Buster Keaton (1895-1966)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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allen john
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

The haunted house:
Bon, voilà, après la salve de films réjouissants et formellement très élaborés qu'il vient de faire, Buster Keaton, tout en continuant à proposer des fims qui ne ressemblent à ce qu'aucun autre comédien, ne pouvait faire, semble marquer un temps d'arrêt. D'ailleurs, il a gardé The high sign sous le coude, et ne va pas tarder à le ressortir du placard comme pour signifier qu'il est un peu en panne.

Le premier symptôme c'est cette histoire de maison hantée, qui bien qu'elle propose un film d'une bonne tenue, en apparence logique, reste quand même marquée par un manque certain de cohésion: Buster y joue l'employé d'une banque dont un autre caissier (Joe Roberts) est faux-monnayeur; il se sert de la banque pour écouler les billets, et d'une maison hantée (Par divers dispositifs mécanique, et autres illusions) pour tenir les curieux à l'écart du trafic. après un prologue au cours duquel le caissier (forcément inepte) mélange billerts de banques, glu et eau bouillante au grand dam des clients, un quiproquo mène à ce que le président de la banque croie que Buster est un cambrioleur (!), et celui-ci n'a d'autre ressource que de s'enfuir... au même moment, une troupe de théâtre "exécute" faust, et doit fuir le lieu de spectacle sous la menace hostile d'une foule... Les acteurs, grimés en Faust, Méphisto et Marguerite, Buster, mais aussi la fille (Virginia Fox) du président de la banque se retrouvent tous dans la maison hantée, ou les gags les plus idiots pleuvent...

On appréciera l'humour noir, bien sur (en particulier lorsque Keaton s'envoie au paradis), l'ingéniosité et les cascades. Le moment ou Buster fait un écart dans sa course pour évitéer la caméra, ses efforts impressionnants pour jouer l'émotion en restant impassibles, il y beaucoup de choses qui méritent d'être vues. Mais on est en droit d'attendre mieux, et on aura mieux de la part de Keaton...

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 84668.html

Hard luck:

Paradoxal, Hard luck est à la fois la confirmation de cette impression de stagnation de la part de Keaton, et une série de promesses, disjointes et pas vraiment mises au service de la cohésion d'un scénario. Mais le film est fascinant pour trois raisons: d'une part, l'humour volontiers noir s'y trouve, et il n'y a pas grand chose pour le tempérer; ensuite, l'absurde n'est ici pas contredit par le moindre rêve, contrairement à ce qui se passait dans Convict 13 et The haunted house. Enfin, le film a été longtemps perdu, et a fait l'objet d'une reconstitution qui se voit, ajoutant probablement à l'impression de bric à brac. Quoi qu'il en soir, le film est miraculé...

Buster a faim, et malgré ses essais (affligeants et infructueux) pour se sortir de la pauvreté, il n'a d'autre ressource que d'en fenir. comme dit un intertitre, "the day was coming to en end, and so was Buster": le jour finissait, et Buster voulait en finir. Il essaie donc de se faire écraser par un tramway, percuter par une voiture, de se pendre et de s'empoisonner. Il va ensuite (voyez l'enchainement dans le film) se faire engager en qualité de chasseur pour une expérience scientifique, et pêcher des poissons plus gros que lui, avant de se faire pêcher lui-même. Enfin, il croise une jolie cavalière (Virginia Fox), qu'il va sauver d'une destin pire que la mort entre les bras du menaçant Joe Roberts. Pour en finir avec le film, sa dernière tentative de suicide l'emmênera au moins plus loin que les autres....

Comme avec le précédent film, on peut râler devant le n'importe quoi un peu trop facilement assumé du film, mais il y a suffisamment ici à prendre, de gags en gags, d'inventions en trompe l'oeil, pour au moins prendre du plaisir. le film n'a pas été considéré comme un classique, et ne l'est d'ailleurs toujours pas. Son inaccesibilité y est sans doute pour une part, mais sa bizarrerie y est pour beaucoup, comme sa fin étrange, qui fut longtemps perdue.

