Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Demi-Lune »

A l'occasion d'une révision du film, je recopie un commentaire écrit ailleurs à l'occasion d'un ancien échange avec Père Jules.

C'est le Hitchcock qui divise le plus et quand je l'avais découvert, j'avais également du mal à y voir un film majeur. Les transparences foireuses, les matte-paintings hyper voyants, l'aspect psychanalytique schématique... je ne comprenais pas trop ce qu'il avait tenté de faire et avais tendance à y voir le signe du déclin artistique du gros Alfred.
Et puis j'y suis revenu des années plus tard et là, ça a été une véritable Révélation.
Marnie est, ni plus ni moins, le film le plus personnel et obsédant de Hitchcock avec Vertigo. Celui où il n'a jamais été aussi à cœur ouvert. Oui, je suis péremptoire. :mrgreen:
Pour moi, l'intérêt du film se situe moins dans l'élucidation du blocage de Marnie (ce fameux didactisme psychanalytique) que dans la manière totalement retorse et géniale avec laquelle Hitch orchestre cinématographiquement cette fascination pour son modèle féminin, qui m'apparaît comme l'aboutissement de toutes ses obsessions et fantasmes. Comme Vertigo avec Novak, Marnie avec Hedren est un film où il est sexuellement contrarié car son idéal féminin se confronte à la réalité d'une relation professionnelle conflictuelle. Dans les deux cas, cette insatisfaction se ressent profondément dans tout l'aspect fétichiste et cruel du film et Marnie devient ainsi la propre psychanalyse de Hitchcock : il construit un fantasme de femme, sophistiquée et pourtant déséquilibrée, fille en quête d'amour et femme antipathique, qu'il magnifie et humilie, dans un dilemme freudien permanent. Avec Vertigo, c'est vraiment le film le plus "total" qu'il ait réalisé et l'un des plus ambitieux plastiquement. Il y a beaucoup de Hitchcock lui-même dans l'attitude du personnage de Connery qui prend dans ses griffes sa petite voleuse et l'aime autant qu'il en dispose. Marnie est le film d'un grand malade romantique et maniaque et c'est pas étonnant que ce soit celui, avec Vertigo là encore, qui ait laissé l'empreinte la plus profonde chez toute la génération fétichiste de Truffaut, De Palma, Lynch, Scorsese, Wong Kar-Waï, Argento... La scène de décoloration des cheveux, la scène de viol, la tentative de suicide dans la piscine, l'incompréhension mère/fille, les pulsions phobiques, etc, tout le film suinte le vertige et la douleur comme si Hitchcock était dans une transe morbide et Herrmann l'a parfaitement compris en sublimant ce testament d'une partition ensorcelante et déchirante. C'est un Hitchcock très à part, ne serait-ce que parce qu'il sacrifie au suspense ludique une logique beaucoup plus intériorisée, mais à mes yeux, c'est un chef-d’œuvre indispensable et inépuisable.
Dernière modification par Demi-Lune le 8 déc. 13, 17:42, modifié 1 fois.
Federico
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Federico »

Demi-Lune a écrit :Il y a beaucoup de Hitchcock lui-même dans l'attitude du personnage de Connery qui prend dans ses griffes sa petite voleuse et l'aime autant qu'il en dispose.
C'est clair qu'il n'est pas besoin d'avoir étudié la psychanalyse pour comprendre qu'Hitchcock a du un peu beaucoup se fantasmer en Connery, alors l'archétype du mâle alpha (archétype qui fit le même effet sur une grande partie de la population masculine et féminine de l'époque sinon la franchise Bond n'aurait pas aussi bien fonctionné). Mais il faudrait que je revoie Marnie parce que c'est justement Connery, que je trouve très mal à l'aise, qui me pose problème. J'en viendrais presque à imaginer que c'est justement parce que ce formidable acteur réalisa qu'il jouait la projection d'Hitchcock...
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Demi-Lune
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Demi-Lune »

Federico a écrit :Mais il faudrait que je revoie Marnie parce que c'est justement Connery, que je trouve très mal à l'aise, qui me pose problème. J'en viendrais presque à imaginer que c'est justement parce que ce formidable acteur réalisa qu'il jouait la projection d'Hitchcock...
Professionnellement et artistiquement, les deux se sont pourtant bien entendus car Hitchcock voulait prendre Connery sous contrat de trois films. Mais Connery a décliné car à cette époque, il cherchait à en finir avec la saga Bond et ne voulait pas retomber dans une autre forme d'engagement à long terme.

