Michael Curtiz (1886-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Miguelito Loveless
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Miguelito Loveless »

+ 1. On peut juste s'amuser, au cours de cet ahurissant mélo, à essayer de dissocier ce qui est dû au paresseux Lloyd Bacon de ce qu'on doit au talentueux Michael Curtiz : dépouillement, jeu d'ombres, vivacité. La scène de la beuverie entre les deux frères me semble traitée de façon intéréssante... Mais le reste... Bon sang, lâcher la chirurgie pour labourer derrière un boeuf... Les auteurs de Grey's Anatomy[/b] en feraient une syncope !
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allen john
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

ALIAS THE DOCTOR (1932)
Nestor Almendros a écrit : Je me suis essayé, sans conviction, à cette rareté diffusée au Cinéma de Minuit. Moi qui ai encore quelque appréhension avec le cinéma de cette époque, j'ai été servi! L'ensemble est plutôt balourd, manque de subtilité, évite tout développement psychologique des personnages pour ne résumer que les grands évènements de l'histoire. On sent beaucoup le "produit" de consommation, vite fait, pour alimenter le flux dans les salles. Même si l'histoire se suit sans trop d'ennui (et avec beaucoup d'indulgence), ça fait quand même son âge.
Visuellement, on retient surtout un style encore très inspiré du muet. A commencer par son acteur principal, Richard Barthelmess que j'ai trouvé assez mauvais (son jeu se résume une expression - deux à la limite - mais pas plus, et c'est presque pire quand il parle :fiou: ). On remarquera surtout un travail parfois étrange mais intéressant sur les décors (le tribunal, l'appartement des étudiants) sans que cela soit réellement mis en valeur. On s'attardera peut-être plus facilement sur quelques brefs moments plus marquants où Curtiz semble aiguiser son style (la scène avec l'employé de la morgue, à la fin).
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Certes, ce n'est pas Casablanca. Bon, cela dit, je ne serais pas aussi sévère, d'abord parce que c'est Curtiz, et que je perds toute objectivité dès qu'il est dans les parages. Ensuite, Je n'ai pas la moindre appréhension avec le cinéma de cette époque, et je m'y vautre sans aucune arrière-pensée :mrgreen: . Quoi qu'il en soit, c'est plutôt bien vu: en effet, nous voilà face à un produit, et même une fin de série, devant un film qui a été d'une certaine manière sacrifié. On sait que Curtiz avait mieux que beaucoup le pouvoir de dissocier totalement la mise en scène de l'intrigue d'un film, au point parfois de ne pas adresser la parole aux acteurs. Avecc ce pauvre Barthelemess, cela donne des résultats forcément désastreux, et il est clair que le film en souffre. D'autre part, la Warner avait tenté avec Svengali (1931), signé par Archie Mayo, d'ouvrir une veine baroque semi-fantastique, avec des films qui se situent dans une Europe fantasmée. john Barrymore incarnait, au coté d'une Marian Marsh mi-sensuelle,mi-robot, un génie fou ( :uhuh:) qui subjuguait les hommes dans des décors "expressionnistes" d'Anton Grot. le succès du film aidant, Curtiz, Grot et Barrymore ont mis en chantier... The mad genius(1931), qui en est un remake quasi servile, en moins bien, et finalement en queue de peloton, ce troisième film, dans lequel l'argument fantastique a disparu, mais pas la stylisation des décors; je pense qu rien n'a véritablement mobilisé Curtiz dans ce film, et que celui-ci, qui a réalisé 5 autres films cette année là, avait l'esprit ailleurs: The Strange love of Molly Louvain, Cabin in the cotton sont, dans un registre beaucoup plus réaliste, des réussites, et Doctor X, qui fait exploser les limites du baroque dans une histoire par ailleurs pas si fantastique que ça, est un chef d'oeuvre. Ici, c'est un film vite fait pas mal fait, avec en effet ses petits moments de bonheur: le suspense de l'opération, en, effet avec son médecin léguiste qui s'aggrippe comme un vautour malfaisant (Sans jamais prononcer un mot), l'utilisation des ombres, un peu partout, qui jouent en effet mieux que Barthelmess, mais aussi la fluidité de l'ensemble. Sinon, Marian Marsh ne sert à rien... Le film n'a pas enfanté grand chose pour Curtiz, qui allaitutiliser ses ombres et son encre noir peu de temps après pour le cru, réaliste et formidable 20,000 years in Sing Sing. S'il fallait qu'il y ait un Alias the Doctor pour qu'il y ait ce film, alors tant mieux.

