Frank Borzage (1894-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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someone1600
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par someone1600 »

Moi de meme, ce sont les deux seuls Borzage que j'ai vu, mais ce sont deux chef d'oeuvre. :wink: Ou du moins d'excellents films. :wink:
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Flavia
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Flavia »

Trois Camarades a de fortes chances d'être mon film du mois d'octobre, grand coup de coeur, j'ai adoré :)
allen john
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

Man's castle (Frank Borzage, 1933)

Durant la période "free-lance" de Borzage, entre son contrat à la Fox et son contrat à la warner, il a donc beaucoup tourné, pour un certain nombre de compagnies. Aujourd'hui, un sondage sur les préférences de ses admirateurs permettrait sans doute d'établir le fait que tous se retrouvent principalement dans ce film, tourné en 1933 pour la Columbia, qui était encore un bien petite entreprise en dépit des efforts de Capra pour lui faire voir plus haut. De fait, loin des films généreux et souvent basés sur une observation réaliste, transcendée par l'urgence de son style, de Capra, ce nouvel opus Borzagien est une nouvelle fois une somme de ses thèmes, qui renvoie à sa faste période de 1927 à 1930, et plus particulièrement à Seventh Heaven, The river, Lucky star et Liliom. Le film, qui ne fut sans doute pas un succès notable en 1933, est aussi devenu une grande date non seulement de l'oeuvre du cinéaste mais aussi de toute cette période qui se situe avant la renforcement en 1934 du code de production, c'est dire si l'on s'y exprime librement. Il y est question de la cohabitation hors mariage, de sexe et d'adultère, et on y professe une vie à l'écart de tout y compris de la légalité. Pour en terminer avec ce préambule, ajoutons que les acteurs convoqués par Frank Borzage y sont tous absolument excellents, Spencer Tracy et Loretta Young en tête...

Trina, une jeune chômeuse au bout du rouleau, rencontre Bill, un homme dont les habits lui font croire qu'il est riche, et qui lui suggère avec dureté de faire face à la crise en prenant les devants, faisant allusion à la possibilité de se prostituer; il lui 'offre' aussi à manger, ce qui va vite révéler à la jeune femme qu'il est sans le sou, un apôtre de la débrouille, habillé comme un prince pour les besoins d'un boulot d'occasion. Il la ramène "chez lui", dans un taudis ou il partage la condition des plus défavorisés, et très vite ils partagent le même toit, formant un couple des plus étranges: elle se dévoue corps et âme à lui, mais il n'a jamais de mots autres que durs à l'égard de la jeune femme, qu'il menace d'abandonner. Bragg, un homme aux intentions peu honorables les surveille, afin de s'approprier la jeune femme le moment venu. Bill assume sa liberté, et tente de fuir la jeune femme lorsque celle-ci lui annonce qu'elle est enceinte.

A force de douceur, elle l'amène à s'interroger, puis à tenter de prendre ses responsabilités, lorsque sous l'influence de Bragg, il s'essaie à un cambriolage désastreux, comme Liliom, mais les deux amants, qui ont eu droit eux aussi à leur simulacre de mariage, vont pouvoir comme Allen John et Rosalee partir; leur "péniche", par contre, sera un train, ce même train qu'Allen John ratait à chaque fois qu'il souhaitait le prendre dans The river, et qui est ici le fil rouge de l'envie d'ailleurs de Bill, qui se vante de choisir sa destinée, mais semble bien coincé à New York...

On le voit, on retrouve beaucoup des traits et des obsessions de Frank Borzage, accumulés de film en film, depuis la rencontre fortuite entre Bill et Trina et la réticence de Spencer Tracy à l'égard de toute expression de tendresse, ce qui nous renvoie à la cohabitation entre Chico et Diane dans Seventh Heaven. Borzage va ici plus loin dans la peinture du couple, en donnant clairement à leur amour une dimension sexuelle, qui apparait par le dialogue, par la promiscuité évidente (Cette conversation sublime, menée par Loretta Young, lorsqu'ils sont tous les deux sur un lit, et que par pudeur, Tracy se cache le visage dans un oreiller, par exemple, trahit l'incroyable intimité du couple), et bien sur par ce vieux truc mélodramatique mais aussi terriblement réaliste, de faire tomber la jeune femme enceinte. De même, les intentions de Bragg sont évidentes et renvoient à Wrenn dans Lucky star, sauf que là encore si Trina ne souhaite pas aller vers Bragg pour avoir des rapports avec lui, c'est plus parce qu'elle est pleinement satisfaite de ses amours avec Bill.

Mais ce film n'est pas, en aucun cas, une simple accumulation de morceaux douteux (Pour l'époque). si le réalisateur a su ouvrir les yeux et appeler ocasionnellement un chat un chat, il le fait avec naturel, avec cette tendresse qu'il sait habituellement témoigner à ses personnages. A ce titre, les personnages secondaires du vieux pasteur déchu et de sa compagne alcoolique, ou de la chanteuse qui veut l'espace d'un instant s'approprier un homme parce qu'elle en a les moyens et qu'elle le désire, sont très intéressants; superbement campés (Walter Connelly, un acteur versatile souvent utilisé dans les films de Capra, Marjorie Rambeau et telle qu'en elle-même, la grande Glenda Farrell enpruntée à la Warner), ils sont aussi aimés par le réalisateur qui nous communique sa tendresse et son insatiable curiosité pour l'humain... Sauf que cette fois-ci, en Bragg, il a trouvé un os: le personnage est irrécupérable, et il va en mourir, et le film suggère d'ailleurs que son meurtre, rendu juste par la situation, sera impuni... De plus, la palette choisie pour le film est toute en douceur, avec un clair-obscur qui renvoie une fois de plus à ses glorieuses années, à l'écart du réalisme brutal, dans un monde presque parallèle, une marge ou la normalité serait celle du monde de Bill et Trina, et toute scène située en ville ressemblerait presque à un rêve. Disons que le film partage cette idée d'un monde à part, avec les films Les Bas-Fonds et Dodes'Kaden de Kurosawa, ou encore avec Freaks, et bien sur avec Lazybones, Seventh Heaven ou Lucky Star...

