Joe Wilson a écrit :J'attendais beaucoup de cette découverte, et le film est à la hauteur de sa réputation tant Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon dévoile un rythme d'une mécanique abrupte et implacable. Petri parvient très vite à se sortir du piège d' un faux suspense, pour se concentrer sur le comportement d'un personnage figé dans sa toute-puissance.
Gian Maria Volontè est effectivement prodigieux, dans sa raideur forcenée et sa démesure. Il habite littéralement un rôle qui aurait pu sombrer dans le grotesque...au contraire, l'excès semble toujours être controlé au millimètre, ce qui lui permet de symboliser un système dans sa dimension fascinante et effrayante.
Quelques faiblesses, certes, au niveau du visuel, mais certains flash-backs marquent dans leur outrance plastique : la séduction de Florinda Bolkan libère, dans son obsession macabre, les fantasmes de Volontè.
Petri suit jusqu'au bout le ton de la satire, sans la moindre rupture, tant et si bien que l'on se demande si le propos ne va pas suivre une impasse. Mais le dernier tiers, entre absurdité, folie, et illusion, s'avère passionnant. Et la conclusion ouverte révèle une angoisse d'une brutalité sourde.
En filmant les visages de près, dans leurs traits voraces ou cédant à l'insignifiance, Petri exprime une panique avec beaucoup d'habileté. Le miroir déformé d'une société.
Entièrement d'accord avec Joe.
Un grand film.
Je tique un peu sur quelques points (des effets de réalisation un peu vieillis, une caricature lourde de l'appareil policier, le discours néo-fasciste avec les intonations mussoliniennes de Volontè que je trouve un peu maladroits dans le parallèle historique qui mériterait plus de nuances, de prudence...). Mais l'implacabilité de ce remarquable scénario, moins porté sur une quelconque mécanique à suspense que sur l'auscultation des tares de ceux qui exercent le pouvoir et l'autorité en Italie, est franchement jubilatoire. La réflexion sur la notion de citoyenneté, ce qu'elle est et ce qu'elle implique, m'apparaît passionnante, à l'image de ce mémorable personnage principal tiraillé entre sa propension larvée à l'autoritarisme bureaucratique et supérieur (cristallisant la dénonciation politique de Petri sur les dérives de l’État, imposant sa souveraineté jusque dans la propre exonération de sa caste de responsables) et sa conscience aiguë de la Loi qu'il souhaite plus que tout faire triompher. Cette Loi, c'est le nerf du film : instrument de légitimité gouvernementale, règle suprême, garante et ciment de la bonne organisation sociale (voir à ce titre le plan éloquent sur des Tables de la Loi sculptées sur l'église face à l'appartement de Terzi, après que Volontè l'ait tuée), elle est chez Petri bafouée et révérée, dans un paradoxe permanent pointant le dysfonctionnement d'un appareil républicain perverti par son propre zèle, voire ses prédispositions autoritaires, et sa crispation face à
l'ennemi, ce terrorisme d'extrême-gauche constituant un second fil rouge. Le cinéaste renvoie finalement dos-à-dos les anars et les fonctionnaires, montrés comme des profiteurs selon les circonstances, piétinant et fragilisant le statut de citoyen, avec toute cette responsabilité civile et civique au sein de la communauté que cela induit (et le déroulement de l'action à Rome, berceau d'une citoyenneté antique semi-universelle, accentue subrepticement cette polémique). Dans cette peinture satirique mais aussi diablement glaçante, parce que l'Histoire politique italienne du XXe siècle regorge de dérives, et parce qu'il y a dans cette démonstration un caractère toujours très actuel, le Commissaire a des allures de pion kafkaïen, honnête parmi les honnêtes, mais aussi monstre en puissance, que laisse courir une hiérarchie que l'ambiguïté du finale achève de rendre inquiétante.
P.S. : difficile d'oublier le célèbre thème de Morricone après avoir vu ce film.