Yasuzô Masumura (1924-1986)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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gnome
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par gnome »

Non d'accord avec toi. J'ai d'ailleurs découvert Red angel avec le DVD Z1. Mais pour partager avec la famille, les sous-titres français c'est mieux. Sinon, j'ai failli me ruer sur les arrow aussi, d'autant qu'ils sont sublimes. C'est ce que j'ai fait avec les Imamura et finalement c'est sorti en France (enfin, peut-être pas Zegen).
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The Eye Of Doom
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

Je comprends pas bien sur quoi tu es pas d’accord avec moi :wink:
Oui les sstitres francais c’est mieux !
Oui pour les films Arrow, a part Giant and Toys, les sstanglais c’est possible des lors qu’on a un niveau d’anglais « moyen .(heureusement pour moi!)
Oui etre fluent en japonais ouvrirai d’autres horizon…
でもとてもむずかちいです!
:)
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gnome
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par gnome »

Le sens de ma phrase était :
Non, le niveau en anglais ne doit pas être élevé, je suis d'accord avec toi...
En réponse à :
The Eye Of Doom a écrit : 8 mars 22, 13:52 Sinon, pas besoin d’un niveau extraordinaire en anglais pour suivre.
:wink:
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The Eye Of Doom
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

Par contre, plus de mal sur les suppléments non sstitrés, faut pas se leurrer… le petit livret compense.
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Profondo Rosso
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

Deux épouses (1967)

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Shibata, employé dans la maison d'édition de son beau-père, rencontre par hasard son ancienne amante. Elle lui raconte sa vie misérable et les mauvais traitements que lui inflige son concubin. Ce dernier débarque un jour chez Shibata et tente de le faire chanter.

Deux épouses est un film captivant où Masumura se trouve à la frontière de ses films dénonçant les travers du capitalisme et l'oppression du monde de l'entreprise (Géants et jouets (1958), Black Test Car (1962)) et ceux observant les maux de la sphère du couple (Confession d'une épouse (1961), Vixen (1969)). Le héros Kenzo (Kôji Takahashi) est ainsi un salaryman étouffé dans les conventions de son quotidien, tant dans son métier que son foyer. Il travaille dans une maison d'édition possédée par son beau-père (Masao Mishima) et dirigé par son épouse Michiko (Ayako Wakao). Il a renoncé pour cela à ses aspirations littéraires de jeunesse et à un amour passé pour Junko (Mariko Okada), cédant à la sécurité financière et à l'ambition. Il retrouve Junko bien des années plus tard bien mal en point et aux prises avec un amant abusif, Kobayashi (Takao Ito). Celui-ci apparait comme un miroir négatif de Kenzo, étant lui aussi un aspirant écrivain mais rêvant secrètement un mariage d'argent pour lequel il vise la belle-sœur du héros Rie (Kyôko Enami). Kenzo est ainsi contraint de laisser faire ou alors d'avouer ce passé à son épouse.

Le poids des apparences semble être la malédiction des tous les protagonistes. Il y a ceux pour lesquels ces apparences importent plus que tout, dans une quête de droiture morale impossible à tenir comme Michiko. On a également ceux qui y cherchent un refuge à leur condition sociale de manière implicite ou criminelle (Kobayashi et Kenzo), et enfin ceux qui en font une façade à leur vraie corruption morale comme le beau-père. Le début du film nous montre l'intransigeance de l'entreprise envers le moindre écart des employés qui pourrait en salir l'image, et plus particulièrement celle de Michiko à laquelle Ayako Wakao confère une allure pleine de dignité inquisitrice. Plus le récit avance, navigue entre les genres (un rebondissement brutal nous fait basculer dans le faits divers policier), et plus chaque protagoniste est confronté à ses contradictions, doit répondre de la figure saine qu'il croit incarner. Dès lors Masumura oppose l'ancienne amante Junko supposément avilie mais finalement portée par une pureté sacrificielle tandis que Michiko découvre sa part d'ombre et de lâcheté. Dans un premier temps Masumura oppose de façon manichéenne les environnements des deux "épouses", chambre insalubre et bar à hôtesse douteux pour Junko tandis que l'élégance du foyer conjugal, la modernité des bureaux d'entreprise dominent pour Michiko avec un travail sur la photo et gamme de couleur pour traduire cette différence. Progressivement les comportements se révélant de part et d’autre rendent intenable ce schisme et expose l'hypocrisie des aristocrates que symbolise Michiko. La fin du film suggère même ironiquement que c'est cette inflexibilité morale envers son entourage (son père auquel elle a refusé toute nouvelle liaison en mémoire de sa mère, sa sœur dont elle s'oppose au mariage) qui a précipité leur chute par réaction aux règles qu'elle leur imposait.

