des droits civiques est présent, même en creux, du début à la fin de ce film: Jackson, vedette du football, avoue lui-même n'avoir aucun avenir en dehors du sport, et tient un bowling fréquenté uniquement par des noirs. Ses rapports avec les blances sont symbolisés par ces scènes durant lesquelles il sert son ami Hinkle, dévoué entièrement corps et âmes. Sa seule récompense sera de culpabiliser tant et si bien qu'il va mettre sa carrière en l'air. Mais au moment de s'avouer vaincu, Chester Purkey qui a compris que le point de faible de Hinkle, c'est son amitié avec Boom Boom, va se lancer dans une diatribe ultra-raciste, qu'il semble ne pas avoir eu trop de mal à improviser, afin de provoquer la colère de Hinkle: celui-ci lui envoie un coup de poing qui prouve qu'il n'est pas paralysé... Tous les coups sont permis, bien sur, mais dans l'histoire, Jackson devient doublement victime: de ses égarements, puis de la duplicité des autres...

Au-delà des inégalités raciales, marque des années soixante dont Wilder a pu parfumer son film, c'est d'inégalité sociale qu'il est largement question dans ce film; on a bien un portrait au vitriol de la nécessité de s'élever, qui frappe d'autant plus qu'elle va de pair avec un manque total de décence: les deux personnes qui souhaitent s'améliorer, Gingrich et Sandi, sont absolument lamentables. La famille e Hinkle ne vaiut pas mieux, mais manque singulièrement de substance. Il est intéressant de ciobnstater que Hinkle n'a que très peu de contacts avec eux, la plupart des scènes familiales le concernant étant passées avec Sandi ou Gingrich. A la fin, c'est avec Boom boom qu'il décide de passer du temps, réussissant à le remettre de bonne humeur, par le simple biais de la complicité. Si Hinkle est plutôt un médiocre, il est aussi plutôt sympathique, d'autant qu'il a su dire non à la voie tracée par son beau-frère, et ce au bon moment. Le révélateur, c'est soit l'évidente duplicité de sa femme, soit le traitement infligé dans les médias à Boom boom Jackson. Quoi qu'il en soit, il décide de redevenir un homme honnête, et s'en sort plutôt bien, le film se terminant sur Jackson et Hinkle, dans un stade vide, fraternellement unis en jouant avec un ballon. Si on n'a pas vraiment de message politique dasns ce film, il est clair que la sympathie de Wilder s'est pour une fois assez clairement exprimée danscette scène finale...

En dépit de ses qualités, le film peine à apparaitre suffisamment clair, et on se demande parfois quelle est la cible du jeu de massacre cette fois. Mais même imparfait, il reste à n'en pas douter un film de Billy Wilder, qui plus est avec Jack Lemmon, et aura une descendance inattendue, dans la mesure ou le partenariat entre Lemmon et Matthau fera des petits, et pas seulement avec les deux autres films de Wilder qui les mettront en valeur. un duo de stars est né avec ce film attachant... qui n'aura évidemment pas beaucoup de succès en cette fin des années 60.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par someone1600 »

Un autre excellent Wilder pour ma part. :D
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par Rick Blaine »

allen john a écrit : Mais même imparfait, il reste à n'en pas douter un film de Billy Wilder, qui plus est avec Jack Lemmon, et aura une descendance inattendue, dans la mesure ou le partenariat entre Lemmon et Matthau fera des petits, et pas seulement avec les deux autres films de Wilder qui les mettront en valeur. un duo de stars est né avec ce film attachant... qui n'aura évidemment pas beaucoup de succès en cette fin des années 60.
Rien que pour avoir donné naissance au duo, il faut saluer ce film. Même si je lui préfère The Front Page du même Wilder, ou The Odd Couple, The Fortune Cookie reste un film fort attachant, un bon Wilder.

Et bravo pour tes chroniques, c'est un grand plaisir de les lire.
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Re: Billy Wilder (1906-2002)

Message par allen john »

THE PRIVATE LIFE OF SHERLOCK HOLMES (1970)

En 1970, l'arrivée d'une nouvelle génération de metteurs en scène, qui sont conscients des révolutions, tant formelles qu'idéologiques, qui ont agité les années 60, va donner au cinéma une nouvelle jeunesse, de nouvelles directions, et va sonner le glas de la censure d'antan, mais aussi du cinéma d'hier. Comment se situer par rapport à cette nouvelle vague, c'est la question que ne se pose absolument pas Billy Wilder, jusqu'à présent garant sans aucun militantisme d'une certaine façon de faire du cinéma, apprise à la paramount dans les années 40, et perpétuée tranquillement depuis: c'est un style, c'est sa façon de faire, il est pour lui hors de question d'en changer. Du reste, il a aussi agi (à sa façon, toujours) pour faire reculer les limites de l'acceptable au cinéma, on l'a vu, et a imposé de façon éclatante sa manière. Il a aussi, et c'est ressenti d'autant plus cruellement par ses commanditaires en cette période d'implosion des studios et de leur système, perdu son crédit auprès du public en accumulant échec sur échec.

