Frank Borzage (1894-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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daniel gregg
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par daniel gregg »

Ah, les heureux parisiens...!
J'aimerais beaucoup avoir l'occasion de découvrir ces débuts de Borzage.
:idea: Penser à me payer un billet pour le prochain festival de Bologne...
En tout cas tes chroniques font vraiment très envie et suscitent une curiosité grandissante. :wink:
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

daniel gregg a écrit :Ah, les heureux parisiens...!
J'aimerais beaucoup avoir l'occasion de découvrir ces débuts de Borzage.
:idea: Penser à me payer un billet pour le prochain festival de Bologne...
En tout cas tes chroniques font vraiment très envie et suscitent une curiosité grandissante. :wink:
Merci, mais ...point Parisien ne suis: ces joyaux, les trois films en fait, sont tous disponibles sur ce DVD:
Image

http://www.edition-filmmuseum.com/produ ... River.html

Stf, documentaire, et version la plus complète de the river incluse.

Quant à Bologne, c'est forcément une bonne idée.
:wink:
feb
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par feb »

Tu t'es procuré le DVD directement sur le site du filmmuseum ou tu es passé par un autre site de vente allen john ?
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

feb a écrit :Tu t'es procuré le DVD directement sur le site du filmmuseum ou tu es passé par un autre site de vente allen john ?
Directement chez eux, mais il est peut-être plus facilement disponible ailleurs. c'est vrai que ça porte le prix des DVD à 45 Euros environ, mais ça en vaut la peine (J'ai fait de même pour le Max Davidson, et La rue sans joie). Cela dit, on peut se procurer The River sur d'autres parutions, toutes aussi belles les unes que les autres (et toutes assez chères) mais alors ce sera sans les trois films en bonus. D'ailleurs, à ma connaissance, c'est la seule édition de The river, un des grands films de Borzage, dans laquelle le film lui-même n'est pas seulement un bonus...
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

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Until they get me (Frank Borzage, 1917)

Cendrillon est au coeur de l'oeuvre de Borzage. en 1976, dans un numéro spécial de Positif, jacques Segond explorait cet aspect de la flmographie du metteur en scène, relevant dans ce qui était à l'époque le corpus des films connus (Essentiellement la période 1927-1941, de Seventh Heaven à The mortal storm) les traces du conte de fées sur les films. Essentiellement, Borzage tend à raconter des histoires dans lesquelles on change un être, de fond en comble, aussi bien visuellement (Habillement) que dans son for intérieur. mais on l'a vu avec Nugget Jim's partner, le metteur en scène aime à ajouter une conséquence de ce premier changement, qui est que l'être changé va à son tour agir positivement sur son environnement. Cette variante est justement la base de ce beau film...

Dans un prologue, on apprend qu'un homme, Kirby, a été obligé d'en tuer un autrepour légitime défense, alors qu'il devait se rendre chez lui pour assister sa femme dans son accouchement, et que les hommes auxquels il s'adressait ont non seulement refusé de lui donner un cheval, mais l'ont également menacé. une fois chez lui, et alors que son épouse est morte, rattrappé par la police montée, il était prèt à collaborer, mais un quiproquo a fait que le "mountie" a cru qu'il avait pris la fuite. c'est désormais un homme traqué, entre le sud du Canada et le nord des Etats-Unis. Puis l'histoire continue avec l'arrivée dans un petit ranch du Montana, ou travaille une jeune fille, Margy (Pauline Starke). Celle-ci ne demande qu'à s'enfuir, mais au moment ou elle essaie de fuir la maison des gens qui l'exploitent, elle tombe nez à nez avec Kirby. Tout les deux s'échappent ensemble, et finalement se séparent, Kirby conseillant à la jeune femme de trouver refuge chez les Mounties, et la jeune fille mentant pour permettre à Kirby de partir. Margy, recueillie par la police montée, devient bien vite la mascotte du fort, et plait de plus en plus au policier qui, obsédé par la traque de Kirby, n'a pas dit son dernier mot...

Avec ce film, l'un de ses premiers longs métrages (5 bobines), Borzage fait déjà des merveilles en explorant avec passion des thèmes qui ne le quitteront plus. Il fait siennes les règles du mélodrame, qu'il ne transcende pas trop encore, et joue avec brio avec des fils narratifs qui n'en demandaient pas tant en 1917: le film commence carrément par une digression, qui plus est celle-ci n'a rien de didactique. En faisant reposer le film sur ce prologue dédié à la saga de Kirby, qui disparait d'une grande portion du film ensuite, Borzage prend des risques, mais le résultat est passionnant. On est toujours dans ce western âpre, réaliste, et cruel des films de 1915-1916 mais le film saura faire prévaloir les sentiments.

Cendrillon, c'est donc Pauline Starke, qui est exploitée par des gens peu scrupuleux, et qui décide de s'enfuir. Le vêtement joue un grand rôle dans cette histoire, puisque pour s'enfuir, Margy doit se déguiser en garçon, puis le "mountie" lui conseille de s'habiller en fille, dans la mesure ou il ne peut pas la ramener comme cela, et enfin elle achève sa transformation par les vêtements en deux temps, en devenant au fort une jeune fille "comme il faut", puis quatre ans plus tard une femme. Le vêtement et son corollaire, le déshabillage, qu'on retrouvera souvent associé à la promiscuité amoureuse ou sexuelle (A man's castle, ou la résistance de Chico dans Seventh Heaven, voire l'embarras de l'homme dans Lucky star, face à celle qu'il croyait n'être qu'une enfant, et qui est en réalité une femme), jouent aussi un rôle lorsque la jeune fille en salopette s'éloigne du mountie, qui détourne les yeux, et profite du moment pour aller dire à Kirby de prendre le large.

La transformation de Pauline Starke passe également par la maturité de son personnage. il est à porter au crédit du metteur en scène comme de l'actrice d'avoir évité une caractérisation par trop dynamique, à la Mae marsh, telle que Griffith imaginait une adolescente... Mais bien sur, Margy va changer tout et tous. Elle sauve Kirby, donne un idéal à son Mountie préféré, et apporte la joie de vivre dans le fort...

