Joseph Losey (1909-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Nestor Almendros
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Re: Joseph Losey

Message par Nestor Almendros »

LES DAMNES (Cinéma de Minuit)

Pas du tout accroché. Losey n'était pas intéressé par la science-fiction, disait-il: ça se voit! Si on peut éventuellement trouver un (très) léger regain d'intérêt dans la dernière demi-heure, le reste du film est d'un ennui colossal. Le film se traine dans une intrigue prétexte (et encore le mot "intrigue" est plutôt mal choisi) où l'action n'a pas grand intérêt, où les dialogues sonnent faux, où j'ai eu l'impression d'un ton très théatral (et ce n'est pas un compliment).
Film très rare, qu'il le reste :wink:
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Lord Henry
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Lord Henry »

Ce qui n'a pas empéché Michael Carreras, qui avait produit le film pour la Hammer, de chercher à retravailler avec Losey en lui soumettant - en vain - d'autres scénarios.
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manuma
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par manuma »

BOOM

Mon quatrième Losey après The Boy with Green Hair, vu il y a très longtemps au cinéma de minuit, The Romantic Englishwoman (vieux souvenir aussi ... d'un film soporifique au possible) et Figures in a landscape (mon préféré des 3). Fascinant 5 minutes, avec son décor incroyable, sa magnifique photo (Douglas Slocombe) et son casting peu ordinaire (le couple Taylor / Burton bien sûr, mais aussi la rare Joanna Shimkus, Michael Dunn - le Dr Loveless de The Wild wild west - et Noël Coward, prestation délicieuse d'ailleurs), et puis rapidement fatiguant. Quant à la signification de l'histoire, j'avoue qu'elle m'a complêtement échappée.
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Phnom&Penh
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

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Joseph Losey et Harold Pinter
Joseph Losey est né en 1909 au sein d’une vieille famille de la haute bourgeoisie puritaine du Wisconsin. En 1926, il abandonne ses études de médecine pour entreprendre des études de littérature à Harvard et s’inscrit dans un groupe théâtral, les Darmouth Players. Il réalisera sa première mise en scène théâtrale en 1933.
Nous connaissons surtout Joseph Losey comme cinéaste mais il a déjà 39 ans quand il réalise son premier long-métrage, Le Garçon aux Cheveux Verts en 1948, produit par la RKO. Il avait déjà réalisé quelques courts métrages dont un film d’animation avec des marionnettes, Pete Roleum and His Cousin, en 1939 (peut-être julien l’a-t-il vu ? :) )

Très marqué par la crise de 1929 et la misère sociale qui en fût la conséquence, Joseph Losey s’inscrit au Parti Communiste américain et lit Marx, Lénine et Staline. Ses années de jeunesse, il les consacre aux voyages, à la politique et au théâtre. Il fait un long déplacement en URSS dans les années 30, qui, loin de produire en lui un rejet à la André Gide, renforce son engagement politique. Il visite l’Europe, rencontre Bertold Brecht avec qui il montera Galileo Galilei, une vie de Galilée, à New York en 1947.

Quand il entreprend une carrière de cinéaste en 1948, Joseph Losey est donc déjà un artiste solide avec des idées fortes sur la mise en scène. Son expérience du théâtre marquera profondément son œuvre, un peu comme elle marque celle de son contemporain, Orson Welles. Ses origines patriciennes, sa vision de la société et ses idées politiques, qui marquent aussi fortement son œuvre, le rapproche d’un autre contemporain, Luchino Visconti.
Après Le Garçon aux Cheveux Verts, première œuvre très originale en Technicolor, Joseph Losey entame une carrière fulgurante avec cinq films noirs réalisés sur la courte période de 1950 à 1951, de The Lawless (Haines) à The Big Night (La Grande Nuit) en passant par M, un remake du film de Fritz Lang.
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The Servant: James Fox, Losey et Pinter
Son appartenance au Parti Communiste en fait l’une des premières cibles du maccarthysme, et, en 1952, il préfère fuir pour l’Angleterre plutôt que de répondre à sa convocation devant la commission des activités anti-américaines. Sa carrière est brisée et, afin d’éviter d’attirer l’attention, c’est seulement en 1954, sous le pseudonyme de Victor Hanbury, qu’il réalise un nouveau film à Londres, The Sleeping Tiger. Il réalisera trois films sous pseudonyme avant de reprendre une carrière sous son nom en 1959 avec Blind Date (L’Enquête de l’Inspecteur Morgan).

