Top John Huston

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Thaddeus
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Re: Top John Huston

Message par Thaddeus »

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Le faucon maltais
Hammett, écrit Raymond Chandler, a sorti le crime du vase vénitien et l’a laissé tomber dans la rue. Huston l’a ramassé et lui a imprimé le sceau de la poésie pure. C’est autour d’une fabuleuse statuette de bronze que se développe l’intrigue exotique, sordide, magnétique, de ce film noir archétypal, que l’on peut considérer comme le prototype inégalé du genre. Le cinéaste y impose un style tranchant, sobre, des images artistiquement composées dans des tonalités expressionnistes du plus bel effet (la nuit noire, les lumières frisantes). Devant sa caméra, une galerie de personnages inoubliables gravite autour de Bogart, hard boiled detective sanglé dans son trench-coat, une cigarette constamment aux lèvres : le héros hustonien par excellence, faussement indifférent et incorrigiblement vertueux, témoin désabusé des faiblesses de la nature humaine. 6/6
Top 10 Année 1941

Que la lumière soit
Réalisée au sortir de la guerre pour le War Department et interdite de diffusion par le Pentagone, cette commande sur les traumatismes émotionnels des soldats revenant d’Europe s’en tient à un programme sobre, précis, net, sans bavures. Il s’articule de manière classique en trois temps (exposé des symptômes, intervention psycho-thérapeutique, convalescence) et illustre sans ambivalence un idéal de réhabilitation, une morale constructive de la prise en charge, tandis que le commentaire renforce la cohérence d’une chaîne ininterrompue de solidarité. Par ailleurs, bien qu’il reste marginal dans la carrière de Huston, rien n’interdit de penser que l’intérêt qu’y exprime ce dernier pour des techniques comme l’hypnose ou la narco-analyse ait lointainement donné son impulsion au futur Freud. 4/6

Le trésor de la Sierra Madre
La ruée vers l’or vue par Huston. Très loin de Chaplin, le cinéaste décline un propos noir dont le pessimisme est tempéré par une ironie presque gouailleuse – éclatant lors du rire final de la dérision lorsque le magot se disperse au vent, tandis que la Sierra récupère sa substance sacrée avec l’aide du destin. Cet humour tonique rappelle que pour l’auteur l’aventure collective et la connaissance vitale priment sur l’idée de réussite. Il traverse un récit qui entraîne à la suite de héros arrivés au bout de la misère, s’enfonçant dans une aventure fatale, réglée par l’appât du gain, les puissances naturelles et la folie. La dimension profondément humaine de ses personnages, son réalisme sec et nerveux, ses paysages arides mais envoûtants font de ce conte moral sur la cupidité et l’inanité de la course à la fortune une réussite exemplaire. 5/6
Top 10 Année 1948

Key Largo
Une île coupée de tout, une bande de truands en transit, un vieillard infirme, une ancienne chanteuse qui se saoule et un couple de stars. Bogart est alors définitivement entré dans l’univers hustonien, mais malgré sa présence et celle de Lauren Bacall, c’est davantage Edward G. Robinson, dans un numéro spectaculaire de gangster mégalo se nourrissant de son passif, que l’on retient ici du casting. Dans un climat de chaleur tropicale trouée par un typhon cataclysmique, le cinéaste brode un affrontement psychologique en huis-clos que l’on peut lire comme une parabole sur le New Deal et le retour désillusionné des vétérans au pays, y découvrant corruption et banditisme. Sans être une réussite majeure, le film assume sa scénographie théâtrale et déroule sa narration tendue avec une maîtrise éprouvée. 4/6

