Julien Duvivier (1896-1967)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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The Eye Of Doom
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Erich a écrit : 21 févr. 22, 09:38
The Eye Of Doom a écrit : 20 févr. 22, 20:50 (je me refuse a penser que Truffaut ai pu rester insensible à Mariane.)
Je crains pourtant que ce soit le cas. À ma connaissance il n’a pas écrit de critique de Marianne à la sortie du film mais, quelques mois plus tard, dans un article pour Arts sur le « vieillissement des films », il cite Marianne parmi ceux qui « arrivent avec quinze ans de retard », « naissent démodés » et « relèvent de l’esthétique d’avant-guerre ». Du reste, peu de critiques ont, à l’époque, pris la défense du film, éreinté dans beaucoup de journaux, toutes tendances confondues (avec parfois une violence étonnante, comme Jean Dutourd écrivant dans Carrefour que « Duvivier a touché le fond du mauvais goût et de la sottise » dans un film d’une « extraordinaire niaiserie » !), incompréhension rejointe par celle du public. Le film n’a été réévalué que bien plus tard.
En fait il y a aujourd’hui peu de personnes encore vivantes qui ont pu voir Marianne en 56 et nous dire si le film etait né démodé.
le problème quand on découvre les films bien bien après leur sortie, c’est que le contexte historique de leur sortie nous échappe. A quand le topic : Il y a 66 au cinema : P******, 66 ans… ?
Effectivement Marianne aurait pu (du ?) etre un film d’avant guerre. Le roman est sorti en 32.
Les remarques de Truffaut ne sont pas toutes irrecevables.
Mais se poserait’on la meme question pour une adaptation aujourd’hui du Grand Maulnes ?
Quant à Jean Dutourd, il a rien compris au film….

Merci pour les infos sur les points de vue de Truffaut.
Qu’il est apprécié Pot Bouille montre bien qu’il savait a quoi s’en tenir sur Duvivier.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

C’est avec un peu d’apprehension que je me suis décidé à attaquer l’imposant coffret des muets de Duvivier. Comme on se decide à passer le seuil d’une bâtisse impressionnante ou affronter la montee d’un pic vertigineux.
Qu’allait je decouvrir dans ce continent inconnu que représente la production muette de cet auteur que j’aime tant?

Mon choix a porté sur L’agonie de Jerusalem, probablement en raison de l’etrangeté du titre et dans l’idee de commencer par les titres les moins célèbres.

L’agonie de Jerusalem
Une famille respectable vivant au mont des oliviers decouvre que le fils tant aimé qui vit à Paris est en fait un redoutable anarchiste.

