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Critique de film
Le film
Affiche du film

À des millions de kilomètres de la Terre

(20 Million Miles to Earth)

L'histoire

De retour sur Terre au terme d'une expédition spatiale sur Vénus, une fusée sombre au large des côtes italiennes. À son bord, deux survivants et un cocon qui, bientôt, libère le Ymir, un alien dont la vitesse de croissance défie l'entendement et constitue une menace pour les populations...


Analyse et critique

À des millions de kilomètres de la Terre est le troisième film de la collaboration Charles Schneer / Ray Harryhausen et en quelque sorte leur dernière production « d’apprentissage » avant de façonner un imaginaire qui leur est propre avec Le 7e voyage de Sinbad (1958) de Nathan Juran qui suivra - c’est d’ailleurs ici leur première collaboration avec Juran, dont le savoir-faire apportera une vraie plus-value par rapport aux faiseurs habituels. Le point de départ du film naît d’une idée de créature de la part de Harryhausen, qu’il appelle Ymir et imagine d’origine nordique. Après avoir brodé une trame avec la scénariste Charlott Knight, le postulat croisant science-fiction et film de monstre - soit les genres des deux premières productions, Le Monstre vient de la mer (1955) et Les Soucoupes volantes attaquent (1956) - s’amorce donc.


Il s’agit de loin du meilleur film du duo Harryhausen / Schneer à ce stade, notamment parce qu'il fait d’un des défauts récurrents de ces premiers temps un atout. On y retrouve souvent des acteurs de second plan dans des intrigues humaines poussives servant de remplissage entre deux morceaux de bravoure en stop-motion. À des millions de kilomètres de la Terre ne déroge pas à la règle avec ses tunnels de dialogues, ses personnages prétextes et sa romance téléphonée. Mais l’intérêt ici est d’opposer à ces protagonistes neutres et interchangeables la figure de la créature qui véhicule toutes les émotions du récit.

Dès la magnifique scène d’éveil du monstre, sa fragilité et sa stupeur s’opposent à la peur et à la violence des humains qui l’enferment. Il est d’ailleurs amusant de constater que trente ans plus tard, dans une production Amblin à la E.T. (1982), l’intrigue aurait privilégié l’interaction avec le jeune garçon, Ray Harryhausen jouent grandement pour l’empathie envers Ymir (qui perdra ce paronyme dans le film par crainte d’association avec le terme oriental émir). Ymir allie une morphologie humanoïde bipède avec une texture de peau et une queue de lézard, tandis que son visage évoque le dinosaure. Harryhausen fait passer une incroyable expressivité par le langage corporel de l’alien, sa démarche gauche et imposante ; et les efforts simples et imperceptibles pour montrer sa respiration ou ses clignements d’yeux contribuent à cet attachement.


Dans le récit, chaque réaction de la créature répond à une agression non provoquée et l’ensemble des éléments précédemment évoqués traduit sa détresse et son incompréhension dans cet environnement inconnu et hostile. Cela prend bien sûr des proportions de plus en plus spectaculaires au fil de la taille changeante du monstre, mais, là encore, cette mue au lieu de le rendre plus menaçant au contraire l’expose et le rend plus vulnérable aux instincts humains belliqueux.

La scène de la grange où il est attaqué par un chien fait d’un aléa technique (l’animation stop-motion du chien ne fonctionnant pas) le vrai reflet, tragique et poétique, de cette incompréhension en montrant l’affrontement sous forme d’ombres. Tout en payant son tribut au King Kong animé par son mentor Willis O’Brien, Harryhausen orchestre des morceaux de bravoure impressionnants et originaux. L’affrontement entre l’alien et un éléphant illustre le génie de fidélité morphologique de l’animateur grâce auquel la lourdeur, la puissance et l’impact des combattants se ressentent physiquement. Le travail sur les incrustations est bien plus fluide que dans les précédents films (y compris la version couleur qui trahissait bien plus les trucages visuels), et le climax dans le Colisée constitue un moment aussi tragique qu’épique pour notre créature.


Ray Harryhausen rappelle avec malice dans les bonus du DVD une remarque du réalisateur Eugène Lourié avec lequel il travailla sur Le Monstre des temps perdus (1953), qui disait qu’il faisait mourir ses monstres comme dans des tragédies d’opéra. C’est tout à fait vrai ici avec une créature qui annonce les grandes créations à venir, tel le cyclope du 7e voyage de Sinbad. On dépasse enfin la simple démonstration technique pour atteindre l’équilibre ténu entre émerveillement et émotion.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 17 février 2021