Puisque j'y fait allusion, voici un bonus gratuit:

Le mystère SVENGALI (1931)

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Pourquoi, dans une entreprise aussi pragmatique que la Warner, a-t-on confié à Curtiz le soin de mettre en scène Barrymore dans The mad genius? D'une part le film est raté (C'est moi qui le pense) malgré les nombreuses possibilités qu'offrait une scénario ultra-grotesque à curtiz, et la personnalité fantasque de John Barrymore. Ensuite, il venait après un Svengali dans lequel le théatre d'ombres, la noirceur au quotidien et les coulisses de l'art faisait des sujets bien propres à enthousiasmer Michael Curtiz, mais qui était signé Archie Mayo. Pourtant, à la Warner, on essaie d'être un tant soit peu pragmatique avec ses équipes: le film a plu, et on demanderait à un autre metteur en scène (Qui plus est, qui est difficile avec tout le monde, couteux, et qui fait peur aux acteurs) de tourner un autre film? Alors, de même que Curtiz allait finir Mayor of Hell, de Mayo avec cagney en 1933, et toucher à un certain nombre de films de la firme, crédité ou non, dont d'ailleurs Alias the doctor (Avec Lloyd Bacon) ou encore Female (Avec Dieterle), j'avance donc l'hypothèse que Svengali a été retourné au moins partiellement par Curtiz: son obsession des ombres, qui n'apparait pas spécialament chez archie Mayo, est présente dans au moins deux scènes de Svengali, et la caméra est utilisée de façon virtuose, à plusieurs reprises, ce qui ressemble beaucoup à ce que ce cabochard de Curtiz faisait, contrairement à un Bacon, un Mayo, un Del Ruth à la Warner à cette époque. Une fois les retouches effectuées, et le film rendu meilleur, ou en tout cas plus épicé, la Wb satisfaite commande à la même équipe un film similaire (The mad genius), sous la direction de celui qui, anonymement, a amélioré le premier film. C'est mon hypothèse, je vous la livre, à vous de voir, mais une chose est sure, si cette manoeuvre (Qui est courante en 1931, ça n'a rien de franchement tiré par les cheveux) a eu lieu, elle n'a jusqu'à présent laissé aucune trace. Sinon, s'il existe un Mayoiste (Comme moi je me sens Curtizien) sur la toile, qui ait à ce moment précis une fort envie de me casser la figure, qu'il se joigne à ce forum séance tenante! :wink:
Miguelito Loveless
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Miguelito Loveless »

A mon avis, il y a autant de Mayoistes que de Baconiens ! Et c'est celui qui le dit- Keighley ! :D
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

Miguelito Loveless a écrit :A mon avis, il y a autant de Mayoistes que de Baconiens ! Et c'est celui qui le dit- Keighley ! :D
:lol: :lol: :lol:
Je dépose les armes.


Et... les Del Ruthiers sont -ils sympas? :roll:
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

allen john a écrit :
Et... les Del Ruthiers sont -ils sympas? :roll:
Ce jeu de mots ignoble est l'une des raisons pour lesquelles on a le droit d'éditer nos posts... Oups! trop tard!
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Kevin95
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Re: Notez les films naphtas - Septembre 2009

Message par Kevin95 »

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Mildred Pierce (Michael Curtiz)

Curtiz est un metteur en scène qui ne m'a jamais vraiment éblouit. C'est un bon réalisateur j'en conviens mais (hormis le miracle Casablanca) ni Robin Hood ni The Sea Hawk n'ont été pour moi plus que des œuvres sympathiques. C'est donc en espérant au mieux de voir un bon polar que je me suis pencher sur cette Mildred Pierce qui pour sa décharge à comme star une actrice que je n'ai jamais su encadrer... c'est mal barré !
Sans être un bijoux, c'est sans aucun doute à un des meilleurs films de son auteur auquel avons à faire ici, les cadrages sont complexes, l'ambiance est lourde, le jeu de lumière magnifique... bref du grand film noir pur jus. Crawford qui m'exaspère en général est suffisamment "bourgeoise" pour être crédible dans son rôle d'américaine très conservatrice, prônant des valeurs tout sauf libérales qui cache une personnalité plus vénéneuse. A ce propos, l'image de "mère courage" m'a laissée perplexe. Durant la première partie du film, elle m'a carrément gonflée avant de me questionner sur cette personnalité matriarcale et celle de cette fille un peu trop vite cataloguée "fille indigne" sous prétexte qu'elle tiens tête à sa mère (ohhhh scandale dans cette Amérique d'après guerre).
Es-ce si simple que cela ? La mise en scène sombre et pessimiste filme uniquement un drame familial où les rôles seraient bien définit ? Es-ce bien une adaptation d'une nouvelle de James M. Cain, celui qui nous avais offert des œuvres subliment nihilistes telles The Postman Always Rings Twice ou Double Indemnity ? Ça devenait évident, cela cache quelque chose ! Je ne sais pas si c'est un délire personnel mais le personnage de Mildred Pierce m'est apparu comme un mélange entre Scarlett O'Hara et Dorian Gray. Une femme vaniteuse et dominatrice qui ne peux supporter que sa fille devienne une sorte de clone voir (pire) une rival qui n'aurait aucun mal à faire de l'ombre à une mère très calculatrice.
C'est flagrant dans la mise en scène, quand ces deux femmes se trouvent face à face, tout est affaire de domination, d'occupation de l'espace et de quête masculine. Cette fille, que l'on hait d'un claquement de doigts, se moque pas mal de l'argent ou des hommes qui se succèdent dans son existence, tout l'enjeu (et le jeu) réside dans cette confrontation avec une femme ainé, laquelle croit contrôler son existence et par conséquence celle des autres. Pierce n'est pas une femme modèle, elle le veut, elle fait en sorte de le paraitre mais il n'en est rien, de sa manière de déclarer comme un sentence que ses filles feront ce qu'elle leur a prévue à la jalousie maladive qu'elle éprouve quand son ex tourne autours de sa fille, ses gestes la trahisses et l'image de martyr qu'elle se donne tombe pour celle de séductrice en fin de carrière.
Un exemple, pour moi explicite de ce paradoxe entre "l'image voulue et l'image réelle" très prisée par les psychologues, c'est la scène du sifflement. Anecdotique dans le film, elle m'a pourtant interpelée, lors d'une séquence au bords la mer (ou presque) Perce se met en maillot de bain et demande à son homme d'un air faussement naïf "Pas de sifflement ?". Une femme croqueuse (ou anciennement) se fait sentir et sa pose très photogénique indique qu'elle n'est pas à son coup d'essais et qu'elle aime cela. Deuxième scène, un bar mal famé, Pierce découvre avec stupeur que sa fille est vedette d'une show minable (en gros une stripteaseuse implicite), lorsqu'un marin se met à siffler ladite fille. Soudain notre héroïne dans un geste brusque, se met à regarder dans les deux sens pour savoir d'où vient le bruit, seulement son visage est marqué énervement et à ce moment là, on ne peut dire clairement si elle est offusqué par dicta morale (envers sa fille) ou par jalousie...