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt: il s’agit d’un film de propagande chretienne. Avec miracle, excusez du peu.
J’ai de suite pensé à la Charette fantome avec lequel L’agonie partage pas mal d’éléments.
On a donc une intrigue de redemption par la foi, sans grande subtilité (c’est le moins que l’on puisse dire). Mais ici Duvivier reussi ce qu’il rate dans La charette. Par des partis pris plastiques et scenaristiques.
Plastiques d’abord. Duvivier a le sens du cadre, du plan. Que ce soit en interieur, installant le quotidien de la famille dans l’espace du salon (j’ai ete frappé par sa gestion du personage de la mere paralysée : on a une presence incroyable, bien au dela du stereotype facile de la vieille en fauteuil roulant). Ou en exterieur, disposant ses personnages au coeur des lieux sains avec habileté.
Un des plus belles scenes par exemple est la confrontation au millieu du desert entre le fils repenti et sa compagne, et un ancien camarade anarchiste. Affrontement idéologique à base de slogans, revolution d’un coté, foi chrétienne de l’autre.
Cela devrait etre ridicule mais la maitrise de la mise en scene de Duvivier en fait un vrai moment intense.
Et puis il y a les scenes d’evocations de Jesus, pour le moins curieuses, entre kitch et pieta.
Il faut dire que tout est tourné sur place. Ce qui nous vaut ainsi des vues sur le vif de la palestine de l’epoque
Il est d’ailleurs amusant de noter que contrairement au heros qui trouve la foi en parcourant les lieux saints, Duvivier declarera avoir ete tres déçu de ces visites, les lieux étant in fine bien quelconques.
Autre grand moment au debut la bagarre au meeting anarchiste…
J’ai parlé d’habileté scénaristiques… c’est un peu exagéré mais on a plusieurs registres qui viennent se greffer sur l’histoire édifiante.
L’intrigue «anarchiste ». La description de la cellule du parti au debut est saisissante. De fait, le film est assez ambiguë : les anarchistes sont les mechants mais à l’exception de Larsac ils ont l’air plutot sympathiques, formant un contraste franc avec la famille bourgeoise, aisee, cultivée, oisive. Ouvriers, gens de la rue, etrangers, lesbiennes (presence curieuse pour un tel film d’un court plan sur deux femmes dans la foule), … c’est le peuple.
En fait le film melange des ingrédients qu’on attendrait pas ce qui lui donne une tonalité curieuse.
Et puis il y a quelques plans expressionnistes de toute beauté et une evocation du jugement dernier pas piqué des vers… entre trompette de l’apocalypse, sortie des morts des tombeaux, effets de fumée (c’est tt de meme la fin du monde !).

Attention, tout ca ne fait pas pour autant un chef d’oeuvre.
L’interprétation de Edmond van Daële dans le rôle principal n’etant pas toujours convainquant. A noter par contre la prestation plus reussie de Gaston Jacquet. Sa tete me disait quelque chose: pas etonnant il sera un comparse régulier de Duvivier (David Golber, La tete d’un homme,…. Jusqu’a Pot Bouille).

Un film curieux donc qui prefigure, je trouve, la veine fantastistique de Duvivier.

A conseiller donc aux admirateurs du cineaste.
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Erich
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par Erich »

The Eye Of Doom a écrit : 2 avr. 22, 08:22 A noter par contre la prestation plus reussie de Gaston Jacquet. Sa tete me disait quelque chose: pas etonnant il sera un comparse régulier de Duvivier (David Golber, La tete d’un homme,…. Jusqu’a Pot Bouille).
Oui, Gaston Jacquet, dont le jeu est souvent sobre et nuancé, a été un des fidèles interprètes de Duvivier à l’époque du muet (7 films entre 1922 et 1928) et celui-ci continuera à lui confier quelques petits rôles par la suite (parfois très brefs comme dans La fin du jour). Il est particulièrement remarquable dans Le reflet de Claude Mercoeur (1923) où il joue très efficacement un double rôle, un ministre et son sosie, et dans Le tourbillon de Paris (1928) - qui figure d’ailleurs dans le magnifique coffret Lobster.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Marie Octobre

Les anciens membres d’un reseau de résistant se réunissent 15 ans apres la guerre. Un traitre est parmi eux.