Les touches Borzagiennes sont légion, depuis ce point de départ en trompe l'oeil, avec ce banc sur lequel un Spencer Tracy en habit observe la jeune femme qui louche sur les miettes de pain qu'il donne aux pigeons, jusqu'à la fin qui voit les deux amants (elle est en robe de mariée) partir vers leur destin, cachés dans un wagon dont il faut laisser la porte ouverte afin de ne pas entraver leur liberté, tout comme Bill dormait en permanence sous une fenêtre ouverte, afin de préserver l'illusion de sa liberté. On peut aussi citer la scène durant laquelle Bill se baigne nu dans l'Hudson, invitant tout simplement la jeune femme qu'il vient juste de rencontrer à le rejoindre, ce qu'elle fait sans se faire prier, ou encore les petrites anecdotes qui font de Bill, sous son côté bourru, un coeur d'or. Oui, ce film est bien l'un des plus beaux de son auteur, et franchement, c'est dommage que les seules copies dont on semble disposer aujourd'hui aient été amputées de quelques précieuses minutes...

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Cathy
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Cathy »

L'inspiratrice Magnifique, The magnificent Doll (1946)

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Evocation de la vie de Dolly Payne Madison qui joua un rôle dans la politique américaine après la guerre d'indépendance.

Les cinéastes américains ont toujours aimé rendre hommage à ceux qui ont fait leur histoire qu'ils soient célèbres dans le monde entier ou uniquement aux USA. C'est le cas dans ce film, où on revient sur l'évocation de cette fameuse Dolly surnommée Doll ! Le début du film évoque des faits qui sont restés célèbres pour les américains, mais semblent obscurs pour le spectateur français peu au fait de l'Histoire américaine, surtout que l'on ne reviendra pas sur ces évènements. Le film se déroule en flashback. On revient sur la jeune quacker qui épouse sans amour un homme, mais le cinéaste prend des libertés avec la vie réelle, le bébé et le mari meurent de la fièvre jaune qui ravageait alors les USA. Il y a aussi cette longue évocation de la jeune veuve qui tient une pension pour hommes politique, elle y croisera Johnson, Aaron Burr homme politique ambitieux prêt à créer une guerre civile. Il y a d'ailleurs là encore des raccourcis avec l'Histoire ! Et puis Madison père de la constitution américaine qu'elle épousera. On y parle déjà de l'abolition de l'esclavage, il y a un plaidoyer contre la peine de mort avec la dernière scène et l'acquittement de Burr. Borzage dépeint avec son talent habituel des personnages humains et touchants. Ginger Rogers campe une Dolly Madison pleine de vie, David Niven est particulièrement étonnant en arriviste antipathique à souhait, Burgess Meredith est touchant en Madison, homme sans aura mais qui saura toucher le coeur de la jeune femme. Le film est intéressant même s'il prend des libertés avec l'histoire, il permet de connaître ces fameux personnages importants dans l'histoire d'un pays même s'ils ne le sont pas ailleurs.
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

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No greater glory (Frank Borzage, 1934)

Outre sa capacité à s'immerger complètement dans le mélodrame, Frank Borzage est aujourd'hui reconnu pour ses films allégoriques, dont on trouve une trace dès ses premiers courts et moyens métrages: ses petits westerns de 1917 sont à la fois des histoires réalistes et symboliques, et ensuite des films comme Humoresque, Lazybones ou d'autres agissent assez clairement comme des fables. Avec ce deuxième film réalisé pour Columbia, dans la foulée de Man's castle, il passe à la vitesse supérieure, et accomplit un film totalement de son temps, qu'il nous faut voir aujourd'hui non seulement comme un plaidoyer pacifiste, ce qu'il était consciemment -on sait l'horreur qu'avait Borzage pour la guerre, ce trouble-fête numéro 1 dans Seventh Heaven et Lucky star - mais aussi comme un film anti-fasciste par bien des cotés, ce qui va être prolongé par d'autres oeuvres, notamment Little man, what now, Three comrades et bien sur The mortal storm.

Le film est adapté d'un roman de Ferenc Molnar publié en 1906. Molnar est surtout connu pour sa pièce Liliom, ce qui fait de lui un déja vieil ami... A Budapest après la premièrte guerre mondiale, le film suit les aventures d'une bande de gamins, les Paul Street boys, qui se sont organisés en bande: ils ont un chef, l'autoritaire Boka (Jimmy Butler), une structure hiérarchique qui incorpore des officiers, des promotions...et un simple soldat, un seul, d'ailleurs souffre-douleur de la bande, le brave soldat Erno Nemecsek (George Breakston). Ils ont aussi un terrain à défendre, et des ennemis, les chemises rouges, des garçons plus vieux, et plus menaçants, menés par Feri Ats, interprété par Frankie Darro, un adolescent déja vu dans de nombreux films Warner des années 30. Chaque groupe est fidèle à son leader charismatique, dont on sait que l'un d'entre eux est élu par son groupe: on assiste à l'élection de Boka, à la quasi-unanimité. Mais il y a un traître, le trouble Gereb (Jackie Searl); celui-ci va espionner pour le compte des "chemises rouges" après avoir perdu l'élection face à Boka.

