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Critique de film
Le film
Affiche du film

Brannigan

L'histoire

L'inspecteur Jim Brannigan, policier à Chicago, est envoyé par son supérieur à Londres afin de faire extrader un criminel américain surveillé par Scotland Yard. Mais les choses tournent mal et le criminel est enlevé par une mystérieuse organisation qui réclame une substantielle rançon contre sa libération. Brannigan doit alors collaborer avec Sir Charles Swann de Scotland Yard, tandis qu'un tueur professionnel a été engagé pour éliminer le policier américain. Le temps presse, et la visite de courtoisie se transforme rapidement en course contre la montre...

Analyse et critique

Suite au succès remporté par Un silencieux au bout du canon de John Sturges en 1974, John Wayne choisit de poursuivre l’aventure du film policier. Le cancer est de plus en plus difficile à combattre, la maladie semble se faire un peu plus visible sur le visage désormais fatigué de Wayne. Qu’importe, le métier d’acteur le passionne toujours autant et les projets continuent. Or Brannigan ne sera pas pour lui un simple deuxième polar, un film marchant dans les pas d’Un silencieux au bout du canon. Ce dernier était très réussi, plastiquement très beau (avec son Seattle magnifiquement photographié), généreux en scènes d’action, et très américain dans sa forme, en outre relativement proche d’un Dirty Harry ou d’un French Connection, sans toutefois en avoir ni la noirceur ni la profondeur, tout en possédant un très bon scénario et un déroulement des événements fort divertissant. Brannigan sera un film policier moitié américain moitié britannique, situé entre le policier impitoyable de Chicago et l’ambiance d’un Londres délicieusement seventies.

Le point de départ est original, avec cette histoire de flic chargé de faire extrader un criminel américain surveillé par Scotland Yard. Il doit donc passer d’une ville de Chicago, qu’il connait bien, à une Angleterre moderne mais qui ne vit pas sur les mêmes codes. John Wayne, ou l’américain type (du moins dans l’idée du public européen) immergé dans Londres, avec ses us et coutumes, ses voisines bien sous tous rapports, ses policiers bien éduqués et ses rues encombrées. La confrontation est intéressante, quoique bien sage, et offre quelques scènes pleines d’humour, notamment entre un Richard Attenborough succulent et un John Wayne forçant le trait et donc la caricature. Drôle, mais pas toujours, car l’atmosphère est aussi plus froide, plus noire que celle d’Un silencieux au bout du canon. Le personnage du flic américain est certes plus détendu, mais les éléments qui l’entourent sont aussi plus vindicatifs, plus sournois. Ainsi le personnage principal est-il obligé de travailler en terrain inconnu, entre l’humour des situations et le malaise issu de la différence. Le film est aussi légèrement plus violent, plus sale, que le polar précédent de Wayne. Même si tout cela reste dans le domaine du film grand public, surtout attaché à divertir. Moins nerveux, mais plus contemplatif, moins pourvu en séquences d’action et autres courses poursuites, mais plus tendu et surtout esthétiquement très différent, Brannigan renouvelle un peu l’image du film policier de la décennie, avant tout grâce à sa patine très anglo-saxonne inhabituelle dans le paysage du film policier américain du moment.


Anglais, le film l’est par de nombreux d’aspects. Produit et réalisé en Angleterre, utilisant au maximum les décors extérieurs de Londres et traversé par une distribution très britannique (Richard Attenborough, Judy Geeson, Mel Ferrer, sans compter un certain nombre de seconds rôles), Brannigan ressemble bien davantage à Get Carter (1971) de Mike Hodges (le côté sale, ou encore la dernière partie du film située dans des installations portuaires) et Villain (1971) de Michael Tuchner (la mafia locale, la brutalité fugace des assassinats…) qu'à Dirty Harry et French connection. Londres y est exploitée dans ses moindres recoins, qu’il s’agisse des rues pavillonnaires, des petits immeubles d’habitations, des longs axes routiers, du Palais de Buckingham, des clubs, des marchés couverts, des pubs... Du touristique au pittoresque, du cliché au vivant, rien n’est laissé au hasard, et apparait assez rapidement un Londres sinueux, inquiétant mais plein de vie, que vient renforcer une longue scène de filature redoutable d’efficacité. Classique, la mise en scène de Douglas Hickox s’avère en tous les cas fort maîtrisée et très habile, misant énormément sur le tournage en extérieurs, plongeant John Wayne dans la foule, multipliant les focales différentes et les zooms optiques bien conçus. Plus qu’une visite guidée de la capitale britannique, Brannigan donne à ressentir ses pulsations l’espace de quelques plans, rythmant certaines scènes clés sur l’excellente musique de Dominic Frontiere. Energiquement groovy (le générique, la filature, la poursuite en voitures...) et parfois plus grave (les apparitions du tueur, la tentative d’assassinat sous la pluie...), celle-ci fonctionne à la perfection.