C'est donc un Wilder fort fragile qui s'attaque à une nouvelle extravagance: un film épique, énorme, sur Sherlock Holmes, dans lequel le personnage de fiction serait traité comme un homme ayant existé, et bien sur dans lequel la voix du Dr Watson allait pouvoir être entendue à sa juste valeur. ce film, on le sait, on ne le verra probablement jamais, puisqu'il a été mutilé avant sa sortie par les Mirisch, et qu'aucune des quatre scènes qui ont été enlevées n'a survécu intacte. Ce qui reste, ce sont les 125 minutes de la version que les Mirisch ont assemblée, afin de capitaliser sur un tournage somme toute cher, et prestigieux.. Néanmoins, y compris une fois ramené à une longueur moins effrayante, ce film est un bien bel anachronisme en 1970: situé à la fin du XIXe siècle, il épouse le verbe de Conan Doyle, ça et là rehaussé de ces brillants traits d'humour Wilderiens. Le prologue actuel, commençant pendant un générique d'une grande dignité, nous fait comprendre que nous allons assister à une succession d'affaires laissées de coté par Watson du vivant de Holmes afin de ne pas écorner la légende, mais on n'en aura en vérité que deux: d'une part, une convocation à l'opéra, lorsqu'une grande ballerine Russe de passage à Londres essaiera de convaincre Holmes de devenir le père de son enfant, puis une sombre histoire d'espionnage qui commence par l'arrivée d'une mystérieuse cliente Belge et amnésique, qui recherche son mari, une affaire dans laquelle les petits cailloux chers à Wilder vont se multiplier, permettant à l'auteur d'exposer encore plus que jamais son sens de la structiure à ciel ouvert, permettant à Holmes, Watson, et celle qui répond au nom de Gabrielle Valladon de commenter au fur et à mesure la progression d'une intrigue dont le seul but est, bien sur, de nous perdre.



Avec sa narration mystérieuse, ses personnages engoncés dans une morale authentiquement Victorienne (Victoria fait d'ailleurs objectivement partie du puzzle), ce film fait toutpour avoir l'air d'un autre age. Bien sur, Wilder a fait appel à la couleur, comme il le fera de nouveau dans ses quatre prochains films, mais cette couleur est diffuse, délicate, travaillée. La musique de Miklos Rosza ajoute à cette impression de classicisme excessif, et le ton très Anglais des deux acteurs retenus par Wilder pour interpréter ses personnages enfonce plus avant le clou: Robert Stephens est un grand Holmes, à commencer par le fait qu'il se situe "en dehors de la fiction, qu'il dénonce dès la première scène: il reproche en effet à watson de l'avoir agrandi pour ses chroniques, et s'autocite en permanence, citant la prose du Dr Watson... celui-ci est interprété avec un grand bonheur par Colin Blakely, qui est de toute évidence dirigé par Wilder dans l'optique de faire du Jack Lemmon: il possède ce coté faire-valoir, ce décalage génial, et tel Gerry devenant Daphné dans Some like it hot, il rend son "déguisement" de valet très à coeur dans le dernier acte du film.



Le terme de "private life" adopté dans le titre, et qui était déja dans la version de 180 minutes, fait allusion à la nature scabreuse du film, et au fait que dans les sujets ici retenus, il est largement question de sexe, et d'une manière générale des rapports de Holmes avec les femmes en général. L'épisode avec la ballerine se conclut sur un mensonge de Holmes: afin de ne pas devenir l'amant occasionnel d'une femme qui en veut à ses spermatozoïdes, il feint d'être l'amant de Watson. celui-ci prend très mal la chose, et lors d'une discussion avec Holmes, demande à celui-ci de confirmer qu'il a bien des rapports avec les femmes, ce que Holmes refuise de faire... Avec gabrielle Valladon, c'est une autre affaire. Le soir ou les deux hommes recueillent la jeune femme, Holmes la retrouve nue dans sa propre chambre, s'adressant à lui et l'invitant clairement à la rejoindre dans le lit. Holmes s'intéresse alors à un indice pour son identité: elle a une marque d'encre sur la paume. On coupe ensuite au lendemain, et Watson découvre la jeune femme seule, couchée dans la chambre de son ami. Le retour de Holmes dissipe l'équivoque, néanmoins Madame valladon et Holmes vont maintenir une étrange relation, distante, mais pas trop, laisant flotter une certaine équivoque quant à la nature de leurs relations. Le pot-aux-roses ne sera jamais dévoilé, seuls les sentiments de l'un et de l'autre seront, eux, parfaitement clairs.