Moi, mon grand regret restera le capotage du come-back de Grace Kelly, pour qui le rôle de Marnie était destiné. Je fantasme de savoir comment elle l'aurait joué et comment le film en aurait été affecté... car s'il est aussi obsédant et tourmenté, c'est bien parce que Hitchcock bute contre Hedren, qu'il veut en faire sa créature, chose qu'il ne se serait jamais permise avec Grace Kelly avec laquelle la relation était respectueuse et fusionnelle.
C'est d'ailleurs fascinant, quand on y repense. C'est peut-être du freudisme de bas étage, mais c'est exactement la même chose qu'avec Vertigo. Hitchcock voulait à tout prix sa protégée Vera Miles pour jouer Madeleine, et elle l'a lâché. Non seulement son orgueil en prend un coup mais en plus son idéal féminin lui échappe, et cette frustration nourrira totalement son rapport professionnel avec Kim Novak, conflictuel et difficile car l'actrice ne se laisse pas faire et ne correspond pas à ses canons. Paradoxalement, cela renforce d'autant plus le film qui parle justement du fantasme, de l'idéalisation, de la douleur de ne pas retrouver la femme rêvée même quand on veut la recréer... Et rebelote avec Marnie : Hitch déroulait le tapis rouge à Grace Kelly et ça n'a pas pu se faire. Pour la seconde fois, l'idéal féminin s'évanouit. Là encore, le film deviendra malgré lui un commentaire sur cette volonté hitchcockienne de "soumettre" son fantasme.
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Père Jules
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Père Jules »

Je campe sur mes positions. J'ai trouvé le film aussi irritant que ridicule. Tu parles de freudisme à la petite semaine, c'est tout à fait ça.
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Demi-Lune
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :Tu parles de freudisme à la petite semaine, c'est tout à fait ça.
Mais de quoi parle-t-on, du mystère autour du refoulement de Marnie, ou de la surcouche du film sur le fantasme hitchcockien ? Car s'il s'agit de la première option, encore une fois si je comprends très bien tes réserves, il me semble que la progression psychologique des personnages (Marnie, Rutland ou même un personnage effacé comme sa sœur possessive) est bien plus intéressante que la simple "solution" au problème. Marnie est un drame, comme Vertigo. Le film développe un vrai beau portrait de femme complexe et une histoire d'amour retorse. Je crois qu'aucune femme dans l’œuvre hitchcockienne n'a fait l'objet de tels égards : c'est vraiment le point de vue de l'héroïne. L'élucidation du blocage de Marnie est bien entendu un point de mire narratif et donne sa substance psychanalytique au film, mais en creux se déroule pour moi quelque chose de plus important encore : la fissuration d'une femme froide et compulsive (définie dès le départ comme changeant à sa guise d'identités, elle va devoir tomber le masque) et le chantage amoureux qui l'unit, maintenant qu'elle a été rendue vulnérable, à l'homme qui la désire et veut l'aider.
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Père Jules »

Tu connais le film beaucoup mieux que moi, j'aurais donc du mal à en parler de façon argumentée. Toujours est il que les rares choses qui trouvent encore un écho dans ma mémoire (hormis cette séquence absolument ridicule - mais que tu justifies plutôt bien - des plans figés sur le visage de Tippi Hedren suivant l'incendie) ne me semblent jamais donner corps à ce "portrait de femme complexe" comme tu dis. C'est trop schématique, trop "psychanalyse pour les nuls", trop grotesque en somme, pour me convaincre une seconde.
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :Toujours est il que les rares choses qui trouvent encore un écho dans ma mémoire (hormis cette séquence absolument ridicule - mais que tu justifies plutôt bien - des plans figés sur le visage de Tippi Hedren suivant l'incendie)
C'est dans Les oiseaux, ça. :wink:
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Père Jules
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Père Jules »

Oh putain, tu vois, j'en viens même à les confondre tellement ils m'ont peu passionné (pour l'un) et insupporté (pour l'autre). :oops:
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Ikebukuro »

Merci maître Hitchcock pour ces plans magnifiques qui m'ont transporté :D :D
Certains disent que Marnie est un film mineur; peut-être mais avec de vraies fulgurances!

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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Rick Deckard »

La magie des matte paintings !
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Ikebukuro a écrit : 23 août 20, 12:46
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Ikebukuro »

Ah oui, c'est vrai...
J'avais adoré le film "Le narcisse noir" pour ses décors aussi, exécutés de la même façon.

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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par Phnom&Penh »

Ikebukuro a écrit : 23 août 20, 12:46 Merci maître Hitchcock pour ces plans magnifiques qui m'ont transporté :D :D
Certains disent que Marnie est un film mineur; peut-être mais avec de vraies fulgurances!
Non, c'est un grand film malade, et ce n'est pas pour rien que François Truffaut, immense critique, a inventé l'expression à propos de Marnie.
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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batfunk
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

Message par batfunk »

Redécouverte tardive de Marnie, précédé d'une réputation d'Hitchcock mineur...
Et bah, non, c'est un très grand Hitchcock, dans la droite ligne de mon trio favori Fenêtre sur Cour/Sueurs Froides/Les oiseaux.
Fenêtre sur cour ? Identique ennui du héros masculin, trio amoureux.
Sueurs Froides? Même héros traumatisé, sujet à des phobies, même fétichisme des cheveux blonds
(scène de transformation éblouissante par décoloration , le brossage des cheveux comme acte intime)
Les oiseaux ? Même scénariste , Evan Hunter, d'où quelques scènes similaires:une scène de drague autour du comportement animal, un trio amoureux(deux femmes, un homme), une mère difficile)
Même Technicolor flamboyant, des acteurs brillants(formidable Sean connery et Tippi hedren), même romantisme.

