Frank Borzage (1894-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Cathy
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Cathy »

Tiens je reposte mon avis que j'avais écrit quelques pages avant concernant ce film, tout à fait charmant !
Cathy a écrit :Betsy, Hearts Divided (1936)

Image

Jerome Bonaparte est envoyé aux USA pour négocier l'achat de la Louisiane au nom de son frère Napoleon. Il tombe amoureux d'une jeune femme américaine Betsy auprès de laquelle il se fait engager comme précepteur.

Frank Borzage réalise ici un film sur une histoire méconnue de l'histoire de France, car le fond de l'histoire est vraie. Si Jerome Napoleon n'a rien à voir avec l'achat de la Louisiane, il est vraiment tombé amoureux d'une jeune américaine et l'a même épousée. Dans la véritable vie, Napoleon n'a jamais accepté cette union et l'a annulée afin que Jerome épouse la princesse de Wustemberg. Ici, adaptation de l'histoire française par Hollywood, Napoleon n'est pas montré assez curieusement d'ailleurs comme un despote sans coeur, bien au contraire, il est décrit avec humour et sympathie, il faut dire que Claude Rains méconnaissable d'ailleurs interprète le consul devenant empereur. Le film permet aussi à Dick Powell, charmant Jerome Bonaparte de chanter plusieurs mélodies en français ou en anglais. C'est toujours agréable de voir comment la culture française est perçue aux USA, l'intérêt majeur est Marion Davies, maîtresse du magnat Randolph Hearst immortalisé à l'écran par Welles dans Citizen Kane, qui joue ici le rôle de cette jeune femme pleine de vie. On lui reprochera toutefois un manque de féminité ou de grace dans sa manière de se déplacer, un peu à la hussarde, alors qu'elle est quand même sensée être une jeune fille tout ce qu'il y a de plus élevée dans la société américaine, mais elle illumine l'écran d'une grace assez particulière. Ce rôle sera d'ailleurs quasiment l'un des derniers de sa carrière. Naturellement Borzage succombe aux habitudes de l'époque, et le film est complété par ces fameux seconds rôles "humoristiques" dont notamment Edward Everett Horton. Il est frappant de voir que le film ne prend pas un parti anti-Napoléonien, comme c'est souvent le cas, il y a aussi cette scène sur l'esclavagisme suggeré avec ce petit noir qui dit qu'il appartient à sa maîtresse, et celle-ci lui dit que non il est le fils de sa mère. le réalisateur signe donc une charmante petite comédie légère, intéressante à plus d'un égard par son casting, notamment Claude Rains épatant en Napoléon. Une jolie petite découverte !

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par allen john »

Green light (Frank Borzage, 1937)

Avec Green light dont Flynn entendait faire un changement radical par rapport à ses épopées précédentes (Captain Blood et Charge of the light brigade), Borzage a donc réalisé son dernier film Warner, qui tranche sur tous les autres, et est de fait plus proche de ses préoccupations. Errol Flynn y incarne un médecin, le Dr Newell Paige, particulièrement préoccupé du bien-être de ses patients, et qui confesse n'avoir aucun temps pour se soucier des âmes. sa rencontre avec la fille d'une patiente décédée qui le croit responsable va bouleverser sa vie, et l'amener à se remettre durement en question...

Le dr Newell Paige est un héros sans tourment, à la vie réglée: il résiste vaillament aux avances de l'infirmière Ogilvie (Margaret Lindsay) parce qu'il la sait amoureuse, et ce n'est pas réciproque. Il prend bien soin de ses patients, ce qui le pousse à remplacer au pied levé un collègue qui tarde pour une opération; mais lorsque celui-ci commet une faute dans l'opération, il ne le dénonce pas. La crise qu'il traverse suite à sa démission vont pourtant lui faire trouver sa voie: il va se sacrifier, trouver dans une expérimentation sur lui même la façon dont il peut être utile pour toute l'humanité. Aidé en cela par l'infirmière Lindsay, qui va sacrifier son amour, par Phyllis Dexter (Anita Louise), la fille de la patiente décédée dont il est tombé amoureux, par le doyen Harcourt (Cedric Hardwicke) enfin, un vieux révérend qui va se placer non pas en juge, mais plus en conseiller des personnages principaux dans le film, assumant ainsi l'habituel rôle dévolu aux "bonnes fées" dans les contes inspirés de Cendrillon: on est bien dans l'univers du cinéaste.