Contrairement à Humoresque, Strange Cargo ou Seventh heaven, pas de miracle encore dans ce film, sinon dans le singulier hasard des rencontres, ressort éminemment mélodramatique. Mais par contre, Borzage insiste beaucoup sur le code d'honneur, celui des gens de la police montée, qui attrappent toujours leur homme, ce qui est après tout leur travail: un homme comme Borzage est sensible à cette valeur. Mais c'est aussi le code d'honneur de Kirby, qui n'a tué que contraint et forcé, mais qui va se rendre, afin de laisser la justice se faire. et le code d'honneur est enfin lié à Margy, qui doit à Kirby d'avoir vraiment pu s'enfuir. Elle fait tout pour ne pas trahir le secret de son ami: celui-ci se rend chez son fils tous les ans pour son anniversaire, se mattant ainsi en danger d'être cueilli par la police. Lors de la confrontation entre Kirby et celui qui le pourchasse, Margy se doit d'être là, comme elle était présente lors de leur dernière confrontation, au moment ou Margy a été recueillie par la police montée. pas de miracles, mais des liens entre les êtres, jamais anodins. Et un lien plus visible que les autres, c'est cette tache de sang qui orne le visage de Margy après qu'elle ait pris Kirby blessé dans ses bras, alors qu'ils se disaient adieu: la trace d'un lien, entre deux personnes, des marginaux, qui sont en fuite.

Le rendez-vous de Kirby avec son fils est une autre touche qui aura des suites dans les films de Borzage, avec ce rendez-vous onirique dans Seventh Heaven, l'heure à laquelle Chico et Diane se reyrouvent intérieurement... Bien sur, chez le Borzage de 1917, le lien entre les êtres d'une même famille ou d'un même couple, est déjà sacré, et la parole donnée, une loi absolue...

Utilisant magnifiquement des décors désolés dans lesquels on reconnait plus facilement la Californie que le Canada, Borzage montre avec passion une histoire une fois de plus considéré a priori comme un western de plus, mais qui décidément annonce plus d'un feu d'artifice. Un film qu'on aimerait voir dans uen copie digne de ce nom.

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 00558.html
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par feb »

allen john a écrit :
feb a écrit :Tu t'es procuré le DVD directement sur le site du filmmuseum ou tu es passé par un autre site de vente allen john ?
Directement chez eux, mais il est peut-être plus facilement disponible ailleurs. c'est vrai que ça porte le prix des DVD à 45 Euros environ, mais ça en vaut la peine (J'ai fait de même pour le Max Davidson, et La rue sans joie). Cela dit, on peut se procurer The River sur d'autres parutions, toutes aussi belles les unes que les autres (et toutes assez chères) mais alors ce sera sans les trois films en bonus. D'ailleurs, à ma connaissance, c'est la seule édition de The river, un des grands films de Borzage, dans laquelle le film lui-même n'est pas seulement un bonus...
Oui je me suis également procuré la Rue sans joie mais je suis passé par Amazon.de avec un prix bien costaud...je me tâte concernant ce coffret Borzage car tes critiques font envie.
Merci pour ces infos et pour ces belles critiques allen john :wink:
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par daniel gregg »

allen john a écrit :
feb a écrit :Tu t'es procuré le DVD directement sur le site du filmmuseum ou tu es passé par un autre site de vente allen john ?
Directement chez eux, mais il est peut-être plus facilement disponible ailleurs. c'est vrai que ça porte le prix des DVD à 45 Euros environ, mais ça en vaut la peine (J'ai fait de même pour le Max Davidson, et La rue sans joie). Cela dit, on peut se procurer The River sur d'autres parutions, toutes aussi belles les unes que les autres (et toutes assez chères) mais alors ce sera sans les trois films en bonus. D'ailleurs, à ma connaissance, c'est la seule édition de The river, un des grands films de Borzage, dans laquelle le film lui-même n'est pas seulement un bonus...
Merci pour l'info. :wink:
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Humoresque (Frank Borzage, 1920)

Le ticket de Borzage pour le grand Hollywood, un film de prestige dans lequel on a laissé les coudées franches à celui qui s'est jusqu'à présent surtout illustré par des westerns, Humoresque fait partie de ces si nombreux films qu'on a cru longtemps perdus, jusqu'en 1986 à en croire Kevin Brownlow qui s'est penché sur ce film dans la cadre de son étude sur la peinture des communautés Juives Américaines dans le cinéma muet (L'un des chapitres de son merveilleux livre Behind the mask of innocence). Retrouvé, et désormais bien connu, il est bien sur un film important dans la carrière de Borzage, mais n'est finalement que ça. Il souffre un peu de la comparaison, tant avec ce qui le précède que ce qui le suit...

Le film distribué par Paramount mais produit par la Cosmopolitan est du à la volonté de William Randolph Hearst de travailler avec Borzage, mais c'est le metteur en scène qui a sélectionné l'histoire, sur des critères qui lui sont chers: il lui fallait une histoire humaine, pas trop sophistiquée. Il a bénéficié de la collaboration de Frances Marion, mais il a lui-même mis la nouvelle dans les mains de la scénariste. Le film raconte donc le parcours d'un enfant du ghetto qui deviendra un violoniste de renom, mais qui parti pour la guerre reviendra abimé, blessé au plus profond de son âme, et surtout incapable de jouer. il faudra tout l'amour qui le lie à sa fiancée pour le voir reprendre confiance.

Le metteur en scène a réservé la première demi-heure à l'enfance de Leon Kantor, le héros. on y retrouve ses parents, ses nombreux frères et soeurs, dont Mannie, né en plein exil de ses parents et qui en a gardé des séquelles mentales profondes. Il y a aussi Gina, la petite voisine dont Leon est amoureux. Le Lower east Side est montré à travers de courtes vues documentaires effectives, et qui seraient selon Borzage lui-même des images volées... mais l'essentiel du film a été tourné en studio. Une grande part est dédiée au cliché de l'amour maternel et la rivalité comique entre les parents, le père qui a soif de réussite, et la mère qui souhaite que l'un de ses enfants puissent suivre une voie artistique... La deuxième partie voit Leon, qui a réussi, donner des concerts, et offir des conditions de vie plus décentes à ses parents. la guerre le ratrappe, sans qu'une longue préparation du public ait été faite: elle tombe sur le jeune homme un peu comme ça, sans crier gare. Borzage, qui l'occultera plus tard en la rendant abstraites (Voir Lucky star, ou encore A farewell to arms), prend délibérément le parti de n'en rien montrer. le résultat devient bien conventionnel, et assez franchement expéditif...