Ayako Wakao pourrait rendre ce personnage détestable et c'est tout l'inverse, enfermée dans sa tour d'ivoire d'intégrité, elle est condamnée à être respectée et crainte plutôt qu'aimée. Tous les symboles auxquels elles s'attachent s'avèrent imparfaits et corrompus, à commencer par elle-même. Michiko passe la dernière partie du récit à l'accepter et devient enfin touchante dans cette vulnérabilité. L'ensemble du casting est brillant (notamment Kôji Takahashi et ses faux airs de Gregory Peck japonais) mais Ayako Wakao est vraiment le cœur émotionnel de l'ensemble après avoir paru initialement si distante. Masumura explore tout un spectre de sa filmographie, du regard cinglant sur un système capitaliste aliénant où l'ascension repose sur le renoncement de soi, croisé à un regard sensible sur l'intimité du couple. 5/6
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Profondo Rosso
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

The Music (1972)

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Reiko "n'entend plus la musique", autrement dit, elle est incapable d'éprouver du plaisir sexuel. Son psychanalyste le docteur Shiomi va tenter remonter le fil de l'univers mental perturbé de sa patiente pour en comprendre la cause.

Les routes de l'écrivain Yukio Mishima et du réalisateur Yasuzo Masumura s'étaient déjà croisées pour Afraid to die (1960), une des quatre échappées en tant qu'acteur dans une réalisation du second. Deux ans après le rituel et médiatique suicide de Mishima, Masumura adapte un de ses plus fameux romans, La Musique publié en 1964. L'univers de Masumura et de Mishima partagent plusieurs thématiques faites de désir coupable, de défi à la société et de poésie morbide. Masumura a plutôt tendance à tourner ces problématiques vers le grand mélodrame flamboyant et sacrificiel L'Ange Rouge (1966), La Femme de Seisaku (1965), La Femme du docteur Hanaoka (1967), Jeux dangereux (1971)) souvent en réaction à un contexte social et historique, mais est aussi capable de pousser cette approche vers une épure névrotique et stylisée quasi terminale avec le stupéfiant La Bête aveugle (1969). Si dans ce dernier il plie le roman d'Edogawa Ranpo à ses obsessions, il est également capable d'atténuer ses penchants torturés pour se plier à l'ironie de l'auteur qu'il adapte comme dans l'excellent La Chatte japonaise (1967) d'après Jun'ichirō Tanizaki. The Music est de cet ordre-là, fidèle à l'ironie mordante du roman de Mishima tout en étant dans la continuité de la touche fiévreuse si caractéristique de Masumura.

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Reiko (Noriko Kurosawa) est une jeune femme perturbée par sa frigidité sexuelle, qui n'est que l'aboutissement d'un ensemble de symptômes dont le mal remonte plus profond dans sa psyché. En thérapie auprès du docteur Shiomi (Toshiyuki Hosokawa), Reiko va tenter de résoudre ce trouble et vivre pleinement son amour auprès de son petit ami Ryuchi (Kôji Moritsugu). Le spectateur en quête de subtilité pourra trouver grossières nombres d'analogies formelles, de séquences oniriques et de métaphores dans leur velléités psychanalytiques. C'est pourtant un élément présent dans le roman et que Masumura transpose parfaitement, tous ces éléments appuyés sont autant de chausse-trappes dans les confidences d’une Reiko mythomane qui mélange grands mensonges et dissémine quelques graines de vérité lors des séances. Mishima comme Masumura s'amuse des supposées connaissances que pensent avoir désormais les patients en psychanalyse et qui, dans le cas de Reiko, oriente par ses mensonges vers des diagnostics lui évitant de révéler les maux bien plus complexes qui l'agitent. On rit d'ailleurs plusieurs fois de la redite où après avoir narré ses demi-vérités pense avoir la solution, avant que Shiomi la rabroue et lui ordonne d'arrêter de s'auto-analyser. Cette même ironie règne aussi dans la caractérisation du psychanalyste quasi omniscient qu'est Shiomi. Le roman de Mishima était raconté à la première personne en adoptant son point de vue et nous faisait partager le mélange d'amusement et de fascination qu'il éprouvait pour sa fantasque patiente. Si Masumura ne reprend pas ce parti-pris, le jeu séduisant, autoritaire et professoral de Toshiyuki Hosokawa est très clairement teinté de cette ironie. Les séances de psychanalyse par leur dynamique évoquent presque la screwball comedy, dans un ping-pong verbal où la logorrhée plus ou moins fiable de Reiko se voit balayée dès qu'elle dérape par une réplique sèche et bien sentie de Shiomi. La disposition même des acteurs semble être un gros pastiche de séance psy, avec Shiomi tout-puissant, dominant stoïque plongé dans l'ombre en arrière-plan ou en plongée une Reiko montée sur ressort et ne tenant jamais en place dans le fauteuil de patient - mais plus tard la distance du "professionnel" et de sa patiente s'estompe dans ces moments pour devenir une proximité confiante et amicale. .