Quand la ville dort
Un pur joyau de film noir, sec, nerveux et haletant, qui porte la typologie du genre à son point culminant et invite la tragédie grecque au cœur du cinéma policier, lié ici à l’insécurité urbaine, à la corruption et au désespoir poisseux sécrété en leur flanc par les cités modernes, par cette société dite civilisée d’où naît une autre société qui lui est parasite, la jungle. Percevant chez ses malfrats une forme gauchie de l’effort humain, Huston apporte son quotient de marginalité et de dérision à une spirale inexorable qui soumet chaque protagoniste à l’empire de la fatalité. Il invente une forme de no man’s land désespéré, comme arraché aux abysses du corps social, et anime une galerie d’antihéros dotés d’une grande épaisseur psychologique, dont les angoisses, les vices et les qualités sont mis à nu par l’action. 5/6
Top 10 Année 1950

La charge victorieuse
Embaucher Audie Murphy, le soldat le plus décoré du récent conflit, pour le rôle principal de cette œuvre pacifique était une intuition géniale. Les producteurs n’apprécieront pas l’ironie du choix, et mutileront le film qui demeure malgré tout, dans sa version tronquée mais très concentrée (soixante-dix minutes sans gras), une magistrale réflexion sur les limites du courage et la nature de l’héroïsme. La guerre de Sécession, cernée de près avec une sorte de frange irréelle, y est réduite à une suite d’escarmouches brèves, absurdes, tétanisantes, nourries par les feux d’infanterie, entre des soldats qui marchent, reculent, repartent, souffrent et meurent, traversés par autant de moments de lâcheté que d’enthousiasme suicidaire – les deux comportements complémentaires, si proches, de l’homme au front. 5/6
Top 10 Année 1951

African queen
Aventurier de toutes les causes perdues, Huston plonge cette fois dans les jungles africaines et y tourne la captivante équipée d’un duo mal assorti, dont l’affrontement de caractères glisse au duel affectueux. Embarqués sur le bateau de Sisyphe, Humphrey Bogart et Katharine Hepburn forment le couple légendaire de cette formidable comédie romantique, qui joue de leur antagonisme en un savoureux jeu du "je t'aime moi non plus". La photo de Cardiff, les péripéties rocambolesques, la plénitude narrative y accouchent d’un grand film d'aventures tropicales, une fable exaltant les sentiments les plus nobles et les plus purs d'héroïsme, de courage, de sacrifice. Amusant aussi de constater comment, après Le Trésor de la Sierra Madre, Huston retourne d’une pirouette sa philosophie de l’échec. 5/6
Top 10 Année 1951

Moulin-rouge
Un an avant Renoir et son French Cancan, le cinéaste fait revivre la vie du Bohême parisien dans une biographie impressionniste de Toulouse-Lautrec qui, si elle séduit par son élégance et ses qualités d’exécution, n’évite pas toujours les écueils du lissage et de l’illustration stéréotypée – l’artiste y est ce romantique tourmenté par l’amour impossible que l’histoire aime à retenir. Mais la performance spectaculaire de Jose Ferrer en nabot génial vaut le détour, tout comme les recherches plastiques de Huston, qui cherche l’unité de style en organisant un bal de couleurs noyées dans une légère brume. En utilisant des filtres spéciaux pour retrouver le chromatisme des tableaux du peintre, il stimule constamment la rétine. Plus une parenthèse qu’un film important, néanmoins. 4/6

Plus fort que le diable
Devenu un paria à Hollywood, Huston tourne en Italie cette comédie insolite et burlesque, écrite par Truman Capote, qui brode autour d’une poignée d’escrocs ridicules, d’un bouquet d’arnaques obscures et d’une flopée de situations parfaitement incongrues. Comme à son habitude, le cinéaste méprise la forme achevée pour favoriser la nonchalance d’une mise en scène en accord avec les velléités plus ou moins mythomanes des personnages. Presque tout le monde se fait passer pour ce qu’il n’est pas, chacun tente de tirer profit d’une escroquerie qui lui file entre les doigts, et l’intrigue totalement abracadabrantesque finit par dérailler dans un absurde réjouissant qui souligne si besoin était la légèreté follette de l’entreprise. Ça ne porte pas à conséquence mais c’est tout à fait amusant. 4/6

