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Critique de film
Le film
Affiche du film

Une aventure de Billy Le Kid

L'histoire

Billy Le Kid (Jean-Pierre Léaud) est poursuivi par les forces de l’ordre et des bounty hunters. Il découvre évanouie une jeune femme (Rachel Kesterber) dans le désert, la secourt et la prend en otage. Elle tombe sous le charme de ce jeune homme sans foi ni loi, et lui découvre des sentiments que jusqu’ici il ignorait.

Analyse et critique

Luc Moullet explique que s'il s'est lancé dans le tournage d'un « westeurn » c'est parce que de l'autre côté de l'Atlantique les cinéastes n'hésitent pas à s'illustrer dans de multiples genres et ne restent pas - comme c'est souvent le cas en France - cantonnés à celui qui les a fait connaître. Il cite Hawks qui a pour lui réalisé la meilleure comédie, le meilleur film policier et le meilleur western. Qu’il prenne pour modèle un cinéaste américain n’est guère étonnant, Moullet en tant que cinéphile étant bien plus attiré par ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique que par ce qui se tourne en France. La Nouvelle Vague ne le motive guère et même s'il a écrit de très beaux textes sur Godard, c'est lorsqu'il évoque par exemple Ulmer ou DeMille que l'on sent véritablement sa passion dévorante pour le cinéma.

Après Les Contrebandières, il est de retour dans les roubines, paysage sec et meurtri qui lui rappelle cet Arizona si souvent magnifié dans les westerns américains. Moullet est d’ailleurs très fier d’avoir déniché ce décor naturel, les montagnes qu’il filme étant du secondaire alors que celles des Rocheuses américaines datent du tertiaire, ce qui lui permet de conclure que géologiquement parlant ce sont à bien y penser les cinéastes américains qui ont triché sur lui !

« Mon vrai métier est randonneur » (1) et c’est vrai que la géographie tient une place toute particulière dans l’œuvre du cinéaste. C’est ainsi que de film en film on arpente avec lui les ruelles des villes de France (comme Foix, la plus horrible selon ses dires), on explore chaque recoin du sud des Alpes (la région dont il est originaire, de cœur du moins, Moullet étant parisien mais s'étant fabriqué par l'accumulation de longs séjours dans les Alpes un territoire de cinéma et de vie), on part pour l’Amérique, on va de cols en pics, de terrils en roubines. Imphy, capitale de France, Le Ventre de l'Amérique, Les Havres, Les Naufragés de la N17, La Terre de la folie... les titres des films montrent déjà l’importance des lieux dans le cinéma de Moullet. « Je suis passé directement du biberon à la carte Michelin » explique le randonneur, « définir le lieu, le montrer, c'est le principal » poursuit le cinéaste. Les repérages sont une part essentielle de son travail de metteur en scène. C’est à partir d’une carte IGN qu’il commence à visualiser le film (« Les Naufragés de la N17 était entièrement repéré avant même que ne commence l'écriture »), et accumuler des images de lieux, les arpenter, constamment voyager font partie de son geste créateur.


Moullet est intarissable lorsqu’il évoque les sphaignes, le lapiaz des paysages karstiques et ces roubines qui sont donc pour lui « l'équivalent des badlands américains ». Ces paysages tortueux et labyrinthiques, il les connaît comme sa poche et il a déjà en tête chaque plan d’Une aventure de Billy Le Kid avant même de donner le premier tour de manivelle. Chaque scène est même imaginée à partir des paysages que Moullet a repérés. Le lieu d'abord, l'action ensuite.

Ce repérage très précis et cette connaissance parfaite des lieux font que le film peut-être tourné en une vitesse record - six jours seulement ! - une maison familiale se trouvant sur un plateau au dessus des roubines servant d'unique décor en dur. L’équipe est très réduite et composée de proches comme la fidèle Marie-Christine Questerbert (ici Rachel Kesterber), son frère Patrice qui compose la musique, sa compagne Antonietta qui est script-girl, son ami Jean Eustache qui se charge du montage.

Comme dans Les Contrebandières, le film repose sur une longue course poursuite prenant pour cadre ces paysages étranges et décalés, totalement inutilisés dans un cinéma français qui a toujours été très centré sur Paris. L’intrigue d’Une aventure de Billy Le Kid en particulier ne semble être qu’un prétexte à mettre en scène ces paysages que Moullet filme avec amour. Ce qui importe vraiment, c’est de montrer comment au détour d’un col on passe du désert à des étendues neigeuses, qu’au détour d’un plan on passe du lit d’une rivière sise entre deux falaises d’albâtre à un paysage lunaire fait de rocaille grisâtre. Moullet s'attache à toujours filmer dans un même plan les acteurs et les paysages, découpant très peu pour conserver ce lien, s'inspirant en cela de la manière de faire d'un Anthony Mann.