Bref, bon film, plus complexe qu'il n'y parait et formidable mise en scène.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

allen john a écrit : Pourquoi, dans une entreprise aussi pragmatique que la Warner, a-t-on confié à Curtiz le soin de mettre en scène Barrymore dans The mad genius? D'une part le film est raté (C'est moi qui le pense) malgré les nombreuses possibilités qu'offrait une scénario ultra-grotesque à curtiz, et la personnalité fantasque de John Barrymore. Ensuite, il venait après un Svengali dans lequel le théatre d'ombres, la noirceur au quotidien et les coulisses de l'art faisait des sujets bien propres à enthousiasmer Michael Curtiz, mais qui était signé Archie Mayo.
Bon, mea culpa. J'étais fatigué, ou je ne l'ai pas vu dans les conditions optimales, ou j'avais la grippe, ou mon chat était parti pour un autre foyer.... je ne devais certainement pas être dans mon assiette, c'est sur. The mad genius, sans être le chef d'oeuvre de Michael Curtiz, est un film essentiel pour comprendre le génie fou qu'était Curtiz. Et tout d'abord, Ivan Tsarakoff, c'est lui.

Ce film nous conte l'histoire de ce marionnettiste minable, interprété par john Barrymore, qui un beau jour quitte sa Russie natale: un gamin, Fedor (Frankie Darro), poursuivi par son père (Boris Karloff) a trouvé refuge dans son théâtre ambulant, et Tsarakoff l'a caché, et a décidé après l'avoir vu gambader comme un capri d'en faire le danseur étoile que lui, Tsarakoff, né infirme, n'a jamais pu être. Puis le film nous transporte à VBerlin, ou le riche et prospère Tsarakoff a une entreprise artistique qui tourne rondement, et va nonchalamment de coulisse en coulisse chasser la jeune donzelle, veillant d'un oeil discret mais jaloux la destinée de son étoile, Fedor(Donald Cook), qu'il appelle "Mon fils" à chaque fois que possible. celui-ci est amoureux de la prima ballerina, Nana Karlova (Marian Marsh), à laquelle tout le monde est attaché, en particulier Serguei, le maître de ballet, que Ivan tient en son pouvoir, puisque il est cocaïnomane, et que c'est à Ivan qu'il revient de lui fournir ses doses. Lorsque Fedor annonce à Ivan qu'il va se marier avec Nana puisque celle-ci refuse de se contenter de coucher avec lui, Ivan sent le danger et va tout faire pour les séparer, en gardant bien enrendu le controle de Fedor...

