Joseph Losey (1909-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Federico
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Federico »

Profondo Rosso a écrit :Et c'est surprenant comme le fond sordide avec Mitchum anticipe la propre déconvenue de Mia Farrow avec Woody Allen et sa belle-fille des années plus tard...
Mouai bon, en même temps, dans le genre sordide, la même Mia Farrow avait peu avant épousé à 21 ans un drôle de zigotto de 30 ans son aîné... :fiou:
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Profondo Rosso
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Profondo Rosso »

Non mais là ce qui est troublant c'est qu'elle joue par anticipation la situation où elle sera placée avec Woody Allen et sa belle-fille (passant de la séductrice au cinéma à la victime dans la réalité), c'est un peu la vie qui rattrape le cinéma 20 ans plus tard. Ceci dit il semble que Sinatra a été un bon goujat avec elle durant leur mariage effectivement...
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Profondo Rosso »

La Grande Nuit (1951)

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Adolescent calme et sans histoire, George La Main assiste un soir à une punition terrible qu'inflige Al Judge, personnage haut placé dans la presse, à son père, Andy La Main, qui semble consentant. George s'empare d'une arme et erre à travers la ville pour retrouver le tortionnaire. Au cours de cette traque et de cette longue nuit, il va découvrir peu à peu certaines vérités, perdre ses illusions et laisser derrière lui son adolescence.

The Big Night est le dernier film américain de Joseph Losey qui fuira la chasse aux sorcières l'année suivante lorsqu'il qu'il est convoqué par l'HUAC pour son engagement communiste alors qu'il est en tournage en Italie. Le film noir et le mélodrame s'entrecroise ici pour ce qui est un grand récit de perte d'innocence. George (John Drew Barrymore), adolescent paisible et sans histoire va brutalement découvrir la violence physique et psychologique du monde des adultes lorsqu’il assiste à la sévère correction qu'inflige le ponte de la presse Al Judge (Howard St. John) à son père, sans réaction de ce dernier. On aura découvert un George très innocent et fragile, privé d'une présence maternelle et dont la figure d'autorité et de respect représenté par son père va être humiliée sous ses yeux, comme un symbole au moment où il fêtait son anniversaire, lui faisant ainsi quitter brutalement l'enfance. Dès lors ses propres frustrations se mêlent à la honte infligée à son père et souhaitant se venger et enfin s'affirmer il va traquer le coupable arme au poing au cœur de la nuit.

A l'image de ce caractère adolescent encore inconsistant, l'intrigue est assez décousue. Les rencontres au cours de cette nuit se font cocasse, tendre où dangereuse dans les cadres les plus divers et typiques du film noir : un match de boxe, un cabaret de jazz... Losey multiplie les astuces visuelles pour nous faire partager l'état d'esprit bouillonnant de son jeune héros tel le fondu entre le jeu du batteur de jazz et les coups de canne asséné à son père par Judge. On a quelques jolis moment avec l'apaisante rencontre avec une jeune femme qui semple comprendre et calmer la fougue de George mais celui-ci devra mener son odyssée vengeresse jusqu'au bout. Losey instaure une atmosphère urbaine et sombre où le décalage est constant avec le visage poupin de John Drew Barrymore, sa silhouette engoncé dans des vêtements trop large, dans un rôle trop lourd pour lui. Le face à face tant attendu avec l'agresseur est des plus intenses et surtout fruit de révélations qui remettront pas mal de certitudes en question. La narration alerte et resserrée (le tout dure à peine plus d'une heure) illustre à merveille le sentiment d'urgence de l'ensemble, erratique et speedé à la fois. Même si l'on est encore loin des hauteurs à venir, un Losey sacrément inspiré et prenant. 4,5/6
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Vanning »

De Losey, je connaissais

- The Prowler (1951) un film noir très réussi, un de mes préférés, avec un Van Heflin au mieux de sa forme et une Evelyn Keyes vraiment étonnante... Une mise en scène nerveuse, un rythme halletant. Pour moi comme pour James Ellroy d'ailleurs, un quasi chef-d'oeuvre. 9/10