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someone1600
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par someone1600 »

Tiens je crois qu'en parallele de mon integrale Chaplin je vais tenter d'en faire une de Keaton... histoire de comparer les deux. :D
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hansolo
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par hansolo »

someone1600 a écrit :Tiens je crois qu'en parallele de mon integrale Chaplin je vais tenter d'en faire une de Keaton... histoire de comparer les deux. :D
Même si je connais bcp moins Keaton, je pense qu'il est assez périlleux de comparer ces 2 artistes.
Mais c'est vrai qu'ils ont en commun le génie :!:
allen john
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

The goat

Merveilleux! ce court métrage souligne a posteriori le fait que durant deux films, ses derniers courts métrages coréalisés avec Eddie Cline, Keaton tatonnait. Le défaut de ces deux films erratiques et souvent très hétérogènes, le manque de cohésion, est ici passé à la trappe, au profit d'un scénario basé sur un Buster affligé de la même condition q eu beaucoup de ses collègues comédiens: il a faim, comme Chaplin, Langdon ou Laurel & Hardy dans de si nombreux films. La motivation est donc là dès le départ, mais c'est une fausse piste: le principal moteur de son personnage qui va bientôt se débatre avec la justice, c'est surtout d'échapper à la police... A la faveur d'une tentative désespérée d'imiter un passant qui a jeté un fer à cheval en arrière et immédiatement trouvé un portefeuille plein, Buster fait de même, et le fer atterrirt bien sur la tête d'un policeman. Il n'en faut pas plus pour faire du héros un fugitif, et la tentation d'accumuler les policiers, qui ira très loin avec Cops en 1922, est déja là. Néanmoins, le film suit un cheminement autre que le simple enfilage de poursuite. une séquence voit en effet un bandit faire une photo anthropométrique en prison, alors que Buster passe dans la rue. Par curiosité, il jette un regard discret, et le bandit se baisse à ce moment précis, puis sévade dans une scène hallucinante par son économie: le bandit passe devant une fenètre grillagée, éteint la lumière. On voit alors son ombre passer devant le jour projeté par la fenètre, puis on rallume: il n'est plus là. Un plan-séquence de quinze secondes, d'une clarté absolue, et un sacré sac d'embrouilles pour Buster, puisque c'est sa photo qui va être placardée partout...

La paranoia et la poisse, ce sont bien les deux moteurs de ce film, mais il y en a un autre, c'est le mouvement: courir pour échapper aux policiers, utiliser les voitures, trams ou trains pour se déplacer et aller toujours plus vite, et à l'intérieur des trains, courir pour échapper à se poursuivants. Les variations ici sont nombreuses, j'en retiens deux: d'une part, Buster échappe à des flics en s'accrochant à l'arrière d'une voiture en marche, ce qui a du être assez douloureux; d'autre part, dans un plan célèbre, un train, dans le lointain, s'approche de la caméra. Au fur et à mesure on commence à voir une silhouette à l'avant. Buster, impassible, est assis, et le train ne s'arrête qu'au plus près de la caméra: un plan spectaculaire, inoubliable, qui met en avant le caractère particulier, qui se joue des distances, mais aussi de la profondeur de champ, du style de Keaton, qui ne considère jamais le champ de la caméra comme une scène de théâtre, mais qui utilise toutes les ressources spatiales du cinématographe. Un génie génial, donc, dans un excellent film...