Ce film est donc un mélodrame assez classique, et même trop: on se réjouissait de trouver dans les petits westerns du metteur en scène des épices secrètes, mais la liberté de ces films a été laissée de coté sur ce tournage, probablement très important pour le metteur en scène, dont des acteurs (Selon l'article de Brownlow) ont dit qu'il était tendu sur le plateau, irritable. Ce n'est pourtant pas la réputation qu'il aura par la suite... On se réjouit bien sur de le voir s'essayer au miracle, puisqu'il fait reposer la charge émotionnelle de son film sur le retour de la guerre, avec un Leon défait qui n'a plus le coeur à jouer de la musique. Le retournement de situation est soudain, inattendu, et miraculeux... C'est un grand moment, qui sera bien sur largement dépassé par les fabuleuses scènes d'épiphanies dans de si nombreux films ultérieurs, mais il fallait bien commencer. Un autre grand moment aussi, lorsque Leon joue pour son quartier, Borzage choisit de nous faire ressentir la musqie par le montage de quelques visages émus de vrais gens du Lower east Side, et place sa caméra derrière le public, marée humaine en silhouette, alors qu'au fond du plan, on aperçoit les musiciens. c'est non seuelemnt très juste, mais ça nous renvoie à Gance, qui ajoutera bien sur de la fougue à sa foule chantant la Marseillaise dans son Napoléon.

Un peu trop mal à l'aise donc avec ce film qu'il lui fallait réussir pour exister, et pour accéder à la cour des grands, Borzage a donc fait un lon métrage qui aujourd'hui possède des beautés, mais aussi des momest de convention et une certaine platitude. La première demi-heure, avec sa vie dans les quartier pauvres, est la plus intéressante. C'est ce qui fera d'ailleurs peur à Hearts et Zukor, qui se feront tirer l'oreille pour accepter de sortir le film. Il aura un grand succès, et permettra sans aucun doute à Borzage, qui restera indépendant jusqu'en 1925, d'accéder à la MGM, puis à la Fox, avec les conséquences que l'on sait.

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 60382.html
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Message par allen john »

Secrets (Frank Borzage, 1924)

Norma Talmadge était la grande tragédienne de l'écran, dont il faut sans doute rappeler qu'à lépoque du muet, sa popularité la hissait juste derrière Mary pickford - dans un genre bien différent. c'ets lors d'un contrat de quatre films avec la First National que Borzage a été amené à travailler avec la grande actrice pour deux films, celui-ci et The lady (1925). Secrets étonne aujourd'hui, d'une part par la finesse du jeu de Norma talmadge, dont on se demande pourquoi on ne nous montre pas tous les films séance tenante. Ensuite, la construction en flashbacks et le jeu de point de vue, entièrement soumis aux souvenirs d'une femme, sont très impressionants, permettant au film d'échapper à la convention mélodramatique. Enfin, le film est une histoire d'amour qui transcende tout sur son passage, et ça, on le verra bientôt, c'est le terrain de jeu privilégié de notre metteur en scène...

Mary Carlton, une vieille dame, se désespère: son mari va mourir. elle se confie à son journal intime et entame un voyage dans ses souvenirs: lorsque John l'avait enlevée en Angleterre parce que son père ne voulait pas de ce prétendant sans fortune, puis leur fuite vers les Etats-Unis; comment John avait tenu tête à des bandits alors que leur fils unique se mourait; le soutien inattendu des parents lors d'une crise conjugale, suivie d'une réconsiliation; puis John se réveille, et Mary aussi...

Norma Talmadge ne se contente pas de jouer avec le maquillage et les années, elle incarne cette histoire d'amour d'une grande subtilté, et on est captivé par son charme et son charisme. De plus, Frances Marion scénariste et Borzage ont mis tous deux la barre très haut, multipliant les ruprtures de ton: l'enlèvement est une comédie presque boulevardière, relevée d'un érotisme qui reviendra, lorsque John aide mary un peu gênée à se changer: cette promiscuité inattendue est la marque des amours Borzagiennes... Après la comédie, la quasi-western de la seconde partie, avec un John qui bataille ferme contre les assaillants extérieurs, alors que Mary se rend compte de la mort de leur enfant, mais la cache afin de ne pas gâcher les chances de John de vaincre les bandits: à l'issue de la confrintation, son mati devient ainsi un héros local, grâce à ce sacrifice. c'ets enfin à ele que revient le choix de continuer ou de repousser son mari qui a fauté. Là encore, elle prend la bonne décision. Tout porte à croire que la survie de John, l'homme tant aimé dans ce beau film, est entièrement conditionnée à la volonté de cette femme extraordinaire...

Première incursion à ma connaissance dans l'amour absolu pour Borzage, le film porte sa part de miracle, de beauté, de cet étrange lien sacré entre les êtres. Il est porté par une actrice exceptionnelle, et il sera l'objet d'un remake parlant en 1933, avec Mary Pickford... On verra ça plus tard.

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 46831.html
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par bruce randylan »

Et ces trois derniers titres, tu les as vus où ? :oops:
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

bruce randylan a écrit :Et ces trois derniers titres, tu les as vus où ? :oops:

Dans mon salon. :mrgreen:
Sur ma tévélision :mrgreen:

:oops:
désolé. Je sors?
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Message par allen john »

The circle (Frank Borzage, 1925)

En 1924 et 1925, la toute jeune MGM a beaucoup employé de jeunes et moins jeunes réalisateurs, parmi lesquels Josef Von Sternberg, William Wellman ou Frank Borzage, qui n'ont pas fait long feu au sein de la compagnie. Les méthodes de production de la compagnie, malgré leur Ars gratia artis si clairement affiché au frontispice de chaque film, n'étaient pas forcément des plus avantageuses pour les artistes, justement. C'est donc dans ces conditions que Frank Borzage, au sortir de deux petits contrats avec la Cosmopolitan de William randolph Hearst, puis la First National, a réalisé deux films mineurs. le premier, Daddy's gone a-hunting, que je n'ai pas vu, n'a pas bonne réputation, et le deuxième, The circle, adapté d'une pièce de Somerset Maugham, est meilleur, dans une certaine mesure.

La source théâtrale est évidente dans ce film qui se situe largement en intérieurs, et qui est surtout l'histoire d'une soirée: Lady Catherine a déserté son foyer avec le témoin de mariage de son mari, Hughie, et les années ont passé: le mari, Clive ne s'est pas remarié, mais a élevé son fils Arnold, qui est aujourd'hui marié. La situation risque de se reproduire, puisque l'pouse du fils a décidé d'inviter la mère et son compagnon afin de juger par l'effet des années si la désertion vaut la peine d'être tentée...

