Michael Curtiz (1886-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Cathy
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Message par Cathy »

La cuisine des anges ou we're not angels

Je viens de revoir ce film et je dois dire que j'ai du mal à comprendre les mauvaises critiques qu'il subit systématiquement. Evidemment c'est du théâtre filmé, mais bon, l'histoire est bonne, même si amorale, les dialogues plutôt drôles, les personnages sympathiques. On ne voit pas le temps passer. Humphrey Bogart, Aldo Ray et Peter Ustinov sont tous les trois parfaits dans ces rôles d'anges-bagnards au grand coeur. Leo G Carroll est comme toujours excellent de même que Joan Bennett. Basil Rathbone est odieux à souhait. La mise en scène alerte de Curtiz ne gache rien. Alors oui ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est une bonne comédie américaine qui se laisse voir avec plaisir et pour moi c'est l'essentiel :) !
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Jeremy Fox
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Casablanca

Message par Jeremy Fox »

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1942, en pleine tourmente de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de réfugiés fuyant le joug hitlérien en Europe affluent à Casablanca dans l’espoir d’obtenir un visa pour les Etats-Unis et la liberté. Le Major Strasser (Conrad Veidt), important dignitaire allemand, arrive en ville pour enquêter sur l’assassinat de deux émissaires nazis ; il demande pour son investigation l’aide du capitaine Renault (Claude Rains), chef de la police locale vichyssoise. La solution de cette énigme ne peut se trouver qu’au Café Américain où se presse chaque soir une foule cosmopolite et bigarrée, et dont le propriétaire (Humphrey Bogart) est un ancien opposant aux fascistes en Ethiopie et en Espagne. Miné par un chagrin d’amour, Rick est devenu un homme amer, désenchanté et opportuniste qui affecte désormais un complet détachement vis-à-vis de la situation internationale : il peut à la fois laisser se dérouler dans son établissement tout un tas de trafics et ne pas lever le petit doigt pour empêcher l’arrestation d'un homme qui a tué des soldats allemands. L’arrivée d’Ilsa (Ingrid Bergman), la femme qu’il avait aimée avant l’occupation de Paris par l’armée ennemie et qui l’avait quitté brusquement, en remuant de vieux souvenirs va le faire sortir de sa "léthargie humaniste" ; Rick va se réengager dans la bataille livrée contre les Nazis. En effet, Victor Laszlo (Paul Henreid), le mari d’Ilsa, n’est autre qu’un chef réputé de la Résistance, échappé d’un camp de concentration et qui souhaite rejoindre les Etats-Unis. Rick fera tout pour favoriser la fuite du couple, préférant sacrifier son amour pour se battre de nouveau aux côtés des Alliés.

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« Nos petits problèmes personnels ne pèsent pas lourd dans la balance au milieu de tout ce gâchis » dira en cours de film Humphrey Bogart à Ingrid Bergman ; en effet, Rick, le personnage qu’il interprète, finira par sacrifier l’amour au profit de la lutte pour un monde libre. Il s’agit donc effectivement avant tout ici d’un film de propagande, d’une oeuvre de circonstance en faveur de l’interventionnisme militaire et politique des Etats-Unis dans le conflit mondial. Mais si Casablanca n’avait été que cela, pensez vous sérieusement qu’il aurait pu traverser toutes ces années sans prendre la moindre ride et sans entamer le potentiel d’amour et de fascination qu’il véhicule avec toujours autant de ferveur qu’il y a 60 ans chez toutes les générations confondues ? Car avec Autant en emporte le vent, le film de Michael Curtiz est paraît-il le film le plus apprécié du public américain. Comme le fait remarquer Jacques Lourcelles dans son passionnant Dictionnaire du cinéma, "Cela tient sans doute, dans ce qu’il a de bon et de moins bon, à sa nature de feuilleton. Le caractère exceptionnel de Casablanca dans la grande production hollywoodienne est qu’il a été involontairement conçu, écrit et tourné comme un feuilleton, aucun de ses créateurs connaissant la destination de l’histoire, laquelle resta jusqu’au bout « à suivre »."

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Effectivement, le tournage (comme celui de Autant en emporte le vent) fut véritablement feuilletonesque. Toute l’équipe est sceptique dès le premier clap car déjà la préparation du film fut conflictuelle : tous les comédiens prévus au départ (Ann Sheridan, Ronald Reagan et Dennis Morgan en dernier ressort, après bien d’autres célébrités restées déjà sur la brèche) ne se retrouvèrent finalement - et heureusement - pas dans la version que nous connaissons. William Wyler fut remplacé par Michael Curtiz, qui à 54 ans, avait déjà prouvé à maintes reprises sa capacité à diriger de gros budgets à Hollywood (Captain Blood, Les Aventures de Robin des Bois, L’Aigle des mers, Le Vaisseau fantôme...) Enfin, de nombreux scénaristes travaillèrent chacun dans leur coin sans jamais se consulter, Julius J. et Philip G. Epstein, Howard Koch et Casey Robinson écrivant et modifiant le script au jour le jour. Trois mois après le début du tournage, le producteur Hal Wallis constatera que « nous avions toujours affaire à un metteur en scène récalcitrant, à une distribution qui détestait en partie son dialogue, à des acteurs surpayés attendant sans rien faire et sans être sûrs qu’on aurait besoin d’eux et à une actrice qui rêvait d’être libre pour jouer dans Pour qui sonne le glas. Mike et Bogey se disputaient si fréquemment que je devais venir sur le plateau pour arbitrer leurs querelles. » L’anarchie la plus complète règnera ainsi pendant tout le tournage à tel point que le choix entre deux fins possibles ne sera fait qu’au dernier moment. Personne ne saura jamais (y compris les scénaristes) de quel personnage Ingrid Bergman était réellement amoureuse. Le réalisateur lui demandera même de jouer "entre-deux", ne connaissant pas lui-même l’aboutissement de cette histoire d’amour. Bref, Casablanca est un film qui accouche dans la douleur et le désordre.