La spiritualité dans ce film, en dépit de tout, y est représentée comme un ensemble de choix, un parcours atteint à l'issue d'un enseble d'épreuves. on retrouve le gout de Borzage pour les passions et sentiments mis à l'épreuve du travail, du sacrifice ou de la passion amoureuse. On le retrouve tout en sachant que le film, aussi déclicat et inhabituel soit-il, n'est pas son meilleur, s'entend. Du reste, Flynn est revenu ensuite à de plus classiques aventures, mais certains aspects sacrificiels de son personnages se retrouveront dans Dive Bomber et dans They died with their boots on quelques années plus tard...

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

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History is made at night (Frank Borzage, 1937)

Entre deux contrats, entre deux films, Frank Borzage a réalisé pour le compte de l'indépendant Walter Wanger ce film étonnant, extravagant, dans lequel il semble se débarrasser de toutes les limites imposées durant les années 1934-1936 par la Warner... avec charles Boyer, Jean Arthur et Colin Clive, il retrouve son style, son univers et son type de personnage pour une histoire d'amour fou comme il en a bien peu tourné depuis l'arrivée du parlant. Colin Clive y est un homme fou d'amour pour son épouse, et tellement jaloux qu'il en est invivable. Jean arthur y incarne son épouse, décidée à assumer son divorce afin de se débarrasser de l'étouffante présence de son époux, qu'elle aimait mais ne peut plus aimer en raison de ses excès. Et Charles Boyer y est un homme qui déboule un jour par hasard dans la vie de Jean Arthur au moment ou le chauffeur de celle-ci lui joue une scène à la demande de l'époux, afin de tester son comportement. Et une fois entré dans la vie d'Irene (Arthur), Paul, le maitre d'hôtel Français (Boyer) n'en sortira plus...

On mesure la dose de mélodrame au degré d'invraisemblance, et là, on est dans un monde purement mélodramatique: obsédé par son épouse, Clive est aussi armateur, et s'apprète à lancer un bateau, le... Princess Irene. A la fin, apprenant que les amants y sont passagers, il donne l'ordre de battre un record de vitesse, afin de pousser le bateau vers le danger des icebergs... Paul et Irene, lors de leur soirée improvisée en tête à tête, se sont créés un menu de rois et de reines, qui devient en quelque sort leur sésame pour se retrouver instantanément coupés du monde, dans un endroit qui leur appartient en propre... Paul, habillé en homme du monde comme le vagabond Spencer Tracy dans Man's castle, est en fait maître d'hôtel... Mais tout comme Spencer Tracy dans le film mentionné, son bel habit reflète la noblesse de son caractère. et un petit truc qui ravira les fanatiques de Borzage: lorsque Charles Boyer et Jean Arthur dansent ensemble, elle perd sa pantoufle... il la ramasse, mais elle choisit finalement d'abandonner les deux. Ainsi, on a en même temps l'abandon de soi à la simplicité de l'amour, le thème habituel de Cendrillon (Avec un Boyer qui est à la fois le prince charmant et la bonne fée), et l'intimité instantanée partagée par les amoureux, dans un restaurant vide qui ne s'est ouvert que pour eux...

Doté d'un beau titre à la hauteur de l'originalité du film, History is made at night est une halte nécessaire et bienvenue dans la carrière de Borzage. dans la période qui allait suivre, quelques films allaient pouvoir rivaliser avec ce conte délirant, mais assez peu en vérité...

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par allen john »

The big city (Frank Borzage, 1937)

Pour démarrer son contrat avec la MGM, Borzage commence par un film atypique, pour le studio du moins... Le générique, avec ses caricatures filiformes qui accompagnent tous les noms du générique, techniciens comme acteurs, on s'attend d'ailleurs à une gentille screwball comedy, comme Bringing up baby dont les crédits usent du même principe... On rit et on sourit parfois dans Big City, mais cette tentative de faire passer le film pour une comédie pourrait bien être un truc après coup pour faire avaler la pilule d'un film inconfortable sur un certain nombre de points. En effet, on imagine mal le vieux conservateur Louis B. Mayer, qui avait déja du s'étrangler devant The crowd, Freaks et Gabriel over the White House, voir d'un oeil bienveillant un film dont les héros sont des petites gens, pour beaucoup des immigrants en proie au grand capital... Mais le film n'est pas, bien sur, un manifeste socialiste non plus. On n'est pas très loin de l'univers de Capra, avec son refus des grosses organisations tentaculaires, et sa mise en avant d'un visage humain du capitalisme, bref: c'est un film "populiste".