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Père Jules
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par Père Jules »

Revu hier soir pour la énième fois Le mécano.
Mais alors, avec le BR Kino s'il vous plait ! Bon, je peux balancer ma vieille édition dvd, la redécouverte du film a été complète le transfert étant d'une qualité remarquable.
On ne pouvait rêver mieux :D
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par someone1600 »

Il faut définitivement que j'achete ce Blu-ray... lol. :D
allen john
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

28 X Keaton:

The playhouse (1921)

Un petit théâtre un brin miteux, qui présente un spectacle de music-hall classique, fait de numéros sensationnels, de numéros musicaux, et autres dresseurs de singe. Buster en est l'accessoiriste-machiniste-homme à tout faire, maltraité par tous, y compris Joe Roberts, qui est son supérieur, mais met aussi les pieds sur scène quand il le faut. Et ce personnage de rien du tout, qui bien sur a une vie des plus tristes, rêve... Les six premières minutes de ce film sont en fait le rpeve du machiniste, qui se voit sur les planches, lui aussi, mais aussi dans le public: 28 Keaton sont donc dans un théâtre. La scène est célèbre, et est un tour de force parfaitement amené: Keaton entre dans le théâtre après avoir payé sa place, et... voyez le film.

Ce rêve, sinon, serait un peu gratuit s'il n'était prolongé par une scène durant laquelle Buster, encore dans son rêve, ne voyait des jumelles, mais chacune à son tour. Puis, il les voit toutes deux ensembles, face à un miroir chacune... Deséspéré par ce qu'il croit être le début de la folie, il aperçoit son triple reflet dans les trois miroirs d'une loge, et comprend finalemnt qu'il n'a pas la berlue. Le thème de la multiplication des Busters y trouve un bel écho, mais les jumelles, si elles justifient a posteriori la cohésion de la présence du rêve, disparaissent du film avant de revenir sans crier gare à la fin. Cette enfilade bon enfant de gags liés aux planches, dans lesquels Buster fait montre de son talent et de son savoir-faire en absolument tout (Y compris quand il faut être un singe, il pousse la logique jusqu'au bout), reste un film certes spectaculaire, mais qui manque de substance. Sauf, sans doute, pour les hallucinantes premières minutes, techniquement superbes, et dont les images, comme souvent avec Keaton, vont vous hanter toute votre vie.

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 02191.html
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fargo
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Re: Buster Keaton, l'homme qui ne rit jamais

Message par fargo »

bruce randylan a écrit :
misterleo a écrit :Vous saviez que à la base Buster Keaton s'appelait Joseph ?
Quand il était nourrisson il est tombé de son lit d'assez haut, et miracle : pas une égratignure.
Ce jour-là ses parents ont changé son nom et l'ont appelé "Buster" (="chute").
il me semble que c'était Houdini qui s'écria "that's a Buster" en voyant Keaton fils faire une joli chute ( lors d'une représentation familliale ? )
Je crois que tu as raison,bruce.
"Il est né le 4 octobre 1895 dans une pension-théâtre de Piqua, au Kansas, où ses parents, Joe et Myra, donnaient un "spectacle médical" avec leur troupe ambulante, un numéro de Music Hall en plein air destiné à attirer les foules pour les marchands de remèdes miracles.
Le surnom de "Buster" lui fut donné par le grand magicien américain Harry Houdini, qui à ses débuts, travaillait avec les Keaton dans leurs spectacles.En voyant le petit Joseph dégringoler les escaliers un jour et s'en relever miraculeusement indemne, Houdini s'était exclamé:"That's somme buster!" (Ca c'est de la chute!)."
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par someone1600 »

allen john a écrit :28 X Keaton:

The playhouse (1921)
http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 02191.html
Encore un titre alléchant. :D
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

The boat (1921)

Si Buster préférait, de tous ses courts métrages, Hard Luck (Sur lequel je suis fortement mitigé), celui-ci était le deuxième film favori: les deux ne possèdent finalement qu'un point commun, celui de montrer de façon asssez sardonique la philosophie de la vie, forcément noire, de Keaton. Sinon, The boat possède, à l'instar de The navigator, The general et The cameraman, l'avantage d'être centré autour d'un objet dont toutes les situations (C'est-à-dire les gags) découlent. En 27 minutes, c'est une merveille, drôle et souvent presque cartoonesque.
Keaton est doté d'une famille, dans laquelle le chapeau reste l'uniforme. l'épouse, jouée par Sybil seely, suit son mari et l'assiste en parfaite petite moitié, et leurs deux enfants auront beaucoup à subir, puisque la famille a décidé de partir en bateau. L'esquif, un imposant bateau appelé Damfino, va beaucoup souffrir, puisque Keaton et Cline se sont ingéniés à trouver yous les gags possibles et imaginables avec le bateau. Keaton, Seely, et les enfants vont aussi beaucoup souffrir:

-Trop gros pour passer la porte du garage, le bateau fait s'écrouler la maison.
-Le lancement se termine par un plan de Keaton, debout sur son bateau qui s'enfonce inexorableemnt. Léger coup d'oeil vers l'arrière, comme pour savoir quoi faire à présent, puis Keaton disparait dans l'eau.
-Pour passer sous un pont, les mats sont amovibles.
-Pris dans la tempête, le bateau fait des tours complets sur lui-même. le "capitaine" décide de se clouer les chaussures au sol pour rester en place.
-Pour égayer la cabine, on a l"idée d'accrocher un tableau. Les clous, c'est fatal, entrainent une voie d'eau.
-Pour enrayer la voie d'eau, Keaton perce un troui dans la coque afibn d'évacuer. ce n'est pas très efficace.

Bref... Pris dans la tempête, le bateau coule, avec Buster bien sur. la famille a pris place das la baignoire de sauvetage, et voit seul le petit chapeau surnager. ils se recueillent un moment, puis Buster réapparait. Toute la famille se retrouve donc dans le petite baignoire, dont l'un des enfants retire la bonde. la baignoire coule, heureusement près du bord... Sur la plage, Sybil demande à Buster: "where are we?" Sans intertitre, Keaton répond en prononçant distinctement le nom du bateau: Damfino ("I'll be damned if I know", équivalent de "pas la moindre idée".) Une façon étrange de conclure un film, qui ressemble à la fois à une fin triste, ou en tout cas sinistre (Après tout, la famille s'enfonce dans le noir), tout en étant une fin heureuse: ils ne sont pas morts, après tout... Mais l'essentiel de ce film tient dans le rapport étrange avec l'eau, élément incertain, symbole du dstin et véritable Némésis de Keaton, qui se frotte à l'élément liquide dans TOUS SES FILMS, que ce soit par le biais d'un seau, ou de l'océan tout entier. A ce niveau, The boat et sa dérive (Vers où, à propos?) est l'un des grands films en ce qui concerne la thématique. Indispensable chef d'oeuvre, donc.

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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

The saphead (Herbert Blaché, 1920)

Premier long métrage avec Buster Keaton en vedette, ce film est aussi le premier que Buster ait tourné après la fin de sa collaboration (1917-1919) avec son ami et mentor, Roscoe Arbuckle. Et franchement, il faut le voir pour le croire, tant ce petit film est éloigné du style sauvage et délirant des deux bobines précédents. Pour une large part, The saphead (L'andouille) annonce les rôles de jeune riche décalé que Buster jouera dans ses longs métrages, en particulier The Navigator; le film est basé sur une pièce , The New Harrietta. L'intrigue tourne autour de trois Harrietta: une mine d'or au Texas, appelée ainsi, dont le milliardaire New Yorkais Nicolas Van Alstyne possède la moitié des parts, une femme qui a eu un enfant illégitime avec le gendre de Van Alstyne, et le portrait d'une danseuse de ce nom, aperçu dans la chambre de Bertie, le très inefficace fils de Van Alstyne. a partir de ces trois "Harrietta", les confusions possibles sont exploitées par une intrigue maline qui se voit sans déplaisir, même si le rythme du film est plutôt lent. Mais ce n'est pas grave: The saphead devient vite un écrin pour l'acteur Buster Keaton, qui se révèle ici d'une compétence qu'on ne pouvait pas soupçonner à la vision des films d'Arbuckle. Le moment du film le plus célèbre voit "Bertie" se jeter sur tous les hommes présents lors d'une séance de la bourse pour leur racheter leurs parts de la mine, et les prouesses accomplies par l'acteur sont très impressionnantes. La façon dont il joue de son corps, ici, avec minutie, tout annonce la rigueur du plus grand comédien de tous les temps. Voilà, je l'ai dit. Quant à Blaché, il donne ici un travail très compétent, même si je doute qu'on aurait tant d'intérêt pour ce film si Keaton ne jouait pas dedans...