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Et pourtant, en découvrant le film, on imagine assez difficilement comment un tel fouillis a pu donner naissance à une œuvre aussi attachante, entêtante, romantique et passionnée, défiant toute analyse, Curtiz fonçant tête baissée à travers les clichés et trouvant encore le moyen d’en ressortir grandi. En effet, même si le temps n’a pas eu de prise sur ce mélodrame (tiré d’une obscure pièce de théâtre qui n’a jamais été représentée mais seulement rachetée pour son exotisme), si l'on essaye de l'étudier plus en profondeur, on se rend vite compte qu’il comporte pourtant son lot de lieux communs les plus éculés, aussi bien dans les situations que dans la caractérisation des personnages. C’est donc bien une sorte de miracle qui a eu lieu, le résultat d’une alchimie parfaite entre l’élégance d’une mise en scène, la perfection technique du studio Warner de l’époque et une interprétation prodigieuse de tous les acteurs, seconds rôles compris, les furtives apparitions de Sidney Greenstreet et Peter Lorre étant par exemple inoubliables. Mais revenons-en au tout début du film proprement dit...

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Le générique se déroule sur fond d’un thème à la fois exotique et patriotique (avec déjà des accords de La Marseillaise) du grand Max Steiner et le film s’ouvre sur un rapide topo historique expliquant ce que viennent chercher tous ses exilés à Casablanca, sur fond d’images d’archives et d’une carte représentant le trajet de Paris à Casablanca. Les images suivantes montrent la police française tirer et tuer un homme qui tente de s’échapper, ce dernier tenant dans sa main l’image d’une Croix de Lorraine et tombant foudroyé au pied d’une affiche représentant le Maréchal Pétain. Suivent des plans des habitants levant les yeux au ciel pour regarder un avion, symbole de toutes leurs aspirations : l’autre côté de l’Atlantique, vers la liberté. Le film se pose donc sans tarder comme un drame propagandiste tout ce qu’il y a de plus sérieux, mais toutefois dépaysant puisque se déroulant très loin des Etats-Unis ou de la grisaille européenne, dans un Maroc reconstitué sans aucun réalisme mais avec tout le faste nécessaire à Curtiz pour y situer son intrigue ; ou plutôt ses intrigues, puisque Casablanca contient assez de pistes et de personnages pour alimenter un grand nombre de scénarios. Nous sommes en pleine guerre mondiale, mais ici point de combats ni de batailles sanglantes, le spectateur peut respirer et s’immerger dans ce "bar américain", raccourci étonnant du conflit mondial dont les différentes forces en présence sont personnifiées par la clientèle, lieu quasi unique de l’intrigue où se retrouve en terrain neutre toute la société cosmopolite de la ville marocaine. Une clientèle panachée de policiers corrompus, d’élégants officiers nazis, de pickpockets sympathiques, de résistants courageux, de réfugiés touchants... Un foisonnement à travers lequel la caméra s’insinue tout en douceur et en élégance, passant dans les dix premières minutes du film d’un personnage à l’autre avec une fluidité incroyable : à peine avons-nous fait le tour de l’établissement qu’il nous semble connaître tous ses recoins ainsi que toutes les personnes qui le fréquentent. Le métier du réalisateur est ici flagrant et annonce en quelque sorte les circonvolutions qui ouvriront certains films de Martin Scorsese, la caméra se baladant de l’un à l’autre des multiples protagonistes dans un lieu bien défini sans que jamais le réalisateur ne perde le fil de son intrigue assez complexe (je pense entre autre à Casino).

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Mais cette maîtrise serait bien vaine si tout ce qui l’entourait n’était pas également de très haut niveau : les superbes gros plans sur les visages et les clairs-obscurs de la photographie signée Arthur Edeson, les thèmes passionnés et tragiques de Max Steiner ; la direction artistique somptueuse...
Sans oublier les dialogues plus d’une fois éblouissants, tour à tour spirituels ou enflammés, ironiques ou colorés. En voici quelques exemples. Alors que le capitaine Renault demande à Rick sa nationalité, ce dernier lui rétorque : « Ivrogne » ; sur quoi le capitaine lui répond : « Ce qui fait de vous un citoyen du monde. » Une autre séquence voyant Rick et Laszlo se lancer dans une discussion sur l’engagement et le patriotisme se déroule ainsi : Rick : « Vous ne vous demandez jamais si tout ça en vaut la peine ? Ce pour quoi vous combattez ? » Laszlo : « Se demande-t-on pourquoi on respire ? Ne plus respirer c’est la mort. Ne plus combattre et le monde mourra ! » Rick : « Et alors ? Il cesserait de souffrir ! » Laszlo : « Vous me faites penser à un homme qui veut se convaincre de quelque chose en quoi il ne croit pas. A chacun son destin, pour le meilleur et pour le pire. » Personne n’a dû non plus oublier cette réplique qui aurait été ridicule dans 99 % des cas mais qui passe ici comme une lettre à la poste grâce au climax éminemment romantique à cet instant du film, quand Rick et Ilsa se retrouvent tous les deux dans la petite chambre d’un hôtel parisien. Ilsa entendant une déflagration au dehors dit cette phrase que même dans un roman de gare on aurait eu du mal à accepter mais qui dans ce contexte précis ne choque absolument pas : « Est-ce le bruit du canon ou celui de mon cœur qui bat ? » Un des prodiges de l’alchimie miraculeuse de ce merveilleux mélo. Il faut quand même dire que, grâce à Michael Curtiz et sa directive à Bergman de jouer entre-deux (voir le second paragraphe), le personnage d’Ilsa acquiert un bien plus grand mystère, l’actrice n’en étant encore que plus convaincante.

