Intolérance (D.W. Griffith - 1916)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jipi
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Message par Jipi »

« Sans cesse se balance le berceau reliant le passé à l’avenir ».

Un foyer d’intolérance et de haine lutte perpétuellement au cœur du temps afin de soumettre un amour charité se maintenant difficilement à flots dans un environnement historique de plusieurs millénaires synonymes de massacres permanents.

Des grappes humaines en révolte sont corrigées au canon, des tours s’embrasent au pied des murailles d’une ville momentanément épargnée. Le Christ se prépare à la passion, Babylone trahi par ses religieux offre à l’envahisseur ses murs éventrés. Le chômeur à bout de ressources détrousse l’éméché. Le réformiste se déchaîne dans une époque où les individus désoeuvrés retournent à la pierre brute.

« Il faut détruire ou être détruits » Catherine de Médicis le clame haut et fort à un Charles IX sous pression matriarcale à l’aube d’une Saint Barthélemy sanguinaire ou le seul but est de gagner du temps sur le temps par la force d’une doctrine contradictoire.

Depuis toujours, l’humanité se morfond en conflits répétitifs par des procédures guerrières et politiques. Il y a toujours un prêtre pour vendre une ville à un empereur. En costumes ou bardés de fers les hommes ne font que se trahir, souffrir et guerroyer.

Ces quatre récits offre à l’histoire un sanguinolent paquet cadeaux de nos fureurs temporelles contrées par une bravoure bien souvent féminine courageuse, malmenée, quelquefois récompensée.

« Intolérance » est une œuvre magnifique, grandiose, violente, sensuelle montrant notre logiciel terrestre, une fureur meurtrière vétue d’une famine intellectuelle ou l’homme extrêmement fragilisé se protège dans la douleur de la bestialité de ses propres congénères encadré par des compagnes aimantes, volontaires, décisionnaires d’une grâce de dernière minute ou opérationnelles au combat jusqu'à la mort.

Les décors grandioses Babyloniens filmés en ballon captif alimentent merveilleusement les contraintes du plan fixe. Ces statues d’éléphants cabrées aux mesures himalayennes envoient au placard les balbutiements d’un jeune cinéma prenant soudainement grâce à ce joyau une technologie parfaite presque indélébile.

"Intolérance» première fresque historique cinématographique à grand spectacle représente un processus complet émotionnel et tragique de nos parcours, un plan révélateur de toutes nos erreurs accumulées. Ces quatre récits en parallèles ne sont que notre image, une lutte éternelle entre proies et prédateurs.
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Ann Harding
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Re: Intolérance (D.W. Griffith, 1916)

Message par Ann Harding »

J'ai revisité hier soir Intolérance. Il existe de multiples versions sur le marché avec chacune une musique différente. J'ai -bien sûr- vu la restauration de 2007 sur Arte avec la partition d'Antoine Duhamel et Pierre Jansen. Leur musique est un flux sonore continu avec une tendance à la noirceur qui est parfois en décalage avec les séquences plus légères du film -en particulier celles avec Mae Marsh et Robert Harron (The Dear-One et The Boy). J'étais donc curieuse d'entendre la musique composée par Carl Davis en 1989 pour une présentation d'Intolérance sur Channel 4, puis en concert en 1990.
La partition de Davis s'est révélée nettement supérieure à celle de Jansen/Duhamel. Alors que les deux français ont une approche de l'illustration sonore comme d'un 'fond sonore symphonique' continu qui ne cherche pas à différencier les différentes époques, Carl Davis fait un travail de dentellière en créant des leitmotives pour chaque personnage (Belshazzar, The Mountain Girl, The Dear-One etc.) et colorant chaque période avec la musique idoine (Saint-Barthélémy avec une version vaguement parodique de la musique Renaissance, etc.). On sent un travail de fond sur chaque séquence et son contenu émotionnel. En regardant le film, je me suis demandé parfois si j'avais déjà vu cette scène tellement elle me semblait différente de la version précédente. Les scènes contemporaines gagnent énormément émotionnellement et en profondeur. Les relations entre Mae Marsh et Bobby Harron sont bien mieux illustrées, allant du thème tragique principal à la chanson populaire 'In the Good Old Summertime'. Mais, ce qui m'a fasciné, c'est la grande bataille de Babylone entre Cyrus et Belshazzar. Dans la version Jansen/Duhamel, elle est soutenue par un accompagnement puissant, mais uniforme. Carl Davis réussit non seulement à donner une dynamique intense et prenante (dans le style de Chostakovitch et des Planètes de Gustav Holst), mais, en plus, il montre l'évolution de cette bataille dans sa complexité. L'attaque des armées de Cyrus atteint un paroxysme de violence lors de celle-ci. La musique reflète les images (soldat recevant une flèche dans la bouche, décapitation, etc.) en offrant des dissonnances qui vont en s'accroissant avec l'horreur de la scène. Autre grand moment, l'arrivée de l'engin lançant des flammes. La musique qui jusque là atteignait un paroxysme, devient soudain plus assourdie alors qu'on attendait une explosion. On devine que c'est le tournant de la bataille. La scène avec Lillian Gish et les trois fileuses qui reparait régulièrement est soutenue par un accompagnement comme un mécanisme d'horloge tout en suggérant le destin (style les 3 Nornes de Wagner). Le thème rayonnant et puissant qui accompagne l'immense travelling vers le décor gigantesque de Babylone est également totalement prenant. En fait, avec la musique de Davis, on prend un intérêt viscéral pour chaque personnage et chaque scène. Quel dommage que cette musique ne soit pas disponible en DVD... :(

Mais, pour les chanceux qui habitent dans l'est de la France (ou au Luxembourg), ils ont la possibilité de voir le film à la Philharmonie du Luxembourg le 1er Avril prochain à 20h00. L'Orchestre Philharmonique du Luxembourg sera dirigé par Carl Davis.
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higa
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Re: Intolérance (D.W. Griffith - 1916)

Message par higa »

Pour ceux que ça intéresse, je suis tombé un peu par hasard sur cette vidéo qui analyse la structure du décor babylonien au centre d'Intolérance, je pense que même ceux qui ont déja tout lu sur le film apprécieront l'apport des reconstructions 3D

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