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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

The paleface (Buster Keaton, 1922)

Ce court métrage est le premier réalisé par Keaton seul. Et dès le départ, on se demande un peu ce qu'il se passe. Bien sur, on est habitué des débuts inattendus, en trompe l'oeil, des films du comédien, mais là, rien ne nous a préparé à ce que nous voyons: un film qui nous raconte, de façon directe, et sans fards, un tour de cochon joué aux Indiens, qui sont dépossédés de leurs terre par un groupe pétrolier sans scrupules; Ici, pas de gag, juste une narration directe et dramatique. mais il faut tout simplement se pencher sur le reste de l'oeuvre, et constater que dans Our hospitality et The General notamment, Keaton qui admirait Griffith a tourné des morceaux de ses films d'une façon aussi frontale, sans passer par la case comédie. après tout, son premier long métrage en 1923 pastichera Intolerance de façon tendre...

En attendant, Keaton fait son apparition dans ce film à un très mauvais moment: il se rend sur une réserve Indienne (le chef étant interprété par Joe Roberts, on est rassurés, et on sait qu'on n'a plus qu'à attendre l'arrivée du comédien en chef), alors même que la tribu qui n'apprécie pas les manières des blancs est décidé à tuer le premier intrus venu... Bien que venu pour chasser le papillon, Buster va avoir des ennuis, c'est sur....

Un petit film donc, assez peu porté sur l'absurde, pas aussi poétique ni noir que le précédent, mais suffisamment doté de gags mémorables et de petites cascades rigolotes pour qu'on ait envie d'y revenir... Il y aussi, en plus d'un étrange début au premier degré, une fin absurde qui fait bien plaisir. Et puis peut-être que Buster avait autre chose en tête, en cette difficile période pour son meilleur ami Roscoe Arbuckle? On y reviendra, et Buster Keaton aussi. Un dernier mot: un plan de ce film anticipe sur une fameuse scène de the Iron Horse, de Ford: Buster a tourné en effet une séquence qui fait intervenir un paysage assez spectaculaire, marqué par une faille entre deux rochers: c'est ce même endroit qui verra George O'Brien subir l'attaque d'un traitre dans le grand western de Ford, deux ans plus tard.
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

COPS (Buster Keaton, Eddie Cline, 1922)
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Il est des films de Keaton qui savent avantageusement se contenter d'être un spectacle. certains ne vont pas très loin, voire sont dispensables, tant parmi les courts que parmi les longs métrages: on ne fera pas grand cas de College, par exemple. D'autres films brillent d'un exceptionnel éclat comique... Mais il y a eu, à une certaine époque, chez Benayoun par exemple, une tendance à vouloir faire de Keaton un homme aux vertus abstraites et philosophiques d'une phénoménale profondeur. Certaines critiques renvoient à Beckett, et d'autres font du comédien un intellectuel qu'il n'était pas, et se défendait bien de vouloir être. Il était parfois amusé, parfois agacé par de telles assertions, mettant l'étrange vision du monde que ses films présentaient sur le seul compte de son humour et de son envie de gags: promis, juré, il n'y avait dans ses films que du burlesque pur... d'une part, ils disent tous ça, comme Ford qui jurait ses grands dieux que My darling clementine n'est qu'une histoire au premier degré. Et compte tenu de l'éducation tronquée de Buster, qui s'est entièrement sitée sur les planches, enfant de la balle à 200%, on ne peut qu'être d'accord avec lui. D'autre part, si Buster Keaton n'aurait jamais accepté qu'on le soupçonne d'être un humoriste à vocation philosophique, ses films dépassent parfois de façon troublante le manque de prétention affiché: Hard luck traitait ouvertemenbt de suicide. De nombreux films offrent un commentaire sardonique sur le mariage (One week, The boat, mais aussi l'étrange final de College, du pur Keaton dans un film hybride). Et puis il y a Cops, un film mûrement réfléchi, radical, assumé et parfait.

