Masahiro Shinoda

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

Les Aventures de Buraikan (1970)
Sur un scénario de Shuji Terayama, Masahiro Shinoda ouvre les années 70 avec un film profondément nihiliste malgré son ton humoristique. L'histoire se déroule pendant les réformes Tenpo (1842) sous l'ère Edo où Mizuno Tadakuni (ici Mizuno Echizennokami) interdit toutes formes de divertissement, représentations théâtrales, geishas, feux d'artifice etc. Le scénario, difficile à résumer, suit le destin de différents personnages amenés à se révolter contre cette austérité. Hélas nous sommes chez Shinoda, cette révolte n'ira pas bien loin. Le réalisateur semble donc porter un regard désabusé sur son pays. Malgré les révoltes étudiantes entre autres de la fin des années 60 rien n'a changé, les conservateurs dirigent toujours le pays. Cette jeunesse, ou plutôt les nouvelles générations sont incapables de se débarrasser des anciennes générations, à l'image du personnage de Tatsuya Nakadai (approchant alors la quarantaine !), n'arrivant pas à se débarrasser de sa mère afin de vivre une histoire d'amour avec la belle geisha jouée par Shima Iwashita. D'ailleurs Nakadai paraît représenter le regard désabusé du réalisateur, particulièrement dans la phrase finale du film. Comme souvent, Shinoda n'oublie pas ses études théâtrales, le film adapté d'une pièce est en grande partie tourné en studio. Les personnages discutent beaucoup, s'épient, se combattent dans le microcosme d'un quartier d'une grande ville (Tokyo ?). Une œuvre passionnante, faute d'être un grand film, où Shinoda s'amuse. La suite des années 70 sera plus âpre et nettement moins amusante.

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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

Les Enfants de Mac Arthur (1984) et Moonlight Serenade (1997)
Ces 2 films forment un triptyque avec Childhood Days (1990), dont je n'ai hélas pu trouver de copie, portant sur le destin d'adolescents juste après la reddition du Japon en 1945. Difficile de connaître la part autobiographique mais elle doit être assez conséquente car Shinoda est né en 1931 et avait, plus ou moins, l'âge des protagonistes principaux des 2 films et ce, même si les histoires racontées sont différentes. Dans le 1er, nous suivons une petite communauté insulaire. La dictature militaire terminée, les adultes s'adaptent rapidement au changement de mentalité mais cela semble plus difficile pour les enfants endoctrinés. Ils sont obligés de couvrir d'encre des chapitres entiers de leurs manuels scolaires faisant référence au passé militaire du pays ce qui ne va pas sans quelques incompréhensions. Le film dresse donc différents portraits d'adultes et d'enfants au lendemain de la défaite, certains seront tragiques d'autres non. Jamais dramatique, l'histoire se veut légère tout en gardant une grande profondeur. Shinoda s'éloigne ainsi de ses œuvres années 70 en réalisant un divertissement grand public.

Le même constat peut être appliqué à Moonlight Serenade. Un écrivain devant couvrir pour un journal le tremblement de terre de Kobe se souvient de l'immédiat après-guerre. Sa famille avait pris le bateau pour enterrer le frère aîné mort au combat. Durant la traversée, de nuit, une petite communauté va se créer sur le pont du ferry. La mentalité du père, encore imprégner de celle d'avant-guerre, va se confronter à celle plus légère (en apparence) de ses compatriotes. Eux ont accepté la défaite, lui n'y arrive pas. Le récit s'envole vraiment lorsqu'un ancien benshi projette des films sur le bateau. Shinoda montre alors la force fédératrice du cinéma dans ces purs moments de poésie. Comme le film précédent, le casting est impeccable et nous suivons avec plaisir le destin des différents personnages et particulièrement des enfants obligés. Moonlight Serenade m'a semblé meilleur car plus resserré et plus court.

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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

Retour rapide sur mon cycle Masahiro Shinoda où j'ai pu voir 21 de ses films (sur un total de 33). Clairement une œuvre majeure d'une très grande cohérence stylistique et thématique.