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Cependant, si les séquences mythiques de ce film ne sont pas uniquement basées sur les dialogues (les regards sont aussi extrêmement importants), elles viennent en tout cas s’enchaîner sans aucun répit, pour le plus grand bonheur des cinéphiles que nous sommes : Ingrid Bergman demandant avec une nostalgie non feinte au pianiste noir (joué par Dooley Wilson) d’entamer sa chanson : « Play it Sam, play "As time goes by" » ; Paul Henreid faisant jouer et chanter la Marseillaise à pleins poumons par les clients du bar pour couvrir l’hymne nazi (même si vous n’avez pas la fibre patriotique, il est à parier que vous aurez pourtant tous la gorge serrée à ce moment-là) ; la sublime idée de mise en scène soutenue par un thème déchirant et passionné de Max Steiner qui voit Bogart, vêtu de son célèbre imperméable, attendant sa compagne à la gare après qu’ils ont tous deux décidé de fuir Paris ensemble, et inquiet de ne pas la voir venir recevoir à ce moment précis une lettre d’adieu que l’on voit alors en gros plan et dont l’encre se met à couler sous l’effet des gouttes de pluie : une image d’une tristesse et d’un romantisme déchirant accentuée par le visage au bord des larmes de Rick montant alors seul dans le train. L’émotion qui vous étreint à cet instant est indescriptible, preuve du génie fulgurant de Curtiz quand il s’agit de faire vibrer la corde sensible du spectateur. Mais l’humour n’est pas non plus absent de ce grand film romantique et tragique : Claude Rains, pétainiste plus par résignation que par conviction, jette à la fin dans la poubelle... une bouteille de Vichy !

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Si Casablanca est entré dans la légende hollywoodienne, un autre mythe continue de se forger, celui de Humphrey Bogart qui est pour beaucoup dans la fascination exercée par le film. Il y avait eu le Sam Spade du Faucon maltais de John Huston, il y a désormais le Rick de Casablanca, deux personnages somme toute assez semblables et indissociables, dans l’esprit du public, de l’acteur : Bogart c’est Rick, Sam Spade et Marlowe, un homme cynique, la cigarette au bec et qui passe du smoking impeccable au vieil imperméable usagé. Dans Casablanca, le héros foncièrement positif du film est le rationnel Laszlo joué par Paul Henreid : rien ne peut lui être reproché. Il est droit, courageux, loyal, sincère, sans aucun défaut apparent. Pourtant il reste froid car trop parfait, manquant paradoxalement d’humanité ! C’est plutôt à Rick que le spectateur s’identifie le mieux, avec qui il se sent le plus d’affinités. Il s’agit d’un personnage solitaire, amer et désenchanté mais que l’on devine capable se sacrifier. Un homme secret portant sur ses épaules le poids d’un lourd passé. Au début, un individualiste farouche (« Je ne prends de risque pour personne ») mais dont on sent qu’il ne l’a pas toujours été (il déchire même les chèques allemands au lieu de les encaisser). Effectivement, on apprend en cours de route que c’est un chagrin d’amour qui l’a transformé ainsi : en somme un grand romantique capable de sentiments derrière son impassibilité. C’est une nouvelle fois l’amour qui lui rendra sa dignité en lui faisant choisir le bon camp, celui des Alliés. Il retrouve à la fin son visage impénétrable, son idéalisme à toute épreuve dans lequel l’Amérique toute entière s’est reconnue. Le temps du combat est revenu pour Rick, celui qu’il avait déjà mené en Ethiopie et en Espagne et que l’acteur lui même continuera dans la vie en compagnie de Lauren Bacall, un combat pour la liberté entre autres.

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Ce film démontre donc qu’il n’y avait pas nécessairement besoin de combats et de spectaculaires batailles pour faire vibrer l’opinion américaine et pour soutenir l’effort de guerre. Sans se soucier d’un quelconque réalisme, Casablanca réussit pourtant à capter ce que devait être l’atmosphère de cette époque. Curtiz, par sa mise en scène fluide, feutrée, concise, élégante, sa parfaite direction d’acteurs, passe au travers des ficelles grossières avec un détachement serein et une conviction certaine qui transforment ce qui aurait pu être un mauvais mélo en une sublime histoire d’amour, en même temps que la célébration des sentiments nobles et de valeurs patriotiques nécessaires pour remonter le moral du public alors que les USA étaient entrés jusqu’au cou dans le conflit mondial depuis une année. Un critique - dont je m’excuse de ne plus me souvenir du nom - a dit que Casablanca montrait trois formes d’engagements, un rationnel (Laszlo), un sentimental (Ilsa) et un chevaleresque (Bogart). Le film sortira aux USA au moment de la Conférence des Alliés à Casablanca en janvier 1943, conférence qui suivit de peu le débarquement en Afrique du Nord. Casablanca obtiendra trois Oscars, ceux de la réalisation, du scénario et du meilleur film. Une légende dit que chaque soir sans exception, il y a au moins un cinéma à Paris, Londres ou New York qui affiche Casablanca. Belle légende qui traduit l’engouement de ce film à toutes les époques et auprès de tous les publics. D’ailleurs le film ouvrira le chemin à d’innombrables films du même genre comme, toujours de Michael Curtiz, Passage to Marseille ou encore cette autre merveille d’après Hemingway, Le Port de l’angoisse de Howard Hawks. Ah, j’avais oublié de vous dire : Casablanca est un chef-d’œuvre !

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Tom Peeping
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Message par Tom Peeping »

Jeremy Fox a écrit :Dans les années 50, Michael Curtiz n'était plus que l'ombre de lui même enchaînant film médiocre sur film médiocre (à quelques exceptions). Night and Day en était déjà un bon exemple en 1950. Biopic totalement terne et ennuyeux de Cole Porter avec un Cary Grant très peu convaincant ni convaincu de se retrouver ici.
Dans De-Lovely, la nouvelle et très bonne bio de Cole Porter sortie en 2004, Kevin Kline (Poster) et Ashley Judd (sa femme) vont voir incognito le film au cinéma. On les voit dans la salle regarder la dernière scène du film de Curtiz et ils sortent du spectacle attérés en faisant des commentaires assez drôles.
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Tom Peeping a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Dans les années 50, Michael Curtiz n'était plus que l'ombre de lui même enchaînant film médiocre sur film médiocre (à quelques exceptions). Night and Day en était déjà un bon exemple en 1950. Biopic totalement terne et ennuyeux de Cole Porter avec un Cary Grant très peu convaincant ni convaincu de se retrouver ici.
Dans De-Lovely, la nouvelle et très bonne bio de Cole Porter sortie en 2004, Kevin Kline (Poster) et Ashley Judd (sa femme) vont voir incognito le film au cinéma. On les voit dans la salle regarder la dernière scène du film de Curtiz et ils sortent du spectacle attérés en faisant des commentaires assez drôles.
Celui qui ne connaitrait pas la musique de Porter, pourrait même ne pas vouloir en connaître plus tellement ses chansons sont mal mises en valeurs et les meilleures n'y étant pas chantées :? On ne remercie pas Michael Curtiz sur le coup.
Lord Henry
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Message par Lord Henry »

Night and Day date de 1946, soit un an après Mildred Pierce, et il précède des oeuvres telles que Flamingo Road, Bright Leaf ou The Breaking Point; tous films qui traduisent une vitalité créatrice intacte.