Buster derrière les barreaux, Virginia Fox de l'autre côté: le plan tire parti d'une façon nouvelle du beau visage de pierre de Buster Keaton, auquel pour une fois on se doit d'attribuer un sens émotionnel... c'est en fait un plan en trompe-l'oeil qui ouvre le film, puisque la caméra nous révèle ensuite que le jeune homme est en réalité à la grille de la propriété des parents de la jeune femme; celle-ci vient, afin de pouvoir lui promettre d'acceter un jour ses avances, de le mettre en demeure de devenir un grand businessman... C'est peu de dire que Keaton a souvent donné à Virginia Fox des rôles désagréables, contrairement à Sybil Seely dont il faisait souvent sa complice (One Week, The boat, dans lequel ils ont même des enfants!!). Fox, ici, représente un idéal impossible, et elle se place d'ailleurs même en accusatrice dans lea scène de la bombe... quoi qu'il en soit, Buster aveuglé par l'amour décide de donner vie à son rêve, en subtilisant une somme d'argent trouvée par terre (Et qui appartient à l'origine à Joe Roberts, pour une courte mais incisive apparition) et el l'utilisant à bon escient. Un escroc qui a flairé l'innocence naïve lui vend des meubles placés sur le trottoir par une famille qui déménage et attend un transporteur. Buster ajoute à ces meubles une carriole tirée par un cheval récalcitrant, et se met en route, persuadé que sa bonne affaire va lui permettre de conquérir le coeur de Virginia...

Quelques gags bien sentis colorent de burlesque cette équipée étrange; l'un d'entre eux est très annonciateur: doté d'un bras amovible (un ressort auquel est attaché un gant de boxe) afin d'indiquer aux véhicules derrière lui qu'il tourne, Buster met un policier K. O. C'est justement, dans la ville dont le père de Virginia est le maire, le jour de la parade des forces de police: des dizaines, des centaines de représentants des forces de l'ordre sont rassemblés; tout le monde les acclame, at au milieu, Buster prend brièvement les applaudissements pour lui. Les officiels qui l'ont aperçu, parmi lesquels le maire et sa fille, le pointent du doigt: il n'a rien à faire là! Pourtant, à ce stade, il n'a encore pas fait grand chose, à part peut-être perturber la parade... Non, le rejet de sa personne s'effectue a priori, comme si Keaton voulait nous prouver qu'il n'avait, auprès de Virginia comme de la bonne société, aucune chance dès le départ...

Un anarchiste qui souhaite manifestement s'en prendre aux forces de l'ordre, il est vrai rassemblées un peu opportunément, jette une bombe, celle-ci arrive entre les mains de Buster qui s'en sert pour allumer une cigarette, puis la jette négligemment sans se rendre compte de ce que c'était réellement: forcément, elle explose. l'enchaînement est logique, ce qui nous permet a) de constater que Buster Keaton n'est absolument pour rien dans ce qui arrive et b) de comprendre qu'il est cuit, puisqu'il a effectivement jeté la bombe, et ce devant témoins.

Le reste du film est un déchaînement hilarant de gags, de poursuites, de plans subtilement comosés de Buster poursuivi littéralement par des centaines de policiers en uniforme... Le goût pour les plans ultra-économiques, qui résument en une image et quelques secondes une situation (Voir par exemple cette utilisation d'un pâté de maisons en arête, dont les deux trottoirs situés de part et d'autre nous permettent de voir deux meutes de pandores à la poursuite de Keaton), un talent ici combiné avec des situations à la mécanique de précision diabolique, le plus souvent filmé à une distance parfaite (L'échelle en équilibre sur une palissade, Buster caché dans un coffre au milieu des décombres, cerné par des dizaines de flics...), bref, tout concourt à rendre ce film inoubliable.