Dès la première bobine, qui constitue le prologue du film, la personnalité de Tsarakoff est cernée visuellement par un Curtiz en forme: les deux marionettistes sont quasi seuls dans le théâtre, seul Fedor est la qui assiste à la représentation. la marionnette que Ivan agite a un problème, Fedor la tire à lui, et l'observe. pendant ce temps, Karloff est arrivé dans le théatre de toile, et s'est saisi de Fedor: au moment même ou il le saisit, Ivan brise la marionnette, et on entende le cri de douleur de Fedor... Cette marionnette-Fedor reviendra plusieurs fois dans le film. Toujours dans le prologue, le petit s'est enfui de la poigne de son père, qui le cherche autour de la tente, et on devine que Fedor est en réalité revenu charcher refuge auprès D'Ivan: un plan nous montre Karloff entrer sous la tente, pendant qu'un ombre gigantesque, celle d'Ivan bien sur, l'attend tranquillement. Les jeux d'ombres, toujours virtuoses, et leur fréquence, permettent souvent de signaler l'intérêt que Curtiz a pris dans un film: il a du adorer faire ce Mad genius.

La deuxième bobine entame un passage de 30 minutes environ, qui se situe intégralement dans le théaêtr, aux décors hallucinants d'Anton Grot. Quelques plans nous montrent le théâtre en lui-même, mais l'essentiel est constitué du dédale des coulisses, qui auraient bien pu être celles d'un studio. Les tractations entre Tsarakoff, son danseur étoile, sa prima ballerine, son maitre de ballet et tous les autres membres de la troupe peignent un microcosme dédié à l'art de la danse, à peine coupé de quelques interventions du comte Renaud, un jeune aristocrate français interprété par André Luguet, qu'on devine mécène de ce théâtre qui peut lui fournir de jolies balleriones moyennant ses largesse pour la troupe. Et justement, il a des vues sur la Karlova... Mais quoi qu'il fasse, ce brave Renaud sera finalement un bon génie dans ce film, par amour pour la Karlova justement. et ce, malgré toutes les tentatives de Ivan Tsarakoff pour étouffer l'amour des jeunes gens. Le moins qu'on puisse dire, c'est que dès qu'on rencontre Renaud, on est à l'aube d'une grande amitié pour lui. :uhuh:

La deuxième moitié du film étend son champ d'action en multipliant les décors: les jeunes tourtereaux se sont enfuis pour Paris, ou la vie est dure et chère pour deux personnaes désormais privées de leur gagne-pain. Leur appartement est d'abord le théâtre de leurs amours, mais ve vite se muer en un inquiétant reflet de l'influence de Tsarakoff: celui-ci a reçu Nana avec laquelle il a négocié un arrangement: il s'engage à redonner son statut de vedette à Fedor qui se morfond d'avoir abandonné en pleine gloire, si Nana le quitte pour aller avec le Capitaine, pardon le comte Renaud. La scène de l'entrevue était située dans un décor presque vide. Lorsque Fedor rentre chez lui ce soir-là, dans un premier temps seule la porte est faiblement allumée: il entre dans un monde d'ombres, inhabituel pour lui. il allume, et le vide de la pièce, privée de la présence de Nana, est un écho à la scène précédente. il se rend dans la chambre, apparement vide et tout aussi sombre, jusqu'à ce qu'une petite lumière s'allume: Ivan est là, allumant une cigarette, maitre de ce théâtre d'ombres comme il était le maitre d'un théâtre de marionnettes.

Le final est sublime, dans lequel yout le film nous revient en pleine figure, depuis les mauvaises habitudes du maitre de ballet, finalement frustré d'avoir été tout ce temps le jouet d'un homme qui le tient en son pouvoir, jusqu'à l'abnégation de Fedor qui se jette à corps perdu dans la danse, en passant par le jusqu'auboutisme d'Ivan qui a toujours été frustré de ne pas avoir été la vedette de son ballet: il va malgré toutn, enfin, être au centre, après une altercation musclée avec Serguei, devenu fou sous l'influence de la cocaïne. Toutes la moralité du film, mais aussi toute son ironie macabre, repose dans la réaction épouvantée du public lorsque le corps de Ivan apparait au beau milieu du décor du ballet, tel le corps d'un homme dans la bouche de Moloch, car décidément, chez Curtiz il ne peut y avoir d'art sans cannibalisme, et le destin de tout démiurge est de succomber à son art, qu'il s'agisse de sculpture (Lionel Atwill, Mystery of the wax museum), de pièces policières (Claude Rains, The unsupected), d'agitation politique (Raymond Massey, The Santa Fe trail), ou de musique(Kirk douglas, The young man with the horn). Ivan Tsarakoff est peut être fou, surement même, mais il est très proche de Curtiz, qui lui donne bien sur le premier rôle (Après tout, c'est John Barrymore), qui est plus un vieux maniganceur qu'un être diabolique, et en prime il s'exprime avec un accent étranger envahissant, il collectionne les figurantes-petits rats, tout comme le metteur en scène. La première scène, qui voit Barrymore quitter précipitamment son pays, est comme un écho à l'exil de Curtiz, un motif qui revient de façon obsessive dans son oeuvre: celui-ci ne s'est donc pas contenté de répéter une formule, il s'est approprié le film et l'a rendu personnel dans son ton baroque, pessimiste et fondamentlement ironique. Bien sur, il y a des défauts, notamment ces scènes par trop bavardes qui alourdissent la performance de Barrymore, mais comment les éviter? C'est Barrymore le patron, et ciomme Curtiz s'est pris d'affection pour le personnage... sinon, Donald Cook n'est pas beaucoup plus qu'un bellâtre, et le couple qu'il forme avec Marian Marsh se vautre un peu trop dans le doucereux. Qu'importe: The mad Genius est la première pierre d'une thématique Curtizienne qui va se prolonger de film en film jusqu'à la fin des années 40, et marquer de son empreinte noire les films les plus personnels, qu'ils soient bons, ou moins bons, de son auteur.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Sybille »