Le personnage principal, c'est Nemecsek: bien que subalterne d'à peu près tous ses camarades, il met tout son coeur dans sa bande. Chargé systématiquement des sales besognes, il a une grande ambition, devenir un officier à son tour, afin de cesser d'être constamment à la traine, et lui aussi porter une casquette. Mais il sera reconnu à sa juste valeur, lors d'une de ses innombrables missions suicide, par les ennemis: Feri voit en lui un garçon courageux, admire sa loyauté; ce qui ne l'empêche pas de précipiter le garçon à l'eau, en guise de punition lorsqu'il le surprend à espionner les "chemises". Nemecsek est atteint très vite d'une pneumonie, après ses séjours dans l'eau, dus aussi bien à la bande de Boka qu'à celle de Ats, et il est très malade lorsque les choses s'enveniment entre les deux groupes. Il prend sur lui et décide d'apparaitre au combat, et...

On connait La guerre des boutons, et autres contes gentiment guerriers de l'enfance et de ses affrontements montés en épingle; mais ce film est dès le départ placé sous le signe dramatique de la guerre, avec un convaincant fondu-enchainé entre une vision du front de la première guerre mondiale, ou un homme s'interroge sur le bien-fondé de la guerre, et une salle de classe, ou le même homme plus vieux est représenté en maitre d'école chargé de faire passer la pilule, et d'indiquer aux enfants l'importance de mourir pour la patrie. Après, on sera constamment aux cotés des enfants, les seuls adultes qui aient vraiment un rôle dans le film étant les parents de Nemecsek, conscients de la santé déclinante de leur fils. On n'est donc pas dans un film qui s'abandonne à contempler avec indulgence les agissements proto-guerriers des enfants. En dépit des efforts des enfants pour s'amuser à faire leur petite guerre, le ton est très rapidement grave. Un gardien du terrain vague (Sur lequel des matériaux sont entreposés, en vue de la construction d'un immeuble) qui est un vétéran manchot du conflit mondial, a très vite fait le rapprochement. Le film nous montre donc que la guerre, ça tue, et le génie de Borzage pour être à la fois allégorique et réaliste fait une fois de plus des merveilles. Il s'approche au plus près des enfants, montre bien leurs intentions, qui sont de signer la guerre au plus près, sans prendre trop de risques (leurs armes sont après tout relativement innoffensives, contrairement à la pneumonie de Nemecsek); mais le mal est là: c'est afin de participer à la bataille héroïque que Nemecsek quitte son lit...

Il n'y a pas, parmi les deux bandes, de bons et de méchants: tous sont mis dos à dos, par un certain nombre de pratiques et d'anecdotes. Bien sur, dans un premier temps, on est du coté des Paul Street Boys, d'autant qu'ils vont agir démocratiquement, en mettant constamment l'accent sur les notions de loyauté et de droiture. de plus, ils sont démocrates! Alors, après avoir vu les manières de Feri Ats et de sa bande, on pense avoir trouvé le bon coté; et puis... d'une part, c'est Ats qui verra le premier les qualités humaines de Nemecsek, c'est lui aussi qui n'osera le visiter durant sa maladie, mais restera respectueusement à la porte de la boutique... De leur coté, les Paul Street Boys organisent un simulacre d'élection, plus basé sur la personnalité incontournable du leader Boka immanquablement réélu, et leur organisation hiérarchique qui incorpore un souffre-douleur renvoie à des groupes tristement actifs et célèbres en ces années 30. Le fait que Nemecsek soit à 100% complices de ses bourreaux, et tâche de faire peser sa loyauté dans le but de s'élever, ne change rien: il est une victime d'un système para-militaire, qui est basé sur le vide, pratique le culte du chef, et envoie des jeunes gens à leur perte. A ce titre, consciemment ou non, le film est une critique explicite d'une mécanique fasciste, ou du moins d'une armée, ce qui je m'en excuse, revient pour ma part exactement au même...

L'interprétation est excellente, et ce en dépit de l'age de la plupart des acteurs. Bien sur, Breakston, sur les épaules duquel le film repose presque tout entier, n'est pas en reste; Borzage s'est une fois de plus choisi un lieu apparemment à l'écart du monde, une marge avec ce terrain vague en transition, un endroit ou va pourtant se jouer le petit théâtre de l'humanité comme tant d'autres qu'il s'est choisi comme décor de ses films.
Ce très beau film rare vient une fois de plus nous montrer l'oeuvre d'un cinéaste attaché à montrer son horreur de la guerre et son attachement au respect de la dignité humaine. L'émouvant parcours de Nemecsek, le garçon qui a cru trouver un idéal dans la défense d'un terrain vague, se termine dans une série de plans très beaux, qui renvoient à bien des images allégoriques sur les conséquences de la guerre: au premier plan, la maman de Erno Nemecsek, son enfant sans vie dans les bras, et derrière elle tous les enfants des deux bandes rivales, unis derrière le symbole. Une coda qui voit les deux camps célébrer la mémoire du disparu, avec un clairon sur la joue duquel une larme coule, renvoie selon moi plus à un pessimisme déclaré sur la suite que prendront les évènements qu'à une volonté de montrer une célébration de l'héroïsme: ces garçons iront tous au conflit suivant, et beaucoup mourront, parce qu'il y aura toujours des leaders pour entrainer les autres, et toujours des petits soldats comme Erno pour aller au casse-pipe. Ce fut d'aileurs le cas du jeune George Breakston.