Moby Dick
Mécréant et iconoclaste, Huston trouve dans la matière mystique et incantatoire du classique de Melville le terreau d’une épopée fiévreuse où résonnent le blasphème et la libération, la furie et le tonnerre de Lautréamont, où l’enfer c’est l’autre, l’étranger c’est la mer, le défi des forces naturelles, et cette créature irréductible bravée comme si elle était Dieu. Les morceaux de bravoure s’y révèlent souvent étonnants, du sermon d’Orson Welles (ami proche du cinéaste) à l’apparition du feu Saint-Elme, cristallisant la motivation obsessionnelle du héros. Captivant, spectaculaire, le film, qui se distingue en outre par son traitement plastique assez original (une sorte de sépia singulier, équivalent visuel de l’eau-forte), trouve enfin en en Gregory Peck, maquillé comme Abraham Lincoln, un idéal d’incarnation. 4/6

Dieu seul le sait
Huston reprend peu ou prou la situation d’African Queen, remplace l’ivrogne et la vieille fille par un soldat et une nonne, et le coulant fleuve congolais par un îlot du Pacifique. Seuls puis traqués, le marine et la religieuse découvrent l’amour, même s’ils s’en défendent. Entre l’armée et la religion, la subordination à l’ordre et le don à Dieu, les points communs sont nombreux : rien de tel qu’une petite aventure à deux pour se rapprocher au-delà des engagements, se soutenir dans la peur et de l’isolement – ou au contraire espérer vivre pour toujours cette parenthèse loin des contingences de la civilisation et de la violence de la guerre. Fausse idylle impossible dont l’ironie se modère d’humour et de tendresse, le film dispense un charme volatil, légèrement superficiel, un peu victime de sa légèreté. 4/6

Le vent de la plaine
Inversant les données de La Prisonnière du Désert pour en faire le support d’une réflexion antiraciste sur les tiraillements entre la vraie et la fausse filiation, sur les liens du sang et ceux de la famille, le film offre son lot de belles images inédites : la vieille dame jouant du Mozart sur son piano devant une maison perdue au milieu de nulle part, le retranchement final où se déchaînent les flammes, et surtout les apparitions fantomatiques de Kelsey, cavalier de l’Apocalypse, prophète de malheur et chantre des puissances infernales. Reste un message confus voire maladroit, dont l’ambigüité plus ou moins volontaire dispense tantôt le trouble (l’inceste n’est pas loin entre Burt et Audrey), tantôt le malaise (le choix semble bien fait entre préservation familiale et massacre d’Indiens sanguinaires). 4/6

Les désaxés
Une œuvre crépusculaire, un magnifique poème funèbre et désenchanté, un document ethnologique sur la mort au travail, la disparition des races condamnées par l’économie, cow-boys et chevaux sauvages. John Huston y affirme un style dont la nonchalance, voire l’indolence, ne fait que renforcer la poignante sincérité, témoigne d’un don unique pour provoquer l’événement, extraire de ses personnages leur suc vital, révéler les blessures, les fragilités, les rêves déçus, les erreurs et l’angoisse existentielle de ces égarés des temps nouveaux auxquels son trio d’acteurs mythiques apporte une densité inoubliable : Clark Gable en cow-boy vieillissant qui se libère de ses illusions, Montgomery Clift avec son regard douloureux revenu de tout, et Marilyn bien sûr, perdue et vulnérable, dans ce qui est peut-être son plus beau rôle. 6/6
Top 10 Année 1961

Freud, passions secrètes
Accouchant d’un projet très remanié de Sartre, Huston applique à son entreprise la même démarche investigatrice que celle qui présida aux tâtonnements, aux échecs, aux premières découvertes d’un Freud hanté par des démons invisibles. De ce point de vue, la condensation réside dans le cas unique d’une patiente représentant tous les autres, la surdétermination dans les idées qui sollicitèrent le médecin à divers moments de son existence, la dramatisation dans un sujet servant de déclic à sa propre auto-analyse. En résulte une œuvre passionnante sur l’élaboration fiévreuse d’une théorie et l’irrémédiable solitude du savant, une enquête intérieure qui transcrit en actes le cheminement d’une pensée et se consacre entièrement, avec rigueur et intelligence, à l’aventure idéologique de son personnage. 5/6