- The Big Night (1951) film décevant, et raté pour des raisons évidentes : le découpage est mal foutu, ça m'avait paru assez bizarre au début, puis après avoir trouvé le bouquin de Michel Ciment (entretien avec Kazan et Losey), j'ai compris. Losey n'a jamais eu le dernier mot sur son dernier film américain. Le montage, ce n'est pas lui qui l'a réalisé. Il était déjà en fuite (blacklisté comme chacun sait).. Vraiment dommage car il y a de très belles scènes. 4/10

et là, je viens de voir :

- The Sleeping Tiger (1954). Son premier film tourné en Angleterre, et avec Dirk Bogarde (d'ailleurs, le nom de Losey n'apparaît pas au générique). L'histoire était assez intéressante de mon point de vue (la femme d'un psychiatre tombe amoureuse d'un repris de justice), mais le film avec le peu de moyens dont disposait Losey reste anecdotique. De belles scènes toutefois (Losey savait vraiment manier la caméra, placer ses acteurs) comme lors de cette balade à cheval : les amants se reposent sous un chêne. La fusion entre les deux êtres est vraiment palpable et Alexis Smith (qui joue le rôle de l'amante) est délicieuse. Malheureusement, le film part en jus de boudin dans son dernier quart d'heure. Dommage. 5/10

M'en restent tant à découvrir..
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Federico »

L'émission Mauvais genres vient d'évoquer The servant et Accident suite à leur sortie DVD/BR en copie restaurée.

(A écouter à partir de 1h25)
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par nobody smith »

De Losey, je ne connaissais que l’excellent Mr Klein vu il y a quelques années. Ça n’est pourtant qu’aujourd’hui que je me suis enfin décidé à jeter un œil à sa filmographie en commençant par son casse-gueule remake de M Le Maudit. Dans la présentation lors de sa dernière diffusion au cinéma de minuit, Brion citait le cinéaste qui n’était guère satisfait du film. Le projet ne l’enthousiasmait déjà pas à la base, le scénario a connu plusieurs réécritures et le montage a été revu de nombreuses fois pour passer la censure. Pourtant, le résultat est étonnamment fidèle à l’original. A la manière de certains cas récents, le remake paie cette fidélité puisqu’elle ne fait que démontrer l’inutilité de l’entreprise. Toutefois, Losey juge plutôt bien son œuvre en ajoutant qu’elle lui aura permis d’accomplir de belles choses cinématographiques. Certes, on est loin de l’expressionisme endiablé du Fritz Lang mais Losey signe néanmoins une mise en scène extrêmement solide comportant quelques belles idées.

Bien moins convaincu par La Bête S’Eveille, thriller psychanalytique qui a méchamment pris de l’âge. Le pitch est plutôt intéressant au premier abord : un psychiatre accueille chez lui un voyou qu’il compte soigner de son mal au grand dam de son épouse. Le délinquant profitant de la situation au départ va se mettre à projeter sa relation avec ses parents sur le couple. On a donc droit au déballage du traditionnel complexe d’Oedipe et consort. Si les rapports entre les différents personnages sont intéressants et la mise en scène de Losey sait les signifier par l’image, les mécanismes psychologiques restent assez grossiers et le récit se traîne lamentablement dans un dernier acte boiteux. Frustrant tant le film proposait de choses passionnantes.

Ça sera par contre un gros choc devant Pour L’Exemple. L’histoire n’a pas grand chose d’original avec ce procès d’un déserteur durant la première guerre mondiale mais Losey a su en tirer le meilleure partie. Il faut dire qu’il n’avait pas le choix en composant avec des moyens restreints (tournage d’une vingtaine de jours avec à peine 100 000 livres de budget). Evacuant toutes scènes de bataille, Losey circonscrit l’action intégralement dans une tranchée. C’est dans ce lieu unique qu’il tend à démontrer l’absurdité et l’horreur de la guerre. Ce choix le conduit à faire preuve d’une gestion de l’espace simplement extraordinaire. Le positionnement des personnages dans le cadre et l’utilisation des gros plans sont incroyablement bien pensés. Chacune de ces compositions et leurs alternances renforcent en permanence le propos du moindre dialogue. Le poids de la critique doit tout à cette cinématographie puissante instruite dès l’ouverture sur le monument aux morts. Plutôt que de se la jouer pontifiant, le film se fait électrisant et chaque image met au tapis. Sacrée découverte.
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Re: Joseph Losey

Message par nobody smith »

