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Critique de film
Le film
Affiche du film

Jusqu'à ce que mort s'ensuive

(Blanche Fury)

L'histoire

Blanche Fury, sur le point d'accoucher, se souvient... Jeune femme sans ressources, elle était devenue, sur le Domaine de sa famille, la gouvernante de Lavinia, la petite-fille de son oncle Simon Fury. Elle avait alors rencontré l'intendant du Domaine, Philip Thorn, qui se revendiquait le fils naturel d'un Fury, ancien propriétaire décédé. Une liaison avait uni Blanche et Philip, assombrie par le caractère imprévisible de ce dernier...

Analyse et critique

Blanche Fury est l'occasion de savourer du grand et beau mélodrame gothique avec une œuvre à la croisée des chemins. Le postulat de départ l’inscrit dans la tradition d’un Rebecca, autant par rapport au film d'Alfred Hitchcock que du roman puisque Marjorie Bowen (sous le pseudonyme John Hearing), ici adaptée, est une contemporaine de Daphné Du Maurier et remporte un grand succès avec de romanesques et ténébreuses œuvres gothiques dont ce Blanche Fury paru en 1939. L’usage du Technicolor détache pourtant Blanche Fury de cette tradition avec une touche vénéneuse s’inspirant du côté de la littérature de L'Amant de Lady Chatterley, et annonçant grandement les productions Hammer par son atmosphère pesante et son surnaturel teinté de symbolique. On sera donc très surpris de trouver le Français Marc Allégret à la tête de ce pur produit anglo-saxon tant son registre habituel en semble éloigné. On peut d’ailleurs supposer un apport plus appuyé du directeur photo Guy Green, à l’œuvre dans certaines des plus belles réussites plastiques de David Lean période anglaise - Les Grandes espérances (1946), Oliver Twist (1948) et Madeleine (1950) - et dont on sent un prolongement esthétique ici, en plus de préfigurer dans les moments les plus étranges la future carrière de cinéaste de Green avec des bizarreries comme The Magus (1968).

Toute cette somme d’influences frappe d’emblée dès la saisissante scène d'ouverture qui  nous met dans l'ambiance en nous faisant découvrir le Domaine de Clare, personnage à part entière et objet de toute les convoitises dans lequel pénètre un cavalier à bride abattue. C’est un médecin venu au chevet de la maîtresse de maison agonisante et sur le point d'accoucher, Blanche Fury (Valerie Hobson). Un flashback nous fait alors découvrir les évènements qui ont mené la jeune femme  jusqu'à cet instant. Embauchée par son oncle pour être la gouvernante de sa petite-fille (et éventuellement future épouse de son fils), Blanche est une femme déterminée et sans scrupules, jusqu'à ce qu'elle tombe sous le charme de Philip Thorne (Stewart Granger). Simple intendant du domaine, ce dernier est pourtant le vrai héritier des lieux, mais privé de ses biens et de son nom car enfant illégitime. Le film se pare ainsi d'une tonalité trouble et ambigüe, où des personnages dont on comprend les frustrations vont pour les résoudre se livrer à des actes révoltants.

Stewart Granger jusqu’ici abonné au rôle de jeunes premiers fougueux dans les productions Gainsborough délivre - avec le Love Story (1944) de Leslie Arliss - sa prestation la plus accomplie, l’aura vengeresse qu’il dégage annonçant son Scaramouche. L’acteur abandonne désormais la prestance parfois un peu lisse de ses premiers rôles pour une présence plus ténébreuse, rugueuse et menaçante sous la séduction. On passe ainsi de l'empathie pour lui face aux humiliations subies et à sa passion pour Blanche au dégoût lorsqu'il se transforme en meurtrier sans scrupules et cède à la mégalomanie schizophrène. Valerie Hobson est tout aussi trouble avec un personnage fier mais sans ressources, rongeant patiemment son frein au début (formidable scène où elle rabroue sa maîtresse impotente qui lui est désormais inutile) avant de nourrir son ambition en épousant le fade hériter légitime (Michael Gough) qu'elle n'aime pas.

La romance montre le couple sous un jour plus lumineux et humain, mais ils ne font finalement que s’entrecroiser dans cette passion, un bref ailleurs face au destin en marche. Les étreintes fiévreuses voient ainsi le rapport s’inverser, le frustré Granger s’abandonnant à ses élans criminels face à une Blanche moins assurée. L’amour et l'ambition, la frustration et le désir s'entremêlent à des degrés toujours différents chez les protagonistes et nouent le drame. Tous les évènements semblent s’inscrire dans une perspective qui dépasse les héros, la malédiction planant sur les Fury étant largement sous-entendue tout au long du film.


Dans la mise en scène, cela se traduit par ce mélange de tonalité charnelle vénéneuse pour le couple et le point de vue quasi omniscient rendant palpable cette destinée funeste. On le ressent dès l’ouverture où la caméra parcours les intérieurs  vides et inquiétants pour laisser planer l’atmosphère macabre des lieux. Plus tard le cadrage et les angles de prises de vues donneront ce sentiment de recul, cette impression d’un d’observateur extérieur jetant un regard sur des personnages pour qui tout est joué. Même les scènes d’amour (notamment celle servant toute la promotion et l’affiche lors de l’étreinte entre Granger et une Valerie Hobson allongée dans une robe rouge écarlate) sont bercées de cette noirceur, appuyée lorsque le drame se précipite avec ces inserts sur les objets du manoir, le regard de Valerie Hobson se perdant dans le vide alors que ses forces l’abandonnent.

Le Technicolor aux teintes subtiles et typiques du cinéma anglais amène par l’image une passion qui évite un déroulement trop attendu pourr une photo que se partagent donc Geoffrey Unsworth (pour les extérieurs de la campagne du Staffordshire) et Guy Green (pour les intérieurs aux Studios Pinewood). Il manque peut-être le petit grain de génie à la mise en scène élégante de Marc Allégret pour se hisser tout à fait à la hauteur des grands classiques du genre mais l’ensemble ne manque pas de flamboyance, magnifiquement symbolisée par une Valerie Hobson dont la rousseur étincelle en Technicolor et dont les paroles finales hantent longtemps.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 25 novembre 2013