Bref, No greater glory est un nouveau film essentiel de la veine "inquiète" de Frank Borzage...

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

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Little man, what now? (Frank Borzage, 1934)

Adaptant un roman Allemand d'Hans Fallada, ce film est l'un ders projets littéraires lancés par Carl Laemmle Jr à la Universal durant la première moitié des années 30, parallèlement au fameux cycle de films fantastiques qui ont fait leur renommée. On peut d'ailleurs le rapprocher de All quiet on the Western front (Lewis Milestone, 1930) et Waterloo bridge (James Whale, 1931), deux films ambitieux qui rivalisent avec les majors. Clairement, contrairement à son prédecesseur, cette recherche du prestige n'est en aucun cas prise à la légère par le nouveau patron du studio. C'est au départ un projet qu'on songe à confier à James Whale, avant que Frank Borzage ne soit engagé pour le réaliser, ce qui tourne à l'avantage du film: celui-ci s'inscrit non seulement dans le cadre de cette recherche d'une meilleure stature, mais aussi au sein de l'oeuvre de Borzage consacrée en ces périlleuses années 30 à la montée des totalitarismes en Europe.

Contrairement à son film précédent No greater glory, qui partageait cete thématique, le film est en effet situé en allemagne, où deux jeunes mariés, Hans et Lämmchen Pinneberg (Douglass Montgomery, Margaret Sullavan), qui attendent un enfant, doivent lutter au quotidien pour survivre et avancer. Ils vont donc d'hébergement de fortune en appartement provisoire, et doivent affronter les changements incessants de leur situation: Hans est employé par un patron (DeWitt Jennings) qui se livre avec gourmandise à un chantage au licenciement, puis essaie de caser sa fille qui aimerait tant se marier à l'un des employés, ce qui poussera Hans à la démission... Les deux jeunes mariés trouvent à se caser auprès de Mia Pinneberg, la belle-mère de Hans (Catherine Doucet), mais la "maison de rencontre" dirigée par celle-ci cache une réalité plus sordide; au passage, ils rendontreront des gens qui les aideront, et d'autres quifédèrent leur protestation dans des mouvements de révolte. Le film est structuré de l'annonce de la grossesse à la naissance, permettant de finir sur une note d'espoir...

L'Allemagne qui nous est montrée est en proie à une sorte de chaos suggéré dont l'intrigue forme, dans un dispositif typique de Frank Borzage, les coulisses. Ni Hans ni Lämmchen ne rejoindront les rangs des protestataires (Quels qu'ils soient), et ils assistent à toute cette agitation depuis leur petite vie précaire. La tentation est là, et au plus bas, Hans manquera de se laisser tenter, risquant ainsi d'abandonner son épouse qu'il ne peut soutenir, pour se joindre à une hypothétique "armée des chômeurs". On ne nous dit jamais ou souffle le vent, qu'il soit de doite ou de gauche, fasciste ou communiste; Inversement, si jamais les mots de fascisme ou de nazisme ne sont prononcés dans le film, il y a comme une sorte de complexe autoritaire dans l'air. Lämmchen est clairement exploitée par Mia, Hans est terrorisé à son travail comme ses collègues par un patron qui recourt à l'autorité par plaisir, et aime à jouer avec le sentiment d'insécurité de ses subalternes. Enfin, un client d'un magasin abuse de l'autorité conférée par sa classe sociale, juste pour le plaisir de le faire. Voilà une façon relativementsubtile d'introduire dans ce qui est une chronique du quotidien un parfum de dictature, comme c'était le cas avec No greater glory.

Comme si souvent, Frank Borzage revient à Cendrillon, mais cette fois-ci il y en a deux: Lämmchen et hans, déja unis au début du film, vont réussir à s'en sortir malgré l'adversité (Et la présence d'une authentique marâtre) grâce à pas moins de trois "bonnes fées". Un vieux bonhomme, Herr Heilbutt (G. P. Huntley) les prend sous son aile, leur fournit une chambre certes miteuses, mais comme de juste sous les toits; Jachmann (Alan Hale), un compagnon occasionnel de Mia, est un escroc en smoking qui va voler pour eux, et ira en prison comme on se sacrifie; enfin, un ancien collègue de Hans revient les sauver, en employant tout le monde. On le voit, après l'âpre final de No greater glory, on a droit ici à une lueur d'espoir, mais on sait que se profielnt à l'horizon deux films pour la MGM qui reprendront ces chroniques inquiètes, et auront un gout plus cruel encore: Three comrades (1938) et The mortal storm (1940). Ces deux films auront d'ailleurs un autre point commun essentiel avec celui-ci: Margaret Sullavan...