Nestor Almendros a écrit :LES DAMNES (Cinéma de Minuit)

Pas du tout accroché. Losey n'était pas intéressé par la science-fiction, disait-il: ça se voit! Si on peut éventuellement trouver un (très) léger regain d'intérêt dans la dernière demi-heure, le reste du film est d'un ennui colossal. Le film se traine dans une intrigue prétexte (et encore le mot "intrigue" est plutôt mal choisi) où l'action n'a pas grand intérêt, où les dialogues sonnent faux, où j'ai eu l'impression d'un ton très théatral (et ce n'est pas un compliment).
Film très rare, qu'il le reste :wink:
Poursuite de ma découverte de Losey avec ces Damnés. Si j’ai trouvé plusieurs avis assez dithyrambiques sur le forum, il n’y en a qu’un seul et il est négatif sur le topic du cinéaste. Ça tombe bien parce que je suis raccord avec le point de vue de Nestor. J’ai également ressenti un ennui terrible devant ce film pour le moins étrange. Je ne savais pas avant de lancer le film qu’il s’agissait d’une production Hammer et j’étais assez circonspect quant à la collaboration entre le studio et Losey. Le début ne se fait pas prier et démontre d’office la bizarrerie du projet. Losey n’est effectivement pas très intéressé par la science-fiction et il semble trouver plus de plaisir dans sa multiplication de personnage. Un touriste américain se fait agresser par des loubards, cet américain s’acoquille avec la sœur du chef de bande (incarné par un excellent Oliver Reed en prototype du Alex d'Orange Mécanique), une femme reproche à son compagnon d’être trop accaparé par son travail… La mention que le dit travail est classé top secret sera la seule attache au fantastique pendant toute la première moitié. Perso, j’ai surtout accroché à cette première demi-heure. Certes, on se demande où va nous emmener tous ces personnages et leurs petites histoires mais cela a au moins le mérite d’intriguer. Lorsque les protagonistes débarquent dans la "communauté", là par contre ça s’effondre. Je suppose qu’il y avait une volonté par cette rencontre de donner un nouveau poids aux rapports humains jusqu’alors décris, de les mettre en valeur comme représentatif de notre société. Malheureusement, je n’ai jamais trouvé que l’interaction entre le groupe et les personnages débouchait sur quelque chose de plus grand. Le long-métrage reste sur son déroulé austère, limite hermétique. A la fin, je reste toujours sur ce sentiment initial à m’interroger sur ce que le film voulait bien raconter. J’en viens même à trouver grotesque son propos particulièrement noir, tant rien dans le récit et les personnages n’auraient su me le justifier pertinemment.

Par contre, je dois admettre que la photographie est absolument magnifique. La mise en valeur des extérieurs est splendide, certains moments sont très efficacement emballés, l’utilisation des sculptures de Frink ajoute également un peu de saveur esthétique… Losey est loin d’avoir perdu ses moyens et sa réalisation arrive à offrir quelques belles choses qui font passer la pilule.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par nobody smith »

Beau rattrapage après la déception des Damnés avec l’excellent Figures In A Landscape. Là où Les Damnés échouait à transcender son sujet, Figures In A Landscape y arrive lui de manière remarquable. Le titre français (Deux Hommes En Fuite) résume tout ce qu’il y a à savoir de l’histoire et Losey joue avec brio de ce minimalisme. Le long-métrage évacue ainsi toutes explications sur le contexte, la nature des autorités pourchassant les personnages, les raisons de leurs emprisonnements… Des deux protagonistes, on n’apprendra d’ailleurs rien si ce n’est quelques anecdotes sur leurs passés mais n’aidant aucunement à comprendre la situation. Ce qui compte avant tout, c’est cette quête de liberté, ce besoin d’évasion. Et Losey d’exploiter ça magnifiquement, saisissant toute l’énergie injectée dans leur fuite tout en mettant en perspective leur petitesse au sein de ces incroyables paysages. Là encore, l’exploitation de ces environnements est renversante de beauté et décuple la fascination pour ce spectacle (pas trop étonné qu’ils aient dû se mettre à trois pour assurer la photographie). Le film use de ce genre de principes simples à l’écrin superbe pour toucher au cœur son spectateur. C’est le cas également de l’analogie entre les protagonistes avec des animaux ou de la dynamique du duo entre le vieux lascar grande-gueule (Robert Shaw, également scénariste) et le jeunot qui économise ses mots (Malcolm McDowell). De cette simplicité découle une sorte de force primordiale, un caractère sec et direct qui frappe à pleine puissance. Du coup, j’ai un peu plus de mal avec la dernière partie et l’arrivée des soldats. Le récit glisse un peu vers un parallèle avec la guerre du Vietnam qui affaiblit à mon sens l’entreprise. Reste quand même une sacrée œuvre et probablement mon film du mois.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Federico »