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Masumura sait néanmoins instaurer une émotion progressive dans le labyrinthe de confidences de Reiko et, sous la métaphore initialement grossière (car fausse) se distillent des éléments du vrai traumatisme et du désir coupable de Reiko. Là toute ironie s'estompe lorsque le terrible secret se dévoile (reposant sans trop en dire sur une attirance incestueuse) et les idées formelles géniales se multiplient, notamment celles concernant la symbolique des ciseaux. Manifestations de la haine de soi, des hommes et de sa sexualité refoulée, les ciseaux (et ce dès le générique) sont une extension ou une analogie de sa frigidité charnelle qu'elle retourne contre elle-même ou les autres dès qu'une terrible culpabilité s'empare d'elle. Masumura par une variation de la lumière, de la composition de plan et du cadre fait superbement ressentir les variations émotionnelles entre certaines séquences mensongères/ambiguës et leurs redites où le sens profond se révèle. C'est particulièrement vrai lors des deux séquences où Reiko se remémore un séjour de vacances dans un hôtel avec sa tante où une nuit un amant inconnu est venu la rejoindre. La deuxième fois et avec la révélation de l'identité de l'amant, la scène presque identique prend une tout autre portée. Plus le film avance et que les carcans psychiques de Reiko s'estompent, plus Masumura se montre frontal dans son postulat provocateur et les scènes de sexe dérangeantes, non pas dans leur filmage (le pinku de la Toei et le Roman Porno de la Nikkatsu ont brisés les tabous et ce genre d'érotisme est grand public) mais dans ce qu'elles expriment. A ce titre Noriko Kurosawa est une digne descendante des précédentes héroïnes déchirées de Masumura, assez stupéfiante d'hébétude, d'abandon et de plaisir alors qu'elle commet l'irréparable. A cela s'ajoute un sens de l'excès amusé qui amène un mélange de Pas de printemps pour Marnie distancié et de vrai mélodrame amoral typique de Masumura. Mishima et Masumura, une association qui fait forcément des étincelles. 5/6

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Arn
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Arn »

Découverte avant hier soir de La bête aveugle.
Je l'avais dans le viseur depuis longtemps mais je voulais lire d'abord le court roman d'Edogawa Ranpo qui en est à l'origine, chose faite tout récemment (excellente lecture par ailleurs). C'est assez différent, car le film ne s'intéresse qu'à la première partie du bouquin. Est donc laissé de côté tout l'aspect humour noir de l'ero-guro qui est une très grande réussite de Ranpo sur cette oeuvre qui arrive à amuser avec du parfois très glauque.
Le film a d'autres qualités pour lui et est tout aussi fascinant (Midori Mako n'y est pas étrangère), très malaisant, avec une seconde moitié qui m'a un peu fait pensé à L'empire des sens d'Oshima (ou à La Véritable histoire d’Abe Sada de Tanaka, vu quelques jours auparavant) pour cette montée en puissance érotico-masochiste.
Masumura joue parfaitement avec son décor surréaliste, et nous plonge dans une réflexion sur l'amour (le repli amoureux en particulier) et notre rapport aux corps dans ce très beau film qui me laissera des images gravés en tête pour un moment.

Vivement que The Jokers nous sorte L'ange rouge.
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Profondo Rosso
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