Je crois surtout que personne n'aurait pu tirer quoi que ce soit de passionnant du scénario édulcoré et aseptisé de Night and Day, et que l'interprétation de Cary Grant s'avère rédhibitoire.
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Fatalitas
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Message par Fatalitas »

j'avoue préférer Breaking point au To Have and have not de Hawks :oops: :arrow:

mais bon, je ne connais pas le bouquin d'Hemingway dont ses deux films sont l'adaptation
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

09
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LA FEMME DE MES REVES (I'll see you in my dreams)

Réalisation : Michael Curtiz
Avec Doris Day, Danny Thomas, Frank Lovejoy, Mary Wickes
Scénario : Jack Rose & Melville Shavelson
Photographie : Ted D. McCord (noir et blanc)
Musique : Divers sous la direction de Ray Heindorf
Une production Warner Bros.
USA - 109 mn - 1951


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Chicago 1908. Le parolier Gus Kahn (Danny Thomas) frappe à toutes les portes des maisons d’édition de Tin Pan Alley pour faire lire les chansons, opérettes et comédies musicales qu’il a écrit depuis des années seul dans son coin. Ce jour là, il demande avec insistance à la charmante Grace LeBoy (Doris Day) de juger ‘son œuvre’. Après l’avoir brusquement remis à sa place, elle accepte de lui consacrer quelques heures. Le conseil qu’elle lui donne d’emblée est d’écrire des chansons simples pour aider toutes ces personnes qui ne savent pas dire ‘je t’aime’. Il la prend au mot et vient la déranger le soir même alors qu’elle dîne avec ses parents pour lui faire lire ‘I Wish I Had a Girl’ qu’elle met immédiatement en musique et qui se transforme vite en un immense succès populaire. C’est le début d’une collaboration fructueuse qui aboutira après plusieurs années de travail commun… par un mariage. Grace n’aura alors de cesse que de veiller sur son époux, le conseiller et le relancer lors de ses passes difficiles. Gus écrira des centaines de chansons pour les compositeurs les plus célèbres de Broadway et d’Hollywood et réussira à rebondir après le Krach de Wall Street qui l’aura un temps ruiné financièrement et moralement…

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"If you want to write songs, write about love, because the average person doesn't know how to say I love you. You've got to say it for them."

Tin Pan Alley est le nom qui fut donné à la rue de New York située entre la 5ème et la 6ème avenue et où les éditeurs musicaux s’étaient regroupés à la fin du 19ème siècle, et par extension à la musique populaire américaine dès cette même époque. Irving Berlin, Al Jolson, Cole Porter et bien d’autres firent partie de ces innombrables artistes qui fréquentèrent ce lieu incontournable de leur profession pour y proposer leurs compositions. Durant les années 40 et 50, la plupart des grands compositeurs de Tin Pan Alley eurent droit à leur biopic, la majorité construits sur le même modèle, les innombrables chansons composées par la personnalité mise en avant donnant lieu à des numéros entrecoupant une intrigue elliptique et pas toujours captivante. Si Hollywood se pencha plus logiquement sur les auteurs des mélodies, rares sont les librettistes et paroliers dont la biographie fut portée à l’écran. Le fait de mettre Gus Kahn sur le devant de la scène représentait donc une singularité ; une parmi d'autres concernant ce modeste film musical de Michael Curtiz qui, toujours totalement inconnu en France, fut pourtant l’un des deux plus gros succès de la Warner en cette année 1951. Un petit coup de projecteur sur ce très joli film ne lui fera surement pas de mal d’autant que la réputation de la décennie 50 du cinéaste demeure plus que médiocre. Parmi les nombreux films injustement mésestimés de cette période se trouve donc ce I’ll see you in my Dreams qui s’avère également être le titre de l’une des chansons les plus célèbres de Gus Kahn.

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Gus Kahn nait en Allemagne en 1886. Il n’y vit que très peu de temps puisque sa famille émigre aux USA dès 1890 dans la ville de Chicago. Comme on le voit dans le film qui débute en 1908, cette année là il rencontre Grace LeBoy avec qui il écrit son premier succès. Il ne l’épouse que huit ans plus tard mais ne travaillera plus avec elle, cette dernière le poussant à s’associer avec des mélodistes de renom tels Egbert Van Alstyne, Tony Jackson ou Isham Jones. De leur collaboration sortiront d’immenses standards tels ‘Pretty Baby’, ‘Making Whoopee’, ‘My Buddy’ ou encore ‘Toot toot tootsie’ -immortalisée par Al Jolson- qui deviendront plus tard à nouveaux de très grands hits pour Doris Day. Gus Kahn travaillera pour Broadway et les comédies musicales du ‘grand Ziegfeld’ puis écrira pour Hollywood des chansons de films dont Carioca, l’un des premiers mettant en scène le célèbre couple Fred Astaire/Ginger Rogers. Il collaborera également avec, pour ne citer que les plus connus, les frères Gershwin, Vincent Youmans, Bronislau Kaper, Jerome Kern, Harry Warren… Il meurt en 1941 et c’est Grace elle-même qui, dix ans plus tard, sera embauchée comme ‘Technical Advisor’ sur le film rendant hommage à son époux et qui dans le même temps, vu l’importance qu’elle eut dans la vie et la carrière de son mari, dessine également d’elle un portrait admirable ; Michael Curiz n'aurait-il pas voulu par la même occasion et par personnage interposé dire tout le bien qu'il pensait de son actrice ?