Dans les années soixante, Joseph Losey réalisera une série de grands films en Angleterre, notamment Eva (1962), The Servant (1963) qui sera un succès, et il obtiendra une consécration critique en remportant le grand prix du Festival de Cannes en 1971 pour son chef d’œuvre, The Go-Between (Le Messager).

Losey est un cinéaste complexe, à la fois esthète et intellectuel et les caractéristiques communes à ses films sont nombreuses. On peut en retenir rapidement quelques-unes.
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Dessin de Trauner pour Don Giovanni
Le décor est d’une importance capitale chez cet homme de scène. Non seulement les décors sont parfaitement travaillés, quelquefois avec la collaboration des plus grands décorateurs, comme Alexandre Trauner sur Don Giovanni (1979), mais ils ont parfois l’importance d’un véritable personnage. The Servant est un bon exemple avec une maison qui semble intervenir directement sur les protagonistes. Dès ses premiers films, Losey utilise beaucoup les miroirs, octroyant ainsi à ses décors des yeux avec lesquels ils semblent observer les acteurs. Les escaliers, en plongée ou contre-plongée, sont aussi très présents dans ses films.
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En lien, un texte sur le décor de The Servant:

Shakespeare et Pinter, la maison victorienne comme scène de théâtre

Celui qui, peut-être par provocation, se disait encore stalinien dans les années 70, porte un regard très noir sur la société contemporaine. Selon lui, le monde occidental éduque les hommes à se dominer mutuellement et à créer des hiérarchies qui ne reposent que sur le pouvoir des uns et la soumission des autres. Il ne faudrait cependant pas le prendre pour un théoricien au raisonnement simpliste. Les scénarios les plus politiques de Joseph Losey, comme celui de The Criminal - Les Criminels (1960), sont aussi très subtils.
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Joseph Losey a déclaré à plusieurs reprises qu’un homme qui ne savait pas reconnaître sa part féminine manquait de courage et les femmes de ses films ne sont pas les seules à disposer d’un certain pouvoir de séduction. Le héros de The Servant (1963) en fera les frais car, chez Losey, le pouvoir de séduction masculin est un pouvoir avant tout, qui vise à soumettre.
Bien que ses personnages féminins ne soient pas toujours d’une grande douceur, il semble que Losey voit la séduction féminine avec plus de compréhension, un peu comme un système naturel de défense face à l’instinct possessif du mâle. A partir d’Eva (1962) et jusqu’à La Truite (1982) en passant par The Romantic Englishwoman (1975), Joseph Losey développera des personnages féminins énigmatiques qui savent avec adresse et intelligence mettre à mal les trop évidents calculs des hommes.
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Pour définir Joseph Losey, cinéaste complexe et secret, j’aime bien ce rapprochement fait au sujet de Don Giovanni (1979) :
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Le regard neuf du cinéaste, auteur de The Servant, de Monsieur Klein semble s’être parfaitement retrouvé dans le sujet de Don Giovanni, un être solitaire et sans morale, pourfendeur de l’ordre social de son époque, le modèle du libertaire, séditieux et révolutionnaire, traître à sa propre caste, étranger pour le petit peuple. En Don Giovanni, il faudrait reconnaître le révélateur, qui n’appartient à aucun système établi, les rejette tous ; celui qui pointe du doigt les tares et les conflits latents. Autant la faillite de la société que celle plus terrifiante, des individus.

dans le texte en lien ci-dessous :

Don Giovanni, Losey ClassiquesNews

Sur un plan plus professionnel, Pierre-William Glenn, cadreur sur M. Klein (1975) raconte, en faisant référence à la splendide séquence de restaurant filmée à La Coupole, que Joseph Losey, en suivant simplement le cadreur derrière la caméra et sans avoir visualisé la bande, signalait à l’avance les petites erreurs de cadrage qui avaient été faites : l’œil du Sleeping Tiger (1954) ou L’œil du Maître selon Michel Ciment.

