Robert Rossen (1908-1966)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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kiemavel
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par kiemavel »

Alexandre Angel a écrit :Je suis fort troublé de lire un tel bien d'un film complètement ignoré par 50 ans de cinéma américain (en tous cas dans la notule sur Rossen), qui a ses failles donc je n'en tire aucune conclusion et je fais confiance à ta passion. Je suis juste troublé et émerveillé de cette découverte que je dois faire séance tenante (mais comment?). Merci à toi et à Supfiction.
Un petit relevé mesquin de ma part : The Wonderful Country, c'est 1959 :wink:
Oui, et d'ailleurs on l'avait relevé dans le sujet d'où provient ce texte mais je ne l'avais pas modifié pour autant. La confusion vient du fait que Parrish dans le témoignage qu'il a laissé sur les préparatifs puis le tournage du film de Rossen annonçait qu'il était alors en train de préparer "The Wonderfull Country" et on en avait conclu que, soit l'écriture du film avait de très loin précédé le tournage (ce qui est possible), soit qu'il s'était trompé de film...

Maintenant, la passion, oui, mais on sait qu'elle peut aveugler :wink: . Supfiction semble avoir aimé mais avec quelques réserves. J'ai d'ailleurs du nouveau au sujet de la réserve concernant la mise en scène des combats. Comme je l'avais relevé dans mon texte, le code de production interdisait de montrer les mises à mort et obligeait à édulcorer les moments les plus violents. Or, puisque tu relevais que même Tavernier n'évoque pas le film, je suis allé farfouiller un peu…Sur ce sujet précis, la courte critique de Leonard Maltin apporte quelques éléments de réponse : Flavorful account of public and private life of a matador, based on Tom Lea book. Film admirably captures atmosphere of bullfighting. Some prints now available run 114m., with bullfight footage originally deemed too gruesome for U.S. audiences.. Or, la version que nous avons vu dure 102 min...Donc Supfiction a raison … mais j'ajoute que ces manques ne m'ont pas gêné (et j'ignorais d'ailleurs ce que rapporte Maltin).

Ce qui est le plus stupéfiant, c'est le peu de sources qui existent sur ce film. En dehors de l'avis très positif de Maltin, j'ai juste retrouvé 2 très bonnes critiques de l'époque, celle du NYT signé du pourtant saignant Bosley Crowther et celle de Variety. Sur IMDB, il y a 80 votants et une "review". Incompréhensible...
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Supfiction
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Supfiction »

Le choix de mettre Mel Ferrer en tête d'affiche y est surement pour beaucoup et on aura plus de chance d'entendre parler du film pour la présence d'Anthony Quinn qu'autre chose. Comme quoi malheureusement, pour assurer la longévité d'un film il faut des stars. La dame et le toréador avec Robert Stack en tête d'affiche (et encore il fut peut-être plus célèbre que Mel Ferrer) est dans le même cas. Mais il suffit d'un ou deux excités et passionnés parmi le microcosme cinéphile pour faire remonter en flèche la notoriété d'un film. Kiemavel, Robert te béni.

Au sujet du montage, moi c'est vraiment l'impression d'un film un peu charcuté que j'ai eu, content de voir que mes suppositions ne sont pas totalement hors de propos. Les scènes les plus violentes auraient été écourtées, donnant cette impression de montage sec. Quant à la séquence Miroslava/Anthony Quinn semblant manquer (je suis un sentimental..), difficile de dire si c'est vrai choix de montage de Rossen..

Le film est tellement riche que j'ai trouvé l'histoire d'amour trop anecdotique et du coup soit le personnage de Miroslava est en trop, soit il manque des scènes.

Quant aux mémoires de Robert Parrish, il n'y ai à aucun moment fait mention de The brave bulls, contrairement à Body and soul.
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par kiemavel »

Supfiction a écrit :Le choix de mettre Mel Ferrer en tête d'affiche y est surement pour beaucoup et on aura plus de chance d'entendre parler du film pour la présence d'Anthony Quinn qu'autre chose. Comme quoi malheureusement, pour assurer la longévité d'un film il faut des stars. La dame et le toréador avec Robert Stack en tête d'affiche (et encore il fut peut-être plus célèbre que Mel Ferrer) est dans le même cas. Mais il suffit d'un ou deux excités et passionnés parmi le microcosme cinéphile pour faire remonter en flèche la notoriété d'un film. Kiemavel, Robert te béni.