Le dernier de la liste
La vedette du film, c’est un arsenal de masques en latex, de fausses dents, de verres de contact et de perruques grâce auquel toute une brochette de stars parvient à passer inaperçue jusqu’à la révélation post-générique. Tandis qu’on s’amuse à chercher à les identifier, les temps morts s’estompent et le récit réussit parfois à donner le sentiment abusif d’une plénitude dramatique qu’il est loin de posséder. Car ne voulant sans doute pas être en reste de dissimulation avec ses acteurs, le cinéaste semble également prendre bien soin de cacher son propre talent. Le vague savoir-faire se substitue à l’inspiration et l’esprit de routine à l’ambition dans cette fantaisie mineure qui tente peut-être de retrouver l’humour corrosif de Noblesse Oblige. Le mieux est de la considérer comme l’œuvre d’un auteur en vacances. 3/6

La nuit de l’iguane
Huston catapulte quelques stars en plein cœur de la forêt de Puerto Vallarta, monde étouffant qui est celui de toutes les causes perdues, et où ce qui subsiste de vertige libertaire est peu à peu grignoté par l’hypocrisie morale. Il dépasse le périmètre de son sujet, réunit des protagonistes à la croisée de leurs destins et parvient à faire d’une transposition théâtrale quelque chose qui ressemble à un délire mythologique. Une tenancière d’hôtel libérée flanquée de deux éphèbes, une artiste généreuse et blessée, une nymphette et sa chaperonne bigote à l’homosexualité refoulée : c’est au milieu de ces femmes que tangue, tel un bateau ivre, ce prêtre défroqué et alcoolique dont les angoisses dictent au récit les soubresauts d’un véritable happening. Dans le genre psychodrame exubérant, ça se pose un peu là. 4/6

Reflets dans un œil d’or
Un film tout à fait singulier. Tourné dans un clair-obscur du plus baroque effet, cet essai tordu sur la folie ordinaire donne à ressentir le travail empoisonné des pulsions souterraines et met en scène des personnages semblant tous sous l’empire d’un ridicule à la fois bouffon et pathétique. L’émulsion de l’image est particulièrement originale, qui invente des teintes roses et dorées rajoutant à la bizarrerie surréelle, à la perversité glauque de l’ensemble, au décalage grotesque constitué par les névroses d’êtres enfermés dans leurs solitudes et leurs désirs aliénants, et comme accordés à une espèce de stagnation de la durée romanesque qui évoque physiquement leur lente déliquescence. Je n’ai pas du tout accroché à l’étrangeté radicale de l’entreprise, mais il faudrait que je le revoie. 2/6

Promenade avec l’amour et la mort
1358, la Guerre de cent ans. Dans une Normandie livrée aux exactions de mercenaires anarchiques, l’effondrement de la féodalité marque la découverte des impostures de la civilisation occidentale. La noblesse protectrice est devenue affameuse, l’Église s’est enlisée dans l’horreur moyenâgeuse de la chair, donnant naissance à toutes les hérésies. Si elles échouent dans la plus sanglante des répressions, les premières jacqueries n’en annoncent pas moins de grands bouleversements. Soldats, chevaliers, manants, pèlerins, bateleurs, troubadours peuplent cette célébration poétique des idées généreuses, du libre arbitre et de l’amour terrestre, cette ballade courtoise dont le raffinement et le style empanaché exaltent des héros progressistes dotés de traits qui ne trompent pas, et observés de toute première main. 5/6