Les ruptures de ton, Borzage connait, on l'a vu avec Secrets (1924). Mais on a quand même souvent l'impression, et il semblerait que ce ne soit pas qu'une impression, que l'auteur de Humoresque n'ait pas spécialement été emballé par cette histoire, dont il faut bien dire que le meilleur est l'introduction, les quelques 6 minutes qui nous présentent la fuite de Lady Katherine: c'est, il est vrai, la jeune starlette Lucille Le Sueur, qui ne s'appelait pas encore Joan Crawford, qui interprète la jeune femme... L'aube d'un grand amour qui sacrifie tout le reste, forcément, ça a plus parlé à Borzage que le reste du scénario, divisé en 3 actes: d'une part, l'exposé de la situation présente par l'héroïne (Eleanor Boardman), et la présentation de chaque personnage; lorsque on voit pour la première fois le mari interprété par Creighton Hale avec son monocle, on ne peut que lui donner raison d'avoir envie de foutre le camp, honnêtement. un deuxième acte voit l'arrivée de Lady Katherine et de Hughie, désormais aussi vieux que leur âge, et plus pittoresque que romantiques. Ils semblent diriger le film vers la grosse farce, et la conclusion qui semble devoir s'imposer est que l'amour ne viellit pas bien... Jusqu'au coup de théâtre: apercevant les deux vieux amants enlacés tendrement après une dispute, la jeune femme tente le tout pour le tout. Le dernier acte voit l'insupportable mari jouer son va-tout, et casser la figure à son rival. Tant pis.

Le film n'avait as grand chose pour intéresser l'auteur. celui-ci a fait son travail, dans une certaine mesure (On sait que bien des films de la MGM à l'époque passaient par plusieurs mains, donc il faut être prudent), mais il n'a pas donné la pleine mesure de ses moyens à la MGM: le film suivant de Borzage, Lazybones, inaugurait un contrat à la Fox, et on allait voir ce qu'on allait voir, oh oui. Et bien sur, Borzage reviendra en 1937 à la MGM, pour là encore faire autrement mieux que ce petit film sympathique, mais secondaire.

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

Lazybones (Frank Borzage, 1925)

Ce film avec Buck Jones est donc la première réalisation de Frank Borzage pour la Fox. La star a déja interprété un rôle similaire à ce Steve "Lazybones" Tuttle dans d'autres films, dont par exemple un beau long métrage de Ford qui était aussi son premier film Fox: Just pals, en 1920. Le style de ces films est typique de ces petites histoires rurales Américaines, dont Griffith ou Henry King (Tol'able David) ont été un temps les chantres. Borzage va s'approprier ce matériel et en faire un très grand film, qui redistribue les cartes du mélodrame avec talent et souvent avec génie; totalement dans son élément, le cinéaste nous fait partager son émotion, sans aucune retenue...

Dans une petite ville de la campagne, Steve Tuttle est tellement fainéant qu'on lui a attribué un surnom afin de ne jamais l'oublier. Sa maman, qui le soutient, se désespère, mais lui l'assume pleinement, ne trouvant rien à faire de plus grisant que de se prélasser au bord d'une rivière tumultueuse à taquiner le poisson d'une canne fort peu alerte. Il est amoureux d'Agnes, qui la cadette de sa famille; il va de soi que la maman d'Agnes désapprouverait totalement de voir sa fille flirter avec un tel bon à rien, mais ele est trop préoccupée de caser son autre fille avec un banquier plein d'avenir pour s'apercevoir de quoi que ce soit. Celle-ci, Ruth, a un problème: elle s'est mariée, en secret, par amour avec un marin, qui est décédé peu après, et elle a un enfant. Lorsqu'elle revient au pays, elle tente de se suicider. Steve la sauve, puis recueille son secret... et le bébé. le reste du village qui ne l'aimait pas beaucoup se déchaine alors contre lui... et contre le bébé, une fille, qui grandira bien seule...

Un scénario plein, donc, avec ses péripéties héritées du mélodrame le plus pur. Pourtant Borzage ne s'éloigne jamais de la comédie avec ce film, y compris lors de scènes dramatiques âpres et cruelles. Le stigmate social est la première cible du cinéaste, à travers ces voisins bien intentionnés qui ferment leur porte et leur coeur à la première occasion; bien sur, première visée, la maman de Ruth et Agnes, qui mène la méchanceté jusqu'à la folie; il ne peut nous échapper qu'elle a tout d'une sorcière de conte de fées, ce qui sied particulièrement à un film de Borzage. mais au-delà de la dénonciation, il me semble que Steve Tuttle est le premier grand héros Borzagien, auquel il donne une série de traits qui reviendront, de film en film: marginal, il est vu et revu à travers ses pieds, inactifs et emmêlés l'un dans l'autre lorsqu'il se prélasse. ce motif traverse le film et se substitue à Steve occasionnellement (une paire de chaussures neuves joue d'ailleurs un petit rôle humoristique à la fin du film). sa position préférée, allongé contre un arbre, le suit jusque dans ses rêves, jusqu'à la guerre... La marge pour Steve, c'est une choix assumé et sans grand drame, comme le Chico de Seventh Heaven qui travaille dans les égouts mais vit près des étoiles, le Tim de Lucky star qui est paralysé mais garde son envie de vivre, ou encore le Bill de A man's castle dont la clochardise devient un art de vivre... Leur position en marge leur confère une moralité et une capacité à donner lorsque cela a vraiment du sens, à d'autres: femmes ou enfants, Diane, Mary Tucker, Trina ou Kit...

Mais cet anti-héros va tout donner, et risquer sa vie pour une autre. Puis, il va recueillir la petite Kit, et l'élever avec sa mère, se mettant définitivement au ban de la société. Ironiquement, ces deux actions vont être passées sous silence, mais les gens vont le fêter pour un haut fait d'armes accompli par hasard, lorsqu'en pleine bataille il était resté planqué, devenant le seul soldat Américain à pouvoir sortir ses compagnons du pétrin. C'est que Steve a tout sacrifié, ne pouvant révéler le secret de Ruth à personne, pas à sa mère, pas même à la soeur de la jeune femme, pas même à Kit. Une scène très belle (Admirable Zasu Pitts, qui a semble-t-il utilisé la méthode Lillian Gish, et accentué sa maigreur cadavérique pour une scène d'agonie très effective: elle fait très peur) voit Ruth mourir dans les bras de Kit, qui ne comprend pas ce qui lui arrive, mais trouve une prière appropriée pour celle dont elle ne saura jamais qu'elle était sa mère...