Tout au long de sa carrière, Shinoda n'a de cesse de questionner l'histoire de son pays en critiquant ses règles et coutumes rigides. Son regard est bien souvent amère sur ses compatriotes, il ne cesse de pointer leur absence d'empathie et leur absence de libre arbitre dues à une société corsetée. Parcourir sa filmographie équivaut parfois à parcourir l'histoire du Japon, ce qui rend les visionnages d'autant plus passionnants et parfois complexes. Le sens de certains films ne s'offre pas toujours au 1er abord mais il est bien là. Il suffit de regarder quelques interviews du réalisateur, seul ou avec ses collègues, pour découvrir un homme affable et réfléchit. On est très loin de ce j'ai pu lire chez Max Tessier, en autres choses : "Quant à Masahiro Shinoda, il s'affirma moins [en comparaison à Yoshida et Oshima] par son sens de la révolte sociale que par celui d'une esthétique qui allait rapidement virer à l'esthétisme." Ou bien chez Donald Ritchie "[...] though his work has often more style than substance [...]". Et encore son propos est bien plus nuancé et intéressant que Max Tessier, qui ne semble pas comprendre grand chose au cinéma de Shinoda. Ce dernier est un maître de l'image, il est rare de découvrir une œuvre d'une telle beauté plastique... au service du propos du cinéaste. Ainsi le passage au 1.37 dans certains films lui permet de souligner l’absence de perspective, d'espoir des personnages. Découvrir l’œuvre de Shinoda c'est aussi découvrir, sa femme et sa muse, la sublime actrice Shima Iwashita et son sourire énigmatique que l'on retrouve dans la plupart de ses films. Découvrir son œuvre, c'est également l'écouter... la musique y tient une place fondamentale. Du milieu des années 60 jusqu'au milieu des années 80, le grand compositeur Tôru Takemitsu n'a de cesse de collaborer avec Shinoda. A quand l'édition audio de cette collaboration ? Mais je rêve un peu.

Je m'explique assez mal le manque de considération de l’œuvre de Shinoda en France, je ne sais comment il est perçu dans son pays mais on n'en parle peu ici. Peut-être l'absence de prix majeur en Occident ? Peut-être une œuvre "trop" japonaise ? Je n'en sais rien mais je suis surpris de la sortie en vidéo de Silence et de L'étang du démon, ses films les moins réussis des années 70. Bref, il reste encore un énorme travail éditorial à effectuer et son œuvre mériterait largement un livre.

Pour finir, un classement comme on aime !

A voir absolument (par ordre de préférence) :
- Fleur pâle (1964)
- Kaseki no mori/The Petrified Forest (1973)
- Double suicide à Amijima (1969)
- Gonza le lancier (1987)
- Sous les cerisiers en fleurs (1975)
- Orine, la proscrite (1977)
- Les aventures de Buraikan (1970)
- Assassinat (1964)
- Our Marriage (1962)
- Shamisen et motocyclette (1961)
- Moonlight Serenade (1997)

Bons films :
- One-Way Ticket for Love (1960)
- Jeunesse en furie (1960)
- Killers on Parade (1961)
- Epitaph to My Love (1961)
- Tears on the Lion's Mane (1962)
- Les enfants de Mac Arthur (1984)

Ratés :
- L'étang du démon (1979)
- Silence (1971)
- Himiko (1974)
- Tristesse et Beauté (1965)
- La Guerre des espions (1965)

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Arn
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Arn »

Merci pour ces passionnants retours :)
Ca va me permettre d'organiser mes visionnages.
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gnome
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Re: Masahiro Shinoda

Message par gnome »

Tout à fait d'accord avec ta liste de "à voir absolument" !

inutile de dire que je ne suis absolument pas d'accord avec Tessier (ni Ritchie d'ailleurs)....
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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

Arn a écrit : 6 juin 22, 16:52 Merci pour ces passionnants retours :)
Ca va me permettre d'organiser mes visionnages.
De rien. :wink:
gnome a écrit : 6 juin 22, 18:27 Tout à fait d'accord avec ta liste de "à voir absolument" !
inutile de dire que je ne suis absolument pas d'accord avec Tessier (ni Ritchie d'ailleurs)....
C'est vraiment étrange ces avis négatifs. Bien que je comprenne que l'on adhère pas à son cinéma, certains films peuvent être très clivants, j'ai vraiment l'impression qu'ils n'ont pas compris grand chose à Shinoda. Vivement une réévaluation pour découvrir les films qu'il me manque.
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Re: Masahiro Shinoda

Message par The Eye Of Doom »

Un gros coffret bluray avec 5 ou 6 des films du top ci dessus serait une excellente idee éditoriale !!!
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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

The Eye Of Doom a écrit : 6 juin 22, 19:15 Un gros coffret bluray avec 5 ou 6 des films du top ci dessus serait une excellente idee éditoriale !!!
Et une sortie ciné pour promouvoir le coffret. :mrgreen:
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Re: Masahiro Shinoda

Message par The Eye Of Doom »

Duane Jones a écrit : 6 juin 22, 19:26
The Eye Of Doom a écrit : 6 juin 22, 19:15 Un gros coffret bluray avec 5 ou 6 des films du top ci dessus serait une excellente idee éditoriale !!!
Et une sortie ciné pour promouvoir le coffret. :mrgreen:
Bien sur !
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Re: Masahiro Shinoda

Message par gnome »

J'avais aussi énormément apprécie Shokei no shima (Captive's island)(1966) aussi !
Il mérité également la découverte.