Il lui arrive aussi d'avoir une esthétique très sixties:
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Modesty Blaise: Monica Vitti et Terence Stamp
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Phnom&Penh
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Du théâtre au cinéma, Le Garçon aux Cheveux Verts (1948)

Le premier long métrage de Joseph Losey, réalisé pour la RKO, est une œuvre à la fois simple et très originale. Le générique, avec ses tons acidulés, donne une excellente idée du jeu des couleurs dans ce film.
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Supposé se passer dans la banlieue de Londres pendant la guerre, ce conte en Technicolor raconte les aventures d’un orphelin de guerre, Peter Fry, recueilli par la Police alors qu’il errait seul dans la campagne. Dans la première séquence du film, Peter Fry, qui a curieusement le crâne rasé, est gentiment interrogé par deux policiers auxquels il oppose un mutisme total.
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Survient un avocat auquel les policiers expliquent leur problème. L’avocat décide de prendre les choses en main et met en scène la suite des opérations. Il fait sortir les policiers, allume une lumière supplémentaire pour éclaircir la salle, avance un fauteuil qu’il propose au jeune garçon, et sort de son sac un petit-déjeuner qu’il propose à Peter de partager. Peter se sert, la caméra se rapproche en gros plan sur son visage, le champ – contrechamp et le dialogue s’engage, nous sommes passé du théâtre au cinéma.
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Plus tard, l’avocat trouvera un tuteur pour Peter Fry en le confiant à un homme âgé que le garçon surnommera Gramp (Pat O’Brien). Gramp est un homme de théâtre qui joue des rôles de clown mais les singeries auxquelles il se livre chez lui pour tenter de décrisper Peter ne feront qu’interloquer l’enfant.
Ce dernier, en revanche, est très interessé lorsque Gramp lui dit qu’il peut se sentir chez lui, prendre ce qu’il souhaite et ouvrir les tiroirs…
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Dès que Gramp est hors champ, Peter le prend au mot et brise un vase…Gramp revient, observe l’enfant, comprend la valeur des mots quand on entreprend d’éduquer et va chercher une balayette. L’enfant est conquis et saura vers qui se tourner quand, mystérieusement, il se réveillera un matin avec des cheveux verts.
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Ce film fait partie des films pour enfants qui restent très appréciables par les adultes. La mise en scène de Losey est encore discrète, les grandes thématiques viendront avec les films noirs qu’il réalisera ensuite. On y trouve déjà l’élégance, le goût de la provocation et le regard sur une société qui exclue quasiment par nature.

Je sais qu'il y a un topic dédié à ce film, mais l'idée est de chroniquer plusieurs films alors j'ai préféré tout mettre sur ce topic là. Mais je laisse Nestor gérer si ça ne convient pas :) .
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Tancrède »

un film magnifique, qui sait suggérer une sorte de tristesse infinie du monde avec un génie de la mise en scène incroyable. les séquences avec les enfants estropiés sont bouleversantes d'étrangeté poétique, quelque chose qui anticipe Lynch je trouve. ce n'est sans doute pas un hasard si Dean Stockwell deviendra un acteur récurrent de l'auteur de Blue Velvet.
A noter que le film est téléchargeable dans une copie de bonne qualité sur http://www.archive.org.
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Phnom&Penh
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Tancrède a écrit :un film magnifique, qui sait suggérer une sorte de tristesse infinie du monde avec un génie de la mise en scène incroyable
C'est vrai mais ce qui est bien c'est que ça reste poétique et assez diffus. Je n'en avais aucun souvenir et je me méfiais un peu de Losey pour les enfants mais je n'ai pas eu l'occasion de le regarder avant de leur passer.
Un peu comme dans le rapport entre Peter et Gramp, Losey prend les enfants au sérieux et donne un film qui certes ne fait pas rire beaucoup, mais dont le message reste optimiste. Certains personnages comme l'avocat (je me demande d'ailleurs s'il n'est pas plutôt médecin), Gramp ou l'institutrice sont très sympathiques. La tristesse est plus dans la mise en scène, le décalage couleurs acidulés / réalité, et la musique, c'est délicatement suggeré.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par julien »