nobody smith a écrit :
De Losey, je ne connaissais que l’excellent Mr Klein vu il y a quelques années. Ça n’est pourtant qu’aujourd’hui que je me suis enfin décidé à jeter un œil à sa filmographie en commençant par son casse-gueule remake de M Le Maudit. Dans la présentation lors de sa dernière diffusion au cinéma de minuit, Brion citait le cinéaste qui n’était guère satisfait du film. Le projet ne l’enthousiasmait déjà pas à la base, le scénario a connu plusieurs réécritures et le montage a été revu de nombreuses fois pour passer la censure. Pourtant, le résultat est étonnamment fidèle à l’original. A la manière de certains cas récents, le remake paie cette fidélité puisqu’elle ne fait que démontrer l’inutilité de l’entreprise. Toutefois, Losey juge plutôt bien son œuvre en ajoutant qu’elle lui aura permis d’accomplir de belles choses cinématographiques. Certes, on est loin de l’expressionisme endiablé du Fritz Lang mais Losey signe néanmoins une mise en scène extrêmement solide comportant quelques belles idées.
Je m'aperçois que j'avais commencé à écrire un petit commentaire sur ce film lors après son passage au CDM il y a trois ans et que je ne l'avais jamais posté... :

J'avais vu ce remake du classique de Lang il y a trop longtemps pour en garder un souvenir précis... et c'est vraiment une belle re-découverte. Losey réussit le pari ô combien délicat de faire sinon oublier, du moins éviter la comparaison permanente avec l'original. Impossible de ne pas s'y référer au tout début avec la gamine au ballon qui se prénomme elle aussi Elsie mais très vite, on sent que Losey (qui aimait beaucoup ce film) a tenu à en faire une oeuvre personnelle.

Il est remarquablement aidé par la somptueuse photographie d'Ernest Laszlo et un tournage en décors naturels qui rappelle le meilleur du Jules Dassin de la même période. Et puis, bien sûr, par la composition étonnante et bouleversante de David Wayne qui joue sur d'autres registres que Peter Lorre, n'ayant pas comme lui un physique inquiétant mais plutôt celui d'un citoyen ordinaire, presque sans âge. Un petit garçon dans un corps d'adulte qui s'effondre en chouinant sur une table de café après avoir pris un oisillon dans ses mains. Son cri de désespoir à la fin, dans le parking en sous-sol, face au tribunal des bas-fonds n'a pas à rougir de la comparaison avec la géniale composition de Lorre.

Comme dans tout bon film noir, la galerie de second plan vaut le déplacement. Une belle brochette de character actors familiers du genre avec Howard Da Silva, Martin Gabel (qui copie-collera son rôle de big boss mafieux l'année suivante dans Bas les masques de Brooks), Jim Backus, Raymond Burr (en brute épaisse mais qui force un peu le trait), Glenn Anders (et ses petits yeux cinglés qui en firent l'inoubliable Grisby de La dame de Shanghai)... Et puis surtout la géniale composition de Luther Adler en avocat marron atrocement accro à la boutanche, sommé par Gabel de produire une plaidoirie avant d'être autorisé à téter du goulot.

Superbe séquence de la traque du tueur par les gangsters dans le gigantesque immeuble commercial désaffecté. Il faut que je vérifie mais j'ai cru reconnaître celui dans lequel se cachera Robert Culp dans Demon with a glass hand, l'un des plus fameux épisodes de la série Au-delà du réel...

Vérification faite : c'est bien le même Bradbury Building, dont l'architecture métallique hautement cinégénique servira aussi (entre autre) pour D.O.A. de Rudolph Mate, Chinatown, Blade Runner... et dernièrement pour The artist.