La transformation de Steve est surprenante de discrétion dans ce film, par opposition à ce qui se passe dans d'autres films. Le plongeon dans l'eau assume sans trop de problèmes le statut d'une renaissance, d'autant qu'il va y devenir un héros, mais aux seuls yeux de Ruth et du public. Ensuite, il va garder le secret, bravant les yeux de tous, et laisser Agnes partir; à la fin, la fête pour le "héros" est bien ironique, qui le voit s'éloigner pour calmer ses pieds meurtris dans l'eau froide pendant que les jeunes gens dansent. Ce dernier passage, qui voit Steve revenir de la guerre, légèrement transformé (Des cheveux blancs), et tomber amoureux de celle qui l'a élevé. Celle-ci l'a déja supplanté avec un jeune homme (Qui lui ressemble subtilement): la vie de Steve est déjà à son crépuscule... il est passé à coté comme il aime tant à laisser la rivière suivre son cours quand il pêche. Il lui fallait être fêté par tout le village pour s'en apercevoir.

Beau film sur une exclusion, qui nous montre un anti-héros dans toute son humanité, sa complexité, presque malgré lui. Pour Borzage, le jugement a priori est une saleté, et ses personnages sont face à leurs seuls actes; Steve "Lazybones" Tuttle est un homme qui a fait le bien, mais il ne s'en vantera pas: bien qu'il ait tout perdu, à la fin (sauf sa maman, qui lui donne sa canne à pêche afin qu'il revienne à la case départ), bien que Kit soit partie avec un autre, et Agnes ait appris la vérité trop tard pour revenir en arrière, Steve donc continue comme si de rien n'était, à la fin de ce film qui nous a conté 25 ans de sa vie. Borzage a lui aussi beaucoup accompli avec ce film; le village qu'il nous montre est souvent réduit à ses allées poussiéreuses, à ses arrières cours et à ses champs. peu d'intérieurs, et l'impression d'être resté en coulisse d'une petite localité ainsi stylisée. C'est un trait de ses films qui restera, là encore, autant la stylisation que cette tentation de montrer les coulisses d'un monde.... Ce sera la même chose avec la guerre, qui reste très schématique, et une fois n'est pas coutume, anecdotique: pas de gros bouleversement, contrairement à ce qui se passe dans tant d'autres films (Toujours les mêmes: Seventh Heaven, Lucky Star...). Mais la façon dont Borzage mêne comédie et mélodrame, dont il filme de façon frontale le suicide de Ruth, dont il laisse ses acteurs donner le meilleur de'eux-mêmes dans l'expression de l'émotion (Jane Novak, Agnes, découvrant la vérité à la fin, par exemple, dans une scène très cruell mais aussi très juste) n'ont aucune concurrence. Admirable.

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

Seventh Heaven (Frank Borzage, 1927)

A peu près en même temps que Murnau tournait Sunrise, donc, Frank Borzage tournait ce film qui allait durablement l'installer dans le peloton de tête des réalisateurs qui comptent, un film qui allait être un immense succès, totalement mérité, un de ces films exceptionnels tournés à la Fox durant les fabuleuses années de la fin du muet: Seventh Heaven pour moi, rivalise avec Sunrise, What price glory?, The thief of Bagdad, Greed, The wind, Sparrows, The wedding march, Lonesome, et Street Angel, The River ou Lucky star, ces derniers tous du même réalisateur. Le film inaugurait un partenariat entre les acteurs Charles Farrell et Janet Gaynor, qui allaient du jour au lendemain devenir des stars pour la Fox, et dont deux autres films deraient réalisés par Borzage, Street Angel (1928) et Lucky Star (1929); Farrell pousserait quant à lui un peu plus loin, en apparaissant pour le réalisateur dans The river (1929), Liliom (1930) et After tomorrow (1932). Pour finir cette petite présentation, ce film donne à voir l'amour éternel, intangible et insaisissable, à travers de petits moments anodins entre deux êtres, parle aussi de cette étonnante tendance à la marge des héros de Borzage, nous montre une héroïne-cendrillon qui se prend en charge, et la transformation de deux êtres par l'amour absolu: il ne souffre ni d'être vu par des esprits forts adeptes du cynisme contemporain, ni distraitement: il se consomme d'une traite, et est un joyau. Un film miraculeux, non seulement parce qu'il est sublime, mais aussi parce qu'il présente un miracle dans son intrigue.
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Chico est égoutier, ce qui ne l'empêche nullement de viser plus haut: il se considère lui-même comme "un type remarquable", et aspire à devenir un nettoyeur de rues. Un jour, il se trouve à son travail, et intervient pour empêcher Nana de tuer sa soeur Diane: les deux femes sonr des prostituées, et la jeune soeur a empêché Nana d'escroquer des membres de leur famille, d'ou le désir de vengeance de celle-ci. Chico recueille la jeune femme, mais doit mentir en la faisant passer pour son épouse, afin d'aviter à Diane d'être arrêtée pour vagabondage. Ils cohabitent ainsi, jusqu'au jour ou sans crier gare Chico amène une robe de mariée pour Diane. Ayant enfin admis leur amour, les deux sont séparés par la guerre, qui emporte Chico. Mais ils ont convenu de se "retrouver" en esprit chaque jour à 11 heures...

Borzage situe tout son film dans une certaine marge, tant par le choix des décors (Chambre de bonne, taudis, égouts, rue...) que par son peu de goût pour ce qui est le monde apparent. Il le fait avec un certain réalisme, mais on est dans un décor plus stylisé encore que dans Lazybones. S'il ne va pas aussi loin que Murnau dans Sunrise, le monde qui apparait devant la caméra d'Ernest palmer posède une patine, une patte des plus originales, et qui aura finalement autant d'influence sur les films Fox à venir que Sunrise: Four sons de Ford, ou Street Angel de Borzage viennent de là, et creuseront cette étonnante tendance graphique.