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Dodge City / Les conquérants
Michael Curtiz (1939) :

Malgré un très beau Technicolor (les scènes de convoi du début offrent de superbes images de crépuscule ou de lever du jour) et des interprètes charmants (Flynn et De Havilland), "Dodge City" peine à retenir l'attention et l'intérêt du spectateur. Car j'ai trouvé l'histoire monotone au possible, remplie de clichés ici plus lassants qu'amusants. Les scènes s'enchaînent mais... en fait, je n'ai pas grand chose à en dire. Le ton plutôt picaresque du film s'oppose étonnamment à des éclats de violence noire et brutale, les tirs sont brusques et les corps tombent, un enfant est subitement emporté par un attelage... Le film paraît proposer comme un résumé d'une page d'histoire de l'Amérique, procédé donc loin d'être inintéressant, même si probablement arrangé ou approximatif face aux besoins du film.Sinon, j'ai été relativement déçue du peu de présence d'Olivia de Havilland à l'écran, on ne la voit quasiment pas, en tout cas beaucoup moins que ce qu'on serait en droit d'attendre. Dommage d'avoir délaissé ainsi le célèbre couple cinématographique ! Mauvais point également pour la musique, trop 'surlignante' et assez pénible. 5/10
Dernière modification par Sybille le 14 nov. 09, 15:00, modifié 1 fois.
Bugsy Siegel
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Bugsy Siegel »

Sybille a écrit :Le ton plutôt picaresque du film s'oppose étonnamment à des éclats de violence noire et brutale, les tirs sont brusques et les corps tombent, un enfant est subitement emporté par un attelage...
A ce propos...on peut voir la voiture des écoliers conduite par Olivia de Havilland "égarée" au début du film parmi les scènes de violence (alors que le personnage de Olivia de Havilland est encore en chemin pour Dodge City avec Errol Flynn) et lors de la fameuse scène que tu cite, on peut très bien voir que les passagers de la voiture sont des mannequins. Curtiz avait recyclé des plans de "Captain Blood" pour "The Sea Hawk", mais avec "Dodge City" il faisait encore plus fort : il recyclait des plans dans le même film !
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

Roughly speaking (1945)

Les films familiaux de Curtiz sont une énigme de plus: calibrés par la Warner pour toucher le plus grand nombre (Et sans doute piquer quelques clients à la série des Andy Hardy, chère à Louis B. Mayer), ces films ont été tout naturellement confiés au metteur en scène numéro 1, en dépit de l'inévitable choc de styles: Quoi? Le réalisateur de Doctor X? De Mystery of the wax museum? De Captain Blood? C'est bien Curtiz qui héritera de la série de films avec les soeurs Lane, en 1938, 1939 (Four daughters, Daughters courageous, Four wives), puis qui réalise Roughly speaking en 1945 (Entre deux films noirs et deux fausses comédies musicales), enfin c'est à lui que revient l'insigne honneur de faire débuter Doris Day dans ces films légers, avant de continuer plus avant en 1953 dans le film Catholique à morale (Trouble along the way). Et bien sur, au sommet de cette étrange pyramide, l'ineffable et souvent irrésistible Life with father: donc on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un petit sous-courant chez lui. Ces films sont souvent réussis, même les tire-larmes de 1938-39, avec une Priscilla Lane en cliente esseulée pour courrier du coeur, parce que Curtiz quand il réalisait un film ne se laissait pas envahir par le cynisme, et construisait son film en fonction des caractères, des histoires à raconter. Et parce que ces films devaient être proche de la vie, telle que la WB la concevait en ces années d'optimsme volontariste, il pouvait ainsi se laisser aller à son dada, la micro-création d'un monde. Prenons l'exemple de ce film édifiant, avec Rosalind Russell: l'autobiographie de Louise Randall avait été un best-seller, proposant une vision, donc, optimiste et volontariste, en même temps qu'une subtile réflexion sur le pouvoir acquis, révélé, des femmes en cette première moitié du 20e siècle. En apparence, rien de grave, rien qui ne vienne ternir l'acharnement au bonheur de ces braves gens; aucun ressort dramatique? ça se boit comme du petit lait, grace à l'écrin proposé par Curtiz, qui fidèle à son habitude inscrit les miniatures (Scènes entre deux ou trois personnages) dans un cadre encombré d'une foule: les scènes finales, pour lesquelles il mobilise une gare entière et une armée de figurants afin de donner du corps à une conversation entre Russell et Jack carson). Son film fait de la mise en scène d'un rien: une scène de discussion entre deux femmes qui se lancent dans la vie, sur leur métier, leurs chances au bonheur, se transforme avec Curtiz en un déshabillage (Aucun érotisme pourtant) pragmatique: elle se mettent au lit. Et elles se débarrassent de leurs oripeaux, chemises, gilets, corsets, tout en parlant, et on prend bien sur conscience du symbole, mais la scène reste gentiment comique malgré tout, les actrices se déshabillant avec une énergie communicatrice. Cette énergie, c'est ce que Curtiz a insufflé (Ou laissé faire, avec lui, on ne sait jamais) à ses acteurs, qui remplissent leur rôle avec enthyousiasme: personne n'a l'air d'être là pour l'argent, et certaines scènes tournent à la comédie pure, notamment une démonstration d'aspirateur catastrophique.
Oui, donc le pessimliste Curtiz a du y prendre goût, même si le noir auteur tapi dans l'ombre avait encore un The unsuspected à sortir de ses manches, un The young man with a horn, un King Creole, en ces années 40, l'éternel romantique de Casablanca se laisse aller à de la guimauve parfaitement réjouissante.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Joe Wilson »

