Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Fatalitas
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Fatalitas »

1924, en 28 il etait deja aux USA :wink:
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bruce randylan
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par bruce randylan »

Ah oui merci, c'est corrigé. :)
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Alligator
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Alligator »

Herr Tartüff (Tartuffe) (F.W. Murnau, 1926) :

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_______________

Je n'ai pas vu Le dernier des hommes tourné précédemment. Murnau retrouve à peu près la même équipe, semble-t-il. C'est dommage de ne pas l'avoir vu avant. Tant pis.
J'ai l'impression d'avoir manqué quelque chose, de ne pas avoir toutes les clefs en main pour pleinement apprécier et comprendre ce qui se passe sur l'écran. Cela peut être une erreur de ma part, une vue de l'esprit mais à la fin du film, cette impression s'élabore doucement. A l'heure d'écrire sur ce film, l'impression est encore nette ; elle se manifeste de manière plus ample encore. Je ne vois pas comment aborder ma critique. Je ne sais si j'ai aimé le film ; ce qui me retient est imperceptible. Quel reproche puis-je faire au fait que le film est une fable moraliste? Je ne sais trop au juste. L'adresse directe au public peut-être retient-elle désagréablement mon attention? Est-ce judicieux? Les comédiens en font-ils trop? En premier lieu Emil Jannings en effet étire au maximum les traits de son visage. Sa coiffure raide comme un balai à chiottes encasque littéralement son énorme tête. Quand ses grimaces atteignent des degrés paroxystiques d'extravagance, il fait penser à Jabba le hutt, une espèce de gros crapaud hideux. Le niveau de la caricature m'empêche-t-il de pleinement entrer dans l'histoire? Même pas sûr! Est-ce juste l'histoire en elle même qui ne me convient pas vraiment? Possible. Je n'arrive pas à mettre les mots sur ce léger malaise, à comprendre ce qui cloche. C'est rageant de ne pas comprendre ses sensations, de n'en apercevoir l'origine.

Les comédiens me semblent très bien. Lil Dagover par exemple me fait le meilleur effet. Werner Krauss également.
Les éclairages comme les cadrages font merveille. Le montage est rapide, allant à l'essentiel. Tout parait en ordre, logique et sensé. Cela devrait fonctionner. Je ne trouve guère à redire et pourtant je reste immobilisé. Sur le quai.
Malgré quelques saillies d'un suspense érotique très étonnantes, j'allais oublier.
someone1600
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par someone1600 »

Le nouveau coffret Kino me tente énormement... malheureusement je n'ai absolument pas les moyens actuellement... :evil: :cry: :|
Alligator
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Alligator »

City Girl (F.W. Murnau, 1930)

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... -girl.html

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Le dernier Murnau que j'ai vu a été une belle claque en même temps qu'un merveilleux baiser d'amour, L'aurore. Autant dire que j'attendais beaucoup trop de ce City girl tout en sachant, je sais être réaliste parfois- que je ne retrouverai certainement pas la même fusion. Aussi ma déception n'a-t-elle pas été vraiment douloureuse.

Elle est toute relative pour tout dire. En fait, je crois bien que je n'ai pas aimé le sujet, la trame principale un peu trop simpliste, de ces approximations de vues que le XIXe siècle s'obstinait à polir comme des totems ou idées trophées. Concernant la ruralité, outre son exode rural récurrent (la campagne manque toujours de bras), elle doit absolument être le lieu antinomique de la ville, fable du rat des villes versus le rat des champs. Ce genre de postulat peut m'intéresser sociologiquement et historiquement, comme sujet d'études et de réflexions mais pas dans une fiction.
Ici s'ajoutent les conditions morales de l'Amérique puritaine et biblique : la ville des putes, Babylone, s'oppose à la rudesse virginale de la nature plus ou moins domptée par les hommes vertueux.

Heureusement, Murnau a un don pour insuffler à cette histoire une très belle émotion, grâce à une mise en scène phénoménale et une mise en image encore une fois très audacieuse et assurée.