Avec sa Lämmchen, Borzage a trouvé une interprète qui lui permettra de réaliser des scènes inoubliables. A la fois forte (Ici, elle reprend le rôle de Chico dans Seventh Heaven, en montrant à un Hans dubitatif le logis sous les étoiles) et fragile (Le seul moyen pour une actrice de jouer la grossesse est d'insister sur la faiblesse physique, puisque on ne pouvait pas montrer de ventre arrondi), l'actrice se révèle parfaitement juste pour passer les messages sublimes de son metteur en scène. Elle est parfaite, et multipliée par trois dans un miroir offert par Hans, elle prend toute la place dans le film... Elle va incarner la féminité fragilisée, sorte de symble de l'humanité toute entière, dans les deux autres films cités plus haut, ainsi que dans The shining hour de 1937. On peut dire qu'après Janet Gaynor, c'est la deuxième grande collaboration entre Borzage et une actrice (En mettant de coté la rencontre avec Norma Talmadge, effectuée seulement sur deux films, avant la période Fox).

Alos qu'il s'apprête à retrouver un contrat avec la Warner (Qui laissera une impression franchement mitigée), ce dernier film "freelance" est encore une fois l'occasion pour le metteur en scène de se faire le héraut des petites gens, dans un Europe certes idéalisée, certes symbolique, mais dont pourtant peu de films se faisaient l'écho. Le film est, dans sa peinture des petits tracas de la survie, à ranger dans un coin précieux, aux cotés des oeuvres de Capra ou Chaplin. C'est dire...

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Cathy »

Pavillon noir, the Spanish Main (1945)

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Un hollandais qui a échappé aux geoles d'un vice roi espagnol de Carthagène. Quelques années plus tard devenu le Barracuda, pirate sans peur, il combat celui qu'il n'a jamais oublié en épousant sa promise.

Frank Borzage surfe sur la vague du film des pirates très à la mode dans le Hollywood des années 40. Il y a deux types de films de pirates, ceux qui offrent des reconstitutions flamboyantes de combats maritimes, des scènes d'abordage pleines de bruit et de fureur, et ceux qui au contraire surfe plutôt sur la comédie et un ton plus léger. Borzage comme King et son Cygne noir sont dans le second cas, nous sommes en réalité dans une histoire d'amour et d'humour sur fond d'aventures maritimes. Comme toujours chez Borzage l'accent est mis sur l'humanité des personnages, sur leurs relations, que ce soit celle entre Van Horn, le pirate hollandais et Dona Francisca la fiancée séduite par le brigand ou celle entre Van Horn et Anne Bonney, la pirate féminine au grand coeur. Il y a cette grande confrontation légère entre les deux femmes, avec ce duel au pistolet ou celle plus sombre de la fin. Paul Henreid offre son charme, et son humour à ce personnage haut en couleur, Maureen O Hara est plus que séduisante en fiancée conquise, même si elle nous ressert un peu son numéro du Cygne noir, et puis Walter Slezack est excellent dans son rôle de vice roi sanguinaire. Même si les scènes d'action ne sont pas celles des Captain Blood et autre Aigle des mers réglés par Curtiz, Pavillon noir est un très bon film à la fois d'aventures mais aussi une très belle comédie romantique. Bref gros coup de coeur pour ce film !
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par Bcar »

J'ai découvert le cinéma de Borzage en fin d'année dernière, en découvrant 4 de ces films muets (Lucky Star, L'ange de la rue, L'heure suprême, La femme au corbeau) qui m'ont tous enthousiasmé. Je suis impatient de voir ce qu'il a pu faire dans le parlant surtout avec Ceux de la zone et The mortal Strom.
J'en profite pour poster un mot sur mon préféré des 4 et un des mes films préférés tous smplement.

L'ange de la rue - Frank Borzage
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Chez Borzage l’amour est surpuissant, son pouvoir est quasi-mystique, il ne répond pas à des règles rationnelles et c’est sans doute ce qu’il y a de plus beau au monde. Voir que l’amour de deux êtres incorruptibles car innocent qui vivent au milieu des bas fonds Napolitains ou les prostitués côtoient les voleurs à la tire est tel un éclair de beauté qui illumine les ruelles brumeuse (somptueux noir et blanc rappelant L’aurore). Ils ne sont rien l’un sans l’autre, c’est une évidence et Borzage dans une fabuleuse scène le montre avec un brio sans égal, Gino artiste peintre devient incapable du moindre traits de pinceaux lors qu’il perd sa compagne, il se pense abandonner, sa vie n’a plus de sens. Et puis arrive les inévitables retrouvailles dans une des plus belles scènes d’amour que j’ai pu voir, simple évidente, déchirante, je n’avais pas autant pleuré devant un film depuis la découverte de It’s wonderful life, c’est dire.
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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par allen john »

Flirtation walk (Frank Borzage, 1934)

Après un contrat de 7 ans à la Fox, de 1925 à 1932, et avant une période qui le verrait passer 5 ans à la MGM, ce film entame un petit contat de trois ans à la warner pour Frank Borzage, et, comment dire, ce n'est en aucun cas une période glorieuse... Seuls deux des films surnageront vraiment, mais Borzage va être utilisé hors de son champ d'expertise, comme avec ce premier film, un véhicule bon marché pour le chanteur-acteur Dick Powell et sa partenaire, l'adorable Ruby Keeler. Mais si ces deux oiseaux sont généralement tout à fait adéquats dans le cadre des films musicaux dont le génial Busby Berkeley assurait la partie magique des ballets, ils sont moins intéressants ici, dans un faux musical, dont les parties "artistiques" (Dues à un certain Bobby Connelly, qui n'est pas Busby Berkeley) se contentent de bien peu.