La fin est célèbre, avec sa morale narquoise: réfugié... dans un poste de police, Buster a attiré derrière lui tout ce que la ville compte en matière de policiers, et sort du poste, déguisé avec le plus bel uniforme qu'il ait pu trouver, puis ferme la porte à clé afin de contenir les fauves; Symboliquement libéré de tout ennui, il voit Virginia, qui passe son chemin. le héros retourne à la porte, l'ouvre, et laisse les policiers se saisir de lui... Fondu au noir: le mot fin est écrit sur une pierre tombale, mais le chapeau qui y est accroché ne laisse aucun doute.

Bien sur, le plan en trompe-l'oeil du début était sans équivoque non plus: on pouvait bien le croire coupable, comme tout le reste de l'humanité semble-t-il dans The goat, le précédent film paranoïaque de Keaton. Lloyd reprendra d'ailleurs cette idée en l'adaptant, et en la poussant techniquement un peu plus loin, avec un travelling arrière comme révélateur de la supercherie, dans Safety last, en 1923. Mais ici, Buster Keaton a un message à faire passer, avec cette vision fugitive d'un homme potentiellemnt coupable, cet affreux concours de circonstances qui le rend ennemi public numéro 1, cette paranoïa galopante d'un homme poursuivi par des dizaines de policiers en uniforme, qui en veulent à sa peau, et qui d'ailleurs auront raison de lui dans un final glaçant. Hitchcock lui-même n'a jamais été aussi loin dans la paranoïa anti-policière...

En 1921, le mentor de Buster Keaton, et par ailleurs son meilleur ami, Roscoe Arbuckle, était l'un des rois de Hollywood; bon vivant, il avait l'habitude d'organiser de fêtes qui faisaient un peu jaser par leurs débordements. Au cours d'une de ces fêtes, Virginia Rappe, aspirante actrice, est morte. immédiatement considéré comme le meurtrier, proclamé violeur, Arbuckle a été paré de tous les vices. William randolph Hearst, propriétaire local de presse bien connu des cinéphiles, était semble-t-il décidé à exploiter l'affaire, tant qu'on croirait Arbuckle coupable. Le, ou plutôt les procès car il y aura des appels, ont tous conclu à l'innocence d'Arbuckle. Non seulement aucune excuse ne lui sera fournie de la part de ses détracteurs, mais cette affaire a signé l'arrêt de la carrière triomphale du comédien, jusqu'alors en contrat avec la prestigieuse Paramount. Il lui fallait désormais trouver un pseudonyme afin de pouvoir mettre en scène des films pour le compte d'autres, et pas pour les plus grands studios; jusqu'au bout, à sa mort en 1933, Arbuckle était désormais un homme brisé, reconnu innocent, mais symboliquement coupable de la saleté qu'on s'est plu à lui attribuer. Keaton est resté, à ce sujet, en colère jusqu'à son dernier souffle.

Non, Cops, comédie sublime sur un destin horrible, n'est absolument pas un film gratuit. C'est aussi un chef d'oeuvre burlesque.
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par someone1600 »

Avec cette chronique tu ne peux que nous donner envie de découvrir ce film... mais de quelle maniere ? existe-il en dvd ? :?
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Re: Buster Keaton (1895-1966)

Message par allen john »

someone1600 a écrit :Avec cette chronique tu ne peux que nous donner envie de découvrir ce film... mais de quelle maniere ? existe-il en dvd ? :?
Mais oui, et comme tous les Keaton: il est disponible sous forme de bonus sur l'un des DVD Kino, et autrement sur les anthologies (Arte, en France, et Masters of Cinema, en GB) je suis sur que tu le trouversa sur Youtube ou un équivalent...
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