Même romantisme ?Hmmm, pas vraiment. Un romantisme tordu,malsain, où Hitchcock laisse transparaître ses propres frustrations sexuelles, qu'on avait entraperçues dans Les Oiseaux. Hitchcock aime les blondes, notamment Grace Kelly. Grace Kelly n'est pas disponible ? Entre ici Tippi Hedren, poupée de substitution, qui ne bénéficiera pas de la même adoration respectueuse. Ça commence doucement dans les Oiseaux, Tippi Hedren se faisant juste violer allégoriquement... par des oiseaux. Sous leurs coups de bec, résignée, elle se laisse faire.
Grace Kelly, emballée par le scénario de Marnie, promet enfin à Hitch de jouer le rôle. Joie ! Sauf que Grace Kelly se désiste, Monaco ne répond plus. Colère noire d'Hitch, qui rappelle son soufre-douleur favori, Tippi Hedren. Et elle va prendre cher la pauvre, joli canari pris au piège par le chat Connery, play boy blasé, ravi d'avoir sous sa coupe une belle proie enfin à sa hauteur. Amoureux ? Probablement. Mais bon, la patience a ses limites. Mariage et voyage de noce forcés, puis entrée dans la chambre, "No ! " virulent de Marnie, arrachage des vêtements de Marnie par Connery, qui je cite une minute auparavant, "ne désire rien de plus ardemment que d'aller au lit", "Pardon" de Connery, qui recouvre Marnie, baisers sur une Marnie, rigide comme une statue, le regard vide droit devant elle, basculement de Marnie et de la caméra sur le lit, zoom sur le regard brûlant de Connery, regard vide de Marnie, la caméra s'éloigne pudiquement...
Alors Serge, viol ou pas viol ? Viol mon capitaine.Tous les jours.Et le scénariste de Marnie, Evan Hunter, est d'accord, puisque choqué par la proposition d'hitch d'inclure une scène de viol, , il a proposé à Hitch une scène alternative. Réponse de Hitch:you're fired ! :lol: (voir les formidables bonus du bluray Universal :D )

Manipulation, rapport de domination, captivité d'une femme "émancipée" financièrement sous la contrainte, les relations homme-femmes s'apparentent plus ici à un sport de combat qu'à de l'amour véritable . À celà s'ajoute aussi un impitoyable regard du scénariste sur la fracture sociale de la société américaine de l'époque, avec une Marnie traumatisée par son milieu originel, sordide et pauvre, qui s'empare par la force de ce qui lui est inaccessible. Regard amusé et admiratif du patricien Sean Connery, sur cette Marnie qui s'évertue à contourner le schéma social établi. Le public américain n'a pas aimé ? Tu m'étonnes, John ! :mrgreen:

Autre sujet d'admiration, la fidélité d'Hitchcock à sa vision du cinéma et la magnificence de sa mise en scène. Un pur film de studio, festival de matte paintings, de fonds d'écran et de décors amoureusement conçus. La télé explose et montre le vrai Paris, Tokyo ou Londres dans tous les foyers américains ? Ses collaborateurs le supplient de tourner certaines scènes en extérieur ? Nope, Hitchcock fait tourner une scène de chasse à courre sur tapis roulants.. Admirable.
Un pur écossais pour jouer le rôle d'un patricien de Philadelphie ? Check. Une Texane de 42 ans pour jouer una Baltimorienne à 60 et 20 ans ?3 heures de maquillage par jour. Check. Tout est faux, mais tout sonne vrai, c'est la magie Hitchcock.
Pour la mise en scène, une scène absolument magique, avec le premier vol chez Connery de Marnie.
Un simple plan fixe avec deux cadres, dans le même cadre:à droite, Marnie en plein cambriolage, à gauche, une femme de ménage en plein travail. Un Split-screen sans Split-screen, un suspense ébouriffant pour une chute.. Hitchcockienne. La scène du viol est remarquablement découpée aussi.

Bref, un très grand Hitchcock, qui laisse entrevoir une noirceur qui éclatera totalement dans Frenzy quelques années plus tard.
Fim malade ? Non. Un grand film d'un esprit malade ? Assurément.

9/10
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hoplahop
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

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batfunk
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Re: Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock - 1964)

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