Phnom&Penh a écrit :Il avait déjà réalisé quelques courts métrages dont un film d’animation avec des marionnettes, Pete Roleum and His Cousin, en 1939 (peut-être julien l’a-t-il vu ? :) )
C'est un film de propagande, tourné en technicolor, pour une firme de pétrole. Pete Roleum fait d'ailleurs référence à Petroleum. C'est une curiosité mais bon ça vaut pas les premiers courts métrages publicitaires d'Hermína Týrlová.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par The_Thing »

Pour ma part je n'ai que rarement vu un film à la précision (sauf chez Kubrick et Tarkovski) aussi chirurgicale que The Servant, mon film favori du maître, chaque plan transpire le cinéma au plus haut niveau et chapeau évidemment pour la direction et le jeu des personnages quasi parfaits. Un film aussi troublant que diabolique et par ailleurs par moment digne d'un rêve éveillé.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

The_Thing a écrit :Pour ma part je n'ai que rarement vu un film à la précision (sauf chez Kubrick et Tarkovski) aussi chirurgicale que The Servant, mon film favori du maître, chaque plan transpire le cinéma au plus haut niveau et chapeau évidemment pour la direction et le jeu des personnages quasi parfaits. Un film aussi troublant que diabolique et par ailleurs par moment digne d'un rêve éveillé.
Si tu aimes ce film, n'hésites pas à lire le texte assez long en lien, la maison victorienne comme scène de théâtre, ça devrait t'intéresser. Je l'ai trouvé par hasard en faisant quelques recherches sur internet et je ne connais pas l'intervenant, mais c'est une superbe analyse du film par l'architecture intérieure et la référence au théâtre élizabethain, avec de nombreuses citations de séquences du film. J'ai trouvé ça très éclairant et j'ai appris plein de choses. Ca montre aussi très bien à quel point Losey construit ses films dans le détail.
julien a écrit :C'est un film de propagande, tourné en technicolor, pour une firme de pétrole. Pete Roleum fait d'ailleurs référence à Petroleum.
Un film de pub pour un trust pétrolier...Oulah :mrgreen:
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

The Big Night (1951)

Il est un peu dommage de passer sous silence les films que Losey réalisa à Hollywood entre Le Garçon aux Cheveux verts et The Big Night, soit :
The Lawless - Haines (1950), The Prowler – Le Rôdeur (1951), M (1951), mais ils ne sont pour l’instant pas disponibles en DVD et je ne les connais pas. Ils ont très bonne réputation. The Big Night vient d’être édité en DVD (il est présenté comme inédit) chez Doriane Films et la copie est d’excellente qualité.
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Dans The Big Night, nous retrouvons plusieurs thèmes chers au film noir. Il s’agit d’une longue errance d’une nuit, qui va profondément changer la vie du protagoniste principal George La Main (John Barrymore Jr). Au début du film, ce dernier rentre dans le bar que tient son père, Andy La Main, après s’être fait chahuter dans la rue dans une scène qui met en avant l’immaturité du personnage. George est un jeune adolescent innocent, assez benêt, qui fête ce soir ses seize ans. Tandis que son père lui apporte son gâteau d’anniversaire, un personnage inquiétant rentre dans le bar et les clients font silence. George semble être le seul à ne pas reconnaître Al Judge, journaliste sportif, qui a visiblement de sérieux griefs envers son père, Andy. Le silence de la salle fait comprendre que les amis d’Andy, attablés au bar, n’ignorent rien du différent entre les deux hommes. Curieusement passif, Andy va obéir aux ordres de Judge, retirer sa chemise, se mettre à genoux et se faire sauvagement bastonner avant que Judge ne quitte le bar, sans autre explication.