Je n’avais pas été emballé par le film quand je l’ai decouvert et la revoyure ce soir n’a pas provoqué une révision à la hausse.
Le vrai problème je trouve est que le film suit avec peu de surprise son dispositif. Le casting dix etoiles est bien sur réjouissant mais chacun se voit affecter une personnalité un brin caricatural de ses rôles familier. Blier herite d’un personnage ambigue que tout accuse, Ventura est une ex brute que la résistance a transformé et qui tient maintenant une boite de striptease « honorable », Roquevert un inspecteur des impôts que l’on classerait plutot à la droite de la droite,…
Bref a part Paul Gers en pretre, chacun semble un peu a l’insu de son plein gré une caricature de lui même.
C’est bien sur bien ecrit mais on n’a pas le punch incroyable des grands dialogues de Jeanson chez Duvivier. Et ainsi curieusement, le tout semble trop ecrit.
Alors que le grand Duvivier avait un sens incroyable de l’occupation de l’espace, ici je trouve qu’il ne fait rien ou si peu de ka grande salle dont il dispose. Les personnages sont ici puis la, pas de tension dans cet espace. C’est d’autant plus décevant que filmer les groupes a toujours été un point particulièrement fort chez le cineaste (voir David Golber, La tete d’un homme, Au bonheur des cieux et bien d’autres exemples). Ici il y a pas de dynamique.
Donc au final un film qui se laisse voir pour le plaisir du casting mais dont le style semble bien compassé je trouve.
C’est d’autant plus curieux que l’on apprend dans le bonus que le film a ete tres preparé par Duvivier (avec une maquette) et que sur le tournage l’ambiance était très bonne.
Eric Bonnefille declare que Marie Octobre est le dernier grand Duvivier. Pour moi c’est sans conteste Pot Bouille et meme Lhomme a l’impermeable est beaucoup réjouissant que Marie Octobre.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

La divine croisière
Dans un port breton, un armateur sans scrupule envoie à la mort des marins sur un bateau pourri. L’amoureux de sa fille est l’infortuné capitaine.

Deuxieme film decouvert dans le coffret Lobster.
Et c’est super !
Attention toutefois, il s’agit d’une « fable moderne », édifiante, où la foi (chrétienne) a une place de choix.
Mais, la n’est pas le propos, ni l’interet.
D’une part parce que Duvivier s’attache beaucoup plus à opposer l’odieux bourgeois capitaliste à la simplicité, la beauté, le courage des braves pêcheurs. Dans une description de la tension sociale assez frappante toute de meme. On assiste, entre greve, revolte, solidarité, fraternité, a un vrai réquisitoire pour la lutte des classes.

Le film est tout le long superbe, avec notamment des galeries de visages burinés, jeunes ou vieux, femmes et enfants, qui rappelle le cinema soviétique (comme par hazard).
Le film commence tout de meme par une seance incroyable, dont je peine à trouver des équivalents :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le patron se fait tirer de dessus dans le salon de son chateau
Et la suite est à l’avenant avec une serie de scenes fortes remarquables :
Les marins grevistes
La mort de la femme du pecheur
L’assaut du chateau
La confrontation de la fille et du pere, avec un long plan fixe audacieux et marquant
Le rassemblement au presbytère


Rappellons nous Duvivier cinephile : de nombreux éléments évoque Metropolis, sorti l’année précédente, via notamment la figure de la jeune fille Simone qui est proche de celle incarnée par Brigitte Helm . Mais le style de Duvivier ayant peu a voir avec celui de Lang, on est tres loin du plagiat.

La mise en scene de Duvivier est tres dynamique, tres decoupée, mobile, tres pres des corps comme ce sera le cas dans les films des années 30. Comme indiqué les visages sont au cœur du dispositif, avec foultitude de gros plans d’une grande beauté.
Il est aidé par une distribution tres solide avec notamment Henry Krauss est remarquable dans le role du patron.

Franchement un tres grand Duvivier !!!

Ps : la copie est souvent tres belle. Remarquable travail de restauration, au vu des éléments pas tous au top disponible.
Edit : pour ceux que j’aurais pas encore convaincu, je signale un court plan où l’on voit les marins morts noyés, couverts d’alges, demander vengeance. Digne précurseur de ceux de Pirates des caraibes. Apres les morts sortant des tombeaux dans L’agonie….
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Le mystère de la Tour Eiffel
(Ou Duvivier s’amuse !)
Deux acolytes font un numéro de freres jumeaux siamois dans un cirque. Un des deux, un brave type, doit hériter mais son comparse lui vole ses papiers et se fait passer pour lui. Or la colossale fortune attire la convoitise d’une redoudable bande internationale : les compagnons de l’antenne.