Joe Benton (Spencer Tracy) et sa femme Anna (Luise Rainer), une immigrée Hongroise dont les droits à la citoyenneté Américaine vont bientôt pouvoir être appliqués, sont heureux; d'ailleurs elle va avoir un bébé... Lui est chauffeur de taxi à New York, et travaille pour une société indépendante par opposition à la compagnie Comet dont les chauffeurs n'hésitent pas à attaquer physiquement les collègues indépendants pour leur voler leurs clients. Le frère (Victor Varconi) d'Anna se fait embaucher par la compagnie Comet afin d'espionner leurs agissments, mais il est trahi, et tué. Anna est victime d'un piège, la compagnie Comet lui imputant la responsibilité d'un attentat, et elle va être expulsée... Joe commence alors à la cacher, avec la complicité de ses voisins et amis, mais la justice la recherche...

Retrouvant Spencer Tracy après Young America et A Man's castle, Borzage lui adjoint la trop rare Luise Rainer, et on retrouve avec la complicité amoureuse des deux jeunes mariés un caractère très personnel du cinéaste, mais l'essentiel de ce film reste quand même un démarquage de l'oeuvre de Capra. C'est fait avec tendresse, et parfois un peu foutraque aussi comme cette résolution avec des boxeurs en congrès (Dans leur propre rôle) qui viennent prêter main forte aux taxis indépendants... Le sacrifice d'Anna, qui a compris que tant qu'on ne la retrouverait pas les petites gens de son quartier alleint souffir du harcèlement de la police, et la notion d'entraide, renvoient autant à Capra qu'à Borzage. Enfin, l'appel au secours de Joe, dont l'épouse vient d'être mise de force sur un bateau pour retourner en Europe, va occasionner une réponse inattendue des politiciens locaux, qui se déplacent tous pour venir en aide à la jeune femme, un peu de la façon dont les huiles de la ville viennent en aide à Apple Annie dans Lady For A day...

Totalement distrayant et très court, ce premier film MGM ne tient pas les promesses de son générique loufoque, mais constitue une entrée en matière d'une des périodes les plus variées de la carrière de son metteur en scène, qui allait retrouver sa vedette bientôt pour une quatrième et dernière fois. Même si l'ombre de Capra est très importante sur ce film, on y retrouve une bonne part de l'univers du réalisateur à travers sa peinture tendre des petites gens qui vivent un peu en marge du rêve Américain...

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par allen john »

Mannequin (Frank Borzage, 1937)

Retournant à du matériau proche de ses préoccupations, le deuxième film de borzage pour MGM est superbe, illuminé par les prestations de ses deux stars, l'un comme l'autre des monstres sacrés: Spencer Tracy, avec lequel le réalisateur a déja fait trois films, et Joan Crawford qui retournera à deux reprises avec lui. Dès le point de départ, Mannequin s'installe en marge du rêve Américain, dans les quartiers les moins reluisants de new York, mais bien loin des rêves de Chico dans Seventh Heaven, ou des vagabonds de A Man's castle: pour Jessie (Joan Crawford), le rêve est au début du film plus l'unique moyen de tenir debout qu'un véritable espoir. Non qu'elle n'essaie de s'en sortir, ou qu'elle cesse d'y croire: chaque jour à l'usine est un acte de foi. Mais elle n'est pas aidée: son père est un bon à rien à moitié gâteux qui joue de temps à autre au tyran domestique, son frère un incapable militant, et qui se destine sans doute à faire son trou dans la pègre pour s'en sortir, et sa mère souffre le plus en silence possible, mais demande quand même régulièrement à sa fille l'argent qu'elle a gagné pour satisfaire aux caprices des deux hommes de la maison. Afin d'échapper à tout ça, Jessie se marie avec son petit ami Eddie, mais c'est une mauvaise idée, il est aussi feignant que les deux autres réunis.C'est dans ce contexte que Jessie rencontre un homme qui a tout: J. L. Hennessey (Spencer Tracy), un armateur qui a construit une entreprise qui fonctionne très bien, un patron qui a la confiance de ses employés. Il a tout, il est riche, mais à compter du jour de sa rencontre avec Jessie, il va vouloir ce qu'il n'a pas: la jeune femme, en effet, dont il a compris qu'elle était mal mariée, et qu'elle ne pouvait que finir avec lui...