La lettre du Kremlin
À partir d’une intrigue nébuleuse, le cinéaste orchestre un petit tour du monde en forme de douche écossaise dont la sécheresse et l’ironie claquent comme un coup de trique, et qui donne la sensation d’assister à un immense marché de dupes à l’échelle internationale. Orson Welles y est un diplomate russe, George Sanders une folle adepte du tricot, deux icônes bergmaniennes s’affrontent… : iconoclaste jusque dans son casting, Huston dépeint l’univers des services secrets comme une dérisoire pantalonnade, peuplée d’espions cyniques qui pratiquent le meurtre, le revirement et la trahison par goût du jeu et de la manipulation. Faussement folâtre, d’une noirceur sarcastique, le film renvoie dos à dos les idéologues de tous bords, prouvant par l’absurde que l’on a bien raison de se moquer du sens de l’Histoire. 5/6

Fat city
"Toute vie est un processus de démolition", écrivit un jour Scott Fitzgerald. Huston semble se pencher sur son passé de pugiliste avec cette nouvelle chronique de la défaite poisseuse et du désenchantement banal, puissante recréation des milieux du noble art en Californie qui dresse les portraits âpres mais chaleureux de marginaux blessés, laissés-pour-compte du rêve américain, rêvant illusoirement d’un avenir glorieux. Il témoigne d’une profonde empathie pour ces éclopés de la vie qu’on croirait sortis d’un roman de Steinbeck ou d’Hemingway, et qu’il filme avec la tendresse d’une ode aux seconds couteaux, portés par une persévérance, un espoir et un sens de l’amitié des plus poignants : le mal de vivre est restitué comme une complainte, et la déconfiture humaine telle un appel irrésistible à la fraternité. 5/6
Top 10 Année 1972

Juge et hors-la-loi
Hauts faits et titres de gloire de Roy Bean, voleur de chevaux et détrousseur de banques, qui traversa la rivière Pecos vers 1890 pour se déclarer juge et imposer sa vision très partiale de la loi, de la justice et de la civilisation. Une inconscience satisfaite de soi serait incapable d’apprécier le film selon ses propres termes de référence, car il se propose de raconter l’Histoire sur le mode de la satire (non de la parodie), en l’élevant à la dimension d’une parabole : de son édification ambigüe à sa destruction finale dans un feu purificateur, la bourgade de Langtry résume l’évolution des temps individualistes de la conquête à l’ère contemporaine de l’industrialisation et de l’affairisme. Mais le registre de farce truculente fonctionne hélas sur courant alternatif, ce qui alourdit et amollit considérablement le propos. 3/6

Le piège
Le cinéaste renoue avec l’espionnage, lui applique un traitement neutre et maintient une distance narquoise entre lui et ses personnages, ou entre son récit et sa réalisation. Pas de place ici pour le manichéisme grossier qui entache le genre lorsqu’il illustre la lutte souterraine entre l’Est et l’Ouest : les rôles pourraient s’inverser, et parce qu’il l’analyse à son niveau le plus décanté, sinon le plus abstrait, le duel qui s’y livre est d’abord celui de l’intelligence et de la réflexion, jusqu’à ce que le principe d’incertitude et la passion annulent finalement, comme un coup de torchon balaierait un échiquier trop sage, un jeu régi par le calcul et la stratégie. La dimension dérivative et impersonnelle empêche le film de s’envoler réellement, mais le savoir-faire qui le traverse garantit d’un bout à l’autre l’intérêt. 4/6

L’homme qui voulut être roi
Huston extrait du récit de Kipling la substance romanesque d’un récit d’aventures en forme de conte philosophique. Deux pittoresques soldats de fortune, également francs-maçons et spécialistes du vol à la tire, partent à la conquête d’un royaume au Kafiristan, cette antique Transoxiane dont paraît-il on ne revient pas vivant. Voulant s’approprier le trésor d’Alexandre, ils y perdront simplement leur âme. Méditation sur les rêves de grandeur humaine, l’illusion de la supériorité morale, la vanité des ambitions, le film développe quelques grands thèmes chers au cinéaste le long d’une ample odyssée, où l’aveuglante clarté du soleil africain se pare des couleurs sombres de la tragédie. Beauté et fatalité réunies d’une même eau, comme lorsqu’à la fin Dravot s’avance sur le pont et brave en chantant sa propre mort. 4/6