Tandis qu’Andy est soigné à l’étage, George La Main, du haut de ses seize ans, commence à se faire son film. Il découvre un revolver dans la caisse du bar et entreprend de retrouver Judge pour venger son père. Son premier acte consiste à se déguiser en empruntant à son père une veste trop grande pour lui, une cravate et un chapeau.
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Jusqu’au petit matin, George La Main, de maladresse en gaffe, va errer à la recherche d’Al Judge, découvrant le monde de la nuit : une salle de boxe durant un combat, un bar louche, puis une boîte de nuit. Il accumule les bévues mais sans attirer notre sympathie. Ainsi, cherchant des renseignements chez des amis de son père, et isolé un moment dans une chambre, il fait le fanfaron avec son revolver devant une glace, réveille un bébé et se retrouve avec le bébé dans une main et le revolver dans l’autre.
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La séquence de la boîte de nuit est un très bel hommage au jazz et à Billie Holiday en particulier. J’avais écrit ailleurs, à propos d’Eva, que Joseph Losey avait peut-être écouté l’artiste à New-York dans les années 40 ; j’ai découvert depuis qu’il la connaissait bien. Losey écrivait ainsi, à propos d’Eva : "Ayant connu personnellement Billie Holiday avec John Hammond dès ses débuts de chanteuse à Harlem quand elle n’avait pas vingt ans, et l’ayant rencontrée à de nombreuses reprises ensuite, jusqu’à et pendant la dernière guerre…"
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Dans The Big Night, George La Main découvre le jazz qui, dans un premier temps le met dans un état d’excitation violente, ce que Losey rend très bien par un effet de surimpression d’images de Judge en train de frapper Andy La Main, sur le batteur en train de jouer.
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Puis, d’un coup l’atmosphère change totalement et la douceur du chant de l’artiste subjugue George.
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Il est à tel point bouleversé qu’il semble oublier ses désirs de vengeance. Comme souvent chez Losey, la femme serait un élément apaisant si le monde n’était pas organisé par les hommes. Régnant sur son univers, la chanteuse noire qui chante devant un public de blancs, impose par son art le calme et la volupté. George va l’attendre à la sortie et, dans une des scènes les plus belles du film, fait une déclaration d’amour enthousiaste à l’artiste, qui semble très émue…
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…jusqu’à ce que George, qui a malheureusement beaucoup trop bu, sorte la gaffe de trop : "vous êtes très belle, surtout pour une… "
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Le charme est rompu, George se retrouve seul, retourne à la recherche de Judge et découvrira une vérité bien loin de ce qu’il imaginait, en accumulant encore pas mal d'âneries.

Avec ce dernier film américain, Joseph Losey livre un film noir très élégant dans la forme. Sa maîtrise de la mise en scène est totale et lui permet d’aborder toutes les thématiques de style qui font sa particularité. Ce film très court (72mn) n’a pas de véritable défaut, même s’il manque peut-être un peu d’ampleur. Losey savait qu’il n’allait pas tarder à avoir des ennuis et il alignait les films avec frénésie durant les années 1950 et 1951. The Big Night est son dernier film à Hollywood avant l’exil.


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Hal Mohr, à gauche sur la photo de tournage de Captain Blood, dans le fauteuil Curtiz
Petite parenthèse sur le directeur de la photographie de The Big Night, Hal Mohr (1894-1974). Ce très grand professionnel travaillait là sur un de ses derniers films à Hollywood avant de rejoindre la télévision où il terminera sa carrière.
Parmi les films les plus connus sur lesquels il a travaillé, on peut citer :
The Front Page, Lewis Milestone (1931)
A Midsummer night’s dream, William Dieterle & Max Reinhardt (1935)
Captain Blood, Michael Curtiz (1935)
Le Fantôme de l’Opéra, Arthur Lubin (1943)
Rancho Notorious, Fritz Lang (1952)
The Wild One (L’Equipée sauvage), Laszlo Benedek (1953)
Baby Face Nelson (L’Ennemi Public), Don Siegel (1957)