Au sujet du montage, moi c'est vraiment l'impression d'un film un peu charcuté que j'ai eu, content de voir que mes suppositions ne sont pas totalement hors de propos. Les scènes les plus violentes auraient été écourtées, donnant cette impression de montage sec. Quant à la séquence Miroslava/Anthony Quinn semblant manquer (je suis un sentimental..), difficile de dire si c'est vrai choix de montage de Rossen..

Le film est tellement riche que j'ai trouvé l'histoire d'amour trop anecdotique et du coup soit le personnage de Miroslava est en trop, soit il manque des scènes.

Quant aux mémoires de Robert Parrish, il n'y ai à aucun moment fait mention de The brave bulls, contrairement à Body and soul.
Béni soit Robert, plutôt :D Mais je ne crois pas que le manque de notoriété du film vienne de l'absence de grandes vedettes. Le problème principal, c'est surement la tauromachie. Il y a deux ans, La dame et le toréador a été rediffusé à la TV alors qu'il avait très rarement été diffusé jusque là. Les deux autres Boetticher consacrés à la tauromachie, cad Aruzza (documentaire) et Le brave et le belle sont carrément inédits. Le moment de vérité de Francesco Rosi est tout aussi rare…tout comme bien sûr La corrida de la peur. Et pourtant les vedettes du Boetticher le moins connu sont Anthony Quinn (cette fois ci dans le rôle du toréador), Maureen O'Hara et Richard Denning : http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 0#p2374675

Bien vu pour les plans manquants … mais encore une fois ça ne m'avait pas troublé, pas plus que les discrets inserts d'images d'archive qui se mélangent aux plans tournés par Rossen avec Mel Ferrer... et sa doublure. Quant à l'histoire d'amour, c'est vrai qu'elle n'est pas au centre du film contrairement à la "coutume" mais les quelques séquences suffisent pour montrer l'évolution de cette relation d'abord "imposée". Tu sembles avoir été insensible à la longue séquence nocturne durant laquelle Luis Bello révèle les failles de son enfance alors que je l'ai trouvé sublime ; y compris le très court flashback inattendu...

En ce qui concerne les propos de Robert Parrish sur ce film de Rossen, ce n'est pas dans ses mémoires (passionnantes) qu'il en est question mais il l'évoquait dans une Anthologie du cinéma (L'avant-scène relié…) et dans Amis américains
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Supfiction »

kiemavel a écrit :dans Amis américains
p362, Robert Parrish : "C'est pendant que je travaillais à Mexico que je rencontrai Tom Lea dont j'adaptai en 1951 un roman, The wonderful country, et qui était également le romancier de The brave bulls. C'est un type formidable, qui écrit visuellement, a le sens des couleurs et des formes. Je me souviendrai toujours du matin où il est entré dans ma chambre à Mexico, le visage décomposé, il tenait un télégramme et hurlait : "Rossen n'a rien compris à mon livre, mais rien compris du tout." Rossen lui demandait de convoquer tous les matadors et toréadors pour l'accueillir à l'aérodrome, ce qui était en effet une hérésie. Rossen d'ailleurs détestait les courses de taureaux..."
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par kiemavel »

Supfiction a écrit :
kiemavel a écrit :dans Amis américains
p362, Robert Parrish : "C'est pendant que je travaillais à Mexico que je rencontrai Tom Lea dont j'adaptai en 1951 un roman, The wonderful country, et qui était également le romancier de The brave bulls. C'est un type formidable, qui écrit visuellement, a le sens des couleurs et des formes. Je me souviendrai toujours du matin où il est entré dans ma chambre à Mexico, le visage décomposé, il tenait un télégramme et hurlait : "Rossen n'a rien compris à mon livre, mais rien compris du tout." Rossen lui demandait de convoquer tous les matadors et toréadors pour l'accueillir à l'aérodrome, ce qui était en effet une hérésie. Rossen d'ailleurs détestait les courses de taureaux..."
Et aussi : The Brave Bulls, qui a peut-être vieilli, constituait la première approche honnête, de la part de l'Amérique, de l'univers des corridas, du monde espagnol.

