Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Geoffrey Firmin
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Message par Geoffrey Firmin »

Bunny Lake a disparu de Toto Preminger

De superbes plans séquences, d'une fluidité et d'une précision rares. Malheureusement le scénario assez mauvais rend l'entreprise un peu vaine.On peut également admirer un beau générique de Saul Bass,et l'interprétation du superintendent Laurence Olivier.
daniel gregg
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Message par daniel gregg »

Geoffrey Firmin a écrit :Bunny Lake a disparu de Toto Preminger

De superbes plans séquences, d'une fluidité et d'une précision rares. Malheureusement le scénario assez mauvais rend l'entreprise un peu vaine.On peut également admirer un beau générique de Saul Bass,et l'interprétation du superintendent Laurence Olivier.
Au contraire, par l'esprit onnirique dans lequel il baigne d'un bout à l'autre , je trouve personnellement que ce film posséde des qualités qui le rapproche de Laura.
En tout cas quelle fascinante impression de malaise dans les scènes finales où Ann Lake tente désespérément de conserver son Frêre dans une espèce de torpeur , seule possibilité pour elle de sauver la vie de sa fille ainsi que la sienne.
C'est dans ce genre de circonstances que le Cinéma , par son pouvoir spécifique de fascination, n'a plus d'équivalent...
Fatalitas
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Message par Fatalitas »

daniel gregg a écrit :
Geoffrey Firmin a écrit :Bunny Lake a disparu de Toto Preminger

De superbes plans séquences, d'une fluidité et d'une précision rares. Malheureusement le scénario assez mauvais rend l'entreprise un peu vaine.On peut également admirer un beau générique de Saul Bass,et l'interprétation du superintendent Laurence Olivier.
Au contraire, par l'esprit onnirique dans lequel il baigne d'un bout à l'autre , je trouve personnellement que ce film posséde des qualités qui le rapproche de Laura.
En tout cas quelle fascinante impression de malaise dans les scènes finales où Ann Lake tente désespérément de conserver son Frêre dans une espèce de torpeur , seule possibilité pour elle de sauver la vie de sa fille ainsi que la sienne.
C'est dans ce genre de circonstances que le Cinéma , par son pouvoir spécifique de fascination, n'a plus d'équivalent...
meme si je trouve aussi que le scenario a quelques faiblesses, je suis assez d'accord avec Daniel Gregg, j'ai trouvé la premiere partie du film, ou l'on baigne dans une atmosphere de doute, assez reussie, ainsi que la fin, effectivement fascinante
sinon, une interpretation tres bonne des trois acteurs principaux

jamais été un grand fan de Preminger, j'avoue avoir été bien emballé par celui-ci :wink:

sinon, un tres bon dvd (all zone) de la part de Columbia (seul defaut : des sous-titres jaunes :? )
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Nestor Almendros
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965)

Message par Nestor Almendros »

Je me suis empressé de le découvrir après sa diffusion au Cinéma de Minuit. Curieusement, je pensais que ce n'était pas un très bon film. Je ne sais pas d'où je tiens ça, mais bien que BUNNY LAKE soit très perfectible, c'est quand même une bonne surprise, loin du ratage attendu.

Du film, je pense à peu près la même chose que Simone Choule (page précédente). Le scénario se révèle, finalement, plutôt vain. C'est l'impression que l'on a, à la fin du film. Mais c'est oublier qu'une bonne partie de l'histoire entretient un suspense efficace et joue assez habilement sur les soupçons de folie d'une mère apeurée. Pendant une bonne partie du film, on ne se demande pas où se trouve Bunny Lake mais plutôt si elle a vraiment existé. C'est un angle bien trouvé qui permet à l'histoire d'avoir une certaine consistance qui sera finalement éventée, à la fin du film, quand le mystère sera révélé et, surtout, que l'intrigue policière sera réduite au maximum (l'arrivée opportune de la police).
J'ai très vite deviné
Spoiler (cliquez pour afficher)
que le frère avait quelque chose de pas normal
. La différence de comportement entre le frère et la soeur pendant l'enquête était révélateur: elle, presque hystérique, débordante d'émotions, incapable de se contrôler; lui, stoïque, retenu, monolithique, moins concerné en apparence. Un détail discret mais relativement repérable qui montre probablement que Preminger ne s'intéressait pas totalement au suspense du film mais plutôt à son ambiance, à son emballage.
Et il faut dire que de ce point de vue, c'est assez impressionnant. J'ai rarement vu un film de cette époque utiliser la caméra d'une façon aussi mobile. De nos jours il est très courant de faire évoluer la caméra dans des lieux multiples, exigus, etc. Mais pour l'époque cela a dû être un sacré challenge. Preminger fait donc bouger sa caméra dans tous les sens, utilisant brillamment les décors, l'architecture, les couloirs, les pièces, dans des plans-séquence étonnants. Ce soin apporté à la forme est certainement l'un des éléments qui permet au film de tenir le coup, de contrebalancer un scénario faible, parfois basé sur pas grand chose, avec une façon de filmer visuellement plus tapageuse.
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965)