Le jeu de regards des deux acteurs principaux quand ils se rencontrent et jaugent est d'une subtilité, d'une finesse incroyable et néanmoins complètement naturel, moderne, simple.

Sur le plan visuel, la scène où les deux mariés follement heureux débarquent dans la propriété et se noient dans leur bonheur en courant dans les champs qui deviennent océan de blé grâce aux mouvements de la caméra élargissant le cadre. Très joli moment de cinéma, point d'orgue du film, de ceux que le cinéma muet peut engendrer quand le réalisateur a su apprivoiser les inconvénients du silence pour lui donner une force de persuasion plus puissante que celle des mots.

C'est une narration bien difficile à maitriser. La tentation est grande d'en faire un peu plus, d'être un poil plus explicite dans le regard, le froncement de sourcil ou la crispation des mains. Dans l'Aurore, la retenue et l'intensité des sentiments exposés étaient parfaits. Dans ce "City girl" peut-être, oui en effet, certaines secondes sont de trop. Là encore, il est fort possible que ma lassitude devant les clichés du récit m'a quelque peu rendu pointilleux, excessivement.

Toutefois, je tiens à souligner le travail remarquable de Mary Duncan qui souvent m'a fait penser à la somptueuse Claudette Colbert (ah si! il y a quelque chose!). Peut-être voulait-elle lui ressembler? Dommage, cette actrice a du talent et n'a pas besoin de ça pour exister. Charles Farrell en grand benêt hérite d'un caractère fadasse à qui l'on mettrait sans retenue quelques mandales mais sa complicité avec Duncan est inattaquable. J'ai bien aimé également de découvrir la présence de Guinn 'Big Boy' Williams que je ne connaissais que des westerns fordiens, bien entendu, une trogne pareille ne s'oublie pas facilement, surtout depuis la présidence de George W. Bush.

Voilà, ce "City girl" n'est pas le meilleur de Murnau, loin s'en faut, mais n'est pas dénué de quelques atouts, deux ou trois bonnes scènes, un équilibre d'ensemble (pas loin d'être un mélodrame sirupeux, Murnau parvient à garder une certaine mesure), deux bons acteurs et de jolis plans.
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Jeremy Fox
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Jeremy Fox »

Alligator a écrit :
Voilà, ce "City girl" n'est pas le meilleur de Murnau, loin s'en faut, mais n'est pas dénué de quelques atouts, deux ou trois bonnes scènes, un équilibre d'ensemble (pas loin d'être un mélodrame sirupeux, Murnau parvient à garder une certaine mesure), deux bons acteurs et de jolis plans.
Moi qui en attendais monts et merveilles, mon éventuelle déception (lors de la sortie du Carlotta) sera peut-être moindre après avoir lu au moins un avis mitigé
:wink:
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Roy Neary
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Re: Friedrich Murnau (1888-1931)

Message par Roy Neary »

Aujourd'hui DVDclassik met en ligne sa chronique de City Girl signée M. Fox. :)
Pour la partie technique, les DVD et Blu-ray édités par Carlotta ont été testés.

:arrow: L'intruse (City Girl)
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Ann Harding
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par Ann Harding »

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Schloß Vogelöd (La découverte d'un secret, 1921) de F.W. Murnau avec Olga Tschechowa, Lothar Menhert, Paul Bilt, Julius Falkenstein

Au château de Vogelöd, La baronne Safferstätt (O. Tschechowa) se retrouve en présence de son beau-frère, le Comte Oetsch (L. Menhert). Ce dernier a été accusé du meurtre de son époux, mais a été acquitté. Elle décide de rester pour rencontrer le Père Faramund qui arrive de Rome...

