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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Jetée

L'histoire

Sur la jetée d’Orly, un enfant est frappé par le visage d’une femme qui regarde mourir un homme. Plus tard, après la Troisième Guerre mondiale qui a détruit Paris, les survivants se terrent dans les souterrains de Chaillot où des techniciens expérimentent le voyage dans le Temps. Car c’est par le Temps que passera le seul moyen de survivre dans ce nouveau monde. Seuls l’avenir et le passé peuvent sauver le présent.

Analyse et critique

« C’était un drôle d’objet. Une petite boîte de métal aux coins irrégulièrement arrondis, avec une ouverture rectangulaire au milieu et en face d’elle une minuscule lentille, de la taille d’un euro. On devait glisser par le haut un morceau de film – du vrai film, avec perforations – que pressait une roulette de caoutchouc, et en tournant un bouton relié à la roulette le film se déroulait image par image. (…) Ce bidule aujourd’hui oublié s’appelait Pathéorama. (…) Après quoi, cadre par cadre, je commençai à dessiner une suite de poses de mon chat (qui d’autre ?) en insérant quelques cartons de commentaire. Et d’un seul coup, le chat se mettait à appartenir au même univers que les personnages de Ben Hur ou de Napoléon. J’étais passé de l’autre côté du miroir. (…) Trente ans passèrent. Puis je réalisai La Jetée. » C. M. (1)

Alors qu’il terminait Le Joli Mai en 1962, Chris Marker réfléchissait à une histoire qu’il raconterait en photos. Le Joli Mai est un film grave. Le thème de la guerre d’Algérie y revient de façon permanente. Le cinéaste s’inquiète de voir les classes populaires quitter les quartiers vivants et totalement insalubres de Paris pour des banlieues nouvellement construites, propres et modernes, mais sans âme. Finalement, ces inquiétudes matérielles le conduisent à une méditation mélancolique sur la société de consommation qui est en train de prendre forme à l’époque. L’humour reste cependant très présent dans Le Joli Mai.

La Jetée est peut-être le seul film de Chris Marker où l’humour est absent. La crise des missiles de Cuba sera le point historique culminant de cette période. Moins de vingt ans après Hiroshima et Nagasaki, la Guerre Froide a atteint son paroxysme. Une guerre nucléaire mondiale est de l’ordre du possible.

A cette époque, en France, on croit cependant encore beaucoup au progrès. La Jetée, c’est celle de l’aéroport d’Orly, dont la construction vient de s’achever. Les familles parisiennes viennent y passer le dimanche pour observer les mouvements des avions. En 1963, année de sortie du film, l’aéroport d’Orly est le monument le plus visité de France, devant la Tour Eiffel.

C’est dans ce cadre moderne et insouciant que Chris Marker choisit de placer les premiers photogrammes de son film, qu’il a baptisé photo-roman. La Jetée adopte une forme de cinéma assez singulière. C’est la seule œuvre de Chris Marker qui soit une fiction et qui ne puisse être considérée comme « documentaire », ce mot dont il disait qu’il était à la fois très désagréable et pourtant le seul, dans la langue française du moins, qui permette de cataloguer « l’autre face du cinéma ». En utilisant uniquement des photogrammes, à l’exception d’un seul plan filmé, Chris Marker donne volontairement à son œuvre de fiction la forme d’un film inclassable.

La Jetée est composé d’une succession de photos réalisées au Pentax 24x36, certaines retravaillées, qui forment un film de 30 minutes. La composition des photos est très soignée, de façon à ce que leur succession provoque un effet cinématographique. A l’exception d’un unique et court plan filmé sur Hélène Châtelain ouvrant un œil dans son sommeil, toutes les images de La Jetée sont immobiles. Certains photogrammes passent rapidement, quelquefois si vite que cela provoque un effet de fondu ; le film s’attarde plus sur d’autres.