Cette histoire de cadet de West Point qui cherche à devenir un officier afin de montrer à la dame de ses pensées de quel bois il se chauffe, est ennuyeuse, surtout comparée aux splendides délires escapistes de Footlight parade, 42nd St, ou Gold diggers of 1933. Quant à Borzage, cette histoire de marivaudage écrit d'avance n'était pas pour lui. sauf peut-être un court instant, lorsque les deux amoureux sont au plus près l'un de l'autre, qu'ils décident d'arrêter de parler, et de laisser libre cours à leur attirance (En tout bien tout honneur), au lieu de respecter les conventions. c'est Ruby Keeler qui mène, et si la scène se déroule en pleine nature de studio, sans aucun accessoire pour sacraliser l'instant, au moins le metteur en scène et ses acteurs ont-ils su trouver le bon ton, le bon rythme, et les bonnes ombres. C'est déja ça...

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par Bcar »

L'adieu aux armes
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Premier film parlant de Borzage que je vois et c'est une fois de plus superbe. On retrouve les obsessions du cinéaste, la guerre, la perte de l'innocence et bien évidemment le couple. Un couple constitué par une infimière et un ambulancier qui devront lutter face aux chaos sentimentaux qu'engendre la guerre. Ils seront séparés se retrouveront, leur amour n'en sera que grandit et Borzage une fois de plus se fait le metteur en scène de la passion dévorante, sa caméra se déplaçant au grès de l'émotion. On se croit à certains moment chez Murnau, c'est beau, c'est bouleversant et les acteurs sont géniaux.
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Re: Frank Borzage (1893-1962)

Message par allen john »

Living on velvet (Frank Borzage, 1935)

Non, décidément, cette période Warner n'est pas vraiment le moment le plus important de la carrière de Borzage... Pourtant, ce film taillé à l'origine comme un véhicule pour les deux stars maison (Kay Francis et George Brent), qui ont tous deux tourné avec tous les metteurs en scène Warner, Curtiz en tête, avait beaucoup d'ingrédients pour se transformer en un film propice à inspirer le réalisateur, et on retrouve sa touche sur de nombreux aspects du scénario, et du film. Mais il est insatisfaisant sur trop de points pour qu'on se risque à comparer plus avant. Et pour commencer, il me semble que le film souffre d'être conçu en plein au moment ou le code de production se raidissait, d'ou l'impression d'une oeuvre aseptisée, par rapport aux films pré-code du réalisateur, qui étaient libres, Man's castle en tête. Ainsi, ici, a-t-on de nouveau deux amoureux dont la passion emporte tout, mais qui vont sagement dans une vraie église, avant de se retrouver dans un boui-boui... en fait, une petite maison cossue, avec deux lits bien sagement séparés d'un mêtre.

Ensuite, le scénario souffre d'un problème grave: il est vide... pas d'enjeu ici, juste un constat: Terry Parker, qui a perdu sa famille dans un accident (dont il est la cause, mais cela n'est jamais souligné), dont il est sorti miraculeusement indemne, a désormais l'impression d'être dans une sorte de purgatoire, et désire profiter de la vie ("Vivre sur du velours") en se livrant à tous les caprices... jusqu'au jour ou il rencontre Amy, qui l'aime aussi. Puis ils se marient, puis font semblant de se chamailler... et on cherche cruellement un antagoniste, un vrai: oh, bien sur, le meilleur copain (Gibraltar, joué par Warren William) est l'ancien fiancé éconduit... mais comme son nom l'indique, il va être le trait d'union entre les deux amants, et va leur donner sa bénédiction , ainsi que de l'argent par un stratagème. Alors le seul antagoniste réel, c'est la passion pour le danger de Terry, mais même ce point n'est développé que tardivement.

Alors bien sur, Borzage réussit, ça et là, à s'imposer: il nous montre le coup de foudre, de façon frontale, sans tergiverser (Il n'en a pas le temps, le film fait 77 minutes); il nous ressort le schéma de Cendrillon, avec la marraine-bonne fée jouée par le personnage de Warren William; il montre que les deux amants n'ont pas de temps à perdre, et doivent se marier sans attendre; ils les montre, avant le mariage, partageant une étrange intimité, avec Kay Francis qui attend sagement dans la salle de bain, pendant que George Brent prend sa douche, et les montre heureux en amour jusqu'à ce qu'un soudain afflux d'argent vienne tout gâcher. Mais tout ça n'est pas suffisant, on peine à suivre ces personnages sensés incarner une certaine marge, mais qui sont bien souvent invités à des soirées et des cocktails... L'irruption d'un miracle, à deux reprises (Au début et à la fin), dans le film, n'y fait pas grand chose: bien que franchement supérieur à son prédecesseur Flirtation walk, le film laisse peu de chances à Borzage de s'imposer.

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

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Stranded (Frank Borzage, 1935)

Même si au regard des sommets de l'oeuvre de Borzage ce film reste une petite étape pas très significative, il n'en reste pas moins que c'est un des meilleurs films de la période Warner du cinéaste, nettement plus riche que les petits véhicules pour Dick Powell et Ruby Keeler par exemple. Stranded est un confluent nourri de trois tendances: d'abord les films Warner taillés pour les deux stars George Brent et Kay Francis; ensuite, c'est un film qui reflète plutôt bien la ligne "politique" pro-Rooseveltienne du studio en cette fin d'années 30, lorsque la politique volontariste et les grands travaux vont être mis en valeur sur l'impulsion deJack Warner; enfin, bien sur, le film est marqué par l'humanisme de Frank Borzage, même si celui-ci n'a pas trouvé ici matière à exprimer tout ce qu'il a sur le coeur...