Ce film de Murnau appartient au genre des intrigues criminelles à suspense. Malheureusement le grand secret révélé par le film fait un peu long feu. Et, il manque, à mon avis, au film une vraie atmosphère de mystère qui aurait pu être créée par les images comme dans Nosferatu, par exemple. Les deux captures que j'ai postées sont d'ailleurs trompeuses. Elles représentent certainement les deux meilleures scènes du film. Le reste est assez statique, entièrement tourné en studio et avec un éclairage assez uniforme presque entièrement dépourvu d'ombres. Les personnages restent assez monodimensionnels et l'intrigue avance surtout avec les cartons d'intertitres. Heureusement, il y quelques personnages comiques en particulier le chauve Julius Falkenstein (présent dans de nombreux films muets de Lubitsch) qui fait un cauchemar effrayant suite à la disparition d'un invité du château. La russe Olga Tschechowa, en veuve torturée, n'a que peu d'opportunités de montrer son talent. On peut regarder ce film comme une histoire d'Agatha Christie où il manquerait un peu d'expressionnisme. La copie présentée était accompagnée, avec talent, par le pianiste Neil Brand (comme sur le DVD édité par Kino Video aux USA). Arte a la désastreuse habitude de présenter les films sans mentionner les musiciens qui les accompagnent lors de la diffusion... :?
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par someone1600 »

Je l'avais trouvé pas trop mal ce film, mais c'est clairement le moins bon que j'ai vu de Murnau.
bruce randylan
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par bruce randylan »

Ann Harding a écrit :ImageImage
Schloß Vogelöd (La découverte d'un secret, 1921) de F.W. Murnau avec Olga Tschechowa, Lothar Menhert, Paul Bilt, Julius Falkenstein
Le plus vieux film que je découvre de Murnau (et donc le plus vieux trouvable en DVD) et vu son âge je m’attendais à moins réussi que ça. Sans être une œuvre marquante, c’est un titre intéressant pour ce qu’il annonce dans le futur cinéma de l’auteur. Si le film est encore très sage sur sa forme (aucun mouvement de caméra de mémoire), on reconnaît une habile intégration des décors à l’intrigue. Ici de grands et vastes décors vides où les personnages semblent presque insignifiants, comme si le mystère qui plane dans ce manoir à pris place dans les murs.
Le décor et l’espace prennent part dans l’opposition les protagonistes, appuient leur rapport leur force, leur isolement et leurs méfiances.
En cela on retrouve ce qui sera au centre de « la terre en feu », Faust ou Phantom.
Autre signe annonçant de manière plus flagrante l’évolution de son cinéma : l’expressionnisme. Une courte scène de cauchemar permet à Murnau d’expérimenter sur la lumière et sur les ombres. Un plan sera d’ailleurs repris dans Nosferatu, le plus célèbre : l’ombre de mains crochues se rapprochant du héros. Le reste du film demeure cela dit assez plat au niveau de la photographie. Seul quelques effets de lumières extérieurs viennent habiller un décor et souligner l’étrangeté du personnage central

Enfin thématiquement, on est déjà en présence de certaines bases de ses scénarios : la manipulation et la déchéance. Par ailleurs on constate aussi que la direction d’acteur est très sobre, très naturel.

Tout cela ne constitue pas un brouillon mal dégrossi des chefs d’œuvres à venir mais un film assez académique d’un cinéaste qui n’a pas encore trouvé son style. Si sa construction reste plaisante à suivre, le gros défaut reste un scénario qui n’a rien de surprenant. Le « twist » qui est dévoilé à la toute fin est éventé dès l’apparition du personnage du prêtre et le piège mené par le héros pour dévoiler la vérité n’en apparaît que plus artificiel. C’est cela qui empêche vraiment au film de fonctionner.
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par riqueuniee »

C'est vrai que le film pèche par son intrigue, assez décevante. Il mérite à peine son titre français . Finalement, une traduction littérale du titre original (qui veut dire tout simplement '"le château de Vogelöd") aurait tout aussi bien convenu.
Le film se rattrape visuellement, il y a de très beaux moments (dont la scène de la main crochue, effectivement).
A noter un effet supplémentaire, la différence de teintes de la copie présentée par Arte (sans doute suivant la provenance des copies -il s'agissait d'une restauration)
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par allen john »

Nosferatu (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922)