Le septième ciel du titre Anglais est donc le septième étage, juste sous les toits, ou habite Chico. La séquence de l'escalier, qui voit les deux acteurs monter les étages un à un, par un escalier en colimaçon tortueux et mal éclairé. la prouesse technique (une grue a été utilisée pour accomplir le plan d'élévation) se complète d'une prouesse de timing: le plan est en temps réel, et ne montre rien d'autre qu'un homme sur de lui qui amène une jeune femme un peu inquiète mais obligée de le suivre dans un escalier: et ça prend quelques minutes... le but n'est pas de prétendre au réalisme ou de ne pas tricher, mais de donner à un acte symbolique toute sa portée. d'ailleurs, tout le film est empreint de ce décalage d'avec la vérité, par le biais des décors donc (Les trompe-l'oeil du décor de Sunrise sont passés par là) et de personnages simplifiés. Visuellement, film est d'une grande beauté, d'une grande force, et le choix de donner un cadre factice (mais avec nuance, on n'est pas dans Caligari quand même) donne plus de force à ses deux personnages principaux, parce qu'avec Farrell et Gaynor, on n'est pas devant de la pacotille, c'est the real deal.

Charles Farrell, c'est un peu l'anti-Valentino. Son sex-appeal est réel, pour autant que je puisse en juger, mais ce n'est pas par le raffinement qu'il attire, plutôt par son aspect brut. Grand, beau gosse, au visage qui respire la naïveté, il représente un peu la quadrature du cercle de l'idéal cinématographique masculin: à la fois costaud, et fragile jusqu'à pouvoir sangloter sans être ridicule. Avec Janet Gaynor, il est un alliage de fragilité que révèle la force intérieure de la jeune actrice, et de force sensuelle qui donne l'occasion à sa partenaire de réfugier sa petite taille et son petit corps, dans un mélange sensuel, certes passé par l'autocensure, mais pas très loin du charnel quand même: une scène en particulier établit cet étrange mélange: Diane a suivi Chico jusque chez lui, il lui montre le lit, et elle se déshabille, mi-résignée, mi-inquiète. Pas plus que le public, Diane n'arrive à présager des intentions du jeune homme. Lorsqu'il revient avec un broc plein d'eau pour se laver, et dévoile sa musculature, elle le regarde, autant par appréhension de la suite que par curiosité. Mais finalement, comme lui l'avait prévu, il va dormir sur le balcon, respectant l'intimité de la jeune femme...

Janet Gaynor est fascinante parce qu'elle vampirise l'écran assez facilement, avec ses grands yeux. et pourtant elle ne fait qu'un mètre cinquante! Mais elle a une autorité, un sens du geste, et est probablement supérieurement dirigée, comme avec Murnau. Sa présence dans le film permet un grand nombre d'atouts; tout d'abord elle incarne intelligemment l'éternel féminin, à la fois jalouse de sa dignité, et désireuse d'avancer dans sa relation avec Chico. avec douceur, elle pousse le grand dadais à admettre qu'il l'aime, et sait se satisfaire d'un pis-aller lorsque celui-ci passe par une formule un peu spécifique (Chico - Diane - Heaven). Elle se précipite chez sa voisine pour essayer sa belle robe, dans une séquence pétillante de bonheur et de naturel... Sinon, un autre apport de son jeu, c'est le fait, assez rare quand on y pense dans le cinéma des années 20, d'offrir un véritable partenariat entre deux acteurs, une totale symbiose; le film n'est pas vu du point de vue de l'un plus que de l'autre, et les deux héros existent réellement, ont autant de substance l'un que l'autre. C'est ce qu'on obtient chez le Murnau de Sunrise, bien sur, et on retrouvera ça dans la peinture de l'amour chez Borzage...

Le symbolisme du film est assez transparent: cette volonté soulignée en permanence de s'élever, ces métaphores (le septième étage, près des étoiles, ...), se marient avec un autre symbolisme, religieux celui-ci. L'un des rares personnages extérieurs du film qui soit un montré assez souvent, le prêtre qui veille sur Chico et Diane tente d'inculquer un peu de religion chez le jeune homme, qui se déclare aussi souvent que possible athée, relayé en cela par son copain Gobin, dont une scène nous montre qu'il regarde avec une certaine incompréhension le personnage du vieux prêtre qui fait le bien partout ou il passe. Le prêtre donne à Chico des médailles religieuses, que le jeune homme va utiliser dans un faux mariage (j'y reviendrai), et qui transfigurent l'amour des héros. A la fin, une lumière divine semble donner au miracle présenté dans le film un sens profondément religieux. Que Borzage ait cru en Dieu, toute son oeuvre est là pour en témoigner. cela dit, le franc-maçon qui était en lui ne pouvait pas ne pas s'approprier l'exaltation religieuse, et lui donner une coloration toute personnelle: le prêtre, comme tout le monde, croit Chico mort, mais il est vivant, transfiguré non par Dieu, mais par le lien entre lui et Diane. On le savait depuis Secrets, l'amour est plus fort que la mort. Seventh Heaven le prouve!

D'ailleurs, pour Borzage l'amour est quelque chose d'étrangement concret. Etrangement, car comme le soulignait avec regret Stroheim, à Hollywood, montrer l'amour, c'était autoriser un baiser ridicule, avant le mot fin. Chez Borzage, on assiste à sa naissance, dans la cohabitation forcée entre les deux personnages (Comme dans tant de ces films), à travers des petits riens, comme ce moment ou Chico prétend que Diane doit rester chez lui parce qu'il est satisfait de la façon dont elle lui a coupé les cheveux... Leur ballet du début qui oscille entre pudeur (La jeune femme attend que Chico ne soit plus là pour se déshabiller) et érotisme (Nous, on reste pendant le déshabillage) permet de rappeler subtilement certaines réalités de ce qu'est vraiment le rapprochement entre deux êtres, et les scènes très belles qui voient Chico prendre la jeune femme dans ses bras au moment de partir à la guerre sont empreintes d'une frustration qui doit beaucoup à l'apport physique des deux acteurs...