C’est la bande-son qui décide de la vitesse de passage des photogrammes et fait le rythme du film. Elle fait alterner la voix de Jean Négroni lisant le texte de Chris Marker, une composition moderne de Trevor Duncan et de la musique liturgique orthodoxe russe : « La matière première c’est l’intelligence, son expression immédiate la parole, et l’image n’intervient qu’en troisième position en référence à cette intelligence verbale… Mieux, l’élément primordial est la beauté sonore et c’est d’elle que l’esprit doit sauter à l’image. Le montage se fait de l’oreille à l’œil ». C.M. (2) Comme l’indique son texte sur le Pathéorama, Chris Marker est passionné par les débuts du cinéma et construit un film qui, à l’exception du plan filmé indiqué précédemment, ignore volontairement le 24 images par seconde, pour rappeler que le cinéma est, avant tout, de l’image en mouvement, tout simplement. Il utilisera à nouveau ce procédé dans quelques documentaires de la même époque, principalement Si j’avais quatre dromadaires (1966).

Le château des carpathesDans son CD Rom Immemory (1997), Chris Marker fait plusieurs allusions aux romans de Jules Verne, dans la collection Voyages Extraordinaires. Guy Gauthier, dans son livre Chris Marker, écrivain multimédia (2001), analyse bien comment ces livres, ainsi que les gravures sur les thèmes du voyage et du fantastique, ont été une source d’inspiration pour Chris Marker, à la fois dans ses œuvres et dans la vie de ce grand voyageur.

Parmi les livres de Jules Verne, il en est un qui aborde le thème du cinéma quelques années avant la première projection des Frères Lumière en 1895. Dans Le Château des Carpathes, roman très populaire lors de son édition en 1892 et écrit alors qu’on faisait beaucoup de recherches sur la reproduction des images et des sons, Jules Verne raconte l’histoire du jeune Franz de Telek et de Rodolphe de Gortz qui avaient tous deux été amoureux de la cantatrice Stillia avant qu’elle ne meurt. Dans son château des Carpathes, avec l’aide du savant Orfanik, Gortz a créé un système de projection de photogrammes sur un miroir, qu’il accompagne du son d’appareils phonographiques avec lesquelles il avait enregistré la cantatrice de son vivant. En haut de l’une des tours de son château, Gortz recréée ainsi l’image mobile et sonore de la cantatrice au sommet de son art, effrayant accessoirement tous les paysans de la vallée avec ce premier fantôme de l’histoire du cinéma.

le château des carpathesIl est intéressant de constater comment, dès ses origines, le cinéma a été vu comme un moyen de créer une nouvelle espèce de fantômes, de conserver vivante l’image des choses du passé, de créer une image vivante des choses vouées à disparaître. Le Château des Carpathes de Jules Verne, ou, plus sérieusement, Le Cinéma ou l’homme imaginaire (1956) d’Edgar Morin sont des œuvres intéressantes qui soulignent la récurrence de ce thème dans l’histoire du cinéma, dès ses origines. « Le cinéma est créateur d’une vie surréelle », disait Apollinaire en 1909.

Au début du film, sur la jetée d’Orly, un enfant est marqué à la fois par l’image d’un visage de femme et, conjointement, par la mort d’un homme qui s’écroule dans la foule.

Ce monde de l’enfance va exploser quand l’enfant passe à l’âge adulte. Paris, la ville tant aimée, la ville sur laquelle Chris Marker écrivait dans les notes préparatoires du Joli Mai "Paris est un objet de conte aussi éculé et fabuleux que le soulier de Cendrillon. N’importe qui peut se targuer de l’avoir connu, et personne de l’avoir chaussé », disparaît au cours d’une Troisième Guerre mondiale. Dans sa folie, l’homme utilise l’arme atomique et fait disparaître la race humaine de la surface de la Terre".

Comme des rats, quelques survivants se sont réfugiés dans les souterrains de Chaillot. Réduits à survivre dans les pires conditions, les hommes ont malgré tout mis en place un système d’oppression où les dérisoires vainqueurs utilisent les vaincus dans de curieuses expériences.

Les présidents enterrés dans les caves à la fin de La Folle de Chaillot (1945) de Jean Giraudoux, écrivain favori de Chris Marker, ont la vie dure.

Le héros de ce photo-roman, va subir lui-même ces expériences, dont tous les autres cobayes sont revenus fous, quant ils n’en sont pas morts. Le prétexte de ces expériences est de faire franchir un espace-temps à un cobaye, l’envoyer vers le futur, afin qu’il prenne contact avec des humains du temps à venir qui, l’espère-t-on, lui confieront une source d’énergie suffisamment puissante pour permettre à la race humaine de survivre et remonter à la surface de la Terre.