Avant toute chose, il convient de rappeler trois choses, qui ne sont pas évidentes face à ce titanesque classique dont l'évident statut de chef d'oeuvre n'était pas gagné d'avance à sa sortie: premièrement, au moment du tournage de cette oeuvre, Murnau n'est pas encore le wonder-boy du cinéma Allemand, loin de là; deuxièmement, Nosferatu est un vol, une oeuvre copiée, ce qui a eu des répercussions en justice; et enfin on est face non pas à une révolution stylistique consciente et sure de son fait, orchestrée par des artistes avant-gardistes qui souhaitaient laisser une oeuvre, non: Nosferatu est un tout petit film, presque privé, qui ne doit aujourd'hui sa notoriété et sa survie qu'à un coup de chance fortement improbable.

Si Henrik Galeen, scénariste de ce film, était bien sur partie prenante dans l'aventure, il est clair que son script est si largement inspiré de Dracula, de Bram Stoker, que c'en est embarrassant. Bien sur, aucun arrangement n'a été cherché avec les ayant droit de la famille de l'écrivain Irlandais, Nosferatu est donc une copie pirate de Dracula, dont les auteurs ont cru bon de déguiser les noms des protagonistes: Harker devient Hutter, Dracula devient Orlok, Mina Ellen et Renfield Knock, parmi d'autres. La partie citadine du film se passe non pas à Londres, mais à "Wisborg", une ville sur la mer du Nord inventée par les soins des auteurs. Pour le reste, Nosferatu ne garde de l'imagerie vampirique que ce qui va être utile. Pour le reste, en dépit de tout ce qui précède, si le film est un plagiat, il reste tellement inventif qu'on en a cure. Pour être clair, il suffit de comparer ce film et le Dracula de Tod Browning, oeuvre officielle celle-ci, puisque sanctifiée par un accord en bonne et due forme entre la famille Stoker et le studio Universal, pour s'en convaincre... Du reste, n'accablons pas Galeen, Murnau était manifestement coutumier des emprunts géants:en 1920, en effet, il réalise sur un scénario de Carl Mayer Der Bucklige und die Tänzerin, (Le bossu et la danseuse), en piquant Notre-Dame de Paris, puis Der Januskopf, sur un script de Hans Janovitz, qui recycle sans aucun frais The strange case of Dr Jekyll, de Stevenson. ces films-là sont perdus, donc on ne pourra pas en juger. Par contre, on connait bien Nosferatu...

Il est parfois amusant d'aller consulter certains sites auto-proclamés encyclopédiques pour y lire des bêtises: concernant Nosferatu, on lit, non seulement sur ces sites mais aussi dans bon nombre de publications, notamment Anglo-saxonnes, que Murnau était un pionnier du film d'horreur, ce que ses films pre-Nosferatu survivants tendent à nier, et que Nosferatu est une grande date du cinéma Expressionniste (les Anglais disent German expressionnist, tendant à confondre notoirement les deux adjectifs...). c'est bien sur une crétinerie, le film étant de fait éloigné de l'expressionisme; par contre, il est fantastique, au sens générique du mot, et c'est un film d'horreur. C'est aussi, dans l'intention de ses auteurs, un film occultiste. En attendant de revenir brièvement à ce terme, accordons que le mot d' "expressionisme" a fini par devenir synonyme pour un grand nombre de critiques et autres historiens un mot facile à sortir pour qualifier tout ce qui vient d'Allemagne entre 1919 et 1933, et concentrons-nous sur le film...