C’est un pur divertissement, peut etre le seul qu’ai jamais tourné Duvivier.
On plonge dans une sorte de serial pour rire, à la fois parodique mais aussi spectaculaire (le final dans la tour).
Il souffle un vent de fantaisie et Duvivier s’en donne à coeur joie. On ne compte pas les scenes surprenantes où Duvivier s’amuse a pasticher Lubitsch (le protocole d’ arrivé du parvenu dans son hôtel particulier), l’expressionnisme allemand (du montreur d’ombre à Mabuse), et Feuillade bien sur: les poursuites dans l’arrière-pays nicois, ….
Je n’ai qu’une connaissance extrêmement limitée des serials de l’epoque donc difficile de savoir ce que le public de l’époque a pu percevoir comme references et pastiches qui me sont inconnus.
Le film est trop long et se répète (pourquoi deux sessions au chateau ?) donc a voir en deux ou trois morceaux.
Par contre c’est constamment inventif, dynamique, …. Il y a des plans qui préfigure le grand Duvivier.
Et de plus accompagné d’une excellente musique ( avec qcq bruitages).
Le final dans la tour est surprenant : mais comment ca a pu etre fait ???
L’acteur principal Tramel n’est pas mauvais même s’il surjoue à deux ou trois moments. En tout cas il porte bien l’ensemble.
Gaston Jacquet a le potentiel pour camper un solide méchant mais est sous employé : dommage.
Tout cela n’ote rien au plaisir ludique du film.
Un mot sur le tour de force de la (tres) longue séquence de la tour Eiffel.
Patrick Brion parle de trucage, de tournage en studio, de matte painting,..,
Hum, j’ai rien vu de tout ca.
Donc soit c’est super bien fait(Waouh!) , soit ca a été tourné entièrement sur place (WAOUH !!).

Donc en résumé, une curiosité, absolument pas indispensable (dans le coffret, ce n’est pas le film à regarder en priorité) mais fort plaisant pour le completiste de Duvivier et/ou l’amateur de serial.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par jhudson »

A défaut du coffret Lobster ( plus de 100 € et quasi introuvable , on ne peut pas dire que les éditeurs font des efforts pour que le grand public ai envie de découvrir des films muets), j'ai vu qu'il y a un coffret US Blu Ray avec les mêmes films, Zone A dans les 70 € et la ça devient plus intéressant .

Quand on voit l'inventivité de la mise en scène sur ses premiers films parlants comme David Golder, ça donne envie de voir ses films muets.

Je l'ai commandé !

Cinema of Discovery: Julien Duvivier in the 1920s

Image
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par jhudson »

Reçu le coffret de 5 Blu rays

Un coffret avec 2 boitiers en plastique et un livret de 44 pages et pas de DVD inutiles.

Les Blu ray sont Allzones, et au lancement des discs on peut sélectionner Français ou anglais (pas de ST anglais qui parasitent l'image), si ça se trouve c'était peut-être déjà le cas des Discs Français.

Vu la différence de prix avec celui de Lobster le choix est vite fait , payé moins de 60 €.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Reviens vite nous dire ce que tu aura pensé des films…
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par jhudson »

The Eye Of Doom a écrit : 12 déc. 22, 15:34 Reviens vite nous dire ce que tu aura pensé des films…
La remastérisation HD est vraiment belle , j'ai jeté un œil sur un disc, ça prouve que l'age d'un film ne rentre pas en ligne de compte sur la qualité de l'image, on le sait mais pas le grand public....

Ça va prendre du temps pour les regarder, mais comme je disais plus haut David Golder ( un master HD existe mais comme c'est TF1 vidéo qui en a les droits ,ça a fini sur un DVD) m'a fait une grande impression ,déjà que je suis un fan d'Harry Baur, immense acteur parti trop tôt.

Ok le film est bien antisémite, ça va tellement loin que ça en devient surréaliste , le régime nazi aurait pu s'en servir comme propagande , mais l'autrice du roman Irène Némirovsky juive russe l'était aussi, comme quoi la haine de soi peut aller loin.