La force du souvenir de cette image d’enfance permettra à l’homme de trouver le chemin du passé. Ses tortionnaires utiliseront cette expérience pour lui faire franchir un nouvel espace-temps, vers le futur cette fois, dont il rapportera l’énergie nécessaire à la survie de la race humaine.

Le photo-roman La Jetée débute sur un un carton noir avec, en blanc, les mots « Ceci est l’image d’un homme marqué par une image d’enfance ». Chris Marker expliquera plus tard comment un gros plan de Simone Genevois, dans le film La Merveilleuse vie de Jeanne d’Arc (1928) de Marc de Gastyne l’aura, enfant, marqué à vie : « C’est cette image qui apprit à un enfant de sept ans comment un visage emplissant l’écran était d’un coup la chose la plus précieuse au monde, quelque chose qui revenait sans cesse, qui se mêlait à tous les instants de la vie, dont se dire le nom et se décrire les traits devenait la plus nécessaire et délicieuse occupation – en un mot, ce que c’était que l’amour. Le déchiffrement de ces symptômes bizarres vint plus tard, en même temps que la découverte du cinéma, si bien que pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables » C.M.

Les films de Chris Marker sont généralement l’objet d’une réflexion sur l’image filmée et archivée. Dans La Jetée, le thème du cinéma est central, mais abordé seulement au second degré. Nous avons vu comment, par cette citation au sujet du plan sur Simone Genevois, Chris Marker se présentait lui-même comme un homme « marqué par une image d’enfance. »


Marker commente très rarement et toujours succinctement ses films. Quand on lui demande des précisions sur ses œuvres, il aime employer l’expression « Never explain, never complain ». Mais, cet homme prisonnier, portant un vieux treillis et un « collier de soldat », on peut voir en lui ce que Marker devait être à l’issue de la guerre qu’il avait probablement traversé avec souffrance, lui qui, dans un film plus récent, Level Five (1997), commente ainsi les images d’Okinawa : « Mais il y manque ce qui manque à tous les livres, à tous les films : l’odeur du champ de bataille. Tant qu’il n’y aura pas de cinéma olfactif comme il y a un cinéma parlant, il n’y aura pas de films de guerre, ce qui est d’ailleurs prudent parce qu’à ce moment là, je vous jure bien qu’il n’y aura plus de spectateurs. » Dans un recueil de photos consécutif à une exposition et publié en 2007, Staring Back, Chris Marker a publié une des rares photos de lui, volontairement floutée, où il apparaît arrêté et encadré de trois policiers lors des manifestations de Washington en 1967. Son allure fait curieusement penser à celle du héros de La Jetée.

Plutôt que des acteurs professionnels, Chris Marker a utilisé des amis pour faire ce film, sans toutefois distribuer les rôles au hasard. Davos Hanich, dans le rôle de l’homme marqué, est un artiste, ancien élève et assistant de Fernand Léger (ses œuvres sont rares, vous pouvez aller voir une fontaine qu’il a réalisé, Square Marcel Mouloudji, Paris XIXe). Nous verrons plus loin que l’artiste, selon Marker, dispose de dons particuliers. Hélène Châtelain, dans le rôle de la femme de l’image d’enfance, est une russophone qui réalisera plusieurs documentaires sur la Russie et plus particulièrement sur le Goulag. Il l’a probablement rencontrée par le réseau Peuple et Culture dont ils étaient membres tous les deux. Le photographe William Klein, lui aussi ancien élève de Fernand Léger, fait une apparition dans le film en «homme du futur », avec son épouse Janine. Chris Marker avait édité le premier recueil de photographies de William Klein, New York, au Seuil et le livre avait reçu le prix Nadar en 1957.

La présence de Jacques Ledoux, dans le rôle de l’homme qui guide les expériences, a sans doute été choisie plus malicieusement. Jacques Ledoux, conservateur de la Cinémathèque Royale de Belgique de 1948 à 1988, est un peu le Henri Langlois belge. Les souterrains de Paris à l’intérieur desquels les survivants se sont réfugiés, situés par Chris Marker dans les galeries souterraines de Chaillot, ont longtemps servi à Henri Langlois pour stocker les films qu’il récupérait.