Arn a écrit : 9 févr. 23, 16:06 Découverte avant hier soir de La bête aveugle.
Je l'avais dans le viseur depuis longtemps mais je voulais lire d'abord le court roman d'Edogawa Ranpo qui en est à l'origine, chose faite tout récemment (excellente lecture par ailleurs). C'est assez différent, car le film ne s'intéresse qu'à la première partie du bouquin. Est donc laissé de côté tout l'aspect humour noir de l'ero-guro qui est une très grande réussite de Ranpo sur cette oeuvre qui arrive à amuser avec du parfois très glauque.
Le film a d'autres qualités pour lui et est tout aussi fascinant (Midori Mako n'y est pas étrangère), très malaisant, avec une seconde moitié qui m'a un peu fait pensé à L'empire des sens d'Oshima (ou à La Véritable histoire d’Abe Sada de Tanaka, vu quelques jours auparavant) pour cette montée en puissance érotico-masochiste.
Masumura joue parfaitement avec son décor surréaliste, et nous plonge dans une réflexion sur l'amour (le repli amoureux en particulier) et notre rapport aux corps dans ce très beau film qui me laissera des images gravés en tête pour un moment.
Oui c'est ça Masumura élimine la partie plus explicitement serial-killer et ero-guro pour mettre en avant ses thèmes de prédilection sur la romance passionnelle et morbide que l'on retrouve dans plusieurs de ses films dont L'Ange rouge justement. La Bête aveugle c'est vraiment le sommet abstrait de ce thème dans la filmo de Masumura. Vu que je vois que tu lis pas mal de Ranpo en ce moment je me permet de remettre la vidéo qu'on avait fait à Eastasia sur les adaptations d'Edogawa Ranpo au cinéma ça pourrait t'intéresser :wink:

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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Arn »

Ah oui en effet merci :)
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Arn »

Profondo Rosso a écrit : 16 nov. 21, 01:04 Jeune fille sous le ciel bleu (1957)

Masumura à l'image de la candeur de son héroïne ne fait cependant qu'effleurer le potentiel plus inquiétant de ces différents éléments. On est ici dans un registre de bienveillance exprimé par ce leitmotiv de toujours chercher du regard le bleu du ciel, quelques soient les maux et situations rencontrées. Observer ce ciel bleu ou le faire apparaître intérieurement en fermant les yeux, telle est la leçon de vie pour Yuko qui au bout du chemin retrouvera ses racines et rencontrera l'amour. On trouvera sans doute cela un peu lisse par rapport à Les Baisers et les réussites à venir mais Jeune fille sous le ciel bleu est une œuvre de transition prometteuse et attachante. 4/6
Vu hier soir, et c'est vrai que j'ai été un peu surpris du ton presque naïf du film, jusqu'à ce final très gentillet même si l'héroïne remet les points sur les i avec certains membres de sa famille.
Malgré ça, et dès le début j'ai été emporté par la fraicheur du film, bien aidé par la photo (les passages dans le village où à grandi Yuko, en bord de mer, sont particulièrement somptueux) et l'interprétation d'Ayako Wakao, qui m'a fait pensé à certains rôle d'Hideko Takamine, avec un personnage plein de vie, qui ne se laisse jamais abattre ni corrompre par la rudesse ou la malveillance des autres.

L'arrivée à Tokyo m'a bien fait marrer tellement ça pourrait être encore aujourd'hui un spot à peine parodique d'un français d'un milieu rural qui débarque à Paris avec avec cet apparent chaos, les gens pressés, pas sympa, ceux qui ont vrillés dans leur tête, etc :mrgreen:
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

A noter un posdcast de la cinematheque francaise :
Discussion autour de L’ange rouge, avec Cedric Anger, apres projection du film

Ici sous Spotify mais trouvable facile ailleurs.

https://open.spotify.com/episode/46FWQ8 ... zd2tiemc9w


Intéressant pour les réactions et interprétations a chaud du film. Finalement, au fil des discussions ressortent quelques caractéristiques bien connues du cinema de Masumura (du moins pour le peu que j’en connais).
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Profondo Rosso
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

L'École militaire de Nakano (1966)

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Au cours d'un étrange examen oral, un lieutenant comprend qu'il vient d'être intégré à l'école d'espionnage de Nakano. Coupé du monde pendant un an, formé à toutes les disciplines, il va devenir le parfait espion..

En 1962 Yasuzo Musumura signait un de ses meilleurs films avec Black Test Car, récit d'espionnage industriel où l'on observait les machinations machiavéliques entre des corporations dans une pure logique de concurrence capitaliste. Le film participait, avec Géants et jouets (1958) sur un thème voisin, remplacer le patriotisme belliqueux et fanatique d'antan par la fidélité sans failles ni scrupule à l'entreprise qui remplaçait indirectement le Japon en tant que collectif auquel prêter allégeance. L'école militaire de Nakano est en quelque sorte un retour aux origines, quand avant le profit financier, les manipulations, les complots et coups bas servaient le drapeau dans le monde du renseignement. Le scénario s'inspire de réelle école de Nakano qui fut le principal centre de formation du renseignement militaire de l'armée impériale japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Fondée en 1938 et dissoute en 1945, elle forma plus de 2500 agents qui en sortirent rompus à l'art du contre-espionnage, du sabotage, des opérations secrètes ou encore de la guérilla. Le film de Masumura mélange réalité et fiction pour dépeindre les premiers pas et coups d'éclats de l'école en observant la formation de ses élèves fondateurs.

