
Un choc esthétique et émotionnel, tout bonnement. Voir Michael Curtiz s'épanouir sur certains films possède une saveur particulière, unique, et The sea wolf se paye le luxe d'être la représentation parfaite du plus haut degré de perfection du travail de Curtiz. Certes, sa filmographie regorge de grands films, mais certains (plus que d'autres) donnent la preuve de son immense talent. Un auteur à part entière, je rejoins une fois de plus allen john, et qui, comme le souligne Pierre Berthomieu dans son exceptionnel article consacré au cinéaste (dans le livre Hollywood classique : Le temps des géants), était un artiste à l'univers fort ambigu. L'enfer et les cieux, le bien et le mal, les contradictions d'une existence humaine dédiée à la réussite, le courage (ou la barbarie) d'affirmer ses besoins en dépit de ses envies, voilà tout ce dont l'oeuvre de Curtiz est si souvent remplie.
The sea wolf, c'est un film incroyable, porté par un casting extraordinaire, filmé avec la grâce et l'intensité d'une ambition artistique terriblement efficace. Un film personnel pour le cinéaste, parmi les grands classiques de commande qu'il signe à l'époque. A cette époque, Curtiz est à son zenith : Les anges aux figures sales, Virginia city, La piste de Santa Fe... Ses héros s'assombrissent, brisent leur idéal dans une étreinte maudite et involontaire, tournent le dos à leur destin personnel pour embrasser celui du folklore. Le héros le plus sombre de cette période, c'est Edward G. Robinson dans The sea wolf, un homme cruel, antipathique, tourmenté par un passé terrifiant et menacé par lui-même, le personnage curtizien type poussé à son paroxysme, au point de non retour. Face à lui, John Garfield, Ida Lupino, Alexander Knox sont tous splendides et embrassent une part du meilleur de leurs carrières. Ce capitaine dirigeant un bateau de repris de justice, maudit jusqu'à la cale, pourri jusqu'au sommet du mat principal, ne cesse de hanter les mers, fuyant son frère, poursuivant son avènement.
Je ne compte plus les scènes d'anthologie, de furie, de suspense, aux relents tragiques, encerclant les personnages jusqu'au cou, c'est fabuleux ! Pour le moment, je reste pris par ce film, tant et si bien que je n'en dirais que peu de choses et m'en tiendrais là pour le moment. Robinson, cet acteur hors norme, aura pourtant été rarement meilleur qu'ici, c'est dire le niveau de sa prestation. Rarement j'aurais autant senti la putréfaction, la mort, l'enfer au sens littéral du terme (avec toutes les métaphores que cela engage) et la détresse-cruauté mêlée. Ajoutez à cela une gestion des noirs profonds et charbonneux comme rarement vous en aurez vu, un éclairage subtil et une façon de filmer les visages qui confine au génie, et vous aurez une petite idée du film.
Michael Curtiz signe ici ni plus ni moins qu'un très grand chef-d'oeuvre, l'un des plus grands films de sa riche carrière. Cela fait bien 6 ans que j'attendais de le découvrir, c'est chose faite, ce fut merveilleux.