Lynn Palmer (Francis), une jeune femme privilégiée, travaille pour une organisation caritative, Traveler's aid, qui aide les oubliés de la crise à trouver une place. Elle est très engagée, et doit non seulement affronter la misère, mais aussi le regard condescendants des autres gens de sa classe, qui la prenennt de haut: deux d'entre eux se font particulièrement entendre dans le film: Velma Tuthill (Patricia Ellis) est une jeune femme de la haute société qui utilise le bénévolat pour échapper à sa mère, et faire à peu près ce qu'elle veut, et Mack Hale (Brent), un ingénieur, n'a pas de mots assez durs pour fustiger une occupation inutile, qu'il assimile à une charité absurde, considérant que si les gens veulent travailler, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mais si Mack Hale, engagé dans la construction du Golden Gate (Qui prit quatre ans, de 1933 à 1937), est un meneur d'hommes strict et rigoureux, c'est aussi un ancien flirt de Lynn. Les deux se revoient, tombent amoureux, et se lancent dans des joutes verbales sur leur opposition,jusqu'au jour ou celle-ci devient un obstacle à leur mariage... Lynn va pourtant faire beaucoup pour montrer la voie à Mack...

Portrait d'une femme avant tout, ce film prend sans vraiment s'en cacher le parti du volontarisme de Lynn, dès l'ouverture du film qui montre le 'traveler's aid' en action, mais aussi ses limites, puisqu'un vieil homme se suicide devant Lynn pour échapper à la spirale de la charité. A ce niveau, Borzage a du mal à fournir des images qui vont au plus profond de la crise: tout au plus verra-t-on quelques 'breadlines', des queues de sans-abri, et une visite dans un asile pour femmes seules, dont l'essentiel est filmé depuis un lit. Mais 'véhicule' oblige, Lynn et Mack vivent dans des intérieurs élégants, et vont à beaucoup de parties... Un aspect plus réussi du film est la peinture du travail, en particulier sur le chantier du Golden Gate, particulièrement bien reproduit dans le film. Mais 'intrigue culmine dans une lutte entre mack, ses ouvriers et une organisation syndicale marron, qui prone le sabotage par les ouvriers du chantier. habile à ménager la chèvre progressiste (Mack Hale ressort comme un patron généreux, assisté ici par une madone qui ouvre son coeur et ses mains aux gens en période de crise) et le chou conservateur (Le syndicat représenté dans le film se fiche bien de l'outil de travail et prone une lutte de classes imbibée de méthodes mafieuses), le film est prenent, riche d'un rythme soutenu, sur ses 75 minutes. On sait que Borzage aimait à prendre son temps, donc il manque certainement des éléments qui lui auraient permis de plus s'impliquer. Pas de sacré ici, juste un engagement qui convainc l'autre. A ce titre, si on adore Brent en grognon permanent, sa conversion est un peu rapide... Quant à Kay Francis, elle est comme une dame de la haute habitée par la grâce, et s'en sort malgré tout très bien.

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

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Shipmates forever (Frank Borzage, 1936)

Il va falloir enfoncer le clou: la Warner Bros a gâché le talent de Borzage. Celui-ci s'est acquitté avec honnêteté de ce genre de tâche en droite ligne du médiocre Flirtation walk, en filmant de façon professionnelle un faux musical (une fois de plus, Dick Powell et Ruby Keeler chantent et dansent occasionnellemnt dans ce qui reste un comédie conventionnelle) dans lequel le cinéma de l'absolu et le gout onirique de l'amour fou sont passés à la trappe: Dick est un jeune homme de bonne famille, héritier d'une lignée de militaires, et qui est mis au défi par son père de passer le concours d'entrée à l'école navale, cequ'il na jamais accepté de faire. Il est admis, et va découvrir un monde qu'il va refuser au dépatr, et qui va finalement devenir son univers...

Si au début du film les deux tourtereaux s'échappent d'une salle de restaurant pour aller observer les étoiles et s'avouer simplement leur amour réciproque, pour le reste, il est surtout question d'amour de la patrie, de camaraderie militaire, d'accepter les humiliations des officiers et de tout un tas d'autres stupidités de ce genre, toutes assénées sans même la poésie qui pouvait caractériser les films militaires de Ford; Si on admet que le film présente au moins une vision socialement ouverte des instances militaires Américaines, avec le fils à papa qui cotoie le cow-boy, cette litanie ultra-glorieuse, cette déclaration d'amour à l'armée me semble pour le moins vomitive... Chico et Diane me manquent.

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

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Desire (Frank Borzage, 1936)

Film réalisé durant le terne contrat de Borzage avec la Warner Bros, mais pour un autre studio, Desire est forcément marqué par l'équipe responsable de sa confection: Tourné pour la Paramount, réalisé par Borzage et produit par Lubitsch, avec Marlene Dietrich et Gary Cooper, Lubitsch ayant assuré le remplacement de Borzage sur certaines scènes, le film dont on voit bien quel pedirgree royal il avait, a par-dessus le marché partiellement bénéficié de scènes tournées en France et en Espagne... Donc, clairement une affaire de prestige, c'est aussi un mélange délicat de romance et de comédie, avec pour changer un peu un accent sur cette dernière...