Le malin
Portrait d’un prédicateur halluciné du grand Sud, bardé de barbelé, des pierres et du verre cassé dans les chaussures, traversant la race des titubants de Dieu, des imbibés de sang du Christ. L’homme ne rencontre sur son chemin de croix qu’un collier de faux-semblants : ici une jeune fille illuminée devient fausse vierge à l’enfant, là un pasteur aveugle s’avère faux martyre. Réalisé dans des conditions semi-artisanales, le film critique avec une verdeur et un scepticisme ironiques le phénomène des revivals, que des preachers inspirés utilisent pour s’opposer à l’Église officielle, et dépeint un pays à la dérive, en proie autant à la perte des repères qu’à la crise des valeurs spirituelles, et où chacun rejoint la cohorte bêlante des brebis endoctrinées. Hélas, malgré ses évidentes qualités, il m’a quelque peu ennuyé. 3/6

Au-dessous du volcan
Où l’un des plus héroïques patriarches du cinéma américain tente de mettre en images un roman réputé inadaptable. Lorsqu’on découvre le protagoniste de l’histoire, conquérant de l’Eldorado des éthyliques, quêtant son salut dans les brumes de l’alcool, il ne lui reste que vingt-quatre heures à vivre. Et Huston d’articuler une promenade avec l’amour et la mort parmi les vapeurs moites de Cuernavaca, au Mexique. Dérive erratique sans réelle tension narrative ni enjeu dramatique, inexorable et de plus en plus oppressante, à laquelle le cinéaste apporte son sens très éprouvé du romanesque hollywoodien et sa faculté à donner du relief à ces thèmes éternels que sont l’impuissance, l’autodestruction, la fatalité. Le film offre aussi l’occasion de vérifier à quel point Jacqueline Bisset est divinement belle. 4/6

L’honneur des Prizzi
Dans la lignée de certaines de ses plaisanteries macabres, Huston marche en funambule sur la corde qui sépare le pastiche de la caricature et orchestre le ballet sardonique d’une poignée de crapules nourries au biberon de la roublardise, dont l’honneur est synonyme de mensonge, de crime et de tartufferie, pour la sauvegarde du fric, de la puissance et de l’autorité. Le mélange des genres produit un étrange déséquilibre, si bien que l’on hésite longtemps entre le diagnostic du produit raté et celui du détachement pince-sans-rire, mais la farce désenchantée finit par l’emporter aux points : plutôt que de faire le constat désespéré des mœurs sinistres de ces macaroni mondains et blanchis à la chaux, elle fait élégamment tourner l’humour au vinaigre et du comique un plat qui se mange froid. 4/6

Gens de Dublin
Les flocons tombent sur Dublin, au début du siècle. Dans une maison bourgeoise on fête l’Épiphanie. Un fiacre glisse la neige, une femme pleure en silence devant un passé qui ressuscite. En une galerie de portraits intimes qui se débobinent comme une pelote, l’histoire suggère la présence d’objets et d’attitudes prêts à disparaître, d’êtres déjà disparus. Le testament spirituel de Huston est une variation poétique sur la fuite du temps et la mort, une magnifique litanie méditative qui fait fi de toute dramatisation et privilégie les instants de vérité suspendus, les impressions et les émotions des membres d'une famille irlandaise filmée avec une extrême proximité humaine. Il faut la suivre dans sa lente progression, se laisser porter, s’y fondre, s’y abandonner, jusqu’à ses derniers instants glacés et sublimes qui prennent valeur d’adieux. 6/6
Top 10 Année 1987


Mon top :

