La Fille de Ryan (David Lean - 1970)
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La Fille de Ryan (David Lean - 1970)
Ryan's Daughter (David Lean, 1970). Même quand une guerre mondiale éclate, il reste toujours des petits bouts de terre à l'écart de la fureur. Loin des batailles, ce petit village d'Irlande n'est pourtant pas vraiment un havre de paix. Un camp de soldats britanniques rappelle la douloureuse soumission de l'île qu'une certaine cohabitation lasse ne rend pas plus douce. Le symbole de cette cohabitation est le pub de Thomas Ryan où Anglais et Irlandais boivent côte à côte, sans pouvoir se décider à se haïr ouvertement ou à fraterniser. Par la vitrine, on voit l'unique rue où la jeunesse désoeuvrée occupe ses journées comme elle le peut, entre jeux collectifs, médisances et vexations. Ce n'est pas un lieu pour la grande histoire. À l'écart de ce monde étriqué, Rose Ryan est une jeune femme qui aime à marcher sur la plage, lire des romans à l'eau de rose et rêver qu'il existe autre chose.
Ce qui frappe en premier dans le chef d'oeuvre de David Lean est l'ampleur de la production : un tournage en extérieur sur la côte sauvage de l'ouest irlandais, capté par un magnifique 65 mm Super Panavision. Le saisissant piqué de l'image, l'étourdissante profondeur de champ, aspirent le spectateur à l'intérieur des cadrages inspirés de Freddie Young. Le cinéma devient peinture, dans la longue tradition des peintres paysagistes, celle des Hollandais des 17e et 18e siècles (Ruisdael), jusqu'aux impressionnistes (Boudin). Ce choc visuel, jusqu'à l'extase des sens, est paradoxalement renforcé par l'âpreté de la narration. Jamais Lean ne cède à l'attrait de l'académisme et de la joliesse. Pleinement insérés dans ce cadre naturel hors norme, les hommes, femmes et enfants, infirmes, curé et soldats sont scrutés dans leurs moeurs, parfois barbares. Les conventions sociales qui encadrent tous les moments de la vie sont autant de barrières, d'étouffoirs que de garde-fous. Les aspirations et idéaux de chacun entrent en conflit avec la réalité des caractères. Les héros sont brisés et la gloire des armes est bien fragile face à la trahison : l'humanité est médiocre mais elle est rachetée par la force de la compassion de quelques-uns, une compassion violemment imprimée dans la chair des acteurs.
Parmi les ingrédients clefs de cette délicate recette, il faut rendre hommage à la maîtrise du temps du réalisateur. Les 3h20 du film semblent absolument nécessaires pour cerner des personnages dont la personnalité complexe ne peut se révéler que progressivement, sans prévisibilité ni surprise artificieuses. Le montage, alerte et inventif, permet de naviguer avec fluidité entre scènes narratives, tableaux d'une grande pureté graphique et d'étonnantes vignettes symboliques ou allégoriques, manifestant la maîtrise d'une écriture visuelle de grand style. Louons aussi la musique de Maurice Jarre, surprenante au premier abord, qui ne se cantonne jamais à une fonction illustrative et préfère jouer les contrastes, souvent audacieux.
Un mot sur la technique du DVD zone 1 : Warner peut parfois friser la perfection. La compression n'est jamais visible, ni dans les rides de l'océan, ni dans les ciels aux nuages mouvants. Les contrastes sont excellents et les couleurs sont saturées juste comme il le faut. On pourra déplorer les quelques tâches encore visibles sur la magnifique copie proposée, mais là ce serait franchement chercher la petite bête.
Ce qui frappe en premier dans le chef d'oeuvre de David Lean est l'ampleur de la production : un tournage en extérieur sur la côte sauvage de l'ouest irlandais, capté par un magnifique 65 mm Super Panavision. Le saisissant piqué de l'image, l'étourdissante profondeur de champ, aspirent le spectateur à l'intérieur des cadrages inspirés de Freddie Young. Le cinéma devient peinture, dans la longue tradition des peintres paysagistes, celle des Hollandais des 17e et 18e siècles (Ruisdael), jusqu'aux impressionnistes (Boudin). Ce choc visuel, jusqu'à l'extase des sens, est paradoxalement renforcé par l'âpreté de la narration. Jamais Lean ne cède à l'attrait de l'académisme et de la joliesse. Pleinement insérés dans ce cadre naturel hors norme, les hommes, femmes et enfants, infirmes, curé et soldats sont scrutés dans leurs moeurs, parfois barbares. Les conventions sociales qui encadrent tous les moments de la vie sont autant de barrières, d'étouffoirs que de garde-fous. Les aspirations et idéaux de chacun entrent en conflit avec la réalité des caractères. Les héros sont brisés et la gloire des armes est bien fragile face à la trahison : l'humanité est médiocre mais elle est rachetée par la force de la compassion de quelques-uns, une compassion violemment imprimée dans la chair des acteurs.