Message par Grimmy »

Complétement d'accord avec toi Nestor !
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Watkinssien
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965)

Message par Watkinssien »

Je suis assez d'accord ! Le scénario du film est le point faible de ce film néanmoins efficacement maîtrisé par Preminger, qui soigne autant son suspense que les affrontements psychologiques de personnages aussi "disparus" que ce que mentionne son titre.

Et cela fait plaisir de voir un Keir Dullea dans un autre rôle que celui de 2001 : a Space Odyssey de Kubrick.
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AtCloseRange
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965)

Message par AtCloseRange »

Pour les "Truffaut-philes", on voit Kika Markham pendant quelques secondes au début du film.
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Kevin95
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Re: Notez les films naphtas - Octobre 2010

Message par Kevin95 »

Bunny Lake Is Missing (Otto Preminger) Image

Alors je tiens à préciser que ce que je vais dire à propos du film de Preminger risque fort de changer avec le temps (et surtout les révisions) car j'ai découvert Bunny Lake Is Missing au cinéma dans une copie absolument improbable donc une bonne partie du film fut gâché par des sautes, des scratchs et autres coupes.
Bunny Lake Is Missing donc, voilà un film qui (à mon humble avis) n'aurait jamais vu le jour du moins sous son visage actuel sans Psycho du père Hitch. Les liens entre les deux films (que cinq années séparent) sont nombreux mais c'est surtout le traitement frontale, psychanalytique et stylistique de Preminger qui se rapproche de l'œuvre d'Alfred (y compris dans le traitement d'un personnage que je ne nommerai pas).
Concernant le film en lui même, c'est un cauchemar réellement fascinant, comme une ultime prise de risque par un Preminger habitué dans ces années 60 aux grosses machines interprétées par des stars (à titre d'exemple la même année il tourne un film confortable, In Harm's Way avec John Wayne et Kirk Douglas) mais qui ici se contente (et transcende) un noir et blanc, un casting de débutants et un budget limité. Impossible d'en parler sans dévoiler quelques twists mais pour faire court le parcours de cette mère qui cherche sa fille est prenant, étouffant et mets véritablement mal à l'aise avant un final aussi surprenant que pervers. Si Psycho plane sur le film, Bunny Lake annonce Rosemary's Baby dans son traitement de la paranoïa, du fantastique dans la réalité (certaines scènes du film sortent tout droit d'un film d'horreur de la Hammer) et de la solitude féminine (d'ailleurs le début du film est étrangement similaire avec le film de Polanski).
Seuls bémols, deux comédiens principaux qui ont tendance à sur-jouer (dont Keir Dullea que l'on retrouvera trois ans plus tard chez Kubrick dans 2001) et l'une des tares de Preminger, sa recherche obstinée de l'image choc et donc certaines idées paraissent exagérées ou de trop comme pour surligner (ou alourdir) ce que quiconque aura compris. Mais ce n'est que quelques détails car majoritairement la mise en scène du réalisateur est vivante, inventive, moderne (une caméra à l'épaule qui rendent les scènes de suspense troublantes) et par moment hystérique (la scène de la balançoire).
Un film à part mais indispensable, Bunny Lake n'a pas finit d'être recherché.
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Jeremy Fox
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Jeremy Fox »

Blue
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Blue »

Que d'avis mitigés pour ce Preminger que j'ai savouré avec un plaisir non feint. Que ce soit le générique du créatif Saul Bass, le pitch d'une efficacité redoutable dont Preminger ne révèle les clés que tardivement pour entretenir le suspense au maximum, le casting quatre étoiles, la mise en scène soignée et inventive, l'usage du scope dans un noir et blanc sublime (et belle copie chez Wild Side), les nombreuses scènes marquant la rétine et les esgourdes jusqu'au final cathartique... Ce n'est peut-être pas le sommet de Preminger, ni un "Psychose-killer", mais ça reste du très très bon cinéma.