Dommage pour la fin qui tombe comme un cheveu dans la soupe avec les flics qui débarquent et emmènent tout le monde. Pour un peu, on dirait le baisser de rideau de Sacré Graal !
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par nobody smith »

Fin de mon cycle sur le cinéaste avec deux films noir pas totalement convaincant malgré quelques belles qualités : L’Enquête De L’Inspecteur Morgan et Temps Sans Pitié. Deux œuvres assez similaires, ce qui est naturel puisque Losey collabora avec le même scénariste dessus. Chacun tourne autour de personnages accusés à tort de meurtre et tentant de prouver leurs innocences face à des faits imparables. Le souci des deux long-métrages tient surtout au développement de leurs postulats. Et pourtant, les bases étaient prometteuses. Dans L’Enquête De L’Inspecteur Morgan, un jeune homme flâne dans l’appartement de sa petite amie avant de voir la police débarquer et le considérer comme le suspect idéal du meurtre de cette dernière. Losey ne met guère l’accent sur le suspense de la situation. Il accorde plus d’importance à son étrangeté qu’il développe au fil de conversations parfois abscondes. Avec une structure en huis-clos sur les 2/3 de sa durée, la mise en scène tombe d’ailleurs dans une théâtralité pesante. Le déroulement assez improbable de l’intrigue n’aide pas non plus, même si l’ensemble se laisse suivre grâce à tout son bagage thématique autour des apparences et de la manipulation. Seuls les flashbacks détaillant la relation des amants dégagent une véritable émotion sur laquelle la conclusion aura l’intelligence de rebondir.

C’est également dans le rapport entre ses personnages que Temps Sans Pitié trouve une émotion qui le maintient à flot. Le pitch (un père cherche à innocenter son fils la veille de son exécution) trouve sa force dans la relation conflictuelle liant les deux personnages. Bien que mise en scène avec plus de brio (la violente ouverture, les jeux de miroirs), l’intrigue est par contre peu passionnante entre un rythme assez mollasson (notamment dans les moments se la jouant ouvertement anti-peine de mort) et des personnages secondaires un brin caricaturaux (l’interprétation du coupable est bien irritante sur les bords). Il y avait de toute évidence un spectacle bien plus intense à tirer de cette belle matière première.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par G.T.O »

Découverte de Figures in a landscape. Sentiment mitigé devant ce film qui, paradoxalement, aurait gagné à être plus abstrait, tant il parait encombré par un fatras existentiel qui alourdit sa course. Deux films cohabitent ici difficilement: une chasse d'abord, inexplicable et abstraite, d'un duo par un hélicoptère noir (scènes aériennes hypnotisantes et effrayantes) et une relation bavarde, décalée, sursignifiante donnant l'impression de passer en revue plusieurs thèmes de société. Reste un film qui essaie d'aligner tant bien que mal sa course à un contenu politique, oscillant entre dénonciation et dépouillement.
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Message par Thaddeus »

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Le garçon aux cheveux verts
Orphelin de guerre recueilli par un ancien artiste de cirque, Peter voit un jour ses cheveux devenir verts. Étonnement. Réaction dans la petite ville américaine. Tempêtes sous un crâne. Morale de l’Histoire. Symboles. Déjà lourde de sens, l’idée devient pléonasme lorsque le garçon décide de cultiver sa différence comme une exhortation à la guerre contre la guerre. L’allégorie, qu’on accepte quand elle reste au stade de la féérie, gêne dès que la vie disparaît pour laisser place à la démonstration lénifiante. N’en reste pas moins une œuvre honnête, parfois touchante, pleine de jolis détails épars : la dignité de l’enfant au crâne tondu, la peinture du bonheur et de la vie simple d’un bourg encore tout marqué par le conflit, des adultes frottant affectueusement des cheveux châtains qu’ils ne craignent pas encore. 3/6

M
Paraît-il peu enclin à remaker un grand classique de l’écran, Losey s’en acquitte fort honorablement. Entre deux plans qui revendiquent son admiration pour le film de Lang, il en glisse d’autres qui cartographient la psychopathologie de l’assassin et, bien que fidèle au scénario original, s’en démarque en éclairant avant tout la névrose quasi sociale du meurtrier d’enfants, victime de la nécessité impérieuse pour tout homme de se montrer viril au sein d’une Amérique en quête de leadership mondial. D’où le principe d’une mise en scène soucieuse d’angles et de lumière, qui souligne la conductibilité du mal et la propriété anacyclique du crime, jusqu’à ce que le tueur, égaré entre ordre et désordre dans la vastitude sa folie, ne soit plus qu’un corps recroquevillé à mi-pente d’une rampe de parking souterrain. 4/6