1. Gens de Dublin (1987)
2. Le faucon maltais (1941)
3. Les désaxés (1961)
4. Le trésor de la Sierra Madre (1948)
5. African queen (1951)

Iconoclaste, aventurier, mécréant génial : Huston était un cinéaste à l’image de ses films, toujours imprévisible, constamment en dehors des modes et des genres. La prodigalité de son inspiration, la cohérence de son corpus thématique, la richesse de son œuvre en font un auteur fondamental.
Dernière modification par Thaddeus le 12 août 23, 16:34, modifié 19 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Top John Huston

Message par Jeremy Fox »

Quelque chose me dit que tu apprécierais ma belle découverte d'hier soir :wink:

Et j'applaudis à ton texte sur Le Faucon maltais, film souvent très chahuté sur le forum. Les autres aussi bien sûr mais celui-ci en particulier me ravit. :D
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Thaddeus
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Re: Top John Huston

Message par Thaddeus »

Jeremy Fox a écrit :Quelque chose me dit que tu apprécierais ma belle découverte d'hier soir :wink:
Oui, j'ai bien noté. :wink:
C'est un film qui me faisait de l'oeil depuis longtemps, déjà. Comme 4157 autres...
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Re: Top John Huston

Message par AtCloseRange »

Thaddeus a écrit :Le malin
Portrait d’un prédicateur halluciné du grand Sud, qui ne rencontre sur son chemin de croix, pavé de bonnes intentions, qu’un collier de faux-semblants : ici une jeune fille illuminée devient fausse vierge à l’enfant, là un pasteur aveugle s’avère faux martyre. Réalisé dans des conditions semi-artisanales, le film critique avec une verdeur et un scepticisme ironiques le phénomène des revivals, que des preachers inspirés utilisent pour s’opposer à l’Église officielle, et dépeint un pays à la dérive, en proie autant à la perte des repères qu’à la crise des valeurs spirituelles, et où chacun rejoint la cohorte bêlante des brebis endoctrinées. Hélas, malgré ses évidentes qualités, il m’a quelque peu ennuyé. 3/6
Je me sens moins seul.
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Kevin95
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Re: Top John Huston

Message par Kevin95 »

Précisons que le 2/6 pour Reflections in a Golden Eye était bien évidemment une blague... non ?
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Thaddeus
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Re: Top John Huston

Message par Thaddeus »

Pas du tout. Dans mes souvenirs le film est d'une telle étrangeté, et si déconcertant, qu'il m'avait laissé totalement à quai. Mais je l'ai vu il y a longtemps, à une époque où je n'avais sans doute pas toutes les cartes en main (je ne dis pas que c'est le cas aujourd'hui). À redécouvrir éventuellement, donc...
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Jeremy Fox
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Re: Top John Huston

Message par Jeremy Fox »

Thaddeus a écrit :Pas du tout. Dans mes souvenirs le film est d'une telle étrangeté, et si déconcertant, qu'il m'avait laissé totalement à quai. Mais je l'ai vu il y a longtemps, à une époque où je n'avais sans doute pas toutes les cartes en main (je ne dis pas que c'est le cas aujourd'hui). À redécouvrir éventuellement, donc...
Etrange et déconcertant, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais ce sont ces éléments lors de ma première vision qui me l'ont fait autant apprécier ; j'ai eu l'impression de vivre une expérience unique. Il ne m'a jamais déçu depuis. Sinon, mon ancienne vision du malin fut aussi très ennuyeuse.
Edouard
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Re: Top John Huston

Message par Edouard »

Je n'ai pas vu beaucoup de films de John Huston finalement compte tenu de sa longue filmographie. C'est un peu le cinéaste de l'extrême avec moi: c'est tout ou rien, j'aime ou je m'ennuie poliment face à des films cités comme étant des chefs d'œuvres.