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Pour endosser le rôle de Kahn, Danny Thomas, un comédien dont ce sera quasiment l’unique rôle important au cinéma ("The best thing I’ve ever done – and with Doris Day!") si ce n’est celui aussi de Al Jolson dans The Jazz Singer à nouveau réalisé par Michael Curtiz l’année suivante. Si en France Danny Thomas demeure toujours un illustre inconnu, il fut célèbre aux États-Unis en tant que comique, surtout sur scène et à la télévision (The Danny Thomas Show perdurera onze années durant entre 1953 et 1964). La deuxième originalité de ce film est donc d’avoir donné comme partenaire à Doris Day un comédien qui, contrairement à Gene Nelson ou Gordon McRae, était loin d’être un fringant jeune premier, le protagoniste étant de plus assez égoïste, immature et pas spécialement très équilibré au point d’être vite découragé et parfois de déprimer. Quoiqu’il en soit, les scénaristes et l’acteur ont réussi à en faire un personnage d’autant plus attachant et humain que le couple que le comédien forme avec la vedette maison fonctionne à merveille. En cette année 1951, non contente d’être la chanteuse préférée des américains, Doris Day s’installe également de plus en plus confortablement à la place de la comédienne la plus populaire et la plus affectionnée par les spectateurs de son pays. Et elle trouve peut-être à l’occasion de sa quatrième collaboration avec son découvreur Michael Curtiz l’un des plus beaux rôles de sa carrière dans le registre dramatique avec plus tard celui dans L’Homme qui en savait trop d’Alfred Hitchcock et celui de la chanteuse Ruth Etting dans Les Pièges de la passion (Love me or Leave me) de Charles Vidor. Dans On Moonlight Bay juste quelques semaines avant, l'actrice interprétait un jeune garçon manqué convaincant ; ici c’est au contraire une femme mure et adulte à laquelle on croit tout autant, le passage de rôles exubérants à d’autres au contraire très posés allant être une des principales caractéristiques de la Miss Day, aussi douée dans les deux registres. Quant à son génie pour la performance vocale, il suffit d’écouter son interprétation de ‘The One I Love Belongs to Somebody Else’ pour s’en convaincre à nouveau.

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Ici, elle rayonne dans la peau de cette femme de tête au caractère bien trempé, tout à la fois moderne et capable de se dévouer corps et âme à l’homme qu’elle aime et qu’elle a épousé. Un ange de gentillesse, de douceur et de tendresse qui, grâce à la force de conviction et au potentiel de sympathie dégagés par l’actrice, parvient à ne jamais être 'écœurante de bonté' ; au contraire une sorte d’épouse idéale grâce à qui le parolier réussira sa carrière, le remettant sur les rails, lui faisant trouver un certain équilibre, lui donnant de bon conseils et surtout arrivant à l’écouter et être compréhensive y compris lorsqu’il lâche prise, ne supportant plus qu’on le materne autant et décidant dans la foulée de faire ses bagages et d’abandonner femme et enfant. La comédienne -tout comme son partenaire- est constamment juste. Très jolies idées que de faire interpréter certaines chansons de Kahn par le couple ; nous nous souviendrons notamment de la délicieuse séquence dans le train sur ‘Making Whoopee’, de ‘Pretty Baby’ servant à illustrer les deux maternités de Grace ainsi que de ‘Toot toot tootsie’ au cours de laquelle cette dernière se grime en noir (comme le fera Al Jolson), l'interprétant dans le cadre des spectacles donnés durant la première guerre mondiale. Si le film tient avant tout grâce à l’interprétation du duo Day/Thomas, aux côtés de ce couple original et profondément attachant l’on trouve une galerie de seconds rôles toute aussi réjouissante avec notamment l’inénarrable Mary Wickes dans le rôle de la servante qui acceptera de perdre un moment ses gages pour pouvoir venir en aide à ses maîtres lorsqu’il seront ruinés par le Krach boursier de 1929, mais aussi un inoubliable Frank Lovejoy dans le rôle du principal collaborateur de Gus Kahn, Walter Donaldson, ou encore Patrice Wymore (alors Mme Errol Flynn) qui partage avec Doris Day la plus émouvante séquence du film, celle de la rencontre entre les deux ‘rivales’, d’une maturité et d’une intelligence assez rare dans le genre. Les deux enfants s'avèrent eux aussi tout à fait crédibles, le couple de scénaristes Jack Rose & Melville Shavelson parvenant à leur faire dire les mots justes.

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Évoquant la carrière du parolier Gus Kahn (auteur de quelques centaines de chansons), un modeste mais excellent biopic musical, tendre, adulte et d'une belle sensibilité, l’un des plus réussis qui soit avec celui réalisé par Richard Thorpe pour le studio concurrent, la MGM, sur le duo de compositeurs Bert Kalmar et Harry Ruby avec Fred Astaire et Red Skelton, le réjouissant Trois petits mots (Three Little Words). Michael Curtiz n’y est évidemment pas non plus pour rien : même si s’effaçant un peu derrière ses comédiens et son scénario, il n’en demeure pas moins qu’il accomplit un discret mais très beau travail, témoins quelques superbes idées de mise en scène comme celles pour illustrer certaines ellipses temporelles ; de plus son film s’avère esthétiquement très léché grâce à la précision et à la beauté des cadrages mais aussi à une très belle photographie en noir et blanc de Ted D. McCord. Une œuvre touchante et qui mérite vraiment d’être découverte, son principal mérite étant de s’attacher bien plus à l’intimité d’un couple qu’à une succession de ‘morceaux de bravoure' musicaux ou dramatique comme c’est souvent le cas pour ce type de films.

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Le film existe en zone 1 dans un superbe DVD malheureusement sans sous titres français.