Dans Les Statues meurent aussi (1953, réalisé avec Alain Resnais), Marker expliquait qu’une œuvre, en devenant œuvre d’art, perdait de son usage à l’égard des vivants et, en rentrant au musée, gagnait en statut ce qu’elle perdait en humanité. Ce n’est sans doute pas seulement par amitié qu’il donne ce rôle au Henri Langlois belge. Dans La Jetée, Jacques Ledoux est le seul à sourire, ce qui suffit à le rendre plus sympathique que les autres gardiens. Il est l’homme qui aime fouiller le cerveau de l’artiste qui crée un œuvre, car, en artiste, l’ « homme marqué par une image d’enfance » sera le seul cobaye à avoir la force de se créer un passé à partir d’une image, d’un souvenir. Analysé, l’artiste devient mémoire de l’humanité et perd sa personnalité propre. Un homme comme Jacques Ledoux, finalement clin d’œil humoristique de ce film tragique, est celui qui classe et interprète une réalisation, la fait entrer au musée, figeant ainsi ce qui était d’abord œuvre humaine, unique et personnelle.

Parmi les rares commentaires de La Jetée, Chris Marker a toujours dit que ce film était « un remake de Vertigo ». Ce propos n’a longtemps pas été pris très au sérieux. Certes, on voit dans La Jetée un photogramme de la coupe d’un séquoia au Jardin des Plantes et, sur plusieurs photogrammes, Hélène Châtelain porte un chignon qui se défait progressivement. Mais le lien entre les deux films semblait être du registre de l’hommage, plus que réellement important dans la conception de La Jetée.

A la manière dont il aime laisser des cailloux sur son chemin, c’est seulement en 1994, dans le texte A Free Replay (Notes sur Vertigo) publié dans Positif, que Chris Marker donnera de façon détaillée son interprétation, originale et cependant logique, du film d’Alfred Hitchcock. Arnaud Lambert, dans son livre Also Known as Chris Marker publié en 2008, saura l’utiliser pour faire le lien avec La Jetée. Dans A Free Replay (Notes sur Vertigo), Chris Marker écrit ainsi: « Scottie intégrera la folie du temps que lui transfuse Elster à travers Madeleine / Judy mais… l’honnête Scottie transposera le vertige au sommet de l’utopie humaine : vaincre le temps là où ses blessures sont les plus irréparables, faire revivre un amour mort. Et toute la seconde partie, la traversée du miroir, n’est que cela, la tentative démente, maniaque, effrayante de nier le temps, de recomposer au travers de signes dérisoires mais nécessaires (comme les signes d’un rite : les vêtements, le maquillage, la coiffure) la femme dont, au fond de lui, il refuse d’accepter la perte » C.M. (3)

Dans Vertigo lu par Chris Marker, Scottie sombre dans la folie à la mort de Madeleine et recrée l’objet de son amour dans un long rêve qui, à défaut de le plonger définitivement dans le passé, lui permettra de trouver le repos. Le héros de La Jetée, lui, utilise une image du passé, et non un amour disparu, pour créer un temps qui lui permet d’échapper aux tortionnaires du présent, et retrouver, en rêve, le bonheur. La longue séquence, au regard de la durée totale du film, durant laquelle l’ « homme marqué par une image d’enfance », retrouve la femme de La Jetée, n’est pas un hommage à la nostalgie, mais à la création : « Elle l’accueille sans étonnement. Ils sont sans souvenirs, sans projets. Leur temps se construit simplement, autour d’eux, avec pour seuls repères le goût du moment qu’ils vivent, et les signes sur les murs. » C.M. (4)

Au milieu de Vertigo, Scottie corrige le chignon de Judy afin de le rendre semblable à celui de Madeleine et, par ce geste, s’enferme obstinément dans sa folie. Dans La Jetée, quand, au trentième jour d’expérience, l’homme qui voyage dans le temps parvient à parler avec la femme qu’il recherche, celle-ci porte un chignon. Ils se promènent dans les jardins du Luxembourg, puis du Jardin des Plantes, et lorsqu’ils s’arrêtent devant la coupe de séquoia, hommage à Hitchcock, la femme joue avec son chignon qui est presque dénoué. A la fin de cette promenade, lorsqu’elle dort au soleil et se réveille ensuite, ses cheveux sont libres. La Jetée n’est pas un rêve d’enfermement, une spirale fermée, mais un rêve apaisant, qui libère.