8,5/10
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Alexandre Angel »

Blue a écrit :Que d'avis mitigés pour ce Preminger que j'ai savouré avec un plaisir non feint. Que ce soit le générique du créatif Saul Bass, le pitch d'une efficacité redoutable dont Preminger ne révèle les clés que tardivement pour entretenir le suspense au maximum, le casting quatre étoiles, la mise en scène soignée et inventive, l'usage du scope dans un noir et blanc sublime (et belle copie chez Wild Side), les nombreuses scènes marquant la rétine et les esgourdes jusqu'au final cathartique... Ce n'est peut-être pas le sommet de Preminger, ni un "Psychose-killer", mais ça reste du très très bon cinéma.

8,5/10
D'accord sur tout même si je trouve que la "révélation des clés" est un peu lourdingue.
Avant Scorsese et qui l'on voudra (attention: péremptoire!), la séquence du pub, brillantissime, est peut-être la première utilisation moderne, intelligente, avec les "good vibrations" qui vont bien, de la pop dans un film qui n'a rien à voir avec la musique : il s'agit d'une confrontation tendue entre Keir Dullea (pas encore propulsé dans l'espace) et Sir Laurence sur fond de Zombies. Jubilatoire.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par nobody smith »

Blue a écrit :Que d'avis mitigés pour ce Preminger que j'ai savouré avec un plaisir non feint. Que ce soit le générique du créatif Saul Bass, le pitch d'une efficacité redoutable dont Preminger ne révèle les clés que tardivement pour entretenir le suspense au maximum, le casting quatre étoiles, la mise en scène soignée et inventive, l'usage du scope dans un noir et blanc sublime (et belle copie chez Wild Side), les nombreuses scènes marquant la rétine et les esgourdes jusqu'au final cathartique... Ce n'est peut-être pas le sommet de Preminger, ni un "Psychose-killer", mais ça reste du très très bon cinéma.

8,5/10
Découvert il y a quelques jours et je plussoie. Je trouve que les critiques sur le scénario sont très compréhensibles, l'ambiguïté de la partie centrale étant entretenue par des développements narratifs bancals (en quoi la poupée peut-elle prouver à la police que Bunny existe bien ?). Mais la réalisation est si jubilatoire que ces imperfections ont tendance à être balayé. Et le générique de Saul Bass est effectivement génial :

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Addis-Abeba
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Addis-Abeba »

nobody smith a écrit :
Blue a écrit :Que d'avis mitigés pour ce Preminger que j'ai savouré avec un plaisir non feint. Que ce soit le générique du créatif Saul Bass, le pitch d'une efficacité redoutable dont Preminger ne révèle les clés que tardivement pour entretenir le suspense au maximum, le casting quatre étoiles, la mise en scène soignée et inventive, l'usage du scope dans un noir et blanc sublime (et belle copie chez Wild Side), les nombreuses scènes marquant la rétine et les esgourdes jusqu'au final cathartique... Ce n'est peut-être pas le sommet de Preminger, ni un "Psychose-killer", mais ça reste du très très bon cinéma.