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Lord Henry
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Message par Lord Henry »

Fatalitas a écrit :j'avoue préférer Breaking point au To Have and have not de Hawks
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Message par daniel gregg »

Lord Henry a écrit :Night and Day date de 1946, soit un an après Mildred Pierce, et il précède des oeuvres telles que Flamingo Road, Bright Leaf ou The Breaking Point; tous films qui traduisent une vitalité créatrice intacte.

Je crois surtout que personne n'aurait pu tirer quoi que ce soit de passionnant du scénario édulcoré et aseptisé de Night and Day, et que l'interprétation de Cary Grant s'avère rédhibitoire.

CQFD !
Néanmoins Jeremy n'a pas tort, le seul souci à propos des Films de Curtiz datant des années 50, c'est qu'ils sont, pour l'essentiel, assez peu diffusés.
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Message par Lord Henry »

Kid Galahad (1937)

Nick Donati (Edward G. Robinson) et Turkey Morgan (Humphrey Bogart) s’affrontent par boxeurs interposés. Le premier pense avoir trouvé en Kid Galahad le champion qui fera sa fortune, mais le Kid fait chavirer les cœurs de Louise (Bette Davis) et de Marie (Jane Bryan), respectivement la compagne et la sœur de Donati.

S’il faut en croire certain arbitres des élégances cinéphiliques, Kid Galahad se rangerait aux côtés des œuvres mineures qui parsèment la filmographie de Michael Curtiz.
Convenons que cette fois-ci le réalisateur a tempéré ses élans baroques et resserré son style afin de servir au mieux son sujet.
Sa virtuosité se fait tour à tour discrète – l’utilisation des miroirs pour approfondir le champ – ou plus ostensible – les combats de boxe - , mais toujours soucieuse de mener le film à bride abattue vers la rédemption ultime du héros un temps égaré, l’effacement obligé de la « glamour girl » et le bonheur béat des tourtereaux de service.

Pour l’anedocte, on rappellera que Phil Karslon réalisa en 1962 un remake de ce classique avec.........Elvis Presley dans le rôle-titre!
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Kurwenal
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Message par Kurwenal »

Dodge City, Curtiz 1939

Encore du top de chez top dans le coffret Flynn. En un mot, génial! :D

Et pour faire plaisir à M'sieur Juve, la technique n'est pas tip top,elle...quelques passages un peu flous :wink:
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

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Le Bourreau du Nevada (The Hangman - 1959) de Michael Curtiz
PARAMOUNT



Avec Robert Taylor, Tina Louise, Fess Parker, Jack Lord, Gene Evans
Scénario : Dudley Nichols d'après une histoire de Luke Short
Musique : Harry Sukman
Photographie : Loyal Griggs (noir et blanc 1.85)
Un film produit par Frank Freeman Jr pour la Paramount


Sortie USA : 05 mars 1959


Le Marshall Mackenzie Bovard (Robert Taylor), surnommé ‘The Hangman’ pour sa ténacité à mener sa tâche jusqu’à son terme (qui est souvent la potence), a pour dernière mission avant de prendre sa retraite d’arrêter quatre hors-la-loi ayant cambriolé une diligence en causant la mort d’un homme. Les deux premiers bandits ont déjà été pendus et Bovard vient d’appréhender le troisième ; il ne lui reste plus qu’à capturer le quatrième homme du gang, un certain John Butterfield, ex-membre de la cavalerie américaine qui avait pourtant une très bonne réputation au sein de sa compagnie. Le Marshall apprend le nom de la ville où il se serait réfugié sous une fausse identité. Ne connaissant pas son visage, il demande alors, contre une coquette somme, à ce qu’un des soldats ayant bourlingué avec le bandit se rende dans cette petite ville afin de l’identifier ; mais aucun des camarades de Butterfield ne souhaite le dénoncer ; seule Selia (Tina Louise), son ex-compagne, réticente au départ, finit par accepter, n’ayant plus grand-chose pour vivre, les 500 dollars allant lui être bien utiles. Le Marshall et la jeune femme se donnent donc rendez-vous dans la petite ville dans laquelle la rumeur dit que le hors-la-loi a trouvé refuge. Mais une fois sur place, Selia a des problèmes de conscience ; au vu de l’attitude des citoyens -y compris du shérif (Fess Parker)- qui, en apprenant que Butterfield pourrait être John Bishop (Jack Lord) semblent tous vouloir le protéger, elle fait finalement tout pour ne pas commettre la délation demandée et pour laquelle elle a été payée. Tout le monde ne semblant pas croire à la culpabilité de Bishop, les convictions de Bovard commencent elles aussi à vaciller d’autant que l’homme qu’il cherche à arrêter parait être grandement apprécié de l’ensemble des habitants pour son altruisme et sa gentillesse…

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Sorti en 1954, L’homme des plaines (The Boy from Oklahoma) bénéficiait d’une histoire à priori cocasse, celle d’un homme ayant préféré étudier le droit par correspondance plutôt que le maniement des armes et se retrouvant néanmoins nommé shérif d’une petite bourgade du Nouveau Mexique alors qu’il n’avait rien demandé. Seulement, le résultat assez terne n’était guère enthousiasmant et n'a pas laissé d’impérissables souvenirs ; il apportait surtout de l’eau au moulin de ceux qui décrétaient que Michael Curtiz avait perdu son savoir-faire dès les années 50, notamment lorsqu’il tournait pour la Paramount. S’il est évident que ce qu’a réalisé le cinéaste d’origine hongroise durant cette décennie ne saurait rivaliser avec sa production des deux précédentes, aucune honte à avoir cependant : des films tels que la célèbre et sympathique comédie musicale Noël Blanc (White Christmas), L’Égyptien, l’un des péplums hollywoodiens les plus intelligents qui ait été réalisé, ou encore Le Fier rebelle (Proud Rebel), sont là pour nous le prouver, même si la critique française fut également impitoyable à leur encontre, reprochant les bons sentiments mis en avant ici et là, confondant souvent charme et guimauve, ces trois films étant à mon avis au contraire dépourvus de mièvrerie. En effet, il n'existe aucune règle qui avance que parce que l’on se trouve devant une histoire toute simple avec beaux sentiments et nobles personnages l'on devrait lui accoler automatiquement ce qualificatif péjoratif ; Le Bourreau du Nevada en est à nouveau un bel exemple.