Le metteur en scène s'est clairement passionné pour ses personnages, et l'histoire est filmée avec une immense conviction contagieuse, comme une comédie sans en être une. L'amour fluctuant de Jessie pour Eddie, celui plus difficile à définir qu'elle va progressivement ressentir pour John L, sont des pistes à suivre sans effort pour le spectateur grâce à la grande aisance de Borzage avec non seulement la représentation des sentiments, mais également sa capacité à éveiller chez le spectateur des échos des sentiments des personnages: il suffit de voir Spencer Tracy ici pour comprendre que Jessie finira mariée avec lui et heureuse: travail d'acteurs, oui, mais aussi un savoir-faire inimitable en matière de mise en scène du sentiment amoureux...

Un aspect récurrent en particulier est ici traité de nouvelle façon, plus complexe qu'à l'accoutumée: Cette faculté qu'on certains personnages des films de Frank Borzage à agir en qualité de bonne fée, à la façon dont la marraine de Cendrillon lui met le bonheur clés en mains en créant les conditions de sa réalisation, se retrouve ici sur un personnage négatif, Eddie, qui entend profiter de l'affection qu'à J.L. Hennessey pour son épouse, et en profiter financièrement. La transformation (Citrouille en carosse dans Cendrillon) qu'Eddie propose à Jessie est de divorcer de lui, afin de se mettre en position de séduire Hennessey, et au final de lui prendre tout son argent de manière à ce que tous deux, Eddie et Jessie, en profitent. C'est, bien sur, inacceptable, mais cela va permettre un point positif: en entendant Eddie lui donner cette idée odieuse, Jessie réalise qu'elle ne peut pas l'aimer, et le quitte sans aucun regret. Mais Hennessey lui-même, obsédé par Jessie, fait tout pour qu'un jour elle se retrouve chez lui, et ce jour arrive à l'occasion d'une réception luxueuse... Mais ici, la bonne fée se confond évidemment avec le prince, puisque jessie a dansé avec lui lors de leur première rencontre. Enfin, Jessie elle-même y va de sa manipulation, en souhaitant quitter Hennessey alors que celui-ci est riche: elle entend lui prouver qu'elle ne l'a pas épousé pour son argent. Mais elle veille sur lui de bien d'autres façons, comme le prouve la très jolie fin, d'une grande délicatesse...

Autre allusion à la transformation de Cendrillon, l'accent mis sur les vêtements de Joan Crawford, dont par exemple le métier de chorus girl n'est capté que dans les coulisses: elle y est vue se changeant, passant d'un atour à l'autre. Et bien sur, quand elle devient mannequin, un défilé donne lieu à une scène de comédie durant laquelle le destin du couple Hennessey va se jouer: cette scène durant laquelle la jeune femme est vue avec plusieurs toilettes différente tient lieu de bal pour Jessie et Hennessey, et c'est le point de départ de leur relation amoureuse...

Le film est typique de la fin des années 30, pas très éloigné de Capra dans sa représentation d'une Amérique volontariste, dans laquelle ceux qui cessent d'y croire (la mère), ou qui se contentent de la facilité (Les hommes autour de Jessie) sont condamnés à la stagnation. Il faut perséverer, nous dit Borzage par le biais de l'exemple de Hennessey qui a réussi sans marcher sur personne, ou par l'exemple de Jessie qui ne va jamais baisser les bras et croire, surtout devenue enfin seule, à la possibilité de s'élever. Cette métaphore spaciale de l'élévation physique qui symbolise l'ascension sociale, est toujours aussi importante chez Borzage, qui joue avec les ascenseurs et les escaliers pour nous montrer le chemain, dès la première scène: Jessie rentre chez elle, et monte un escalier: elle est fatiguée, mais parvient enfin au sommet. Quel contraste avec la scène durant laquelle elle se rend chez Hennessey, mais tente de partir, alors que Tracy essaie de la retenir en bloquant l'ascenseur! Chez ce doux rêveur millionnaire, au passage, on constate qu'il a un peu réalisé l'ambition de Chico: il vit dans un magnifique appartement au sommet d'un building, ET il est riche...

Après un Big City en demi-teintes, Mannequin prouve que Borzage est chez lui à la MGM, qu'il n'a rien perdu et qu'il a de beaux films à faire: il ne s'en privera d'ailleurs pas...