Hal Mohr a été aussi le directeur photo sur The Jazz Singer (Le Chanteur de Jazz) d’Alan Crosland en 1927, considéré comme le premier film parlant, et il avait débuté sa carrière plus de dix ans auparavant, à l’époque du muet.
Tout le monde connaît le problème de la lourdeur des systèmes d’enregistrement des films parlants à leurs débuts, qui encourageaient à un certain statisme afin d’avoir une bonne prise de son et de ne pas avoir à déplacer tout le matériel trop souvent.
Hal Mohr est l’un de ceux qui a le plus lutté contre ce statisme en insistant sur le fait que la caméra devait pouvoir bouger autant qu’elle le faisait à l’époque de la fin du muet. Il aimait que la caméra puisse se mouvoir le plus possible et est à l’origine de plusieurs progrès techniques permettant d’aller dans cette direction. Il est réputé pour ses beaux mouvements de caméra et ses éclairages très doux lui permettant facilement de créer des atmosphères féériques.
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Père Jules
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Père Jules »

Je suis surpris de voir qu'Accident soit si peu cité dans ce sujet consacré au grand Joseph Losey. Un film fabuleux et un Dirk Bogarde au sommet.
Tiens peut-être une idée pour un prochain post dans mon blog. 8)
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Time without Pity - Temps sans Pitié (1957)

Ayant fui les USA plutôt que d’être auditionné par la commission aux activités anti-américaines, Joseph Losey réalisera trois films en Angleterre, sous le pseudonyme de Victor Hanbury : The Sleeping Tiger (1954), A Man on the Beach (1955) et The Intimate Stranger (1956). Time without Pity est donc le premier film de sa carrière anglaise qu’il réalisera à nouveau sous son nom. Les trois précédents ne sont pas disponibles en DVD (Sleeping Tiger l’est en fait dans un coffret anglais reprenant les autres titres du coffret français Studiocanal). Time without Pity est édité en Angleterre, mais dans une édition en anglais et sans sous-titres. La copie n’a pas été restaurée mais reste relativement correcte.
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Time without Pity, en 1957, est le premier film avec lequel la plupart des critiques vont découvrir le travail de Losey. Il fut d’ailleurs l’objet de la première critique cinématographique de Bertrand Tavernier. Un peu plus polar que film noir, Time without Pity est un film très énergique où l’urgence pointe à chaque moment.