Les auteurs de ce film sont en réalité trois: Albin Grau, Henrik Galeen et Murnau. Grau, qui co-signera la décoration du film, en est le premier architecte, attiré depuis la guerre et une anecdote personnelle qui l'avait fait découvrir la profonde superstition de certains habitants de Serbie, par les histoires de vampires... Grau ayant fondé en 1921 une société de production avec Enrico Dickmann, souhaitait faire de Nosferatu la première production Prana Films... Ce serait la seule. Henrik Galeen est déja un vétéran du scénario en 1921, auquel on doit des collaborations notoires avec Paul Wegener... Grau a exploré un certain nombre d'endroits en compagnie de Murnau pour effectuer des repérages, l'idée ayant été assez vite de profiter de décors naturels aussi souvent que possible, soit en réaction contre le cinéma expressioniste (Qui battait de l'aile à cette époque, et qui était tributaire de studios ou les visions déformées des décorateurs trouvaient à s'exprimer), soit pour des raisons budgétaires. Aujourd'hui, le film serait considéré comme une petite production indépendante... Mais ce choix de privilégier les extérieurs naturels va beaucoup faire pour le film et son étrange beauté, tout en créant une dynamique d'adaptation pour Murnau, ses acteurs et le principal chef-opérateur engagé dans l'aventure, Fritz Arno Wagner: celui-ci allait devoir s'adapter constamment aux lieux, mais aussi se contenter d'une caméra pour des raisons pratiques lorsque la troupe tournera dans des endroits reculés des carpathes.

L'argument reste très proche de Dracula: un jeune homme, Hutter, agent immobilier dépéché par son patron auprès d'un riche noble un peu excentrique qui vit dans une vieille demeure, se fait vampiriser par le comte; celui-ci découvre une miniature de sa jeune épouse Ellen, est subjugué et décide faire le voyage séance tenante pour Wisborg; il voyage en bateau, avec des cercueils pour emmener sa terre natale de Transylavie vers l'Allemagne, car sinon il mourra; pendant ce temps, Hutter très affaibli fait le voyage lui aussi pour empêcher le vampire de posséder son épouse, mais celle-ci est déja entrée mystérieusement en contact télépathique avec le monstre, qui une fois débarqué à Wisborg, a amené la peste avec lui. Pendant que les gens meurent par dizaines, le vampire s'empare du corps de Ellen , qui se sacrifie en se laissant prendre jusqu'au petit matin, le lendemain, elle meurt en ayant triomphé de la bête. Parallèlement, on suit les aventures de Knock, le commanditaire du voyage de Hutter: premier vampirisé par le comte Orlok, il est devenu fou, et commente l'action dans la marge. Hutter est interprété avec un enthousiasme parfois ridicule par Gustav Von Wangenheim, Ellen au contraire est jouée avec une lenteur et une froideur un peu raides par Greta Schröder; Max Schreck (Oui, c'est un vrai acteur, et non une énigme; il a tourné peu de films, mais il en a tourné, dont un autre Murnau, Les finances du Grand-Duc, en 1923. il faut arrêter les fantasmes à son sujet!!) interprète un Nosferatu (Mot hérité du Roumain, selon le film et le roman, mais on n'en trouve pas de traces en Roumain...) digne de ce nom, longiligne, tordu, inquiétant, et pour tout dire définitif... Au sujet des tourtereaux, si Hutter est insupportable, il me semble que cela sert magnifiquement le film. En opposant son optimisme caricatural avec la noirceur des craintes dellen, et son comportement fantastique (elle communique à distance aussi bien avec son mari qu'avec son bourreau) fait d'elle un vrai personnage de premier plan, qui mérite de rivaliser avec le personnage-titre.

On ne sait pas très bien quelle est la part de Murnau dans la volonté de tourner le film, au départ, qui semble être le caprice de Grau, lui-même attiré par l'Occultisme. Il semble que Murnau qui est de toute façon exclu de toutes parts en raiison de son homosexualité, ait été attiré par ce mouvement obscur et difficile à définir, mais principalemtn pour des raisons esthétiques. de même, Nosferatu lui permet d'expérimenter avec sa production presque en contrebande dans les montagnes, et de se lancer un défi: tourner un film fantastique en décors naturels, aller chercher l'angoisse dans de vieilles demeures, et utiliser les ressources de la caméra et du montage afin d'amener, soutenir, et augmenter l'horreur et l'ngoisse. Mais par ces biais, il conte aussi une étrange histoire d'exclusion, et avouons le prend un malin plaisir à lâcher la peste sur ces pauvres gens de Wisborg et leur petite vie calme... Le film en tout cas bénéficie allègrement des décors, et profite aussi d'un goût déja très affirmé de Murnau pour la composition. Ses deux films précédents qui ont été conservés ne brillent que par intermittence dans ce domaine, mais avec Nosferatu, est né le Murnau qui sait instantanément tirer profit d'un décor, qui cadre sans faille et qui utilise toutes les ressources de la composition et du montage... Mais oui, du montage, je sais qu'officiellement, Murnau n'est "pas un monteur", mais ce film est monté avec une telle rigueur qu'il faut se rendre à l'évidence: il a inventé le montage du film d'horreur: tout est dans Nosferatu! Et puis il y a cette obsession du cadre.