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

Three comrades (Frank Borzage, 1938)

Three comrades est l'un des films les plus connus et reconnus aujourd'hui sur l'ensemble de la carrière de Frank Borzage. C'est bien sur une conjonction exceptionnelle de talents, autour d'une oeuvre adaptée d'un roman de Erich Maria Remarque, l'auteur du déja très célébré A l'ouest, rien de nouveau. F. Scott Fitzgerald a participé au scénario, la production est signée de Joseph L. Mankiewicz, et la MGM a confié à Borzage le soin de diriger Robert Taylor, Franchot Tone, Robert Young et Margaret Sullavan, qui croise donc le chemin du metteur en scène pour une troisième fois... Et de tout cela va sortir un film superbe, qui reprend les réflexions de Borzage sur les lendemains de la première guerre mondiale en offrant une nouvelle vision des coulisses de la montée du nazisme, comme il l'avait fait en particulier dans son impressionnant drame No greater Glory. Mais cette fois-ci, Borzage n'est plus autant dans la métaphore, aussi subtile soit-elle: les armes se feront bientôt entendre en Europe, et le metteur en scène ajoute à sa diatribe anti-guerre un portrait de la vie de tous les jours dans un Berlin ou les factions d'idéologies contradictoires commencent à élever la voix les unes contre les autres, préparant la montée des nazis...

Pourtant l'essentiel du film se déroule à l'écart de la politique: trois soldats Allemands démobilisés profitent de leur retour à la vie civile pour se construire un avenir: ils ouvrent un atelier de réparations. Gottfried Lenz (Robert Young) est l'idéaliste de la bande, qui consacre un peu de son temps libre à l'activisme de gauche; Otto Koster (Franchot Tone) est le plus raisonnable des trois, celui qui incarne à plusieurs reprises le renoncement pragmatique (Lorsqu'il décide faire sauter son avion, compagnon d'infortune pendant la guerre, au début du film, par exemple), mais qui sait aussi prendre des décisions dangereuses par amitié (Venger un ami disparu, ou prendre le volant et battre des records de vitesse au péril de a vie pour sauver une jeune femme en danger); enfin Erich Lohkamp (Robert Taylor), désabusé au début du film, devient le plus rêveur, le plus optimiste: il est amoureux. En effet, les "trois camarades" ont rencontré une jeune femme, Patricia (Margaret Sullavan) protégée par un homme riche, Franz Brauer (Lionel Atwill) et dont les idées sont assez représentatives du type de fuite Nationaliste et revancharde en avant qui amènera Hitler au pouvoir. Malgré la désapprobation de celui-ci, Patricia et Erich s'aiment, se marient (Un mariage de fortune, improvisé dans un café...)... mais Erich découvre bien vite ce que lui a caché sa jeune épouse, bien qu'elle l'ait révélé à Otto et Gottfried: elle est atteinte de tuberculose, et la situation empire...

Il y a urgence, nous dit le metteur en scène. Patricia, amie et confidente, amante d'un et presque des Trois Camarades, est une source de bonheur et de liberté bien fragile. Elle est la vie, comme nous le révèle un final magnifique qui reprend des éléments de la fin sublime de A farewell to arms, avec un même sacrifice... De leur côté, les "trois camarades" si complémentaires représentent un peu les trois facettes d'un seul et même homme, une sorte de jeune Allemand trahi par l'irruption d'une guerre dont il ne voulait pas, mais dans laquelle il a été amené à faire son devoir, par la montée des périls, ensuite, par le sentiment de perte des valeurs, de la sécurité, du bonheur, et bien sur par l'approche de la mort. Le film réussit à rester de façon remarquable dans une narration classique, en dépit de sa teneur allégorique, et on a envie d'applaudir lorsque deux des "trois camarades" s'en vont vers l'Amérique disent-ils, accompagnés des silhouettes de leurs amis disparus: inoubliable image...

L'Allemagne de 1920 est chez Borzage un avant-gout de celle qu'il montrera dans The mortal Storm quelques mois plus tard, ajoutant une nouvelle pierre à un édifice rare à Hollywood en ces années troubles: des films non seulement conscients du danger qui se tramait, mais en plus parfaitement admirables sur leur seul mérite cinématographique, avec ce dosage si subtil et si caractéristique des oeuvres de Borzage de peinture des inquiétudes associées à la poésie des amours vécues malgré tout: malgré la mort, malgré la haine, et malgré la guerre ou la tuberculose, amour incarné ici par une splendide Margaret Sullavan.