Et Orin la proscrite m'avait beaucoup touché, or je sais qu'il n'a pas super presse.
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-Kaonashi-
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Re: Masahiro Shinoda

Message par -Kaonashi- »

Le cycle de films dont Duane Jones a parlé ici depuis quelques semaines m'intrigue, car en effet je gardais une image un peu mitigée de ce que j'ai vu de Shinoda. Aujourd'hui il ne me reste que peu de souvenirs des 4 films du coffret Wild Side (que je n'ai plus). Excellente utilisation du scope et du noir & blanc, des films beaux visuellement, mais à part Double suicide à Amijima que j'avais adoré... ben ça ne m'avait pas marqué plus que ça. Silence n'est pas génial non plus. Il faudra que je tente d'autres films, certainement.
Dernière modification par -Kaonashi- le 8 juin 22, 14:17, modifié 1 fois.
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Re: Masahiro Shinoda

Message par gnome »

Silence est ma plus grosse déception.
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Rick Blaine »

-Kaonashi Yupa- a écrit : 7 juin 22, 09:45 Le cycle de films dont Duane Jones a parlé ici depuis quelques semaines m'intrigue, car en effet je gardait une image un peu mitigé de ce que j'ai vu de Shinoda. Aujourd'hui il ne me reste que peu de souvenirs des 4 films du coffret Wild Side (que je n'ai plus). Excellente utilisation du scope et du noir & blanc, des films beaux visuellement, mais à part Double suicide à Amijima que j'avais adoré... ben ça ne m'avait pas marqué plus que ça. Silence n'est pas génial non plus. Il faudra que je tente d'autres films, certainement.
Même pas Fleur pâle ? Mon souvenir est lointain, mais j'avais bien aimé, surtout pour son formidable aspect formel.
Ensuite j'avais vu Assassinat qui m'avait plutôt déçu.
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Duane Jones
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Duane Jones »

Je rejoins tout le monde sur Silence, Shinoda se plante notamment dans le casting américain absolument calamiteux. Je comprends le choix éditorial de le sortir en vidéo alors que le Silence de Scorsese sortait en salles, mais ça a dû rebuter pas mal de monde de découvrir d'autres films du réalisateur.
Pour revenir à la carrière de Shinoda, elle devient passionnante à partir de Fleur pâle. Avec ce film, il commence vraiment les expérimentations formelles et narratives, ça fonctionne souvent mais parfois ça se plante. En parcourant son œuvre, on découvre un cinéaste travaillant sans cesse la forme cinématographique tout en questionnant l'histoire de son propre pays ainsi que ses traditions. En cela, il rejoint, il me semble, ses camarades Oshima et Yoshida. Mais peut-être moins politique que ces derniers car sa vision du Japon est plus sombre, il ne croit pas au lendemain qui chante.
Je reviendrai clairement à son cinéma, j'ai vraiment envie de revoir Fleur pâle, Double suicide à Amijima et autres.

Je vais pouvoir continuer le cycle avec 4 nouveaux films et pas des moindres. Je ferai des retours et un nouveau top à la fin. :wink:
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Re: Masahiro Shinoda

Message par Spike »

Duane Jones a écrit : 6 juin 22, 16:45 Retour rapide sur mon cycle Masahiro Shinoda où j'ai pu voir 21 de ses films (sur un total de 33).
Merci beaucoup pour ces avis, car plusieurs de ses films sont rarement commentés sur le Net.
Duane Jones a écrit : 7 juin 22, 18:13 En cela, il rejoint, il me semble, ses camarades Oshima et Yoshida. Mais peut-être moins politique que ces derniers car sa vision du Japon est plus sombre, il ne croit pas au lendemain qui chante.
Une ville d'amour et d'espoir et L'Enterrement du soleil (rien que par leurs titres, ironiquement ou au premier degré !) ne respirent pas vraiment "les lendemains qui chantent"...
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