C'est frappant dans la plupart des plans, Murnau place ses personnages dans des cadres à l'intérieur du cadre; notons bien qu'il le refera, même toute sa vie, comme le montrent si bien tant de photos tirées de ses films. Dès le départ, il nous montre deux personnages enfermés dans leur cadre, Hutter et Ellen. Aux cadres formés par les alcôves confotables, les fenêtres rassurantes et les portes entrebaillées, se substituent lors du voyage en Transylvanie les ogives inquiétantes, dans lesquelles s'engager revient à se prendre au piège du vampire. Celui-ci, pris au piège dEllen qui se laisser vampiriser afin de tuer la menace du comte Orlok, ne voit pas que son reflet est "pris au piège" d'un miroir derrière lui... Le plan qui clôt le chapitre final de la famille Hutter voit le médecin qui a aidé Ellen, à l'écart d'une chambre, comme à l'écart du drame qui s'y joue: Hutter, en pleurs, vient de constater au second plan le décès de son épouse. derrière le lit ou se trouve l'épouse et son mari éploré, un miroir nous renvoie des fragments de leurs corps. Le médecin, comme happé par le drame humain qui les concerne tous, marche lentement, et vient se placer dans la cadre de l'entrebaillure de la porte. Enfin, l'apport de Murnau et de ses opérateurs est évident dans la batterie de trucages déployés pour donner ou accentuer l'étrangeté de l'histoire. négatif, prise de vue accélérée, image par image, surimpressions, ombres... Tout est bon, et tout fonctionne, donnat raison au cinéaste dans sa volonté d'improvisation; on est clairement à lécart d'un production expressionnsite, et de ses déformations très calculées, planifiées. Et surtout tous les extérieurs de ce film sont situés dans des lieux authentiques, et c'est peu dire que le film s'en resent; ces grandes batisses ou le vampire élit domicile au final, les rues de Wismar ou les plans sur la grande peste ont été tournés, et puis surtout l'arrivée dans le port de ce bateau qui vbient semer la mort, tant d'images inoubliables.

Murnau, qui va devenir bien vite l'un des plus grands cinéastes Allemands pour de nombreuses personnes, et l'un des grands noms du cinéma mondial, devra beaucoup à Nosferatu, auquel il reviendra souvent: un film comme Tabu (1931) y renvoie, avec son prêtre-vampire qui vient prendre possession de l'âme de l'héroïne, jusqu'à ce que celle-ci se sacrifie pour sauver son amant de la malédiction; la aussi, un bateau va représenter la progression des forces du mal... Et si j'ai effectivement décidé de rendre à César ce qui n'appartient pas à Murnau en rappelant qu'il s'agissait en quelque sorte d'une commeande pour le cinéaste, n'oublions pas qu'une fois à bord d'un projet, Murnau le faisait sien à 100%.

Si on peut voir le film, c'est grâce à une poignée de copies qui a survécu à la destruction, puisque Nosferatu a inévitablement fait parler de lui: premier film de vampires digne de ce nom, il était difficile à la Prana Films de cacher l'origine encombrante de son film. La famille Stoker a donc fait ce qu'on attendrait d'elle en toute circonstance, porté plainte, et les producteurs ont été condamnés, le film interdit et détruit sur décision de justice, jusqu'à ce que des copies survivantes aient fait leur apparition aux Etats-Unis, ou le film était dans le domaine public.