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Rien de spécialement remarquable dans ce nouveau western mais un charme indéfinissable qui nous cueille dès le départ et qui ne nous lâche plus jusqu’au très bel Happy-End au cours duquel le regard de chien battu de Fess Parker (d’ailleurs très attachant, bien meilleur qu’en Davy Crockett) nous fait penser à postériori à celui de Robert Forster lors du sublime final de Jackie Brown de Quentin Tarantino. Pour son 167ème film (juste après le célébrissime King Creole), Michael Curtiz nous offrait donc, à défaut d’un chef-d’œuvre, une jolie histoire correctement mise en scène, bien écrite et parfaitement bien interprétée. Sans rebondissements spectaculaires ni forts enjeux dramatiques, un western très classique, tendre et émouvant, qui fait primer les sentiments et les rapports humains sur la violence et l’action. Si Michael Curtiz ne fait pas particulièrement d’étincelles (sans cependant que sa mise en scène soit mauvaise, loin de là), le scénario de Dudley Nichols (sur lequel W.R. Burnett aurait collaboré sans être crédité) est finalement très original contrairement à ce que le postulat de départ laissait à penser, tout comme le trompeur titre du film qui ne reflète pas vraiment le personnage qui porte ce surnom. Si on le nomme ‘The Hangman’ pour son efficacité à arrêter les hors-la-loi et les ramener jusqu’en prison, l’homme de loi se défend de cette appellation en disant "I don't hang them ; the judge does that". Ce n’est donc ni un mauvais bougre ni un homme impitoyable ; fatigué de faire ce métier qu’on lui a plus ou moins imposé, il a décidé de prendre sa retraite une fois cette dernière mission accomplie, ayant dans l’idée de se rendre ensuite en Californie prendre un repos bien mérité. En cette fin de décennie, les cow-boys vieillissants sont légions, annonçant le western crépusculaire. Quoiqu’il en soit, épuisé ou pas, déclinant ou pas, un Marshall à la poursuite de bandits, rien de plus banal à priori !

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Mais là où le script devient plus intriguant et plus novateur, c’est que l’on se rend vite compte que le bandit qu’il poursuit sans en connaitre le visage, semble être apprécié par tous ceux qu’il rencontre (que ce soient les simples soldats et officiers avec qui il a ‘travaillé’, ou même les habitants de la ville dans laquelle il vient de se réfugier) au point que personne n’apporte quelconque aide à l’homme de loi fédéral, pas plus le shérif local que quiconque autre ; au contraire même, on se plie en quatre pour cacher le soi-disant hors-la-loi, on fait tout pour le disculper, prendre sa défense et le protéger de l’arrestation. Bovard a beau affirmer au début de sa traque que "Everyone has a price", personne n’acceptera une telle somme si la contrepartie est de devenir un délateur, un traître ; pas plus le vieux soldat du début que l’ex-maîtresse malgré qu’elle ait été tenté de le faire pour se sortir de la situation où elle se trouvait, être obligé de faire la blanchisseuse pour la cavalerie. Même le témoin qu’il trouve en dernier recours, alors qu’il pensait ne plus pouvoir arriver à mener à bien sa mission, va le lâcher en cours de route, en profitant même pour aider à fuir celui à qui il aurait dû tendre un piège : "Why does everyone in town try to help him?" s'étonnera le Marshall. Les citoyens n’ayant rien à reprocher à cet homme arrivé il y a deux ans dans leur petite ville, n’ayant au contraire cessé de le louer pour ses bienfaits, ne peuvent pas croire à sa culpabilité ou estiment que son passé ne les concerne pas : une belle leçon de loyauté et de compassion. Devant tant d’abnégation et de bienfaisance que, devenu cynique et revenu de tout, Bovard n’aurait jamais cru qu'on puisse réellement en trouver à son époque et dans ce pays, le tenace homme de loi va se mettre à lâcher du lest jusqu’à totalement lâcher prise : l’avant dernière séquence (la prise de conscience par Bovard que la bonté existe et l'abandon de son devoir au profit de son libre arbitre) est à ce titre un très beau moment, finissant de faire de ce western un joli film pétri d’humanité.

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A l’occasion de The Hangman, Robert Taylor, pour la première fois depuis 1935 et Magnificent Obsession de John M. Stalh (soit 24 ans), fait faux bond à son studio de prédilection, la toute puissante MGM. Est-ce pour cette raison, ayant peut-être eu des remords, qu’il dira toujours par la suite assez injustement que le film de Michael Curtiz a été l'un des films les plus ratés de sa filmographie ? Il s’avère néanmoins une fois de plus parfait dans ce rôle peu gratifiant de prime abord, cynique et pas spécialement courtois, pour tout dire souvent déplaisant ; aucun regret à ce que ce ne soit pas James Cagney qui ait été retenu alors que c’avait été le premier choix des producteurs. Non que ce dernier soit un mauvais acteur, loin s’en faut ; mais ce personnage de vieil homme de loi physiquement séduisant lui aurait moins bien convenu à mon avis. Nous n’aurions pas eu le plaisir de nous délecter de ce running gag de la vielle femme (très amusante Mabel Albertson) lui tournant autour, et l’attrait qu’il suscite chez la sculpturale Tina Louise aurait surement été moins convaincant. Il est fort probable que le scénario aurait été modifié en fonction des comédiens choisis, mais le fait de trouver Robert Taylor dans la peau de ce personnage cynique ayant perdu tout idéal ("I'm not a sentimentalist. I've seen too much of life") mais qui va s’humaniser au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, s'avère bougrement plaisant. Le film de Michael Curtiz rajoute en tout cas une réussite de plus à la très belle filmographie westernienne du séduisant acteur durant cette décennie ; jugez-en par vous-même : Devil's Doorway (La porte du diable) d’Anthony Mann, Westward the Women (Convoi de femmes) de William Wellman, The Last Hunt (La Dernière chasse) de Richard Brooks ou The Law and Jake Wade (Le Trésor du pendu) de John Sturges.