Elle aura un destin tragique en 1942 dans un camp...

Mais le film parle surtout de la High Society ou l'argent domine tout et pervertit tout, c'est d'une rare violence.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Le tourbillon de Paris
Une femme qui a connu la gloire au theatre apres avoir abandonner son mari, se refugie en haute savoie, loin du tourbillon de Paris.

J’ai eu envie d’avancer un peu dans ce passionnant coffret Duvivier, er ce fut donc Le tourbillon de Paris.

Si l’intrigue, un mélodrame sur une femme partagée entre theatre,mondanités, gloire d’un coté et amour de l’autre, n’est pas complètement passionnant, le film lui impressionne.
C’est un bloc de mise en scène franchement étonnant.
Duvivier est ici particulièrement expérimental et c’est souvent tres réussi.

Toute la première partie en Savoie est remarquable. Duvivier, dès les premieres images, utilise des superpositions, tres dynamique, pour figurer à la fois l’ambiance, le decor de neige, le sentiment du voyageur. C’est bluffant.
Et ca continue comme ca.
Avec une tres grande vivacité, de nombreux travellings, des plans tres divers, une grande richesse. Ce que l’on a le droit de faire ou pas au cinema Duvivier s’en fout visiblement.

On est pris par cette forme, si impliquée dans le récit et l’émotion.

Et donc Duvivier essaye pleins de trucs. Notamment des incrustations. A chaque fois, on pourrait le croire au bord du ringard mais ca marche à fond.
Un exemple. Reconnue par ses admirateurs dans un restaurant, la femme accepte de chanter. Elle choisit « Les berceaux » de Gabriel Fauré. Ce chant décrit le « drame » des marins qui partent alors que les nouveaux nés qu’ils abandonnent sont bercés par les femmes.
Duvivier incruste dans une grosse moitié de l’image, des scènes illustrant ce propos.
Cela pourrait être ridicule mais ca marche.
Idem a la fin où l’actrice panique sur scene et est montrée emportée par les vagues, scene assez incroyable, ou encore lorsque chantant un recit de type wagnerien, on voit derrière elle se dérouler une bataille.
Le soin au cadrage et au montage enthousiasme.
Mais il y a aussi une grande agilité.
Je repense au critique de chez Criterion qui disait, sur David Golder, que la camera de Duvivier était sur le plateau comme une panthère aux aguets. On ne peut faire meilleur compliment au metteur en scene.
On sait jamais comment ca va se passer.
Proche des corps, comme toujours, avec un role important donné aux vêtements.

La courte scene de « l’agression sexuelle », est étonnante dans sa promptitude et sa violence dans le cadre tres « cool » de la réception mondaine.

On retrouve l’interêt de Duvivier pour les scenes de foule, ici au restaurant, au theatre, dont il sait capter les mouvements, l’agitation, la folie collective.

Ma seule reserve porte sur l’interprétation un brin figée des deux acteurs principaux trop maquillés.Gaston Jaquet est vieilli pour le role, il est un peu momifié et pas tres bon du coup.
De meme pour Leon Dary qui a un cote musee Grevin.
Lil Dagover par contre est tres bien, fait rare, faisant exactement son age , 40 ans, tout en gardant un coté juvénile, pure et enthousiaste.

On pourra bien sur trouver la conclusion discutable….
Enfin j’ai trouvé la dernière scene assez saisissante : la mere sort de chez elle et se rends à l’eglise.

Bref, si le propos ne m’a fondamentalement intéressé, le film est formellement passionnant je trouve.