Le roman de Mildred Pierce

Pas toujours convaincu par la structure du récit, l'introduction des flash-backs...et les séquences dans le commissariat de police qui font office de passages obligés.
Mais cela ne diminue pas vraiment mon appréciation du film : cette relation mère-fille, portée par des interprétations fascinantes de Joan Crawford et Ann Blyth, trouve une dimension poignante en distillant trouble, malaise et auto-destructions.
La mise en scène fouille progressivement les failles de leur personnalité, les noeuds d'un lien qui ne peut que les pousser vers une fuite en avant.
Crawford veut modeler sa fille telle une image, sa présence devenant la condition même de son épanouissement...face à elle, Ann Blyth cultive une révolte, qui par ses caprices et son affirmation veut trouver sa propre fierté.
Leur perception des hommes, d'un confort matériel, deviennent autant d'instruments d'un conflit, jusqu'à l'irréparable.
Et si on peut regretter la relative fadeur du casting masculin, c'est à l'image de leur position dans le film...en second plan, dépassés par l'ampleur d'un tiraillement.
Du bel ouvrage.
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Julien Léonard
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

Sybille a écrit :Image

Dodge City / Les conquérants
Michael Curtiz (1939) :

Malgré un très beau Technicolor (les scènes de convoi du début offrent de superbes images de crépuscule ou de lever du jour) et des interprètes charmants (Flynn et De Havilland), "Dodge City" peine à retenir l'attention et l'intérêt du spectateur. Car j'ai trouvé l'histoire monotone au possible, remplie de clichés ici plus lassants qu'amusants. Les scènes s'enchaînent mais... en fait, je n'ai pas grand chose à en dire. Le ton plutôt picaresque du film s'oppose étonnamment à des éclats de violence noire et brutale, les tirs sont brusques et les corps tombent, un enfant est subitement emporté par un attelage... Le film paraît proposer comme un résumé d'une page d'histoire de l'Amérique, procédé donc loin d'être inintéressant, même si probablement arrangé ou approximatif face aux besoins du film.Sinon, j'ai été relativement déçue du peu de présence d'Olivia de Havilland à l'écran, on ne la voit quasiment pas, en tout cas beaucoup moins que ce qu'on serait en droit d'attendre. Dommage d'avoir délaissé ainsi le célèbre couple cinématographique ! Mauvais point également pour la musique, trop 'surlignante' et assez pénible. 5/10
Assez d'accord avec toi dans l'ensemble, à la différence que je ne serais pas aussi sévère. Pour ma part, ce western m'a beaucoup amusé, grâce à un rythme très entretenu et à des séquences d'action spectaculaires. Le technicolor est vraiment beau, plus équilibré que dans The adventures of Robin Hood (j'ai un petit problème avec ce film, même si je comprend ce qu'en pensent ses admirateurs), la distribution est solide (et j'ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver Alan Hale, cet acteur haut en couleur fortement habitué aux productions Warner de l'époque, notamment aux côtés d'Errol Flynn)... Certes, le scénario s'avère rempli de poncifs, cela m'a un peu ennuyé aussi, je l'avoue, mais à la limite je m'en fiche, car le film ne prétend qu'à une chose : divertir à fond la caisse.