Marlene Dietrich y est Madeleine de Beaupré, une voleuse de bijoux qui travaille avec deux escrocs, Carlos Margoli (John Halliday) et 'Tante Olga', le cerveau de la bande. Leur méthode est entièrement basée sur la classe de la jeune femme, qui s'introduit dans les bijouteries et sans grand effort, se fait passer pour une bourgeoise huppée dont le mari règlera plus tard l'achat de colliers particulièrement dispendieux... Elle fait la rencontre, alors qu'elle file vers l'Espagne pour y rejoindre Carlos, d'un américain, Tom Bradley (Cooper), un ingénieur employé par une marque d'automobiles, en vacances. Les bijoux passent de mains en mains et de poches en poches suite à divers quiproquos, et Tom et Madeleine se retrouvent plus ou moins forcés de cohabiter, le temps pour Madeleine de récupérer le collier de perles qui est situé dans le veston de l'Américain...

Le film est ambivalent: il n'y pas pas beaucoup ici de traces très tangibles de l'univers de Borzage, ces amoureux sont peu touchés par la grâce, et le coté direct et naïf de Cooper ne le prédispose ni à l'amour fou, ni à être touché par une certaine sorte d'épiphanie sacrée à l'instar de Chico par exemple... La comédie reste pétillante, légère, et si les protagonistes s'accordent bien entendu de tomber vraiment dans les bras l'un de l'autre, le sentiment qui domine, c'est qu'on est chez Lubitsch d'abord et avant tout. Les scènes Parisiennes, au début du film, portent totalement sa marque, avec l'exposé brillant de la façon dont opère Madeleine, se rendant d'abord chez le bijoutier pour négocier l'achat de perles au nom de son mari, un neurologue célèbre (Ce qui est évidemment faux) puis le rendez-vous avec le bijoutier chez le neurologue en question, auquel elle a prétendu qu'elle est l'épouse du bijoutier, celui-ci ayant la manie de distribuer des factres délirantes... La scène est jouée simplement, avec élégance, mais le résultat de cette construction sous-jouée est bien sur d'une drôlerie efficace et irrésistible... Le contraste ensuite entre la classe (Et la duplicité) de Madeleine et le coté boy-scout de Tom joue aussi à leur avantage. La façon dont, même en colère contre elle, Cooper s'écrase devant la jeune femme, est irrésistible. Reste, si on cherche à retrouver l'univers du metteur en scène en titre, ces moments de séduction, qui se terminent par une ellipse; on est en 1936, les grandes heures de franchise sexuelle des films pré-code sont passées, mais on jurerait que Cooper et Dietrich (Qui dorment dans des chambres séparées) ont passé la nuit ensemble; quand on les réveille l'un et l'autre, ils s'interpellent directement: "Yes, darling?", hébétés et encore sous le charme de leur séduction de la soirée précédente...

Bien meilleur que les films contemporains tournés à la Warner, Desire est donc le paradoxal fruit de la rencontre entre deux univers qu'on ne pensait pas compatibles... Lubitsch a dominé le film de son style, c'est une évidence, n'oublions pas qu'il était chez lui à la Paramount! A titre personnel, je ne regrette qu'une seule chose au sujet de ce film, c'est que fidèle à son habitude, Marlene Dietrich y chante: je ne supporte décidément pas sa voix! Fin de la digression... Desire est une comédie de grande classe, c'est bien ce qui compte...

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Re: Frank Borzage (1893-1962)

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Hearts divided (Frank Borzage, 1936)

Hearts divided, bien que distribué par la Warner, est en réalité une production Cosmopolitan, c'est-à-dire de William Randolph Hearst, avec dans le rôle principal sa protégée Marion Davies. Celle-ci, on le sait mais il faut le répéter encore et encore, n'était pas la caricature qu'en a fait Orson welles dans Citizen Kane, un film de fiction, rappelons-le. Elle était une actrice douée pour la comédie, qui savait interpréter avec son propre rythme des personnages de jeunes femmes souvent romantiques et un peu exubérantes. Elle est ici Betsy Patterson, la jeune héritière de la famille établie, d'un notable Américain sous Thomas Jefferson, alors que Napoléon cherche une solution décente pour se débarrasser de la Louisiane sans trop perdre la face. Il envoie donc en éclaireur son frère Jérome, qui se fait passer pour un précepteur de Français, et tombe vite amoureux de son élève. Le film se base ensuite sur le conflit entre le coeur et la raison, principalement la raison d'état... Notons que cette idylle entre Jérome et Elizabeth Patterson est authentique, mais que son issue historique est bien différente de celle choisie par les scénaristes.

La Warner a dépéché quelques-uns de ses atouts pour cette production extérieure, avec Frank Borzage à la direction, Claude Rains en Napoléon et Dick Powell en Jérome Bonaparte, précepteur charmeur et chantant. Le film vaut bien mieux que les précédents véhicules de Powell réalisés par Borzage, et si ce dernier ne retrouve pas son univers propre avec cette comédie sentimentale située dans une Amérique ancienne et un brin transformée en royaume d'opérette, au moins a-t-il des occasions pour reprendre le contrôle de son film: ainsi certaines scènes de séduction entre Powell et Davies bénéficient-elles de menues inventions, d'un rythme parfait, et s'écartent des sentiers battus; pour le reste, la comdie est largement fournie par un trio de prétendants dans lesquels on remarque aisément, mais c'est trop facile, Charlie Ruggles et surtout Edward Everett Horton, et bien entendu ce dernier est aussi purement génial qu'à son habitude... Quant à Claude Rains en Napoléon, c'est une intéressante surprise...

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