La guerre, justement, parlons-en: dans le film, elle occupe réellement 35 minutes, dont un épisode en apparence déconnecté de l'intrigue principale, qui remet en scène les taxis de la Marne, à grand renfort d'images d'archives (l'armée Allemande), de maquettes (les taxis) et de scènes de bataille réalisées à grand renfort de figuration. Mais la scène sert au moins à souligner l'engagement sans réserves de l'armée Française, dont Chico sera plus tard victime, et se clôt sur la "mort" symbolique d'Eloïse, le taxi aperçu plusieurs fois durant la première heure du film. une façon d'annoncer le drame dont Chico va être victime... Ensuite, la guerre vue par ses cortèges d'hommes , apparaît de plus en plus comme cette boucherie qu'elle est devenue dans l'imaginaire collectif depuis l'enthousiasme d'un autre siècle de 1914: les tranchées, les quatre années, les gueules cassées, mais aussi, au cinéma, The big parade et What price Glory? sont passés par là... Pour Borzage qui n'aime pas la guerre, la guerre n'est pas cette rassembleuse que les scènes de liesse de 1914 et 1918 nous montrent; d'ailleurs, au milieu de cette foule de 1918, chico avance au mépris de ce qui se passe autour de lui. ce paroxysme émotionnel de la guerre n'est rien à coté de l'émotion qu'il va donner à Diane, et tant pis pour la guerre! ...celle-ci semble dans ce film n'être qu'un obstacle à l'amour, au rapprochement physique et total de Chico et Diane, à plus fort raison lorsque Chico est supposé être mort.

Le miracle est incroyable, n'a aucune explication logique, et le scénario est très clair: Gobin comme le prêtre étaient présents lors de la mort de Chico. Donc la réapparition de celui-ci, qui ne veut pas mourir parcequ'il veut revenir à Diane, est à 100% un miracle, mais là encore c'est parce que lui ne veut pas mourir qu'il ne meurt pas. Dieu, nous disent Chico et Borzage, c'est dans la tête. Et le Franc-maçon d'ajouter: quand on veut, on peut. Il y aura d'autres miracles, et d'autres scènes de transfiguration quasi-mystiques, dans d'autres films, le plus extrême étant bien sur Strange cargo. Sinon, une autre série de motifs très présents sont déjà là: un mariage profane, auquel on donne avec un moyen de fortune une possibilité d'y inclre la religion: les médailles jouent ici ce rôle, et Chico se tourne vers Dieu, lui disant: "Si tu existes, donne à ce mariage une vérité". dans A man's castle, c'est un ancien pasteur tourné malfrat qui joue ce rôle d'approximation religieuse dans le mariage de Bill et Trina, et dans The mortal storm, le mariage est effectué par une vieille dame, la grand mère de james stewart, au moyen d'une tasse ayant appartenu à la mère du jeune homme... La cohabitation tranquille entre Chico et Diane est parfois empreinte de tension, dans Seventh Heaven, parce qu'il y est plus ou moins établi qu'ils ne se sont pas touchés. Bill et Trina n'auront pas cette tension... La transformation mutuelle, clé de l'amour façon Borzage, est ici représentée par les apports de chacun des deux êtres à l'autre, mais également les efforts consentis, notamment par cette grande gueule de Chico, qui veut bien admettre tout ce qu'on veut pourvu qu'on lui en laise le temps. a ce titre, le moment ou pris par le temps justement il lâche un I love you à Diane est un appendice inattendu à la plus belle demande en mariage de toute l'histoire du cinéma, pas moins.

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Re: Frank Borzage (1894-1962)

Message par allen john »

(reprise d'un texte antérieur avec de vrais nouveaux bouts dedans)

Street Angel (Frank Borzage, 1928)

Réalisé après Seventh heaven, dont il approfondit le style dans la direction montrée par le Sunrise de Murnau, interprété par les mêmes acteurs et réalisé par la même équipe, Street angel a eu un succès exceptionnel , le plus important pour la carrière muette de son réalisateur, et l’un des plus gros succès de la (Première) Fox. Ajoutons à cela le fait qu’il ait été tourné en 1928, l’année de The wind, The wedding march, The cameraman, Speedy, Beggars of life… Une année exceptionnelle, mais aussi la période des derniers feux du muet, et des premiers cafouillages du parlant : Lights of New York, The singing fool

L’intrigue nous conte les aventures d’un couple : un homme-enfant, peintre visionnaire (Il ne voit pas « les choses qui sont derrière les choses », il essaie de peindre la femme de sa vie telle qu’elle est et non telle qu’elle se montre), et une jeune femme orpheline, prématurément vieillie (et rendue triste et un brin cynique) par les vicissitudes de la vie : sa mère est morte parce qu’elle a été arrêtée le jour ou elle tentait de trouver l’argent pour la soigner en se prostituant. Ils se rencontrent en terrain neutre : le cirque avec lequel elle a mis du champ entre elle et la police, mais à la suite d’un accident, Gino prend l’initiative de ramener Angela à Naples, une ville dont il ignore qu’elle a une relation avec le passé trouble de sa bien-aimée.

Le film est resserré par rapport à l’univers très cohérent créé autour de Chico, Diane, et de leur paradis dans Seventh Heaven, ces personnages secondaires qui baignent tout l'autre film : Boul, son taxi, le collègue-voisin et son épouse, etc. Ici, Angela (Gaynor) et Gino (Farrell) sont, sinon seuls au monde, en tout cas les seules attractions permanentes. Les lieux varient : on commence à Naples (Une série de ruelles et de maisons recrées en studio, on est encore en pleine période post-sunrise), et au gré des déplacements du cirque, on voyage un peu avant de revenir à Naples, mais vue de deux points de vue diamétralement opposés. La mise en scène, d’ailleurs, va souvent dans ce sens : les deux amoureux sont apparemment sur la même planète, mais vont dans des directions opposées ; le thème éminemment Borzagien de l’élévation, toujours apparentée au cheminement spirituel des personnages, surtout depuis Seventh Heaven, est repris dans Street Angel, mais en y faisant un usage inhabituel de la différence de taille, il est vrai spectaculaire, entre les deux acteurs : Farrell vise les étoiles, le bonheur, le ciel, la lumière et pousse le couple vers le haut. Elle campe, les pieds sur terre, la tête sur les épaules, et elle est celle qui revient constamment à la réalité : ainsi le premier plan de Janet Gaynor au cirque sera-t-il un plan de ses jambes, avec des collants noirs, nonchalamment exposées, avant un échange qui la voit affirmer son insouciance et son refus de l’amour, tout en croquant une pomme. En tant qu’artiste, elle monte sur des échasses, mais là encore les échasses seront vues non comme un moyen d’élévation, mais plutôt comme une façon de garder le contact avec le sol, la caméra nous révélant les échasses d’abord, avant de nous faire comprendre que c’est Angela qui y est juchée. Et d’ailleurs, du haut des échasses, elle peut voir les gendarmes, et elle tombe… Ou encore, après l’accident, Borzage nous montre ses pieds et ses mains, ayant placé sa caméra au ras du sol, afin d’identifier son personnage comme quelqu’un de foncièrement terre-à-terre, pas au sens négatif du terme, mais au sens réaliste : elle sait que son destin, qui la lie à Naples, l’amènera en prison tôt ou tard.