L’ouverture du film montre cette capacité certaine qu’a Luc Moullet pour planter un décor, pour mettre en place une histoire avec une étonnante économie de moyens. Moullet n’aime rien tant que la sécheresse de la série B américaine où l’économie oblige le cinéaste à aller à l’essentiel, quitte à bousculer les habitudes du spectateur. Chez Moullet comme chez Ulmer, quelques plans déterminants suffisent, le cinéaste posant son histoire et ses personnages à grand renfort d’ellipses qui créent d’emblée l’atmosphère si particulière du film.

Une aventure de Billy Le Kid est en effet une œuvre particulièrement étrange et déroutante, même au sein de la filmographie de Moullet. Le film se révèlera très certainement décevant - voir agaçant - pour ceux qui ne sont pas des familiers de l’univers du cinéaste et nous déconseillerons à ceux qui veulent découvrir son travail de débuter par cet opus. L’importance donnée aux paysages a tendance en effet à occulter le reste d’un film qui est parfois confus, fait de bric et de broc, toutes choses qui font partie intégrante du cinéma de Moullet mais qui peuvent à coup sûr déplaire au spectateur qui n’est pas "préparé" et surtout à ceux qui ont été attirés par le terme de western accolé au film.


Il ne faut pas cependant croire que celui-ci ne repose que sur les paysages. Déjà, il y a Jean-Pierre Léaud, parfait en Billy le Kid. Moullet a en premier lieu imaginé le titre du film et en deuxième lieu a choisi Léaud. Toute l'écriture a ainsi été conditionnée par la présence de l'acteur (et du reste du casting). Mais cela ne signifie pas que Léaud n'a eu qu'à se couler dans un rôle écrit sur mesure et le tournage l'a même décontenancé, l'acteur étant habitué à improviser et non à suivre un scénario et des dialogues. Décontenancé également car Moullet lui impose un rôle lié à un genre, à des archétypes, à une histoire, ce qui l'éloigne de tous ces films où il mettait tant de lui-même ou servait d'alter ego au cinéaste, qu'il s'appelle Truffaut ou Skolimowski.

Billy Le Kid est au début du film dépeint comme un garçon violent, sans cœur, et qui n’a strictement aucune conception de ce que sont la morale et la loi. Un animal qui à son grand étonnement va être saisi par les larmes de sa prisonnière. Lui qui n’a jamais connu de sensation vraiment humaine, d’émotion, va découvrir à son contact l’amour et bientôt le désir. Un récit initiatique en somme... mais comme nous sommes chez Moullet, les apparences sont forcément trompeuses. La prisonnière cache en effet son jeu et ce n’est que tardivement que l’on découvrira en elle une créature sadique et vengeresse, toute en duplicité. Moullet nous plaçant du côté de Billy, c’est en même temps que lui que le spectateur comprend la vérité. Une série de flashback accompagne cette révélation, Moullet nous offrant une amusante relecture des différentes scènes auxquelles nous avons assisté, nous proposant le contre-champ de ce qu’il nous avait donné à voir. On reconnaît là une figure de film noir que Moullet utilise avec beaucoup d’humour et d’intelligence.

Moullet aime jouer avec les outils que lui offre le cinéma. Tout au long de sa carrière, il ne va cesser de s’amuser, que ce soit avec les formes cinématographiques, avec la (prétendue) frontière entre fiction et documentaire, ou encore via des effets ou des séquences de ses films qui tiennent presque parfois du cinéma expérimental. Ici, côté effet, il utilise des coupures au noir, parfois assez longues, qui viennent ponctuer le film. Cette forme de provocation (au cinéma le noir total est honni), Moullet la reprendra souvent dans ses réalisations suivantes. Le final du film - un grand délire hallucinatoire porté par les accords dissonants de Patrice Moullet et des chœurs indiens - est l'une des séquences les plus expérimentales de son oeuvre. Mais au-delà de cette séquence mémorable, beaucoup d'autres pointes expérimentales et modernes parsèment le film, comme les chocs que le cinéaste ne cesse d'organiser entre des couleurs vives appuyées ou encore des plans très colorés qui alternent rapidement et créent un effet anxiogène et oppressant assez réussi. On pense également à cette source d'eau verte, effet visuel très réussi qui permet de détacher soudainement le film du réel et d'emmener le spectateur vers quelque chose de plus onirique et mental.

Malgré son étrangeté et sa forme de radicalité, Une aventure de Billy Le Kid va être vendu dans une cinquantaine de pays du Tiers Monde... les acheteurs étrangers prenant le film juste pour son titre accrocheur ! Un grand succès pour Luc Moullet dont il se moquera dans son film suivant, Anatomie d'un rapport.


(1) Sauf indication contraire, les citations de Moullet sont extraites du livre d'entretien Notre Alpin quotidien (éditions Capricci) et du film L'Homme des roubines de Gérard Courant (proposé en bonus dans le coffret édité par Blaq Out).

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 9 janvier 2014