Le rôdeur
Le film est bâti sur une intrigue très ramassée qui ramène au schéma tripartite cher à Cain et resserre encore l’action autour du couple, la femme restant cependant étrangère à la machination crapuleuse que l’homme exécute seul. Il traite d’un flic plus tordu que marron, un être moralement indécis, resté en marge du rêve américain, qui suscite à la fois le rejet et la magnanimité. Une mise en scène épurée y fait briller d’un éclat tranchant une atmosphère glauque et y organise une composition horizontale qui souligne l’architecture étirée, le déroulement des autoroutes, le désert environnant la ville fantôme. Ainsi le thème de l’échappée découle-t-il logiquement de cette esthétique, les personnages passant rapidement d’un état à l’autre, pris au piège d’une illusion de réussite et de conformisme. 4/6

La grande nuit
Si le récit évolue sous les dehors d’une enquête policière, il consiste davantage en la découverte d’un adolescent par lui-même, au moment où il devient homme, qu’en la résolution d’une énigme. Peu de suspense donc, et le dénouement où le père explique et se justifie est à ajouter aux faiblesses d’un script boiteux. Du moins a-t-il le mérite de dé-noncer les apparences, d’entériner une initiation, presque une éducation sentimentale, par laquelle le protagoniste fait l’expérience de l’adultère, de la violence, de la corruption, d’une vie et d’un monde ne correspondant pas à l’idée qu’il s’en faisait. Et lorsqu’aux meilleurs moments, le décor et le climat pèsent de tout leur poids sur l’action, on oublie les balbutiements de cette ébauche rudimentaire qui est loin d’atteindre l’achèvement des ouvrages ultérieurs. 4/6

Temps sans pitié
Avant même le générique, Losey montre le meurtrier de l’histoire et tue tout le suspense attendu, qui jouera donc ailleurs. Son ambition est manifestement de réaliser un film noir à la dynamite, débordant de force physique, sur le modèle d’En Quatrième Vitesse et de La Dame de Shanghaï. D’un point de vue politique, il cherche aussi à stigmatiser la corruption d’une société pourrie, sa désagrégation tant matérielle que morale. Mais si tout ce qui se rapporte au mouvement d’horlogerie interne est bien mené, si l’enchaînement rapide des séquences et les jeux de croisement des personnages maintiennent l’intérêt, c’est dans son portrait de père en faillite, alcoolique en quête de rédemption auquel Michael Redgrave offre une belle épaisseur, que cette course contre la montre est la plus convaincante. 4/6

Les criminels
Les agissements et la morale d’un homme ne sont-ils déterminés que par ses origines sociales et culturelles ? Oui répond Losey, qui s’inscrit ainsi dans la lignée existentielle du film noir tout en rafraîchissant ses codes et ses clichés. Dur mais pieux, condamné par l’évolution d’un gangstérisme fondé sur des valeurs nouvelles de marchandisation et de capitalisme, le bandit expérimente l’enfer pernicieux d’un véritable anathème, se battant vainement pour profiter d’une liberté illusoire. Le cinéaste décrit avec précision les règles en vase clos du monde pénitentiaire, montre les rapports de force, la corruption, la concurrence cruelle d’un univers qui s’apparente à l’enfer, en peaufinant une élégance feutrée, un sens du bonheur fugace qui viennent tempérer la noirceur du constat. 5/6

Les damnés
Premier engagement sur les traces d’une bande de zonards dans les rues de Portland, blousons noirs qui tabassent les touristes en sifflotant des airs rock et en faisant tournoyer des parapluies. En parallèle, une organisation étatique développe un sombre projet de domestication générationnelle. Orange Mécanique avant l’heure ? On le croit, avant que le film ne revête les accents d’un Village des Damnés à l’étrangeté diffuse, puis ne bascule dans l’inquiétude d’une parabole prémonisant le funeste devenir atomique du monde. Les sculptures pétrifiées, les cris des enfants enfermés sous les falaises au large de la ville, l’ombre de la Mort Noire qui plane au-dessus de notre destin commun prouvent que, même dans un genre a priori éloigné de son univers, l’inspiration de Losey reste féconde. 5/6