Chef d'œuvre (20/20)
The Man Who Would Be King (L'Homme qui voulut être roi)
The Asphalt Jungle (Quand la ville dort)

Excellent (de 18 à 19,5/20)
The African Queen (L'Odyssée de l'African Queen)

Très bon (de 16 à 17,5/20)

Bon (de 13 à 15,5/20)

Pas mal (de 9 à 12,5/20)
The Maltese Falcon (Le Faucon maltais)

Très moyen (de 5,5 à 8,5/20)
Casino Royale

Quelques trucs à sauver (de 1,5 à 5/20)
The Misfits (Les Désaxés)
The Treasure of the Sierra Madre (Le Trésor de la Sierra Madre)

Inutile de perdre son temps (de 0 à 1/20)
Fat City (La Dernière Chance)

Pas vu
In this our Life (L'amour n'est pas en jeu)
Across the Pacific (Griffes jaunes)
San Pietro (La Bataille de San Pietro)
Key Largo
We Were Strangers (Les Insurgés)
The Red Badge of Courage (La Charge victorieuse)
Moulin Rouge
Beat the Devil (Plus fort que le diable)
Moby Dick
Heaven Knows, Mr. Allison (Dieu seul le sait)
The Barbarian and the Geisha (Le Barbare et la Geisha)
The Roots of Heaven (Les Racines du ciel)
The Unforgiven (Le Vent de la plaine)
Freud (Freud, passions secrètes)
The List of Adrian Messenger (Le Dernier de la liste)
The Night of the Iguana (La Nuit de l'iguane)
The Bible (La Bible)
Reflections in a Golden Eye (Reflets dans un œil d'or)
Sinful Davey (Davey des grands chemins)
A Walk with Love and Death (Promenade avec l'amour et la mort)
The Kremlin Letter (La Lettre du Kremlin)
The Life and Times of Judge Roy Bean (Juge et Hors-la-loi)
The MacKintosh Man (Le Piège)
Independence
Wise Blood (Le Malin)
Phobia
Escape to Victory (À nous la victoire)
Annie
Under the Volcano (Au-dessous du volcan)
Prizzi's Honor (L'Honneur des Prizzi)
The Dead (Gens de Dublin)
Dernière modification par Edouard le 28 janv. 16, 11:21, modifié 2 fois.
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Watkinssien
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Re: Top John Huston

Message par Watkinssien »

Edouard a écrit :Je n'ai pas vu beaucoup de films de John Huston
Ah ben a priori... :wink:
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Mother, I miss you :(
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Jack Carter
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Re: Top John Huston

Message par Jack Carter »

Misfits, Sierra Madre et Fat City :cry:
Dernière modification par Jack Carter le 28 janv. 16, 11:44, modifié 3 fois.
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Jeremy Fox
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Re: Top John Huston

Message par Jeremy Fox »

Edouard a écrit :Je n'ai pas vu beaucoup de films de John Huston

Effectivement :lol:
Edouard
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Re: Top John Huston

Message par Edouard »

:uhuh:
Petite erreur de manip'
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Jeremy Fox
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Re: Top John Huston

Message par Jeremy Fox »

Edouard a écrit ::uhuh:
Petite erreur de manip'
Quelques trucs à sauver (de 1,5 à 5/20)
The Misfits (Les Désaxés)
Finalement c'était mieux avant :mrgreen: :(
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Watkinssien
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Re: Top John Huston

Message par Watkinssien »

Edouard a écrit :J


Très moyen (de 5,5 à 8,5/20)
Casino Royale

Quelques trucs à sauver (de 1,5 à 5/20)
The Misfits (Les Désaxés)
The Treasure of the Sierra Madre (Le Trésor de la Sierra Madre)

Inutile de perdre son temps (de 0 à 1/20)
Fat City (La Dernière Chance)
Casino Royale avant ces films-là, c'est original ! :mrgreen:
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Père Jules
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Re: Top John Huston

Message par Père Jules »

Jack Carter a écrit :Fat City :cry:
Je suis aux urgences
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