Le scénario est excellent, très bien écrit, parvenant à créer quelques rebondissements typiques du cinéma policier anglais (avec ses retournements de situations, ses faux coupables et ses vraies ordures). L’idée du tueur à gages rencontre des difficultés à créer du lien avec le reste de l’intrigue, mais son apposition au danger qui entoure le héros est très bien utilisée. Brannigan doit ainsi combattre un double danger : l’enlèvement de son prisonnier et le contrat qui est mis sur sa tête. En outre, bien que moins présente, l’action reste très régulière tout au long du film, avec sa très bonne bagarre générale dans un pub, sa courte mais intense poursuite en voitures (et son issue en voltige sur le London Bridge), ainsi que sa confrontation finale entre le tueur professionnel et le policier. Celle-ci est d’ailleurs conçue comme un combat titanesque, très westernien, une sorte de face à face homme-machine entre la stature de John Wayne et la mobilité presque animale de la voiture du tueur. Assez spectaculaire, en dépit de l’effet invraisemblable de la scène et du gabarit désormais trop lourd d’un John Wayne peu souple et entravé par le cancer. L’acteur assure néanmoins le film avec élégance et cet extraordinaire et inébranlable charisme qui est toujours le sien. Avec sa voix plus américaine que jamais (car plongée parmi les intonations "so british" encourageant constamment cet effet) et son jeu naturellement juste, Wayne porte ce nouveau film sans le moindre problème. Douglas Hickox a également l’intelligence de savoir utiliser Wayne dans l’action, c'est-à-dire comme un roc qu’il faut balader d’un point à un autre. Quand une scène demande une implication physique, il lui donne simplement la direction qui lui convient. Il suffit d’observer cette excellente séquence pluvieuse dans laquelle le tueur tire sur la jeune collègue de Brannigan, avec le suspense qui sous-tend le déroulement de l’action, la gestion des coups de feu et le très joli ralenti soulignant l’intervention de John Wayne dans une simple mais étonnante et très fluide chorégraphie. Une science difficile au cinéma que celle du ralenti, mais ici sporadique et fort bien utilisée.

Il faut ajouter qu’à cette époque, et cela surtout depuis Cent dollars pour un shérif, John Wayne joue avec son âge, s’en amuse régulièrement, n’hésitant pas à repousser les quelques jeunes aventurières qui oseraient cependant encore tenter de le séduire. Conscient de son allure vieillissante et de son surpoids désormais venu, même si sa très grande taille lui permet encore de ne pas avoir réellement l’air trop ventru, Wayne préfère les rapports courtois avec le sexe opposé, tendant même vers le rapport paternel. Il faut observer ces jolis échanges verbaux entre Brannigan et sa jeune collègue durant un repas au restaurant, elle tentant certainement d’imaginer à quel point ce bougre d’homme pouvait être séduisant plusieurs années auparavant, et lui remettant constamment son âge sur la table, allant jusqu’à couper une phrase de sa jeune et jolie interlocutrice en lui répondant qu’il est "gros". Bien davantage situé dans un rapport de collaboration et de respect mutuel que dans un rapport de séduction, le duo fonctionne plutôt bien, aidé en cela par la fraicheur de l’actrice Judy Geeson (1), très charmante au demeurant. Les méthodes diffèrent, les cultures aussi, mais les personnes finissent par s’apprécier assez rapidement. C’est donc dans une ambiance bon enfant que Brannigan résoudra l’intrigue, avec l’aide d’un Scotland Yard montré sous un bon jour, et évitera les pièges mortels semés sur son passage. Entre un redoutable fusil de chasse braqué sur lui, une bombe dans la salle de bains et quelques tentatives pour l’assassiner en extérieur, le personnage triomphera assez facilement, sans que l’on n’ait jamais réellement peur pour sa vie.

Brannigan est un excellent film policier, un deuxième essai transformé pour John Wayne dans ce registre, avant de reprendre définitivement le chemin du western pour ses deux derniers films. (2) Loin de répéter la formule du remarquable Un silencieux au bout du canon, le film s’en démarque intelligemment et avec beaucoup de fraîcheur. Très anglais, et très détendu en dépit de sa noirceur ambiante, Brannigan est une solide réussite à redécouvrir.

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(1) On a pu apprécier l’actrice dans quelques films notables durant les années 1970 : L'Etrangleur de Rillington Place (Richard Fleischer, 1971), Sueurs froides dans la nuit (Jimmy Sangster, 1972 - un assez solide thriller Hammer-), ou encore L’Aigle s’est envolé (John Sturges, 1976).
(2) Il tournera Une bible et un fusil (Stuart Millar, 1975) la même année que Brannigan, et surtout Le Dernier des géants (Don Siegel, 1976), ultime chef-d’œuvre d’une très riche filmographie, fort longue et souvent renouvelée.

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La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 22 janvier 2013