Eva
Un écrivain escroc est séduit par une courtisane de luxe, femme fatale et véritable mante religieuse : Losey dissèque sa déchéance en entomologiste et affronte l’enfer du couple dans une Venise hivernale et glacée. Épicentre du film, Eva est à la fois la tentatrice évoquée par la Bible, l’objet de la tentation et celle qui en interdit la jouissance. Les rapports de servitude, de soumission, de sadomasochisme, le processus d’avilissement qu’enclenche cette relation dévorante sont analysés en intégrant une dimension plus large (c’est la société qui les secrète), avec un grand raffinement esthétique et un regard architectural sur le décor – cercles, miroirs, statues, objets insolites cadrés dans des compositions élaborées, jeux de l’eau réfléchissant à l’infini des images ondoyantes et insaisissables. 4/6

The servant
L’histoire d’une désagrégation, d’une vampirisation, un film d’atmosphère qui voit le maître boire sa déchéance avec satisfaction et devenir littéralement le paillasson de son valet. On peut lire cette nouvelle étude d’un asservissement comme une variante du mythe de Faust. Elle repose sur une inversion subtile des valeurs, une mise en symétrie de comportements qui tiennent tout à la fois d’une homosexualité latente, d’une emprise psychologique perverse et de la contamination progressive du mal à l’œuvre dans l’inconscient. Tout passe encore par l’emploi travaillé du décor (l’escalier obsédant, les contre-jours, la neige), le recours à des dialogues raffinés, à des signes presque subliminaux. Mais cette intelligence est trop dénuée de sentiments, de vie, de chair pour vraiment susciter trouble et émotion. 3/6

Pour l’exemple
1917, les tranchées, un déserteur, on le juge, on le fusille. Ni mutin ni révolté, au plus épais des ténèbres d’une conscience obscure, il a fui sans savoir pourquoi, par dégoût physique de la boucherie. Il mourra comme il a vécu, en victime perdue et interrogatrice. La guerre ici n’est pas une toile de fond mais un champ clos soumis à un enlisement progressif, une pourriture envahissante figuré par la pluie, la boue et le grouillement des rats. Dans ce drame traité sans passion et avec une ironie amère, Losey refuse les prestiges d’une savante écriture au profit d’un dépouillement cistercien. Analyste plus que styliste, homme de théâtre plus que cinéaste, il montre non sans une certaine verbosité démonstrative que nulle justice n’est possible lorsqu’elle est rendue par la machine même qui broie l’individu. 4/6

Accident
Une nouvelle fois, c’est dans l’intervalle entre ce que l’on voit et ce que l’on pressent, dans les mille et un détails et signaux que la mise en scène laisse percevoir avec un art consommé de la suggestion et de l’allusion qu’il faut puiser la richesse de cette étude psychologique, dont la vénéneuse empreinte se nourrit de mystère et d’ambigüité. Les blancs de l’écriture d’Harold Pinter, relayés par le jeu intériorisé, presque passif, de Bogarde, laissent filtrer tout le désarroi d’une bourgeoisie aliénée qui joue l’initiative et la liberté, et dont les rituels sont décrits avec autant d’humour que de minutie. Car dans le monde guindé d’Oxford, les gentlemen en tweed voient leur intégrité morale grignotée par une corruption inconsciente, qui habille la peinture sociale d’une dimension presque métaphysique. Très subtil. 5/6
Top 10 Année 1967

Boom !
Il était une extravagante reine qui célébrait son cinquième veuvage dans une île fortifiée à proximité de Capri, au milieu d’un luxe insolent et de saturnales solitaires. Il était un ange de la mort qui entreprit, en costume de samouraï Yamamoto, d’apprivoiser la recluse mégère. Ni les falaises abruptes, ni le garde-chiourme nabot et ses chiens, ni la jolie greffière ne purent l’arrêter. Il vint, il la vit, il la conquit. Sans doute le cinéaste rêvait-il d’une danse macabre à l’image du griffon doré constituant l’emblème de Sissy la folle impératrice, d’un jeu de titans sous le soleil d’Italie, scandé par la rumeur des flots et le gémissement des âmes. Son film verbeux, théâtral, surchargé de symboles comme une robe orientale flottant sur un corps squelettique, est un demi-échec. Mais il vaut bien des réussites tièdes. 4/6