Ouf.

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Message par someone1600 »

Superbe chronique encore une fois Allen John, pour un film qui le mérite amplement. :D
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par allen john »

City girl (Friedrich Wilhelm Murnau, 1929)

Si on devait mesurer l'intérêt d'un film à ce qu'en ont dit les historiens et critiques, on serait tenté de passer son chemin devant cet avant-dernier film de F. W. Murnau, le dernier fait à la Fox. Mais à leur décharge, les Eisner, Sadoul et consorts n'ont eu à l'époque de leurs erreurs que la version parlante du film pour s'en faire une idée, et l'histoire de ce film est de toute façon tellement embrouillée qu'il était bien difficile d'y voir clair. Grâce à Janet Bergstrom, historienne exigeante et dont les recherches sur Murnau font autorité, mais aussi grâce à David Kalat, dont le commentaire audio sur l'édition Masters of cinema du film est comme toujours un vrai bonheur, tout en étant une mine d'informations, on peut aujourd'hui parvenir à démêler les fils de l'intrigue rocambolesque des aventures de ce film, tombé victime du parlant.

Contrairement à une idée répandue, Murnau est encore le maitre de sa propre situation au moment d'entamer le tournage de son troisième film Américain, et a carte blanche pour faire le film comme il l'entend. Il a jeté son dévolu sur une pièce de théâtre, The mud turtle, qui l'enthousiasme dans la mesure ou il va pouvoir la transformer, dit-il, en une symphonie tragique du blé, intitulée Our daily bread. Ces mots volontiers pompeux sont en fait en droite ligne inspirés des mots qu'il utilisait lui-même pour présenter ce qui devait être son grand oeuvre, mais le film a très vite pris une dimension plus raisonnable (Ce n'est, heureusement, pas La ligne générale, et sa partition pour tracteurs...), et est plus proche du mélodrame flamboyant tel qu'il se pratiquait à la Fox sous la responsabilité de Borzage, que d'une quelconque austère allégorie grandiloquente. Le tournage s'est passé sans trop de problèmes, jusqu'à ce que le film soit stoppé par la Fox, désormais mise au pied du mur du son, et dont les exécutifs qui avaient plus ou moins écarté William Fox réclamaient du parlant à corps et à cris. S'il ne dédaignait pas imaginer d'ajouter une scène ou deux qui aurait pu incorporer du dialogue et servir son propos, Murnau s'est de toute façon désinterressé du projet, qui n'était pas fini au moment de son départ. Le film sera donc achevé sous la forme d'un film muet (Celui qui est si largement disponible aujourd'hui), puis a été repris sous la forme d'un parlant, très différent du film muet, et confié à d'autres metteurs en scène. Cette version parlante à la réputation désastreuse, je ne l'ai pas vue, elle n'est en aucun cas disponible en vidéo, mais elle existe... tant pis pour elle.

Lem Tustine (Charles Farrell), le fils d'un céréalier du Minnesota, part à Chicago pour vendre du blé. une fois sur place, il est empêché de vendre au pris demandé par son père, et rencontre une jeune femme (Mary Duncan), qui est serveuse dans un 'diner', et qui rêve de la campagne, ou elle pourrait enfin respirer, à l'abri des regards concupiscents des hommes corrompus qui viennent manger sur son lieu de travail. Lem tombe amoureux, et Kate est tout de suite attirée à la fois par le bonhomme, et par la vie qu'elle lui suppose. Ils se marient sur place. Une fois Kate arrivée à la ferme, il va néanmoins lui falloir affronter le terrible Tustine père (David Torrence), mais aussi Mac (Richard Alexander), le travailleur intermittent qui va tout faire pour la piquer à Lem. Quant à celui-ci, il va lui falloir affirmer sa masculinité, c'est à dire se battre pour son épouse...

