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Critique de film
Le film

Jours de gloire

(Days of Glory)

L'histoire

En 1941, les nazis avancent sur le front russe. Dans sa fuite, l'Armée Rouge laisse des troupes dans les forêts afin de ralentir l'ennemi. Parmi cette guérilla, un groupe d’une dizaine de patriotes, mené par le capitaine Vladimir (Gregory Peck), est spécialisé dans le sabotage et les embuscades. Au cours d’une de leurs opérations, ils recueillent une jeune danseuse du ballet moscovite (Tamara Toumanova) qui va chambouler la vie du camp et séduire le beau Vladimir…

Analyse et critique

En 1944, les Etats-Unis et la Russie assemblent leurs forces dans le but d’écraser les troupes nazies présentes à chaque frontière de l’Europe. Afin d’expliquer ce rapprochement à leurs concitoyens, les studios américains ont en charge de produire des films de propagande soviétique. Inutile de rappeler que, sous l’influence de la guerre froide et de la chasse aux sorcières, cette période de soutien aux communistes fut de courte durée ! C’est donc avec une certaine curiosité que nous redécouvrons aujourd’hui certains de ces longs métrages, parmi lesquels Days of Glory. L’idée de ce film est née dans l’esprit de Casey Robinson. Le jeune homme, scénariste et producteur au sein de la RKO, souhaitait porter à l’écran une histoire imaginée par Melchior Lengvel. Il en écrit le scénario et profite de la politique propagandiste du studio pour obtenir le feu vert des exécutifs.

Fasciné par le travail de Jacques Tourneur et les recettes occasionnées par sa trilogie (La féline, Vaudou, L’homme Léopard), Robinson se tourne vers le réalisateur d’origine française auquel il propose ce nouveau projet. Pour Tourneur, c’est l’occasion de se démarquer du genre fantastique et de réaliser un film susceptible de passionner les foules. Les deux hommes acceptent donc de travailler ensemble avec un budget et des délais assez serrés. Ces restrictions incitent Robinson à choisir des comédiens méconnus. Néanmoins il pense que leur faible renommée ne nuira pas au film et participera à son réalisme. Parmi cette distribution, on découvre un jeune acteur repéré sur les planches de Broadway : Gregory Peck.

Si Days of Glory fait figure de film curieux par son ambition politique, il se démarque aussi en étant le premier métrage mettant en scène le célèbre acteur que l’on retrouvera rapidement chez Walsh, Hitchcock ou Huston. Ajoutons à cela la griffe "Tourneur" et nombreux seront les cinéphiles à vouloir découvrir cette œuvre… Mais voilà : à défaut de tomber dans une banalité triste, Jours de gloire est loin d’être une réussite. A travers une analyse succincte, nous allons tenter d’expliquer les raisons de son échec au box office sans oublier de rappeler certaines de ses qualités, qui interpelleront les plus curieux ou, a fortiori, les "aficionados" de Jacques Tourneur.

Ce qui surprend le plus dans Days of glory, c’est l’abondance de dialogues. Quand on pense à Tourneur, il est fréquent d’évoquer un cinéma de la suggestion. Pour La féline, par exemple, le réalisateur ne s’embarrasse pas de conversations : les scènes les plus intenses y sont muettes et concentrées sur le personnage principal. En multipliant les répliques, le scénario de Jours de Gloire a tendance à brouiller les cartes et à créer un décalage entre l’art de Tourneur - en quête d’abstraction - et la narration. En plus d’être confus, le script de Robinson est assez pauvre dans son contenu dramatique et il faut attendre plus d’une demi-heure - et une avalanche de palabres ! - pour que les héros aient enfin une épreuve à affronter (l’arrivée d’un soldat allemand). Quelques scènes d’action, permettent ensuite à l’intrigue d’avancer, mais elles restent trop ponctuelles. Entre chacune d’elles, la narration fait du surplace et le spectateur s’ennuie ferme.