J'ai d'autre part retrouvé le dossier consacré à Rossen publié dans L'Avant-scène à sa mort en 1966. Il est longuement question du film. L'auteur évoque la réception de La Corrida de la peur : Les critiques furent en général très favorables et firent l'éloge de l'honnêteté et du réalisme de cette description du monde de la tauromachie…. Si le critique n'a rien à redire concernant la romance, ses propos permettent peut-être d'éclairer un peu plus tes réserves. Il écrit : …Luis Bello a besoin de retrouver son courage ; il en a besoin à cause de son amour pour la belle actrice blonde qui ne répond pas à cet amour ; pas plus que Raul (le manager) ne répond à son amitié. L'appât de l'argent et du statut social, l'échec de l'amour, tout ceci est naturellement relié à la perte de son courage, mais ce rapport est plus symbolique que psychologique dans le développement du film…

Il faudrait aller plus loin et parler de l'issue de cette relation (on ne peut plus décevante pour les "sentimentaux". Je n'en dis pas plus sinon le commissaire va sortir le sifflet :P )

Par contre, je ne suis absolument pas d'accord avec l'auteur concernant l'interprétation de Mel Ferrer, un acteur que je n'aime pourtant pas beaucoup ; tout comme toi. Il écrit : La performance médiocre et embarrassée de Mel Ferrer brouille malheureusement les cartes…. :twisted: …Pour la suite, faites comme moi :wink: , achetez ces volumes reliés de L'avant-scène publiés sous le nom d'Anthologie du cinéma.
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Supfiction »

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Je n'ai pas dit que je n'aimais pas Mel Ferrer. Noël de Maynes est pour moi l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma (aux côtés de Dark Vador, George Sanders et Hans Gruber).
Mais ce n'était pas une star capable d'attirer le public sur son seul nom. Pourtant je trouve comme toi qu'il est excellent dans le film, sa mélancolie naturel séant parfaitement au personnage. En outre il est totalement crédible en matador mexicain.
Quant à Miroslava elle a un petit côté Lana Turner, sa blondeur colle bien au rôle. Elle constitue davantage un trophée qu'un grand amour.
Leur histoire était pourtant passionnante mais encore une fois j'ai été frustré par l'avortement soudain de leur relation et de son dénouement.

Étant surveillé par le commissaire, je ne peux malheureusement pas en dire plus..
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par kiemavel »

Oui, je t'avais mal lu au sujet de Mel Ferrer. En ce qui concerne la romance, c'est bien ce que je subodorais (surtout l'issue) mais pareil j'en reste là. La frousse, sans doute
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Kevin95 »

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BODY AND SOUL - Robert Rossen (1947) découverte