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

The shining hour (Frank Borzage, 1938)

La confusion des sentiments... Quand on y pense, à part lorsqu'un personnage (Crawford dans Mannequin, par exemple), hésite à se lancer dans les bras de l'amour ou d'une romance apparemment évidente, chez Borzage ce sujet n'est pas courant. Le couple, les amours partagées, sont généralement le fait de deux personnages qui prennent le devant de la scène et dont la réunion devient vite un enjeu inévitable et évident, et bien sur le centre du film. C'est ce qui me fait dire qu'avec ce nouveau film MGM, on est sans doute plus dans un univers proche du cinéaste, mais qui lui a été plus ou moins imposé. Il en a fait d'ailleurs un bien beau film, et a pu de fait travailler de nouveau avec deux actrices (Joan Crawford, Margaret Sullavan) avec lesquelles il lui avait été bénéfique de tourner, mais on est sans doute plus dans l'univers de Joan Crawford... Celle-ci interprète Olivia (De son vrai nom Maggie), une danseuse qui finit par accepter de se marier avec Henry, un riche fermier du Wisconsin. Il ramène sa femme chez lui, et un huis-clos va se jouer entre cinq personnages: Henry (Melvyn Douglas), conscient du fait que son épouse ne l'aime pas comme lui est amoureux; Olivia (Joan Crawford), embarrassée devant la difficulté de faire naitre en elle un amour pour Henry alors que son attirance pour le jeune frère David est évidente; David (Robert Young), marié à une amie d'enfance, et qui trouve en Olivia des désirs qu'il ne connaissait plus, Judy (Margaret sullavan), qui sait à quoi s'en tenir face aux sentiments de David, mais souhaite quand même aider sa nouvelle belle-soeur à s'intégrer, et enfin Anna (Fay Bainter), la grande soeur des deux garçons, qui couve ses frères, a fini par accepter Judy qui ne représentait pas un trop gros risque pour elle, mais voit d'un très mauvais oeil l'arrivée de l'intrigante Olivia...

Cette intrigue avec chassé-croisés amoureux se concentre donc plus ou moins sur les amours irrésisitibles mais contrariées de David et Olivia, par lesquelles le drame va se précipiter. Les situations sont parfois complexes, et ne permettent pas toujours la concentration sur ce qui est le vif du sujet dans l'univers de Borzage: ces sentiments qui conditionnent tout. malgré tout, on voit se dessiner une étrange intimité entre ces êtres, tous finalement seuls les uns avec les autres (En dépit de la présence de nombreux domestiques): autant entre maris et femmes qu'entre beau-frère et belle-soeur (Henry et Judy sont par exemple très complices). Et puis il y a la maison qu'Olivia réclame à Henry, symbole de son élévation sociale, mais qu'elle ne verra jamais complétée... Enfin, pour la première fois mais pas la dernière, Margaret Sullavan montre son sens du sacrifice! c'est peu, dans un film resserré qui a tout d'une adaptation théâtrale, mais les 76 minutes de ce divertissement de luxe sont un excellent moyen d'attendre, de la part de Borzage, les feux d'artifice futurs...

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par monfilm »

Merci pour ces critiques soignées, sans maniérisme omniprésent :wink:
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Tout le reste est dérisoire.
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

monfilm a écrit :Merci pour ces critiques soignées, sans maniérisme omniprésent :wink:
Ah bah tant mieux, alors, merci.
:D
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par someone1600 »

j ai vu peu de Borzage mais three comrades et the mortal storm sont deux superbes films.
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Tommy Udo »

someone1600 a écrit :j ai vu peu de Borzage mais three comrades et the mortal storm sont deux superbes films.
Il ne te reste plus qu'à compléter avec ceci :mrgreen:

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par someone1600 »

un jour peut etre
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

Tommy Udo a écrit :
someone1600 a écrit :j ai vu peu de Borzage mais three comrades et the mortal storm sont deux superbes films.
Il ne te reste plus qu'à compléter avec ceci :mrgreen:

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Ah! Ma boîte à bonheur...
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par B. »

allen john a écrit : Ah! Ma boîte à bonheur...
La mienne aussi !...
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Tommy Udo »

B. a écrit :
allen john a écrit : Ah! Ma boîte à bonheur...
La mienne aussi !...
Malheureusement, une boîte à bonheur qui reste assez chère et dont le prix ne diminue pas depuis des mois et des mois... :cry:
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