David Graham (Michael Redgrave) débarque à Londres la veille de l’exécution capitale de son fils Alec Graham (Alec McCowen). Il arrive du Canada mais n’a pu se rendre à Londres qu’au dernier moment car il était en cure de désintoxication alcoolique. Son fils a été condamné pour le meurtre de sa petite amie, tuée au domicile de Robert Standford (Leo McKern), père de son meilleur ami, Brian Stanford (Paul Daneman).
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Nous savons que le fils de David Graham est innocent puisque le pré-générique du film nous a fait assister au meurtre, perpétué par Robert Stanford. Robert Stanford, industriel de l’automobile, campé par un Leo McKern qui trouve ici un de ses meilleurs rôles (pour vous repérer, Leo McKern est l’aubergiste de La Fille de Ryan de David Lean, mais là, il ne porte pas la barbe), est amateur d’art et il a étranglé la jeune femme dans une crise de fureur, sous l’une de ses toiles, un Taureau assailli par des chiens de Goya qui sert de toile de fond au générique.
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On peut noter d’ailleurs qu’il s’agit en fait d’un détail d’une toile qui représente au taureau sur lequel on lâche les chiens parce qu’il a refusé d’entrer dans l’arène. Je n’ai pas trouvé de reproduction de la toile mais celle d’une eau-forte la représentant :
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L’exécution n’a pu être repoussée et David Graham ne dispose que d’une journée pour tenter de prouver l’innocence de son fils. Nous, spectateurs du crime, savons qu’Alec Graham est innocent, David Graham en est persuadé, et rapidement, nous découvrons que personne ne s’oppose réellement à croire Alec innocent.
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Les gardiens de prison sont très aimables, les magistrats très convenables, tout le monde convient du fait qu’Alec est un gentil garçon, mais voilà, il a été condamné et il doit donc être exécuté le lendemain à l’heure prévue à moins que son père ne soit à même de produire une preuve irréfutable de l’innocence de son fils.
Le véritable auteur du crime, sans l’avouer pour autant, ne nie pas non plus son forfait et se comporte avec toute l’arrogance d’un gamin qui règne sur sa petite cour et ses jouets. Il a le pouvoir et le pouvoir fait le droit.
Dans le film, il apparaît en trois lieux qui lui appartiennent.
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Un appartement tout d’abord, à l’ameublement très moderne, avec de nombreuses toiles de maîtres, mais dont l’agencement, rigide, rectiligne et sans vie, dénonce l’appartement de parade d’un grand bourgeois plus que celui d’un homme de goût. La splendide toile de Goya, qui revient souvent dans le film, a l’air enfermé dans cet appartement comme le taureau mordu par les chiens qu’elle représente.
Un circuit automobile, ensuite, permet à Robert Standford de tester les bolides qu’il produit. A la façon dont il en parle, les faisant "gémir" et "grogner", et surtout à la façon dont il les conduit, on comprend vite que ses voitures lui servent de substitut sexuel et qu’il n’avait pas du conduire le jour où il a assassiné la petite amie d’Alec Graham.
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Enfin, le bureau dont il dispose sur son circuit et que nous découvrons à la fin du film, est son petit jardin secret. Les modèles réduits de ses voitures et surtout le grotesque portrait de lui qui y trône montrent que nous sommes là dans la chambre ou l’antre du sale gosse exigeant, irascible et mal élevé qu’il est resté. La dernière scène est, sur ce point admirable.

Le personnage de Robert Stanford est assez caricatural mais Losey ne fait pas de la psychanalyse à peu de frais. En bon anglais qu’il est devenu, il préfère les romans à la fréquentation des psychanalystes, et son film, sec et nerveux, se rapproche de la fable ou du conte plus que du roman à thèse. Leo McKern joue d’ailleurs très bien et son personnage, s’il est violent et vulgaire, reste très réaliste. Le scénario, lui, est l’œuvre de Ben Barzman, que Losey retrouvait après le Garçon aux Cheveux Verts et qui fera ensuite le scénario du réputé Blind Date – L’Enquête de l’Inspecteur Morgan (1959).
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Dans sa quête de preuves, David Graham est aidé par le fils de Robert, Brian Stanford, et surtout par sa femme, Honor Stanford. Méprisée par son mari, Honor va soutenir le moral de David quand il commencera à désespérer et se remettra à boire. Encore une fois chez Joseph Losey, la femme est le personnage noble du film, celle qui doit supporter une société construite par des hommes. Très maternelle, Honor Stanford est la véritable "justice" du film.

Time without Pity est un excellent policier, sans temps mort, dont l’intérêt est aussi qu’il est à la croisée des styles du cinéma de Losey. Les décors, ici sous la maîtrise de Richard McDonald avec qui Losey entame avec ce film une longue collaboration, deviennent une pièce maîtresse de la composition du film. C’est avec Blind Date (1959) et The Criminal (1959), l’un des derniers films noirs ou policiers de Losey et la construction de l’intrigue, dans ces trois films, devient plus psychologique qu’auparavant. C’est enfin le film avec lequel il réalise à nouveau sous son nom et entame une seconde carrière après la fin brutale de la première.