Association de personnalités qui n'ont pas le talent dans la poche : Robert Rossen dans sa période pré-culpabilité, Abraham Polonsky au scénario, John Garfield soit l'acteur le plus moderne de l'époque, les futurs cinéastes (et pas des moindres) Robert Aldrich et Robert Parrish, le premier en tant qu'assistant-réalisateur, le second en tant que monteur. Tout ce beau monde pour un film magnifique. Une tragédie sportive autour du noble art qui se classe sans difficultés parmi les plus grands films sur la boxe. Garfield est une petite frappe qui rêve de gloire pour sortir de sa condition sociale défavorisée, qui l’obtient par la force de ses poings puis la garde en cage par gout du luxe. L'argent va tout pourrir, lui, son entourage, sa femme, sa naïveté. Le film est bâti comme un film noir, on commence par le crime pour remonter à la source. Un crime non puni par la justice, ni la société au contraire, puisque c'est le crime de la réussite. Non pas la réussite personnelle mais économique, celle qui rend les gens cons, arrogants et destructeurs. Pourquoi être un boxeur humble quand on peut être un sportif plein aux as, respecté par la terre entière. Lorsque Garfield plonge, les personnages secondaires sont éclaboussés : sa femme est seule, sa mère pleure, son pote s'éloigne et ce brave Ben, personnage qui ne laisse pas mes yeux longtemps secs, en perd la raison. Un personnage de raté, jamais filmé ni écrit avec condescendance ou à grand renfort de pleurnicherie. Un personnage digne, dont la disparition est un moment qui me fait baisser la tête d'émotion. Tout le film est droit, émouvant, euphorisant même lors d'une séquence finale qui n'est pas tombée dans l’œil fermé d'un Martin Scorsese. La filiation avec Raging Bull est flagrante, de la photo au jeu de John Garfield, mais pas seulement. Me vient à l’esprit …All the Marbles (Robert Aldrich... tiens tiens) qui a dû se souvenir de Body and Soul lorsqu'il entreprit son dernier film, le sport, la corruption et l'amitié à rude épreuve. Il n'est pas impossible aussi qu'un Stallone ait vu le film tant il y a une ressemblance entre le personnage de Ben et l'Apollo Creed pathétique de Rocky IV. Un film aussi influent qu'admirable.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Jeremy Fox »

L'arnaqueur par Franck Viale, sorti en Blu-ray chez Fox voici quelques années. Ce dernier a été testé par Stéphane Beauchet.
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Profondo Rosso »

Ceux de Cordura (1959)

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Fin 1916, des escarmouches ont lieu à la frontière mexicaine entre l’armée américaine et des groupes de révolutionnaires. À la veille de l’entrée en guerre en Europe, le major Thorn (Gary Cooper) a pour mission de distinguer, sur le terrain, cinq soldats pour leur bravoure au combat. Le colonel Rogers (Robert Keith) sait que Thorn a flanché lors d’une bataille, mais veut l’aider à se racheter. Une fois les cinq hommes choisis, Thorn doit les ramener pour recevoir la médaille d’or du Congrès, en compagnie d’une américaine (Rita Hayworth) accusée d’aide aux Mexicains. Au cours de leur longue route, les héros vont montrer un autre visage, alors que Thorn tâche de mener sa mission sans faillir cette fois.

Robert Rossen voit sa carrière basculer en 1953 lorsque, après des années de résistance et s'être vu placé sur la liste noire, il cède à la pression de la Commission des activités anti-américaine et livre 57 noms de sympathisants communistes. L'inactivité et l'angoisse le firent ainsi craquer, cette dénonciation l'aliénant de ses amis de gauche et freinant considérablement sa carrière. Si Elia Kazan, autre célèbre délateur, tentera de "justifier" son acte de façon ambiguë dans Sur les quais (1954), Robert Rossen s'interroge et fait acte d'expiation dans le captivant Ceux de Cordura. Le réalisateur y interroge la mince frontière entre héroïsme et lâcheté à travers le personnage du Major Thorne (Gary Cooper). Dans le contexte du conflit opposant les révolutionnaires mexicains de Pancho Villa au gouvernement américain, Thorne a cédé à la lâcheté en se cachant lors d'une escarmouche ennemie.