A l'époque, venait de sortir Stagecoach de John Ford, et tous les studios ont voulu faire leur western à gros budget la même année. Par ce biais, la Warner a rapidement associé son duo en or de l'époque (Curtiz et Flynn... en rajoutant l'actrice hyper glamour qui lui servait de faire-valoir -mais quel faire valoir !!-, j'ai nommé Olivia de Havilland) à un projet de western. En effet, ils venaient de faire Captain Blood, The charge of the light brigade, The adventures of Robin Hood et Four's a crowd, tous de très gros (voire gigantesques) succès. Il n'était pas difficile de prévoir que la Warner allait caser ses poulains un peu partout. L'aventure d'un western semblait être une idée géniale (et elle l'était). Avec un très gros budget, bien plus important que pour Stagecoach, cela va de soi, Curtiz aligne les décors fastueux et les séquences d'action homériques avec la précision et la régularité d'un métronome (l'indémodable bagarre dans le saloon, les chevauchées emphatiques, la fusillade dans le train vers la fin...) au travers de rebondissements totalement attendus et d'idées de scénario "hyper cliché". Mais il faut le savourer comme tel, un vrai bonbon, une sorte de BD colorée remplie d'images superficielles et factices, bref, un condensé du style western des années 30 (c'est à dire tous les topoï mis en place par le muet et dénaturés, voire galvaudés, par les innombrables toutes petites productions des années 30, du genre Monogram, PRC...), mais en couleur, avec un gros budget, un grand metteur en scène, et des stars. Olivia de Havilland n'avait plus qu'à jouer l'amoureuse transie, et Errol Flynn n'avait plus qu'à laisser faire son fantastique abattage pour crever sans peine l'écran. A noter que la séquence où il poursuit le gamin accroché au chariot fut tournée sans doublure. Flynn exécute toute la scène : Chapeau, quel athlète !

En fait, la Warner n'a rien retenu de Stagecoach. Ce dernier rendait définitivement adulte le genre western, lui donnait la maturité qui lui faisait défaut depuis des années, tandis que le film de Curtiz l'infantilise, à dessein de plaire au plus grand nombre. C'est une totale et complète œuvre de commande, destinée à surfer sur cette nouvelle mode naissante (ou plutôt renaissante), jouissive en termes de séquences anthologiques, parfois assombrie par quelques éclats de noirceur, mais à ne pas prendre au sérieux. Car ici, tout est de carton pâte, y compris le scénario et les personnages. Un gros western décomplexé, en somme. Pour le reste, le vrai grand western, le chef-d'oeuvre absolu dans le genre, Flynn le connaitra surtout avec Raoul Walsh et They died with their boots on, véritable œuvre mature et insolente, explosive et parfaite, légendaire et culottée, tout comme son personnage (Custer), et tout comme son acteur (Flynn).
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someone1600
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par someone1600 »

Bien d'accord avec toi, mais j'adore tout de meme ce film. :D
Julien Léonard
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

La piste de Santa Fe (Santa Fe trail) - 1940 :

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En 1940, l'association Curtiz-Flynn au cinéma fonctionne du tonnerre, et le public en redemande ! Et bien soit, il y aura cette année là deux films puissants : The sea hawk (c'est d'ailleurs le plus beau des deux, à mon humble avis) et Santa Fe trail. Après Dodge city, gros western budgété au récit voué à l'action totale, Michael Curtiz réalise un bien meilleur film, celui d'une Amérique aux portes de la guerre de sécession, s'enfonçant de plus en plus dans la nuit. Cet épisode de la guerre civile (entre 1861 et 1865) a durement traumatisé les États-Unis qui ne s'en sont jamais réellement remis à l'intérieur même de leurs frontières. Et cela a nourrit la substance de beaucoup de westerns (chez Ford, Walsh, Curtiz...) qui en ont fait un sujet délicat et souvent sensible. A n'en pas douter, La piste de Santa Fe fait partie des meilleurs westerns dédiés à cet affrontement fratricide. Son originalité provient de son imprégnation dans le temps (l'histoire se passe avant la guerre, vraisemblablement entre 1856 et 1859), mais pas seulement, car les thèmes déployés y trouvent une résonance particulière, parfois prophétique, souvent biblique, toujours subtile. Bien souvent, Curtiz brouille les repères et le spectateur s'interroge : Qui sont vraiment les bons ? Qui sont vraiment les méchants ? Il n'y en a pas, tout simplement. D'un côté, l'armée sert une administration aveugle et totalitaire, elle fait son métier, ce pour quoi elle est payée. Accessoirement, elle traque un meurtrier. De l'autre côté, John Brown. Ce meurtrier est un anti-esclavagiste, militant au péril de sa vie contre l'asservissement des noirs, mais se couvrant de sang, perdant la raison au point de perdre son humanité. Il est bien difficile de s'y retrouver, même si le réalisateur nous amène ensuite facilement vers le schéma classique "bons/méchants". Finalement, Errol Flynn et ses amis, tous d'excellents officiers, se débarrasseront de cette crapule grâce à une traque de plusieurs mois.