Enfin, le scénario fait preuve d’une autre faiblesse qui tient dans la caractérisation particulièrement faible des personnages. Robinson choisit de raconter l’histoire d’un groupe, mais il oublie de donner la moindre profondeur à ses héros. A l’inverse d’un Hawks qui a ce don extraordinaire pour créer des seconds rôles inoubliables (qui ne connaît pas Stumpy ?), Days of glory propose une galerie de caractères trop lisses et sans la moindre particularité. Pourtant, le début du film promettait beaucoup : la jeune Yelena, qui abat deux soldats allemands avec son fusil à lunettes, avait tous les atouts pour fasciner le public. Elle paraît mystérieuse et puissante et rappelle le personnage interprété par Simone Simon dans La féline. Mais après cette scène, le scénario la néglige et provoque une certaine frustration. On constate alors avec tristesse l’incapacité de la mise en scène de Tourneur à pallier les déficiences d’une écriture sans la moindre profondeur. Malheureusement, la liste des griefs que l’on peut porter au film ne s’arrête pas là …

Jours de gloire a beau revendiquer son caractère de propagande pendant le générique (une voix off annonce de nouveaux acteurs incarnant les héros russes en lutte contre le monstre nazi), il est difficile de digérer le pathos de certaines scènes. A titre d’exemple, la séquence finale montre les combattants qui affrontent un char en chantant la gloire de la nation. Admettons !! Mais quand on les voit sourire alors qu’ils se font décimer un à un, les images n’ont plus aucun impact, si ce n’est de nous faire rire à notre tour … Il faut alors se faire violence pour imaginer Jacques Tourneur derrière la caméra. Où est passée la finesse du cinéaste, son art du "non dit" ? Avec des exigences politiques similaires (propagande pro armée US), Raoul Walsh saura traiter son sujet de façon beaucoup plus convaincante (Objective Burma en 1945). Dans Days of glory, les héros se sacrifient, mais il n’est jamais question de douleur ou de tristesse. Après chaque drame, le cours de leur existence reprend calmement, comme si rien ne s’était passé. Au fond, une chose est sûre: entre l’image et le public il ne s’est rien passé non plus !

Lors de sa sortie, la critique a démoli le film qui ne rencontra pas le moindre succès. Aujourd’hui encore, rares sont les cinéphiles motivés pour le défendre et dans "50 ans de cinéma américain", Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier remarquent aussi que "le talent de Tourneur ne parvient pas à sauver certains sujets parmi lesquels Days of Glory".

Mais quand on aime un cinéaste, il existe toujours quelques éléments à sauver dans chacun de ses films. C’est le cas de Jours de gloire et si l’art du récit n’est pas la qualité première de Jacques Tourneur, il n’en est pas de même de la photographie. Associé à Tony Gaudio, qui signa la photo de High sierra (Raoul Walsh, 1941) ou The adventures of Robin Hood (Michael Curtiz, 1938), il compose ici quelques plans d’une grande beauté picturale. Après la première scène, la majorité du film se déroule en intérieur et de nuit, domaine de prédilection du cinéaste. A l’aide d’éclairages naturels, Tourneur joue sur les ombres et les lumières avec virtuosité. Lorsque la petite troupe de combattants pense être attaquée dans son abri, les bougies sont éteintes. Un homme arrive alors et éclaire la pièce avec sa lampe tempête. Dans la pénombre la plus totale, les visages s’illuminent un à un et rappellent certains plans rapprochés de Vaudou ou La féline … Tout au long du récit, Tourneur répète ce type de figure artistique et offre, malgré tout, une certaine beauté à Days of glory.

Après cette réalisation, Jacques Tourneur reviendra vers un genre qu’il affectionnait en signant Angoisse (The experimental Perilous, 1944). Malheureusement ce retour au fantastique ne sera pas synonyme de retour au succès puisque le film ne fut pas non plus une grande réussite. Il faudra finalement attendre 1946 et Le passage du canyon, pour retrouver le cinéaste qui nous avait tant ému avec Vaudou et La Féline. Son parcours ne s’arrêtera pas là puisqu’il signera de nombreux autres chefs d’œuvres, chéris des cinéphiles, comme La griffe du passé (1947), La flèche et le flambeau (1950) ou Rendez-vous avec la peur (1957)…

Nous serons donc honnêtes en avouant que Days of glory, malgré quelques éclairs de beauté, fait partie des films mineurs du cinéaste. Les fans y trouveront quelques éléments de satisfaction, les autres peuvent passer leur chemin !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 26 janvier 2004