Muddy river (Oguri Kôhei) - 1981
Oguri Kôhei, auteur en 2005 de La forêt oubliée, signe un remarquable film sur l’enfance. A l’image de L’incompris (Luigi Comencini), Cria Cuervos (Carlos Saura) ou encore Mon voisin Totoro (Hayao Miyazaki), il saura saisir avec justesse et humanité le ressenti de ses jeunes personnages, dans un contexte emprunt de difficultés.


L’après guerre a laissé de nombreuses personnes dans une situation précaire, dans laquelle tous ne sont pas égaux devant la vie. Cette période trouble nous est contée à travers le regard innocent mais néanmoins chargé de souffrance de trois enfants, liés d’amitié suite à un drame survenu aux abords de la rivière. L’un vit avec sa famille dans une maison au bord de cette même rivière, bénéficiant du confort lié à la situation sociale de ses parents, tandis que les deux autres, une fille de dix ans et son petit frère, vivent sur un bateau accosté à la rive. Premier contraste, la mère de ces derniers n’a d’autre choix que de se prostituer, et laisse à contre cœur sa progéniture se débrouiller par elle-même, pour au final grandir plus vite que la normale. Une manière d’insister sur la triste réalité de nombreuses veuves de guerre, n’ayant que peu d’alternatives pour subvenir aux besoins des siens.


Ici, les différences de classes sociales et la volonté affichée par certains de faire tomber les barrières sont au centre des débats. Ce désir contribue constamment à humaniser cette douloureuse tranche de vie. Ou quand la solidarité nécessaire à la reconstruction du pays et des âmes qui lui donnent vie passe par une volonté commune d’apporter sa contribution, aussi minime soit-elle. Même dans la difficulté ou la pauvreté, une parole donnée ne se reprend pas, et le respect garde une vraie valeur.


Par moments, la souffrance s’éclipse le temps d’une parenthèse dorée. Alors, la simplicité des jeux, le bonheur qui en découle, de même que la spontanéité et le regard enthousiaste porté à des détails rappelle qu’ils ne sont que des enfants. Eux aussi victimes en cette période de transition, leur attitude illustre à merveille la complexité des émotions, à cet âge où il est nécessaire d’être entouré. Mais ces bulles d’oxygène passagères ne cachent jamais un malaise patent, toujours prêt à les toucher au cœur. Celui-ci frappera par à-coups, toujours cruel et sans concession. Un difficile apprentissage de la vie et une découverte de la réalité du monde dans lequel ils évoluent. Un monde où les injustices sont légion et où tout ne passe pas toujours comme on l’aurait voulu. La vie ne tient ici qu’à un fil, celui de la volonté … et de l’espoir.


Un grand film sur l’enfance, dont l’authenticité et l’humanité rayonnent à travers les regards de ceux qui le font vivre. Muddy river n’oublie jamais la dure réalité mais garde toujours une place à l’espoir et à l’optimisme, et s’avère au final une très belle réalisation.




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Sazen tange and the pot worth a million ryo (Sadao Yamanaka) - 1935
Le réalisateur Sadao Yamanaka nous livre un hymne à la gloire de l’oisiveté d’une fraîcheur sans faille. Le pitch de départ est assez simple : un pot, reconnaissable par une tête de singe et n’ayant en apparence aucune valeur, est offert comme cadeau de mariage par un richissime seigneur japonais à son frère. Commence alors le périple de l’objet entre diverses mains ayant la fâcheuse tendance à vouloir s’en débarrasser. Sauf que voilà, le pot en question renferme la carte d’un trésor se montant à un million de ryos ! A peine sa véritable valeur connue, commence une quête drolatique qui verra différents desseins guider les actes de chacun. Les mêmes personnes qui souhaitaient s’en débarrasser se retrouvent à n’avoir d’yeux que pour lui, tandis que d’autres s’en serviront comme prétexte pour jouir des plaisirs simples de la vie, ou d’un peu de liberté dans leur vie maritale. Comme si la tranquillité et le bien-être n’étaient pas moins importante que l’argent.


Malgré l’enjeu, il ne faut pas s’attendre à une quelconque action ou tension autre que la volonté de voir nos anti-héros réussir dans leur entreprise. Les adages « Rien ne sert de courir, il suffit de partir à temps. » ou « Tout vient à point à qui sait attendre. » sont particulièrement de mise dans le déroulement de l’histoire, et correspondent à l’esprit souhaité par le réalisateur.


Cette comédie contient une énorme dose de sympathie et de bonne humeur, rendant le spectacle en tout point réjouissant. Si une certaine gravité, dû à l’époque durant laquelle se déroule l’action, n’est jamais loin, c’est bel et bien la joie qui s’exprime au travers des personnages. D’ailleurs, parlons en des personnages ! Ils sont l’élément clé du film et lui donnent une dimension humaine des plus plaisante. On retrouve entre autres un ronin caractériel et borgne (Denjirô Ôkôchi) vivant au crochet d’une gérante de maison de jeu au tempérament bien trempé, un oisif sympathique formant un couple qui l’est tout autant, des collecteurs d’ordures un peu simplets, … Le gamin de l’histoire, possesseur inopiné du fameux pot, a quand à lui été recueilli et bientôt « adopté » par cette bande de joyeux lurons. Ces derniers étant bien entendus loin de se douter de la nature de l’objet, rendant la situation d’autant plus cocasse.


Pour autant, tout n’est pas rose et certains protagonistes n’auront cure des envies de jouir de la vie de chacun, les rappelant à la dure réalité de leur condition. D’autant que l’action a pour principale terrain de jeu les bas fonds d’Edo, où la bonhomie et la gentillesse de certains habitants, nullement entamée par la pauvreté, cède par moment sa place à la cupidité et à la violence.
Pour finir sur une bonne note supplémentaire, la réalisation et la mise en scène, ainsi que la beauté des plans proposés, sont idéales pour ce genre de film et permettent de le suivre dans les meilleures conditions possibles.


Intéressant du début à la fin au point de ne pas vouloir en manquer une miette, drôle, attachant, humain, Sazen tange and the pot worth a million ryo est un petit bijou.