Les noirs eux-même doutent parfois de l'engagement de John Brown (cf la famille réfugiée dans la grange). L'ensemble est parfois un peu grossier (surtout concernant le traitement des noirs à l'écran), mais possède une force peu commune dans le cinéma hollywoodien de cette époque. Un sacré chemin semble avoir été fait sur les écrans depuis l'immense mais ultra-raciste Naissance d'une nation en 1915. Ici, pas question de simplisme, tout est finement amené (quoiqu'un peu rapidement en certaines circonstances). Les dialogues entre les personnages sont souvent bien construits, dessinant leurs personnalités autour de cette question de la désunion des états et du racisme du sud. Curtiz montre déjà très nettement les dysfonctionnements de la nation, en présentant des populations qui refusent l'aide de l'armée. L'armée représente l'état, l'administration, tout ce que déteste le sud qui est, pour sa part, composé de riches familles bourgeoises refusant l'autorité. Ne voit-on pas aussi un riche propriétaire malmener un officier dans son bureau administratif en le traitant d'imbécile ? Cette atmosphère tendue, le film la rend férocement, également dans sa photographie composée en clairs obscurs et qui s'assombrit de plus en plus, ouvrant cette histoire par des séquences ensoleillées et la terminant par des plans nuageux et menaçants. Régulièrement parasitée par les violents discours totalement boursouflés et irréalistes de John Brown, la bonne humeur déployée par le groupe de camarades de West Point est mise à rude épreuve, jusque dans une séquence annonciatrice où une indienne prédit l'avenir du groupe, glorifié par des actions d'éclats, mais désunis par la guerre civile. Et si ces jeunes officiers en rient, croyant plutôt en une farce folklorique, le spectateur, lui, rétrospectivement au courant des évènements historiques, ne peut que s'en désespérer.

Mais avant toute chose, Michael Curtiz est surtout un très grand technicien. Il le démontre encore par l'exemple, en multipliant les scènes d'action et les plans rapides. Sous l'œil de sa caméra rompue à tous les genres, il filme son histoire avec précision et concision, la rendant plus intéressante que touchante. Car il y a effectivement moins d'émotion que de rythme. Visiblement perfectionniste, une fois de plus, il dirige notamment deux séquences d'anthologie. Tout d'abord, le siège de la grange, avec un Errol Flynn pris au piège, est un instant qui prouve la totale maitrise de l'espace par le metteur en scène, aussi bien du point de vue de l'intérieur que de l'extérieur. Puis vient surtout la dernière scène d'attaque, siège d'un dépôt de munition à Harpers Ferry, où le metteur en scène déploie tout son génie : montage très rigoureux, plans d'assaut très variés, mouvements de caméras complexes, grand nombre de figurants, tirs de boulets de canons, affrontements au corps à corps... La scène, longue et dense, est un grand moment de cinéma à part entière. Côté casting, Ronald Reagan interprète un George Armstrong Custer très sympathique mais relativement oubliable (surtout comparé à la performance toute entière du film de Walsh l'année suivante : They died with their boots on), et l'on retrouve Alan Hale, en cow-boy roublard, efficace, fiable, ventripotent et drôle (son interprétation, ici sous-employée, demeure encore une fois pleine d'énergie). Raymond Massey est un excellent John Brown, visiblement habité par son rôle qu'il a prit très au sérieux. Bien sûr, le couple-vedette est toujours là, rayonnant et donnant tout son glamour au film. Olivia De Havilland est pétillante, fraiche, merveilleusement jolie, et fait preuve d'un étonnant naturel dans son jeu (plus qu'auparavant). Sanglé dans son bel uniforme, Errol Flynn est toujours aussi à l'aise dans l'action et dans la comédie, sans oublier une justesse remarquable dans les moments plus dramatiques. Superbement filmé par Curtiz, l'acteur sert le récit, plus qu'il ne le transcende (contrairement à Walsh qui lui offrira, dès leur première collaboration, l'écrin parfait pour y imposer une interprétation miraculeuse). Moins grandiose que dans The sea hawk et Captain Blood, mais aussi plus à l'aise que dans The charge of the light brigade (où Flynn y était excellent, mais légèrement trop raide), la star est ici parfaitement à sa place.

Un très beau western, sublimé par une thématique difficile et une fin aux accents tragiques, montrant John Brown sur l'échafaud, et mettant implicitement en scène le début des vraies hostilités entre le Nord et le Sud. Olivia De Havilland aura d'ailleurs une réplique prédicatrice, persuadée d'avoir vu là quelque-chose de terrible... Une fin en suspend quasi-Brechtienne. Après cela, difficile de croire que le happy-end complètement inutile et hors-contexte (durant à peine une demi-minute) n'ait pas été rendu obligatoire par le souhait de la Warner, certainement inquiète de l'inattendue noirceur du film. En l'état, après un Dodge city rutilant et grand public, le duo miraculeux Curtiz-Flynn s'offre enfin le western adulte et accomplit qui leur faisait défaut.
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someone1600
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par someone1600 »

Tres beau texte Julien, pour un film que j'ai bien apprécié moi aussi. :D
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