Entièrement dévoué à son projet, Wilder a laissé libre cours à son inspiration, et signe constamment le film. J'ai déja parlé de la direction d'acteurs, notamment sur Colin Blakely, de ses petits cailloux, particulièrement Hitchcockiens (le film possède l'un des plus beaux Mac Guffins de tous les temps, du reste). La visite de l'Ecosse a elle aussi des accents Hitchcockiens, l'auteur s'amusant à inventorier tous les clichés du lieu (Ses monuments, ses chateaux sinistres, ses cornemuses, son Loch Ness et son monstre); Les thèmes de la dissimulation, du mensonge, du déguisement sont à la fête aussi, avec une intrigue qui repose autour d'un mystère dans lequel Holmes finit par trouver son propre frère impliqué, pour une cliente qui n'est pas ce qu'elle prétend, qui contient un monstre qui n'en est pas un, des enfants qui sont des nains, et des canaris blancs... Holmes, est un obsédé, encore un: obsédé par sa propre image, mais aussi par ses petites déformations, comme lorsqu'il visite le Club ou réside son frère Mycroft: en pleine étude technique sur les différentes cebndres de tabac, il avise un membre endormi du club dont le cigare s'est consumé, et regarde l'échantillon, avec d'ailleurs l'approbation de watson, qui partage décidément tous les aspects de la vie de son ami...

Le jeu entre fiction et réel est savoureux, depuis cette solennelle découverte durant le générique, dans le Londres de 1970, de documents jusqu'alors cachés selon la volonté de feu le Dr Watson. La reine Victoria, en rencontrant Holmes, lui demande si elle pourra bientôt lire ses aventures, mais Holmes admet ne pas le souhaiter, l'affaire ne tournant pas à son avantage; ainsi, les mensonges sur lui-même qu'il reprochait à son ami sont devenu un moyen de préserver sa propre vanité. Le film plus long allait plus loin encore aussi bien sur les mensonges et les stratagèmes que sur les aspects graveleux (Un épisode concernait les raports ambigus de Holmes et d'une prostituée, un autre voyait Watson tenter de résoudre une affaire impliquant des fêtards nus dans un lit, etc): Watson y entrait d'ailleurs en cométition avec Holmes, lui soumettant une affaire truquée par ses soins, infaisable, mais dont Holmes triomphait sans souci. une touche discrète reste dans le film, de façon insistante: Holmes n'est pas infaillible. Son propre frère le roule dans la farine d'une façon évidente, il n'a pas vu venir la ruse de sa propre cliente, et il refuse au début de s'intéresser à une affaire (Des nains de cirque ont disparu) qui a des répercussions importantes sur l'affaire Valladon. Tout ceci, bien sur, par vanité...



Mais ce qui surprendra le plus dans ce film souvent plein d'esprit, c'est son atmosphère triste, voire morbide. Le rire, la politesse du désespoir, est un sport que ne pratique pas beaucoup Holmes. Il est plus friand de déductions, de recherches, et bien sur de cocaïne. La scène splendide qui voit Holmes tenter de jouer du violon, puis l'abandonner pour s'adonner à son autre passe-temps, est vue sous le regard de watson, son approbation tranquille à l'écoute des notes de musique, puis son inquiétude en entendant le violon s'arrêter, et sa désapprobation totale lorsque sans un mot Holmes se dirige vers la petite malette qui contient la drogue. Une scène dans laquelle toute la science de Wilder, sa délicatesse, mais aussi son amour du détail, vont droit au but, et en disent plus long sur Holmes, et aussi sur Watson, que les paragraphes entiers de Sir Arthur Conan Doyle, j'en ai peur. De la narration, en quelques images. Bref, du cinéma. Un très grand film, à n'en pas douter, avec ou sans ses minutes manquantes....
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