De son coté, Gino (dans leur appartemant à naples, ils font chambre à part, elle est en bas, et lui en haut, forcément!) est celui dont le but est d’enluminer le plus haut des murs de sa peinture, et de prendre la jeune femme dans ses bras pour la soutenir. Découvrir la vérité, de la bouche d’une prostituée (Natalie Kingston, la partenaire d’Harry Langdon dans les courts Sennett, et Jane dans un serial Tarzan de 1929), devient une descente aux enfers. Mais le retournement de situation, qui entrainera enfin le couple dans la même direction, est sis dans une église, ce qui confirme le gout de Borzage pour la chose religieuse, oui, mais vue d’un point de vue légèrement profane : poursuivant la jeune femme dans une église, Gino s’apprêta à la tuer, lorsqu’il voit un tableau qu’il a peint d’elle, maquillé par un escroc afin de le faire passer pour une toile de maitre. Elle y est devenue une Madone, et elle, qui a purgé sa peine, et qui vient de se reconnaitre enfin dans ce tableau, lui fait comprendre qui elle est vraiment, et ils repartent à zéro. Donc oui, ils ont bien été sauvés par la Madone, mais cette Madone a été obtenue par des moyens assez peu orthodoxes : la tentation de personnaliser la religion est là encore une tendance très représentée chez l’auteur de The mortal storm : voir le nombre de mariages de fortune avec un substitut de prêtre (Ici, Gino donne une bague à Angela dans une barque, et cela revient à les marier, d'autant qu'ils vont vivre ensemble après), ou de liens spirituels peu communs dans ses films, sans parler de Ian Hunter dans Strange cargo.

Borzage, qui avait fait avec Seventh Heaven des pas de géant (en compagnie de Ernest Palmer, qui revient ici éclairer le film d’une manière sublime, dans une sorte de préfiguration de ce que fera Joseph August pour Ford dans The Informer) en matière de mise en scène et de scénographie, confirme et renforce encore son style, avec des plans-séquences splendides, qui définissent les personnages : Janet Gaynor, dans les rues de Naples, est en territoire connu, et salue tous et toutes, retrouve son chemin. La caméra est assez distante et nous permet d’appréhender sans effort l’ensemble du parcours. Farrell, quelques minutes plus tard, cherche sa bien-aimée, ne la trouve pas. La caméra est en pleine rue, derrière lui, et le suit dedans des pérégrinations qui mettent en valeur son sentiment d’être perdu. Il ne reconnait ni les gens qui l’entourent, qui se transforment petit à petit en ombres, ni les lieux. A la fin de la séquence, dos à un mur blanc, il est seul dans le champ, vide, et assiste au ballet des gens qui ne sont pour nous que des ombres qui passent. Quele maitrise dans les plans-séquences, et quel bonheur visuel dans ce film. On y voit généralement l’influence de cette étrange bête à cornes qu’on nomme le plus souvent l'"Expressionisme Allemand".Je crois qu’il faut surtout rappeler que Murnau faisait encore autorité à la Fox, et que Borzage était sans doute le meilleur de ses élèves. La première partie, le noir conte d'Angela à naples, est magnifique, avec ses jeux d'ombres, ses plan-séquences, la triste épopée tragi-comique d'Angela dans les rues, qui essaie d'aguicher tous les hommes qu'elle rencontre. le brouillard vient s'ajouter à la partie, et continue à nimber les scènes de mystère, et petit à petit de plus en plus, d'une certaine odeur de sacré...

Si Borzage ici enfonce le clou de sa peinture de l'amour absolu, représenté par le lien très fort entre ces deux êtres, son travail auprès des acteurs est remarquable, dans la mesure ou il leur demande des variations, infimes pour farrell, mais très impresionnates pour gaynor, de leurs personnages. Angela est un sacré bout de bonne femme, mais on n'est pas loin, avant son accident, de constater qu'elle est revenue de tout. La maquillage bien sur joue un rôle, mais Janet Gaynor joue la carte de l'impulsivité, de la colère, avec un brio phénoménal. L'éventail de son jeu tel qu'il apparait dans le film est d'autant plus impressionnat que tous ces changements n'affectent en rien la cohérence de son personnage. A farrell, Borzage donne une fois de plus le rôle de l'optimiste, du naïf, mais cette fois le peintre Gino ne sait pas, contrairemnt au très sur de lui Chico. Il ressent les choses, et a besoin de sa muse. L'épisode qui le voit incapable de peindre une fresque, parce qu'il a perdu la femme de sa vie, nous le montre immobile, de dos, sur un échafaudage: coincé entre deux mondes. IL a besoin d'elle pour accomplir, créer, travailler donc: c'est lui qui accomplit le travail sur angela, par un étrange ballet lié au tableau: celui-ci va dire une vérité sur la jeune femme, malgré elle et malgré le peintre. Le travail d'escrocs sur le tableau va devenir une représentation de sa personne une fois que la jeune femme aura purgé sa peine. Ce que confirme le départ de Lisetta et angela de prison: Lisetta retourne en bas, vers la rue, et Angela monte, pour rejoindre Gino...

Le titre fait alluison, dans la bouche peu sainte de Lisetta, à la prostitution. Elle utilise le terme pour se désigner elle-même. Le mot Angel revient aussi chez Angela, lorsqu'elle déplore le départ du tableau que Gino vient de vendre; elle dit, à juste titre, que c'était un peu leur "ange gardien". la fin lui donnera raison, mais Gino, bien sur, est l'ange d'Angela, celui qui la sortira définitivement de son destin, et celui qui saura voir la vraie sainte qui est en elle. enfin, Angela, vue en femme sublimée par Gino, transformée en Madone par les contrefacteurs, et reflet d'elle-même dans la scène finale de l'église, ne s'appelle pas ainsi pour rien... Film majeur de la fin du muet et de son auteur, Street angel est un autre chef d'oeuvre de Frank Borzage.

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