Cérémonie secrète
Rien de tel qu’un nœud freudien de névroses féminines pour mettre en valeur la subversive toxicité du cinéma de Losey. La main du réalisateur pour refléter les angoisses et les fantasmes d’un monde-pourissoir est peut-être un peu plus lourde et explicative que d’accoutumée, mais la vigueur et l’étincelante clarté de son style (qu’illustre une photo baroque et saturée du plus bel effet) demeurent intactes. Liz Taylor, prostituée meurtrie par la perte de sa fille, et Mia Farrow, nymphette mytho bien frappée, s’affrontent en un huis-clos perclus de sauvagerie perverse autour du transfert de personnalité, de la culpabilité et de l’aliénation mentale, que pimentent les saillies grivoises de Mitchum en satyre licencieux. Morbide et grinçant, ce petit théâtre des folies (in)contrôlées stimule, dérange, séduit. 4/6

Deux hommes en fuite
Après quelques films baroques, le cinéaste a peut-être voulu prouver qu’il était capable de réaliser une œuvre brutale, construite sur un schéma narratif qui fait la part belle à l’action. Soit deux prisonniers poursuivis par une armée étrangère et harcelés par un hélicoptère semblable à un gros oiseau de mort. Il s’agit d’une parabole (sur la guerre, la défaite inéluctable), mais cette fois dépouillée de tout ornement, de tout développement dialectique, consacrée exclusivement à dépeindre la fuite, la fatigue ou la haine : une attaque aérienne effleurant les hommes en rase-motte, une course à travers des meules qui flambent, une arrivée dans un paysage de neige comme symbole d’une liberté improbable. Le résultat, marqué du sceau d’un désespoir froid, est trop aride pour emporter vraiment l’adhésion. 3/6

Le messager
Conclusion de la trilogie pinterienne. De la chronique d’un été préadolescent dans l’Angleterre du début du siècle, Losey tire une initiation vibrante et habitée, doublée d’une étude des codes et mœurs de l’aristocratie britannique à la veille de la Grande guerre. Il capte émois, tabous et interdits avec autant de précision de finesse, faisant de cette œuvre raffinée une remarquable évocation de cette période de transition, de blessures et d’apprentissage qui est celle du sortir de l’enfance. La splendeur blonde des champs et de la campagne, les douceurs bucoliques du paysage, la beauté de la prise de vue y forment un cocon rassurant qui tranche avec la cruauté des rapports de classe et des amours interdits, jusque dans sa construction rétrospective et son final qui le voilent d’une mélancolie tenace. Très beau film. 5/6
Top 10 Année 1971

Monsieur Klein
Les films de Losey témoignent d’une cohérence absolue, son style est reconnaissable entre tous. On retrouve ici l’intellectualité distanciée, la conception rigoureuse et méticuleusement pensée de la mise en scène qui sont celles de l’auteur. Œuvre véritablement kafkaïenne, paradoxale, obscure et ambigüe, qui transforme la France de l’Occupation en territoire abstrait, absurde, étrangement inquiétant, cette description de l’évaporation, de la disparition progressive d’un homme, de son glissement de la tangibilité à la dépersonnalisation, procure une véritable fascination. Ses amis, ses rencontres pourraient peut-être le sauver ; mais n’est-il pas déjà de l’autre côté du miroir ? Il y a quelque chose d’antonionien dans cette méditation métaphysique sur l’identité, le double, la dépossession. 5/6
Top 10 Année 1976


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1. Le messager (1971)
2. Monsieur Klein (1976)
3. Accident (1967)
4. Les criminels (1960)
5. Les damnés (1961)

Un réalisateur important et extrêmement talentueux, explorant les complexités de l’homme moderne dans un esprit dialectique formé par une morale puritaine mais fasciné par les duels mortels que se livrent les individus. Je trouve parfois son cinéma un peu trop pensé, abstrait, intellectuel pour m’emporter totalement, mais il est indéniable que s’épanouit ici une forme d’art assez admirable.
Dernière modification par Thaddeus le 2 nov. 23, 17:56, modifié 2 fois.
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