Notre ami Allen John en dit aussi le plus grand bien ici:

http://allenjohn.over-blog.com/2021/12/ ... -1928.html

A noter toutefois que j’ai fini par regarder le film sans accompagnement musical. Non pas que celui-ci soit mauvais mais ce « fond » de melodies au piano m’a semblait desservir la modernité de la forme du film. A vous de voir.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Retour au coffret Lobster, apres des infidélités Japonaises 1Kult, du Walsh et d’autres choses…

Le mariage de Melle Beulemans.
La fille d’un brasseur bruxellois est convoitée par deux hommes: un homme du cru, un brin roublard, qui est son fiancé officiel et un jeune homme raffiné venu de Paris, objet de brimades de toutes et tous.

Le film est une comédie, assez plaisante, sans grande prétention, tirée d’une piece de theatre à succès.
Hubert Niogret dans sa tres courte intervention en bonus dit l’essentiel. Le film bénéficie de deux atouts (au dela de l’interprétation): une tres belle photo, qui couplée aux cadrages toujours solides de Duvivier, fait du film un moment agréable pour les yeux (sans ostentation ou tape à l’oeil).
La science de Duvivier dans les scènes de groupe, tres nombreuses ici, avec même un fort curieux passage de bal masqué. Duvivier saisit les lieux, leur occupation, les dynamiques de groupe, les occupants,…
Bref cette qualité, tout à fait remarquable, fera la richesse et la force de nombreux de ses films.
Il y a certes un demarrage un peu laborieux (l’album sur la Belgique) et les scènes avec le bambin auraient gagné à etre plus courtes, mais sinon, un bon moment, tout à fait recommandable, avec quelques scènes bien réussies (le concourt de fumeurs de pipes, le couple sous le parapluie, l’annonce de la rupture des fiançailles,…).

Certainement pas une œuvre majeure mais j’ai bien aimé.

Une fois de plus, j’ai vite viré la musique… c’etait bien moins genant que pour Le Tourbillon de Paris, mais la musique me paraît de plus en plus une barrière plusqu’une aide à pénétrer dans les films muets.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Maman Colibri
Une grande bourgeoise refuse son age. Elle tombe amoureuse d’un ami de son fils et vas rompre avec sa famille pour suivre celui ci en poste dans les colonies

Pour l’instant, le film le moins intéressant du coffret.
Non pas que Duvivier y soit moins brillant que d’habitude - tout la première partie et particulièrement le grand bal masqué est assez éblouissante - mais l’intrigue est assez convenue, l’interprétation pas extraordinaire - mention spéciale au grand benêt dont s’amourache l’epouse - et la seconde partie aux colonies longue et carte postale. Je passe sur le dénouement, consternant.
Le contraste avec l’autre drame mondain , Le tourbillon de Paris, est cruel.
Alors, oui, on peut regarder le film pour le festival de travellings audacieux dont Duvivier nous gratifie sur la 1ere moitié - en extérieur comme en interieur, c’est assez bluffant - l’ambiance charnelle qu’il restitue remarquablement tout le long du bal masqué, … et la clé de l’oeuvre que nous dévoile Hubert Niogret dans le bonus (surprise !).

Apres avoir vu La divine comedie, Le tourbillon de Paris, l’agonie de Jerusalem, …
Plus que trois à voir.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Pour finir le coffret Duvivier, il faut bien en passer par la à un moment ou un autre.
C’est fait

La vie miraculeuse de Therese Martin
Dernière nee d’une famille de 4 filles, Therese, 4 ans, decide qu’elle rentrera au couvent.