Les pages d'actualités propagandistes ouvrant le récit agitent tous les fronts en cours et à venir pour le Japon, expliquant la nécessité d'une nouvelle réponse à ses menaces. Jiro (Raizô Ichikawa), un jeune officier de réserve va subir un curieux examen qui va l'amener à être sélectionné pour une mission secrète. Il va découvrir qu'il est, avec d'autres jeunes gradés d'élite choisi pour inaugurer une école d'espionnage basée à Nakano. Ils vont durant un an abandonner leur vie et leur identité pour acquérir à travers des disciplines physiques, intellectuelles et psychologique tout le bagage pour devenir de redoutables espions. Masumura alterne moment de vie où le groupe se soude avec la froideur de l'apprentissage où le savoir à maîtriser est aussi divers que l'art de la torture (à infliger ou à subir), l'ouverture de coffre-fort, les langues et la géopolitique. L'école est au départ une expérience dépourvue de moyens, vivant du mécénat militaire et seulement guidant par la fois de son directeur tandis que la conviction des élèves est plus vacillante. Parallèlement, Yukiko (Sachiko Murase), la jeune fiancée de Jiro inquiète de ne pas avoir de nouvelle se lance sans succès à sa recherche et décide d'intégrer le service de décryptage en tant que dactylo. Les deux intrigues vont bien sûr se rejoindre avec des conséquences tragiques.

Comme souvent au Japon et encore plus durant cette ère fasciste, le collectif prime sur l'individu et les élèves réfractaires sont rapidement ostracisé, écrasé psychologiquement (un suicide) voire physiquement (un seppuku contraint et forcé) par la force du groupe au nom de l'avenir de l'école. Le microcosme de l'établissement est une métaphore du Japon dont il s'agit de défendre les intérêts contre l'adversité extérieure. Masumura ne fait cependant pas de ses personnages des fanatiques décérébrés, qui sont conscients que le Japon est en grande partie responsable des menaces qui le guettent à cause de sa politique expansionniste à travers l'Asie. La flamme du patriotisme glacial naît ainsi d'une volonté de ceux se considérant comme l'élite de corriger les erreurs et de guider le pays dans la bonne direction. Il y a quelque chose de cérébral et d'habité à la fois dans l'union se faisant au sein des élèves qui se déploie peu à peu. On peut se demander si Arthur Harari a vu le film de Masumura tant le mimétisme est grand avec les scènes de formation de Onoda (lui-même passé par l'école militaire de Nakano) dans son , Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (2021) et qui offre part d'explication à la folie guerrière qui guidera ce dernier.

Après cette longue mise en place, l'heure est à la pratique avec la périlleuse mission de décrypter les codes de transmission des Anglais. Avec les multiples enjeux en cours, Masumura ne conçoit pas un piège aussi virtuose que dans Black Test Car mais parvient néanmoins à captiver dans une sorte de Mission: impossible (la série tv débutant la même année aux USA, elle n'a pu avoir d'influence sur le film) avant l'heure ou du John Le Carré nippon en exploitant les failles et petits travers de chacun pour arriver à ses fins. La dimension à la fois ludique et glaciale du complot en trait de se faire s'estompe cependant quand les enjeux vont rejoindre la vie personnelle que Jiro pensait avoir laissé derrière lui. La dernière partie est saisissante de noirceur lorsque, sans trop en révéler, Jiro gagnera ses galons d'espion impitoyable en étant capable de sacrifier la dernière chose qui le liait à l'humanité. Masumura laisse le spectateur à sa stupéfaction et son dégoût sans le moindre effet dramatique appuyé, la situation cruelle et la fin d'une victime innocente suffisant à nous faire ressentir l'ampleur du pas franchit. La voix-off de Jiro tout au long du film et plus particulièrement durant la conclusion a cette hauteur détachée et déterminée nous montrant la transformation du personnage, tout en proposant en contrepoint les moments de fraternité exaltée des élèves désormais prêts à mettre en pratique leur savoir sur tous les fronts possibles. Mal interprétée, la fin où Jiro part plein de détermination vers la Mandchourie pourrait presque faire passer le film pour une œuvre de propagande - ce serait mal connaître la filmographie de Masumura qui renvoie tous le monde dos à dos vu l'aperçu des méthodes anglaises tout aussi peu recommandables. Néanmoins, le potentiel narratif est là et le film engendrera deux suites Nakano Army School: Top Secret Command de Tokuzô Tanaka (1967) et Army Nakano School: War Broke Out Last Night Akira Inoue (1968) où Raizô Ichikawa reprend son rôle. 4,5/6
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