Parmi les ingrédients clefs de cette délicate recette, il faut rendre hommage à la maîtrise du temps du réalisateur. Les 3h20 du film semblent absolument nécessaires pour cerner des personnages dont la personnalité complexe ne peut se révéler que progressivement, sans prévisibilité ni surprise artificieuses. Le montage, alerte et inventif, permet de naviguer avec fluidité entre scènes narratives, tableaux d'une grande pureté graphique et d'étonnantes vignettes symboliques ou allégoriques, manifestant la maîtrise d'une écriture visuelle de grand style. Louons aussi la musique de Maurice Jarre, surprenante au premier abord, qui ne se cantonne jamais à une fonction illustrative et préfère jouer les contrastes, souvent audacieux.
Un mot sur la technique du DVD zone 1 : Warner peut parfois friser la perfection. La compression n'est jamais visible, ni dans les rides de l'océan, ni dans les ciels aux nuages mouvants. Les contrastes sont excellents et les couleurs sont saturées juste comme il le faut. On pourra déplorer les quelques tâches encore visibles sur la magnifique copie proposée, mais là ce serait franchement chercher la petite bête.
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Joli texte.
Moi, je voudrais surtout insister sur le romantisme intense qui parcourt le film et qui en fait le plus bouleversant de son auteur. Romantisme sur un plan général (donc pas lié nécessairement à la relation amoureuse contrariée) ; chaque compartiment du film dégage cette puissance romantique, dont bien sûr la mise en scène des paysages et des éléments de la nature qui amplifient les sentiments des personnages. La Fille de Ryan est complètement en décalage avec son époque (fin des années 60 - début des années 70) et c'est pour cela qu'il s'est totalement planté au box-office (David Lean en a été très affecté).
Moi, je voudrais surtout insister sur le romantisme intense qui parcourt le film et qui en fait le plus bouleversant de son auteur. Romantisme sur un plan général (donc pas lié nécessairement à la relation amoureuse contrariée) ; chaque compartiment du film dégage cette puissance romantique, dont bien sûr la mise en scène des paysages et des éléments de la nature qui amplifient les sentiments des personnages. La Fille de Ryan est complètement en décalage avec son époque (fin des années 60 - début des années 70) et c'est pour cela qu'il s'est totalement planté au box-office (David Lean en a été très affecté).
C'est mon film de 1970.AlexRow a écrit :Pour l'instant, c'est mon film du mois.
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C'est plus facile à expliquer pour ceux qui l'ont vu maisAlexRow a écrit :Je n'ai toujours pas vu le LVT. Des précisions ?AtCloseRange a écrit :Quelqu'un a-t-il déjà remarqué les points communs entre La Fille de Ryan et Breaking The Waves?
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un film assez exeptionnel mais qui néanmoins ne surpasse pas "Docteur Jivago". Visuellement somptueux, la photo est d'une beauté surnaturelle et rend justice aux magnifique paysage cotier irlandais. Le traitement historique et psychologique est excellent aussi dans sa description du nationalisme irlandais et de l'obscurantisme et la barbarie qui se manifestera à cause de l'isolation du village.
Par contre le bas blesse au niveau du traitement de l'histoire d'amour qui est loin d'etre aussi palpitante que "Docteur Jivago" ou meme le plus ancien et boulversant "Breve Rencontre" du meme David Lean malgré une scene de coup de foudre mémorable et une scene d'amour dans la nature magnifique. De plus l'interprétation est assez inégale, Robert Mitchum imperial et emouvant, Sarah Miles tres tres bonne mais qui manque un peu de charisme (contrairement à Julie Christie) et Christopher Jones est carrément insipide en soldat amoureux torturé par la guerre.
De plus un certaine froideur (exeption faite de la scene de coup de foudre, le lynchage de Rosy) fait qu'il ne se dégage pas toujours la meme émotion que "Docteur Jivago" et un manque de souffle épique parfois.