Passé entre les filets de la cour martiale grâce à ses relations, Thorne n'en est pas moins un homme meurtri par la culpabilité. Désormais en charge de distinguer les braves aptes à recevoir la Médaille d'honneur pour leur bravoure au combat, Thorne se fait à l'aune de sa propre faute une haute idée de la notion d'héroïsme. Cela va jusqu'à s'opposer au colonel Rogers(Robert Keith) ayant contribué à le dédouaner quand il lui réclamera une recommandation à une récompense après une bataille victorieuse. A la place, Thorne jette son dévolu sur cinq hommes ayant lors de cette même joute fait preuve d'un courage qui en fit basculer l'issue. Il doit donc les escorter jusqu'au fort de Cordura où ils attendront la validation du congrès avant de revoir leur médaille. L'introduction nous présente ainsi l'impressionnante bataille où Chawk (Van Heflin), Fowler (Tab Hunter), Trubee (Richard Conte) et Renziehausen (Dick York) vont accomplir des hauts faits qui feront basculer l'affrontement sous le regard fasciné et admiratif de Thorne. Cette bravoure dont il n'a su faire preuve, Thorne tente d'en capturer l'essence en interrogeant les héros et en consignant leurs impressions où ils ont bien du mal à rationaliser et expliquer leurs actes glorieux. La tournure malencontreuse de l'expédition va pourtant révéler les bas-instincts des "héros", la révélation prématurée de l'objectif du voyage faisant office de déclic négatif exacerbé par la tournure des évènements.

L'ambition arrogante de Fowler, le passé trouble de Chawk, le machisme de Trubee sont autant d'éléments qui les rendent de moins en moins dignes du sésame militaire au fil du voyage. Ces imperfections sont pourtant d'autant plus précieuses pour Thorne puisqu'ils ont su dans un bref moment les surmonter pour se montrer héroïque. Des actes de natures instinctives qui s'opposent à la noblesse et la haute idée que se fait, en théorie Thorne de la bravoure. Le caractère trop réfléchi du personnage sur ces notions (sa manière méprisante de juger l'assaut initial à la hussarde et sans stratégie) l'empêche justement de céder dans son attitude à l'irrationnel que signifie justement un acte héroïque. Si la mise à nu des soldats révèlent une facette néfaste, celle de Thorne et de la prisonnière accusée de trahison Adelaïde Geary (Rita Hayworth) les rends bien plus touchant dans leur vulnérabilité. Rita Hayworth (dont le visage plus mûr commence à être marqué par les excès) révèle ainsi les vicissitudes d'une vie qui l'ont conduit à trouver refuge au Mexique tandis que Gary Cooper tout en sobre fragilité compose un personnage mystique dans son idéal voire son sacerdoce héroïque. C'est vraiment à lui que s'identifie Robert Rossen, à travers lui qu'il se convainc que l'individu ne se résume pas à un moment de faiblesse et, à l'inverse pour les autres protagonistes, à un acte glorieux. L'humain est complexe et jamais unidimensionnel dans les hauts comme les bas et le dépassement de soi de Thorne et Adélaïde supplantera au final la vision étriquée et machiste de l'héroïsme par le seul prisme militaire qui montre ses limites. Robert Rossen fait passer toute cette réflexion dans ce curieux post western introspectif et captivant même si parfois un peu appuyé dans son propos. 4,5/6
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par doctus monkey »

Pour les amateurs de 'All king's men' qui voudraient se faire une idée plus juste des rapports entre le film de Robert Rossen et le livre, je signale la parution chez Monsieur Toussaint Louverture d'une nouvelle édition ( la première édition intégrale dans une traduction revue et corrigée) du roman de Robert Penn Warren.
A noter qu'en postface, figure un très beau texte de Michel Mohrt, j'en recopie le passage qui concerne l'adaptation de Robert Rossen :