Duvivier a décidément un drole de rapport à la religion quand il réalise des films de propagande chrétienne.
L’agonie de Jerusalem surprends par ce mix entre évocation du calvaire du Christ dans les lieux meme de l’action et description d’une sorte d’international anarchiste. Il y a côté tres ancré dans le réel contemporain, bref par moment une tentative de fusion du film édifiant et du film social.
Dans La divine croisiere, Duvivier vas encore plus loin, associant le délire mystique de l’héroïne (montré comme tel ou presque) et un manifeste virulent pour la lutte des classes.
Ici le cadre est plus autere, plus intime. Et curieusement, on peut etre d’accord avec Hubert Niogret, contrairement aux deux précédents ce n’est pas un film religieux.
Divivier s’attache aux recits des parcours individuels, moins à leur motivation.
Dans le film, l’histoire du père est plus émouvante que celle de la fille. Ce dernier perds toutes ses filles une par une, celle passant dans un autre monde, une autre dimension. La surface de contact entre ces deux mondes est une grille fermée d’un rideau. La violence de cette séparation est particulièrement bien rendu dans le film. Ce qui se passe de l’autre côté ne releve pas du meme monde.
Deux passages sont remarquables.
Le premier est la longue cérémonie de prise de l’habit par Therese et le sacrifice du pere (magnifique plan qui passe presque inaperçu où le pere accablé avance et son ombre est le christ portant la croix.)
On assiste à la mort de la Therese « terrestre » lors de l’éprouvante scene où on lui coupe les cheveux, crument, mal, avec un ciseau grossier, c’est interminable de violence.
Coup de genie de mise en scene de Duvivier: pendant que Therese tondue se levé de son tabouret et est emmenée par les soeurs, son double spirituel se blottit contre le Christ.
Tout ce passage est terrible car c’est comme tout le film d’ailleurs le recit d’une psychose. On assiste au parcours névrotique d’une illuminée qui va au sein d’une secte assez terrifiante choisir un destin autodestructeur.
Le dolorisme de l’ensemble est expliqué crument, lors du second grand moment, par le diable lui même, apparition ridicule inspiré du Nosferatu de Murnau. Ce dernier apparaît à Therese lors de sa profession de foi pour lui expliquer crument la connerie de son choix.
Au bord du ridicule complet, quelque chose passe tout de même des lors où on comprend que ce delire est une hallucination de Therese.
Le portrait des sœurs du carmel est aussi saisissant. A plusieurs reprises, toutes de noirs vêtues, couvertes de leur voiles, elles ressemblent exactement à une société secrète sortie d’un Feuillade ou de Tintin et le crabe aux pinces d’or. Effrayantes, anonymes, elles apparaissent démoniaques.

Je dois avouer que le fait d’avoir enchaîné la vision de The vvitch de Eggers et La vie miraculeuse de Therese Martin, a pu impacter ma perception du message de Duvivier.
Mais ceci dit, il reste un film curieux, franchement ambiguë. Et tout de même un peu longuet… l’agonie de Therese étant interminable.
Tres bonne interprétation et belle copie dans l’ensemble.
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Re: Julien Duvivier (1896-1967)

Message par The Eye Of Doom »

Alexandre Angel a écrit : 4 nov. 23, 13:43
Erich a écrit : 4 nov. 23, 12:07
Concernant Le Paquebot Tenacity, malheureusement, il ne faut pas rêver (ni accabler René Château) : sauf si l'on retrouve (ce qui est toujours possible...) un matériau de meilleure qualité, la seule copie existante est celle exhumée au Japon dans les années 80 et que Brion avait diffusée en janvier 1986 (avec les sous-titres japonais, donc verticaux, sur la partie droite de l'image). La version Château est donc celle-ci (avec une image recadrée pour masquer les sous-titres). C'est un de ces films, oubliés pendant des décennies, qui a failli disparaître à jamais... Peut-être une restauration de cette copie améliorerait-elle un peu les choses, mais ne pourrait pas faire de miracle.
Merci je ne savais pas (je me souviens de cette diffusion au CDM mais je ne l'avais pas regardée et quelques copains avaient parlé du film en bien après l'avoir vue -je me rappelle que c'était un titre agréable à dire, comme un truc faisant un peu rêver : Paquebot Tenacity qu'on disait en négligeant l'article ).
Merci pour l’info.
J’ai donc plus qu’a retrouver le dvd. De memoire, la compression etait loin d’etre top!)
Je deplace ici pour traçabilité.
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