8,5/10
Découvert il y a quelques jours et je plussoie. Je trouve que les critiques sur le scénario sont très compréhensibles, l'ambiguïté de la partie centrale étant entretenue par des développements narratifs bancals (en quoi la poupée peut-elle prouver à la police que Bunny existe bien ?). Mais la réalisation est si jubilatoire que ces imperfections ont tendance à être balayé. Et le générique de Saul Bass est effectivement génial :

Pareil, quoi le scénario qu'est ce qu'il a ???? Il est juste retord à souhait, j'adore, la mise en scène est royale, la photographie à pleurer, du très très grand cinéma, une belle claque quand je l'ai découvert.
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Thaddeus
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Thaddeus »

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L’enfance pandémoniaque


De prime abord, Bunny Lake a disparu renoue avec la tradition du Preminger intimiste, à l'action resserrée, après la série de fresques imposantes que constituèrent Exodus, Tempête à Washington ou Le Cardinal. Cette apparence entre en conflit avec l'évidence de la peinture prismatique précédemment développée par l'auteur de Laura, sans forcément que les deux registres ne se révèlent incompatibles. Tout commence dans l'ordinaire et la précipitation d'une journée d'emménagement. Ann Lake, fraîchement débarquée d'Amérique, et son frère Steven, journaliste en poste en Grande-Bretagne depuis peu, s'installent dans leur nouvel appartement de Londres et s'affairent, chacun de leur côté, aux tâches de circonstance. C’est la rentrée scolaire, et pour arriver à temps et accueillir les déménageurs, Ann dépose en hâte sa petite fille Bunny à l'école avant l'heure, demandant à la cuisinière de la surveiller jusqu'à l'arrivée des professeurs. Mais à midi, lorsqu’elle revient la chercher, la fillette demeure mystérieusement introuvable. L'inspecteur Newhouse, envoyé sur les lieux, ouvre une enquête dont les premiers développements font germer le doute quant à l'existence effective de l'enfant perdue, et s’interrogent par là même sur la santé mentale de la jeune femme affolée, que les indices accablent. À plusieurs reprises en effet, la présence physique de la petite fille est contredite par la disparition d’un accessoire, l’incohérence d’un détail ou la déclaration d'une tierce personne. Aucun témoin oculaire ne peut attester l’avoir jamais vue au sein de l'établissement, à commencer par le spectateur, bien que la mise en scène puisse en toute bonne foi l'amener à soutenir le contraire. Rendu à ce stade de l’énoncé narratif, il faut conseiller à l’imprudent lecteur qui n’aurait pas vu le film de ne surtout pas s’aventurer plus avant dans ces lignes. Bunny Lake a disparu est en effet fondé sur un twist qui survient à son terme, rééclairant totalement le sens des évènements qui l’amènent, et dont la révélation doit être préservée afin de ne pas écorner le plaisir du visionnage.


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On est d'emblée captivé par l'aisance de la narration, par la façon dont elle maintient un climat énigmatique autour du frère et de la sœur : il en sourd l'idée d'une complicité apitoyée, sans qu'on puisse vraiment savoir en quel sens elle s'exerce. Car Bunny, on l'apprend peu à peu à la faveur d’une mosaïque de témoignages où s'affrontent des égoïsmes inconciliables, fut d'abord une compagne imaginaire de sa mère, puis une poupée qui porta le même nom. Pendant les deux premiers tiers de l'intrigue, le suspense réside dans la mise en crise de l'affirmation formulée par le titre, que le générique de Saul Bass fait d'ailleurs apparaître à l'écran dans une typographie déjà à demi effacée, par le biais d'une suite de cartons dramatisant le motif de la déchirure, tant sur le plan visuel que sonore. L'épreuve intime endurée par l'héroïne prend vite l'allure d'un véritable cauchemar éveillé ; les situations les plus réalistes se voient insidieusement colorées par un onirisme diffus et retors ; le cache-cache général se construit sur les entrées et sorties successives de figures plus ou moins inquiétantes, à l’image du bailleur excentrique qui vient rendre à Ann une visite de courtoisie inopinée : poète ivrogne, sadomasochiste, chérissant avec ironie un crâne de Sade, et qui en passant se ferait volontiers flageller par des policiers. Montée sur dolly, la caméra s'approprie le moindre espace avec aisance et naturel, tout en mouvements complexes et en glissandos savants, mais sans jamais entrer dans un rapport de concurrence avec les acteurs, qui demeurent le centre nodal de toutes les préoccupations du cinéaste. Bunny Lake a disparu n'est pas sans évoquer quelques-uns des moments privilégiés de Laura ou de Mark Dixon, Détective : art de susciter la tension par de légers battements d’appareil, par des plans dont l’amorce captive chaque fois en faisant s’interroger sur sa résolution, par un décadrage subtil des comédiens, travellings sinueux qui créent le charme et le rompent à mesure, donnant ainsi le sentiment assez angoissant de la précarité des êtres et des objets montrés, qui semblent lâchés, poussés, repris comme par la main d'un destin occulte. Preminger est ce joueur malicieux qui sans doute aime à jouir du trouble qu'il installe en chaque scène, avec quoi il laisse ses personnages se débattre et dont, souvent, il les fait porteurs. Sa mesure, sa modestie, sa discrétion témoignent ici d'un style qui radicalise la dimension directive de l’image, et dont l'élégance et la perfection forment la racine invisible du moindre développement dramatique.