'Tous les hommes du roi est le premier roman de Robert Penn Warren à avoir été présenté au public français. Le livre a obtenu le prix Pulitzer en 1947, la plus haute récompense littéraire américaine, et il a été l’objet de traductions dans de nombreux pays européens et scandinaves. Porté à l’écran, le film qu’on en a tiré a obtenu le prestigieux Oscar du meilleur film et remporté un grand succès aux États-Unis. Il a été dirigé par un ami de l’auteur, Robert Rossen, lequel avait déjà monté la pièce, qui, je le rappelle, précéda le roman. C’est un des rares exemples de production américaine entreprise selon des méthodes différentes de celles d’Hollywood, et s’inspirant au contraire des grands metteurs en scène européens : unité de conception et de direction. Robert Penn Warren a donc, on peut le dire, été associé à la réalisation du film et il s’en déclare satisfait. Cependant, le lecteur qui a aimé le roman risque d’être déçu par sa version cinématographique. Il était impossible, sans doute, de garder toute la complexité de l’œuvre mais, s’il n’y a pas lieu ici de parler de trahison – comme dans tant d’entreprises analogues –, s’il faut reconnaître que l’esprit du roman a été respecté, il faut convenir aussi que l’œuvre a perdu beaucoup de sa richesse et presque toute sa signification symbolique. Le « côté d’Anne », comme on pourrait l’appeler, celui des bords du golfe où vivent la mère de Jack et le juge Irwin, a été en partie escamoté. Supprimée aussi l’aventure de l’esclave noire, supprimé le personnage du père. Au contraire, tout le versant politique a été mis en valeur, si bien que le film n’est plus qu’un documentaire romancé (d’ailleurs excellent) sur les mœurs politiques aux États-Unis (et ça a été la raison principale de son succès). Tel qu’il est, le film fournit au lecteur français une collection d’images qui l’aideront à comprendre certains aspects de la vie politique et sociale du pays. L’aventure de Willie Stark n’est pas sans évoquer certaines aventures européennes, qui ne sont pas si anciennes ; elle montre aussi que la démocratie, comme l’avait vu Tocqueville, produit partout les mêmes effets.'

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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Rashomon »

La réception américaine des Fous du Roi - le film - est assez étrange. Couvert d'honneurs à sa sortie, il est aujourd'hui considéré par de nombreux critiques locaux comme un des "maillons faibles" des Oscars, alors même qu'il me semble que l'Histoire récente le rend plus actuel que jamais. Quant à sa réception chez nous, je ne sais meme pas si on peut employer ce mot puisque le film est toujours resté assez obscur (l'absence de stars au générique y est sans doute pour beaucoup) et passe rarement à la télévision - les commentaires sur la page Amazon du film sont symptomatiques, puisque la plupart des internautes parlent en fait de la version avec Sean Penn.
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doctus monkey
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par doctus monkey »

Rashomon: l'adaptation du livre était une gageure, ce qui est le cas pour la plupart des grands romans foisonnants ( en écrivant cette phrase je pense avec un petit pincement au coeur à un autre de mes livres préférés: 'Nostromo' dont on ne connaîtra jamais l'adaptation qu'en projetait David Lean à la fin de sa vie), mais pour moi le film de Rossen est de bonne qualité, et il me semble que dans la liste des oscars du meilleur film on va trouver facilement beaucoup plus faible.
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Jeremy Fox
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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par Jeremy Fox »

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Re: Robert Rossen (1908-1966)

Message par kiemavel »

Justin est toujours très intéressant à lire, et même plus que ça, mais il a quand même un défaut : il a du mal à noter sévère. La conclusion du texte " .... dont le talent s’affirmera dans une veine bien supérieure avec l’excellent Sang et or (1947) à venir" ne présage pas trop de la note de 3,5/5.
Je ne sais pas s'il est enseignant -comme beaucoup sur ce forum - mais il serait capable de mettre en marge d'une copie : " Une certaine aisance dans le discours ne parvient pas à masquer l'indigence des connaissances" : 15,5 /20. Avec lui, t'as 99 % de reçus :mrgreen:

Pour le reste, je suis bien d'accord que ce n'est pas un grand Rossen mais je ne l'ai pas vu depuis longtemps et ne peux vraiment préciser, sauf en ce qui concerne le duel entre Powell et Thomas Gomez que j'avais trouvé mal fichu et ce dernier pas terrible en mari trompé (ou qui le croit, je ne sais plus) et vengeur. Dans le cinéma d'aventures, fagoté en Genghis Kahn ou en Barbe noire, il était assez marrant mais dans le noir, ça le fait moins (à part peut-être dans Force of Evil) et puisqu' à Hollywood, à la grande époque, une tête de travers (Palance, Maccready ...), la maigreur ou la forte corpulence déterminaient souvent votre emploi, je trouve qu'il était souvent l'un des moins intéressants des nombreux volumineux méchants :wink:
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