Par contre le bas blesse au niveau du traitement de l'histoire d'amour qui est loin d'etre aussi palpitante que "Docteur Jivago" ou meme le plus ancien et boulversant "Breve Rencontre" du meme David Lean malgré une scene de coup de foudre mémorable et une scene d'amour dans la nature magnifique. De plus l'interprétation est assez inégale, Robert Mitchum imperial et emouvant, Sarah Miles tres tres bonne mais qui manque un peu de charisme (contrairement à Julie Christie) et Christopher Jones est carrément insipide en soldat amoureux torturé par la guerre.
De plus un certaine froideur (exeption faite de la scene de coup de foudre, le lynchage de Rosy) fait qu'il ne se dégage pas toujours la meme émotion que "Docteur Jivago" et un manque de souffle épique parfois.
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La chaleur, le souffle épique et l'émotion, c'est justement ce que je regrette de ne pas trouver assez dans Jivago contrairement à Ryan. Comme quoi...Profondo Rosso a écrit : De plus un certaine froideur (exeption faite de la scene de coup de foudre, le lynchage de Rosy) fait qu'il ne se dégage pas toujours la meme émotion que "Docteur Jivago" et un manque de souffle épique parfois.
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Je fais également partie des personnes qui ne trouvent pas de souffle ni d'émotion dans Docteur Jivago (film que je trouve passablement chiant), et qui pourtant adorent La Fille de Ryan.
D'après ce que j'ai pu lire à propos du tournage : Christopher Jones était à l'époque une coqueluche des magazines, c'était le beau gosse "à la James Dean" du moment, ce pourquoi il a été choisi pour le film. Quand Lean a vu pendant le tournage à quel point il était mauvais, il aurait décidé de réduire considérablement son personnage, et de lui laisser le moins de dialogues possible. D'où ce personnage vraiment bizarre au final.
Pas d'accord non plus sur ce point, surtout parce que je ne suis pas fan du tout de Julie Christie, que je trouve bone actrice mais pas plus que ça. Sarah Miles a un rôle très différent de celui de Christie dans Jivago, et réussie bien à transmettre l'émotion et la fragilité de cette femme.Profondo Rosso a écrit :Sarah Miles tres tres bonne mais qui manque un peu de charisme (contrairement à Julie Christie)
Là par contre on ne peut être plus d'accord, Christopher Jones est mauvais.et Christopher Jones est carrément insipide en soldat amoureux torturé par la guerre.
D'après ce que j'ai pu lire à propos du tournage : Christopher Jones était à l'époque une coqueluche des magazines, c'était le beau gosse "à la James Dean" du moment, ce pourquoi il a été choisi pour le film. Quand Lean a vu pendant le tournage à quel point il était mauvais, il aurait décidé de réduire considérablement son personnage, et de lui laisser le moins de dialogues possible. D'où ce personnage vraiment bizarre au final.
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Dirk Bogarde aurait été un meilleur choix.Ou Michael Caine.-Kaonashi Yupa- a écrit :Là par contre on ne peut être plus d'accord, Christopher Jones est mauvais.et Christopher Jones est carrément insipide en soldat amoureux torturé par la guerre.
D'après ce que j'ai pu lire à propos du tournage : Christopher Jones était à l'époque une coqueluche des magazines, c'était le beau gosse "à la James Dean" du moment, ce pourquoi il a été choisi pour le film. Quand Lean a vu pendant le tournage à quel point il était mauvais, il aurait décidé de réduire considérablement son personnage, et de lui laisser le moins de dialogues possible. D'où ce personnage vraiment bizarre au final.
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Ryan's daughter est un film impressionnant de justesse, parcouru de fulgurances intenses, tout en étant splendidement serein.
Quand on regarde le film simplement et connaissant les prestigieux métrages de Lean, on se dit qu'on va avoir droit à du grand spectacle.
Non, Lean propose de mettre en avant ce qu'il avait toujours mis en termes narratifs, les plages intimistes (c'est le cas de le dire pour les plages ).
La nature, thème majeur du réalisateur devient un personnage essentiel, confrontant ainsi les tourments des événements sur les personnages.
Un film magnifique, d'une beauté à couper le souffle, d'une fragilité envoûtante.
Quand on regarde le film simplement et connaissant les prestigieux métrages de Lean, on se dit qu'on va avoir droit à du grand spectacle.
Non, Lean propose de mettre en avant ce qu'il avait toujours mis en termes narratifs, les plages intimistes (c'est le cas de le dire pour les plages ).
La nature, thème majeur du réalisateur devient un personnage essentiel, confrontant ainsi les tourments des événements sur les personnages.
Un film magnifique, d'une beauté à couper le souffle, d'une fragilité envoûtante.
Mother, I miss you