L’histoire nous fait vibrer à l'unisson d'une femme-enfant meurtrie et farouche, au sein d'une ville si férocement crayonnée que l’incongru peut y jaillir d'un simple embarras de voitures devant un théâtre. Ce Londres des années soixante, encore incrusté de suie, est un environnement moderne assez froid, triste, où les évènements paraissent tour à tour anecdotiques, faits divers, hyperboliques, sensationnels, un peu abstraits. Ann, elle, est de ces solitaires qui voient le monde se liguer contre eux. L’intensité fragile et touchante et le très convaincant chagrin qui caractérisent l’interprétation de Carol Lynley (par ailleurs fort jolie) concourent de façon décisive à la configuration paranoïaque du drame. Lors d’un passage caractéristique, Ann rencontre un réparateur, vieux bonhomme fantasmagorique qui, dans la pénombre, la prend pour une fillette en quête de son enfant (sa poupée). Puis, lorsque le criminel l'a assommée, elle se retrouve dans un hôpital et s'en évade par les sous-sols, témoignant soudain d'une énergie bestiale sous ses dehors de somnambule : la somptuosité symphonique de cette séquence égale celle des autres descentes eux enfers qui ponctuent tant de films de Preminger, lorsqu'un personnage, en quête de sa vérité, va en des lieux inconnus se trouver devant ce que nie sa plus obscure mémoire (Gene Tierney dans Le Mystérieux Docteur Korvo, Sal Mineo dans Exodus, Don Murray dans Tempête à Washington). Au sommet de la pyramide, la vieille directrice se délecte des fictions embryonnaires que lui ressassent ses disques de cauchemars enfantins. Cachant avec soin sa profonde motivation sadique, elle n'en est pas moins d'une lucidité aiguë face à Steven, lequel n’en manque pas à son tour pour dénoncer une employée qui, par crainte du scandale, a effacé toute trace de l'entrée de Bunny au jardin d'enfants. Quant à Ann, la frénésie factice qu'elle apporte à prolonger la cérémonie puérile qui assurera sa délivrance ne peut égarer sur la longue ambivalence de ses sentiments, ou plus exactement sur la passion parfaitement inoffensive où elle-même reste murée : le gros plan final la montre renvoyée à son essence, son visage se confondant tendrement avec celui de sa poupée. Lorsqu’elle raconte la naissance de Bunny à l’inspecteur sceptique, elle s’entend demander : "Et qu’en a pensé le père ?" Elle répond d’abord "My father ?". Lapsus typique de la situation subconsciente favorite des héroïnes d’Un si Doux Visage et de Bonjour Tristesse. Sous la très relative sérénité due à la disparition (elle-même "démentielle") de ce père, Bunny Lake a disparu s’affirme donc comme l’un des opus les plus obsessionnels de son auteur.