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Aux côtés de Robert Taylor, apportant au film une sympathique pointe d’érotisme, la superbe Tina Louise, aussi belle que talentueuse, son jeu étant très naturel et toujours juste. Elle interprète une femme qui a déjà bien vécu, qui a connu pas mal de tourments mais qui garde néanmoins la tête haute, ne geignant jamais sur son sort, toujours prête à aider son ex-amant malgré le fait qu’elle ait appris qu’il se soit marié, et ne concevant aucune jalousie à l’encontre de son épouse enceinte. Une femme très moderne qui sied à ravir à l’actrice que le metteur en scène ne se prive pas de profiter de son splendide physique, nous la montrant se baignant nue dans une baignoire puis dans une rivière, enfilant ses bas, se mettant en petite tenue, se faisant menotter aux barreaux du lit, traversant une rue superbement vêtue et faisant se retourner tout le monde sur son passage, y compris un chien ! Une séquence expressément humoristique et qui, tournée à la Warner, aurait sombré dans la vulgarité et la lourdeur ; au contraire ici, le tout reste assez léger, rien n’est appuyé. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le film n’a rien d’une comédie ; excepté au travers les punchlines assez acerbes du Marshall et les réparties parfois vachardes de Selia, le scénario de Dudley Nichols demeure très sérieux malgré son absence de violence. Un scénariste qui a peu travaillé durant cette décennie mais qui, comme Robert Taylor, aura eu une belle brochette de films à son actif durant cette période : Rawhide (L’attaque de la malle-poste) d’Henry Hathaway, The Big Sky (La Captive aux yeux clairs) de Howard Hawks, The Tin Star (Du Sang dans le désert) d’Anthony Mann. Pour en revenir aux comédiens, Fess Parker s’avère étonnement irrésistible dans la peau de ce shérif doux et nonchalant, tombant amoureux de Selia sans que son amour soit réciproque, tout comme Jack Lord qui, après avoir été le psychopathe dans L’Homme de l’Ouest d'Anthony Mann, s’avère tout aussi convaincant dans le rôle de l’homme recherché qui se révèle être un ange de bonté et de probité, père et époux idéal, même s’il avoue avoir été tenté de suivre la mauvaise voie à un moment de sa vie où il ne savait plus comment survivre. Alors qu’il était méconnaissable dans le sombre western de Mann, on devine en revanche parfaitement ici son futur Steve McGarrett dans la célèbre série Hawaii police d’état : même mimiques, même gestuelle ; assez jubilatoire pour les fans de la série TV…

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Le reste des seconds rôles, tous aussi bien croqués, est constitué de visages très connus tels Mickey Shaughnessy, Gene Evans, James Westerfield ou Lorne Greene : un véritable plaisir de retrouver autant d’habitués du genre au sein de ce western foncièrement pacifique et optimiste sur la condition humaine, abordant entre autre les thèmes des dilemmes entre devoir et compassion, entre loyauté et délation. Le savoir-faire du cinéaste étant intact (le film est loin d’être aussi mollasson qu’on a bien voulu le dire, le manque d'action n'influant pas sur un montage et une construction assez rapide), le casting étant de première qualité, l’histoire étant susceptible de toucher beaucoup de monde, ce film aux personnages bien caractérisés baignant dans une ambiance sacrément séduisante s’avère un divertissement de qualité à défaut d'être un western mémorable. A noter que ce film pourrait plaire à ceux qui ne sont pas spécialement aficionados du genre. A découvrir !
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Message par Gentleman Jim »

Kurwenal a écrit :Dodge City, Curtiz 1939

Encore du top de chez top dans le coffret Flynn. En un mot, génial! :D

Et pour faire plaisir à M'sieur Juve, la technique n'est pas tip top,elle...quelques passages un peu flous :wink:
Mon premier film du coffret et petite déception, j'avais l'impression qu'à vouloir trop traiter de chose à la fois, le réalisateur ne savait pas trop où aller. Heureusement, cela s'arrange vers la moitié du film, mais le début n'est pas fameux. Néanmoins, cela reste une assez belle réussite, notamment sur le plan estéthique.

Pour Captain Blood visionné hier soir, par contre c'est pour moi le summum du film d'aventure.
Seule la bataille finale est assez brouillonne, surtout quand on pense à la bataille navale qui fait l'ouverture de l'Aigle des mers qui, elle, est une merveille.
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Message par bruce randylan »

Gentleman Jim a écrit : Pour Captain Blood visionné hier soir, par contre c'est pour moi le summum du film d'aventure.
Qu'est-ce qui me tarde de la revoir celui-là !

( Et vous me mettez vraiment l'eau à la bouche avec Dogde City !
et je vais enfin voir La charge fantastique :D )

Bah j'ai patienté hier avec le trés bien fanfaron de Risi ( même si je suis incapable de dire si j'ai aimé la fin ou non )
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Message par Kurwenal »

Gentleman Jim a écrit :
Kurwenal a écrit :Dodge City, Curtiz 1939
Mon premier film du coffret et petite déception, j'avais l'impression qu'à vouloir trop traiter de chose à la fois, le réalisateur ne savait pas trop où aller. Heureusement, cela s'arrange vers la moitié du film, mais le début n'est pas fameux. Néanmoins, cela reste une assez belle réussite, notamment sur le plan estéthique.

Pour Captain Blood visionné hier soir, par contre c'est pour moi le summum du film d'aventure.
Seule la bataille finale est assez brouillonne, surtout quand on pense à la bataille navale qui fait l'ouverture de l'Aigle des mers qui, elle, est une merveille.
J'ai remarqué aussi ce que j'appellerai un léger flottement ( surtout dans l'épisode avec le jeune branleur alcoolisé:roll: ) mais cela n'a pas duré, pas assez en tout état de cause pour ne par être séduit totalement par l'ensemble du film.
Quant à la déception, bien relative, c'est avec Blood que je l'ai ressentie et c'est là que j'ai considéré une maîtrise inférieure, un peu de laisser aller et une fin un tantinet bâclée.
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