Soyons clair: le seul gros défaut de ce film, c'est sans doute de ne pas être Sunrise. On a tendance à le mettre de coté, et pour commencer le statut un peu particulier de film accompli aux trois-quarts par Murnau tend à faciliter l'oubli. C'est injuste, d'une part parce que le réalisateur est parti de son plein gré, et aurait très bien pu rester en place et finir le film lui-même, ensuite, parce que le résultat final est tout sauf indigne de Murnau. Enfin, Murnau et la Fox travaillaient main dans la main avant le désaccord, et le résultat est un film Fox, c'est à dire une ouvre de la même famille que Sunrise, le cycle Farrell-Gaynor, The River, ou Four sons. The river possède de fait un plus important cousinage, dans la mesure ou le casting en provient largement, et aussi parce que City Girl a été mis en route une fois achevé le tournage du film de Borzage.

Cette vision lyrique du monde rural, dans lequel le mal n'a pas besoin de s'installer, puisqu'il est déja présent, vient s'ajouter à la thématique déja riche de Murnau: ses films "paysans" Allemands, dont peu ont survécu (Terre qui flambe et un fragment de Marizza), ont déja été prolongés par Sunrise. ce nouveau film vient donc contrebalancer la vision riche mais souvent manichéenne de Murnau, qui présente une ruralité saine opposée à la ville qui corrompt (C'est flagrant dans Sunrise comme dans Terre qui flambe): ici, on tend à inverser l'idée, puisque C'est en quête d'une certaine rédemption et d'une vie saine que Kate embrasse la vie paysanne, mais elle sera rejetée par le père Tustine, et courtisée par des hommes aussi corrompus que la vamp de Sunrise... Parallèlement, Murnau montre une fois de plus un couple en marge, ce qui rejoint le canon Borzagien, et sera prolongé de façon intéressante dans Tabu, mais il revient une fois de plus sur un motif récurrent de ses films: l'intrus, invité dans le cercle (Famille, ville, monde...) par un héros ou un protagoniste proche du héros: Tartuffe, Mephisto (Faust), Nosferatu, La vamp (Sunrise), et plus tard le vieux prêtre (Tabu) sont tous dans ce cas. Mais "l'intrus" ici n'est pas Kate, quoique le titre Français soit L'intruse: Mac représente le danger qu'on laisse s'installer, voire le vieux Tustine qui se met entre Lem et Kate... Et cette fois encore, comme Hutter qui ne comprend rien, comme le couple de Tabu, comme Faust qui accueille avec bonheur le retour de sa jeunesse, ou comme Orgon fanatisé, le combat est rude; Farrell prête une fois de plus ses traits et son grand corps gauche à un homme qui n'a pas fini de grandir, et qui a besoin de tous les encouragements de Kate pour s'accomplir... En attendant, le lyrisme des plans de Kate et Lem qui s'approchent de la ferme, avec du blé à perte de vue, ne sont pas près d'être oubliés...

Voilà, ce petit mélodrame qui se concentre en priorité sur une jeune femme, le seul rôle conséquent de Mary Duncan dont on possède plus qu'une trace incomplète, et à laquelle le titre rend explicitement hommage, est un film-testament de celui qui a soudain décidé de faire du cinéma autrement, sans studio et sans stars et qui part le faire tant qu'il en a encore la possibilité. Si la "tragédie " du blé n'est plus qu'un lointain souvenir, il semble que l'abandon de ce projet a été fait sans douleur, au profit une fois de plus d'un film de studio qui n'a rien d'indigne. Kalat souligne les points communs entre City girl et Days of heaven, de Terrence Malick; on sait aussi que Vidor tournera en 1934 en indépendant lui un film intitulé Our daily bread. Ce ne sera pas non plus La ligne générale... City Girl, fait avec passion, bien terminé par d'autres qui n'en ont pas vraiment trahi la vision, est une pierre blanche de plus dans la belle oeuvre essentielle de F. W. Murnau.

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someone1600
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Re: Friedrich W. Murnau (1888-1931)

Message par someone1600 »

Un autre chef d'oeuvre de plus a ajouter au compte de Murnau pour ma part. :wink:
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