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La force du film et son véritable enjeu résident dans le fait de relancer sans cesse l'équivoque entre ce qui relève du leurre ou de la trace, du réel ou du fantasme, du désir ou du visible. À l’intérieur de ses grands desseins manipulateurs, le cinéaste explore l’incertitude. Point aveugle d'un récit enfiévré et agité, Bunny n'accède à la pleine matérialisation que dans les dernières séquences, comme par enchantement (son ravisseur la sort tout simplement du coffre de sa voiture de sport), ignorant avec à-propos les lois élémentaires de la vraisemblance, tandis que la mise en scène et la scénographie semblent gagnées par un pur fantastique psychologique, se développant scrupuleusement en deçà de toute codification stricte et balisée. Dès le premier plan pourtant, tout est posé et résolu. Troublant car, à revoir le film, on perçoit la clé de l’ouverture, qui est littérale et explicite : Steven entre dans le champ. Dans son mouvement il va vers un but, achève une activité. Il ramasse un ourson en peluche, effaçant la dernière marque d’une action dont il arrive. Malgré un ancrage immédiat dans le quotidien londonien, l’œuvre est peu à peu contaminée par la nuit d'un autre temps et par l'écho lointain mais tenace du pandémonium d'une enfance maladive. Celui où les masques et totems africains qui ornent l’appartement d’Ann et Steven soulignent une menace extérieure et sauvage. Comme dans un mauvais rêve, la netteté de la dramaturgie distille un flou relationnel et identitaire généralisé. Ainsi le sérieux Newhouse, soupçonneux mais bienveillant, endosse le rôle paternel dès que les circonstances portent au jour la véritable nature des liens entre Ann et Steven, qui ne sont pas époux comme les apparences l'avaient jusqu'ici laissé entendre. Paraissant agir sous l'emprise de l'hypnose, le frère incestueux devient alors l'ogre au visage d'ange qui achève d'impulser au film sa tonalité particulière de conte horrifique. C’est lui qui insuffle à la conclusion des accents de théâtre pulsionnel et régressif, de transe vaudoue et sacrificielle à laquelle échappe de justesse la petite Bunny. Ce dénouement décrit aussi l'impasse où les héros ont longtemps vécu et dont ils tentent de s'évader en niant la pesanteur, au cours de deux scènes d'une stridence symétrique où le trampoline mâle précède l'escarpolette femelle, tout comme dans l'acte d'amour. Pourtant, même à compter du moment où le doute sur l'existence de Bunny est objectivement levé, il ne suffit plus de la voir pour y croire. La fillette existe et n'existe pas à la fois ; lorsqu'elle accède au visible, il est déjà trop tard pour compter sur un quelconque effet de résolution doté d'un impact véritable, puisqu'on a bien compris qu'elle est l'enfant qu'Ann et Steven n'auront jamais eu ensemble, et que c'est précisément là que réside le fin mot de l'histoire. L'ultime réplique de Newhouse va dans le même sens, qui renvoie verbalement la mère et la fille au sommeil, c'est-à-dire quelque part dans les limbes, dans les marges flottantes et fluctuantes de la représentation, là où s'origine le sortilège essentiel du cinéma d'Otto Preminger.


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Beule
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Re: Bunny Lake a disparu (Otto Preminger - 1965)

Message par Beule »

Thaddeus a écrit : (...)La force du film et son véritable enjeu résident dans le fait de relancer sans cesse l'équivoque entre ce qui relève du leurre ou de la trace, du réel ou du fantasme, du désir ou du visible. Point aveugle d'un récit enfiévré et agité, Bunny n'accède à la pleine matérialisation que dans les dernières séquences, comme par enchantement (son ravisseur la sort tout simplement du coffre de sa voiture de sport), ignorant avec à-propos les lois élémentaires de la vraisemblance, tandis que la mise en scène et la scénographie semblent gagnées par un pur fantastique psychologique, se développant scrupuleusement depuis le début en deçà de toute codification stricte et balisée. Malgré un ancrage immédiat dans le quotidien londonien, l’œuvre est peu à peu contaminée par la nuit d'un autre temps et par l'écho lointain mais tenace du pandémonium d'une enfance maladive.
Je bois du petit lait. Rien que ce passage autour de la contamination fantasmagorique du réel par le simple truchement de la pure mise en scène aurait suffi à me donner envie de me replonger séance tenante dans un nouveau visionnage. C'est d'ailleurs chose faite à l'instant. Ces quelques lignes témoignant d'un brio quasi proverbial autant que d'une clairvoyance analytique bienvenue pourraient/devraient être opposées à tous ceux, nombreux, qui regrettent les insuffisances ou facilités scénaristiques du film. En tout état de cause, Thaddeus, ton texte tout entier est ce que j'ai pu lire de plus passionnant et de plus pertinent autour de cette œuvre depuis près de vingt ans qu'elle compte parmi mes quelques authentiques films de chevet. Et de loin.
Grand bravo et merci. :D
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