Petite parenthèse cette fois sur Richard McDonald (1909-1993). Décorateur de cinéma anglais très respecté, il a travaillé sur environ 30 films dont une bonne dizaine en tant que Production Designer avec Joseph Losey qui a lui-même réalisé une trentaine de films. On peut donc dire que le travail des deux hommes est très lié, d’autant que MacDonald a réalisé les décors de films parmi les plus importants de Losey, dans des styles très différents, de Time and Pity à The Romantic Englishwoman en passant par Eva.
Ci-dessous la filmographie de Richard MacDonald, en chronologie inversée, avec, en gras, les films décorés pour Joseph Losey.


The Firm - ( Production Designer / 1993 / Released / )
Jennifer Eight - ( Production Designer / 1992 / Released / )
The Addams Family - ( Production Designer / 1991 / Released / )
The Russia House - ( Production Designer / 1990 / Released / Shochiku-Fuji Company Ltd/Kuzui Enterprises )
Getting It Right - ( Man at Opera / 1989 / Released / Astral Films Ltd )
Coming to America - ( Production Designer / 1988 / Released / )
Space Camp - ( Production Designer / 1986 / Released / )
Plenty - ( Production Designer / 1985 / Released / Thorn EMI )
Electric Dreams - ( Production Designer / 1984 / Released / )
Supergirl - ( Production Designer / 1984 / Released / Columbia-EMI-Warner )
Teachers - ( Production Designer / 1984 / Released / )
Something Wicked This Way Comes - ( Production Designer / 1983 / Released / )
Cannery Row - ( Production Designer / 1982 / Released / )
Altered States - ( Production Designer / 1980 / Released / )
And Justice For All - ( Production Designer / 1979 / Released / )
The Rose - ( Production Designer / 1979 / Released / )
F.I.S.T. - ( Production Designer / 1978 / Released / United Artists Pictures Inc. )
Exorcist II: The Heretic - ( Production Designer / 1977 / Released / )
Marathon Man - ( Production Designer / 1976 / Released / )
The Day of the Locust - ( Production Designer / 1975 / Released / )
The Romantic Englishwoman - ( Production Designer / 1975 / Released / New World Pictures )
A Doll's House - ( Titles / 1973 / Released / )
Jesus Christ Superstar - ( Production Designer / 1973 / Released / )
The Assassination of Trotsky - ( Production Designer / 1972 / Released / )
Bloomfield - ( Production Designer / 1971 / Released / World Film Sales )
A Severed Head - ( Production Designer / 1970 / Released / Columbia TriStar Motion Picture Group )
Boom! - ( Production Designer(- production design) / 1968 / Released / )
Secret Ceremony - ( Production Designer(- production design) / 1968 / Released / )
Far From the Madding Crowd - ( Production Designer / 1967 / Released / )
Modesty Blaise - ( Production Designer / 1966 / Released / )
Eve - ( Production Designer / 1964 / Released / )
King and Country - ( Production Designer / 1964 / Released / Commonwealth United Productions )
The Go-Between - ( Titles / 1963 / Released / MGM Distribution Company )
The Servant - ( Production Designer / 1963 / Released / WEG )
The Criminal - ( Production Designer / 1962 / Released / Fanfare )
These Are the Damned - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1962 / Released / Columbia TriStar Motion Picture Group )
Chance Meeting - ( Production Designer(- production design) / 1959 / Released / )
Rally Round the Flag, Boys! - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1958 / Released / )
The Gypsy and the Gentleman - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1958 / Released / )
Time Without Pity - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1957 / Released / )
Finger of Guilt - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1956 / Released / )
Summertime - ( Titles(- titles painter) / 1955 / Released / )
The Sleeping Tiger - ( Production Designer(- production designer consultant) / 1954 / Released / Anglo-Amaglamated )

Joseph Losey s'est toujours entouré de nombreux excellents professionnels, raison pour laquelle j'essaie de faire un petit mot sur certains d'entre eux à l'occasion des posts sur un film.
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Tancrède
J'suis un rebelle, moi !
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Tancrède »

ha oui, il est génial celui-là.
aussi fort que du bon Fritz Lang.
Tancrède
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Tancrède »

et Redgrave ?
t'as pas parlé de Michael Redgrave ?
grand souvenir de Redgrave dans ce film.
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