Cette longue séquence de bonheur créé par un homme pendant qu’on le torture, culminera en deux moments du film. Lors de cette séquence filmée durant laquelle Hélène Châtelain, endormie, entrouvre les yeux devant l’homme qui a su l’inventer, la créer ou la retrouver, tout d’abord. Puis, lors de cette visite à deux d’un Musée qui n’est pas un Musée d’œuvres créées de la main de l’homme, mais un Musée « plein de bêtes éternelles. » Par quelques photos prises à l’étage des baleines et des mammouths, Chris Marker nous plonge dans nos rêves d’enfants, visiteurs du Muséum d’Histoire Naturelle du Jardin des Plantes. Parmi ces squelettes fantastiques en plein Paris, l’ « homme marqué par une image d’enfance » trouve le bonheur et la sérénité.

Ce moment de libération se terminera brutalement. Le héros de La Jetée a franchi l’espace-temps vers le passé à plusieurs reprises, et ses tortionnaires décident de l’envoyer vers le futur. Assez facilement cette fois, il rentrera en contact avec les hommes du futur afin de rapporter la source d’énergie tant espérée. Le créateur ou l’artiste, pour Chris Marker, dispose de la capacité à recréer le passé, ce qui lui donne aussi un lien privilégié avec le futur. Le travail sur la mémoire, comme l’anticipation, passent par l’acte créatif. Le héros de La Jetée, une fois son exploit effectué sous la contrainte, n’obtiendra pas de reconnaissance pour avoir su rapporter une source d’énergie aux hommes enfouis sous terre, et son sort sera scellé. Il devra quitter le monde présent. On lui offrira l’opportunité de partir dans le futur, mais : « Il n’attendait plus que d’être liquidé, avec quelque part en lui le souvenir d’un temps deux fois vécu. » A cette proposition, il préfèrera « qu’on lui rende le monde de son enfance, et cette femme qui l’attendait peut-être. » Le héros sera renvoyé sur la jetée d’Orly, entre l’enfant qu’il était et l’image de la femme « au bout de la jetée ». Il sera l’homme mort dans la foule parce qu’ « on ne s’évadait pas du Temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait pas cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort. » C.M. (5)


L’originalité de La Jetée dans l’œuvre de Marker est moins la réflexion sur l’image et la mémoire, qui revient constamment dans ses films, mais le fait qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction très personnelle. On a souvent dit que Chris Marker avait voulu réaliser un film sur la torture en Algérie. Le sujet de la guerre d’Algérie est abordé dans Le Joli Mai, mais dans La Jetée, le thème est plus général et les tortionnaires chuchotent en allemand. J’imagine mal l’homme qui est si rapidement passé de la Résistance à Peuple et Culture, qui était présent en Allemagne dès la fin du conflit armé, alors que les ruines étaient encore fumantes, comme celle du Paris de La Jetée, stigmatisant un peuple en faisant de sa langue celle de « la torture » en général. Chris Marker, polyglotte et internationaliste, se considère, ainsi qu’il l’indique dans certains de ses écrits, comme aussi français que russe, allemand, brésilien ou japonais.

Une œuvre comme La Jetée ouvre un grand nombre de perspectives à l’imagination. J’aime penser que l’image d’enfance, ce plan de Simone Genevois, était une image de paix pour un jeune résistant d’une vingtaine d’années durant l’Occupation, et La Jetée, le rêve d’un futur créateur qui imaginait avoir peut-être un jour à se raccrocher à une image de cinéma comme à un rêve d’enfance.


(1) Chris Marker, Livret du DVD La Jetée – Sans Soleil, 2003
(2) Chris Marker cité par Jean Douchet dans Nouvelle Vague, Cinémathèque Française/Hazan, 1998
(3) Chris Marker, “A free replay (notes sur Vertigo)”, Positif No 400, Juin 1994.
(4) Chris Marker, texte du film La Jetée, livret du DVD
(5) Un Peuple Une Culture, Manifeste de Peuple et Culture, 1945

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DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 16 OCTOBRE 2013

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Par Paul Flèchère - le 18 janvier 2009