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Portraits

Portrait de Tomu Uchida

  

Tomu Uchida fait partie du cercle très fermé des grands maîtres japonais, au rang desquels on compte Kurosawa, Naruse, Mizoguchi, ou encore Ozu, ces grands artisans comme les décrit Fabrice Arduini dans les bonus. Cependant Uchida demeure en France un cinéaste méconnu de la critique et du public et il faut attendre 1997 pour qu’une rétrospective lui soit consacrée. Malgré le succès rencontré par ce festival, Uchida reste peu montré (rétrospective à la maison de la culture du Japon en 2002). Wild Side, neuf ans après, arrive à la rescousse en nous proposant trois films emblématiques de son œuvre et de son style. Tomi Uchida (1898-1970) entre très tôt dans le monde du cinéma. Il fait ses premières armes à la Taikatsu comme acteur puis comme assistant sur différents postes techniques. La Taikatsu est une petite société où se regroupent des cinéastes qui veulent sortir le cinéma japonais de l’influence du kabuki, s’affranchir de ce qui pour l’heure tient du théâtre filmé pour entrer de plain pied dans le septième art, poursuivre un mouvement initié au sein de la Nikkatsu et de la Tenkatsu. Elle emploie des techniciens et des réalisateurs formés à l’étranger, sensibles aux méthodes et théories appliquées notamment à Hollywood. Uchida est particulièrement marqué par sa rencontre avec Thomas Kurihara dont il devient l’assistant. Kurihara est peut-être le premier réalisateur japonais à utiliser pleinement un langage purement cinématographique. Uchida a toujours été attiré par l’Occident et surtout par la culture anglo-saxonne, et trouve dans les enseignements de Kurihara matière à marier cette passion à son amour grandissant pour le cinéma. Ce bouleversement du paysage cinématographique japonais se poursuivra et s’accentuera avec la naissance de la Shochiku, issue du rachat de la Taikatsu par une compagnie théâtrale dirigée par Matsujiro Shirai et Takejiro Otani.

Le grand tremblement de terre qui ravage le pays en 1923 accélère l’ouverture du Japon à la culture occidentale. Jusqu’alors réticent aux influences étrangères, dominé par un modèle traditionnel qui perdure depuis le début du XVIIème siècle, le Japon entre dans l’ère Taisho, l’ère des grandes réformes. Ce cataclysme a également des retombées sur la carrière d’Uchida, qui décidément voit sa vie intrinsèquement liée à l’histoire de son pays. Le cinéaste voit son quotidien confortable réduit en cendres et devient clochard, errant dans un Tokyo dévasté, découvrant la terrible condition de ceux qui ont tout perdu et qui essaient de survivre. Une vision qui le hantera et qui trouvera nombre d’échos dans ses réalisations à venir. Uchida rejoint une troupe d’acteurs itinérants et bientôt reprend pied dans le monde du cinéma. En 1926 il suit son ami Kintaro Inoue en entrant à la Nikkatsu. Cette maison de production convient à Uchida, désireuse qu’elle est de mettre en chantier des œuvres réalistes et critiques, des œuvres proches du peuple. Comme la Shochiku (où se retrouvent Ozu, Naruse, Kinoshita…), la Nikkatsu entend révolutionner le cinéma japonais, mais s’en distingue par sa volonté d’appliquer cette transformation au jidai-geki (films en costume pour résumer), genre abandonné par la Shochiku.

Le premier film réalisé par Uchida date de 1927. Il se spécialise dans la comédie après un rapide passage par le jidai-geki. Ces comédies se transforment en satires sociales qui se muent bientôt en véritables œuvres critiques. Il devient un cinéaste engagé, réalise plusieurs films sur la condition du prolétariat, devient une icône du keiko-eiga (films politiques, de gauche essentiellement). Le Théâtre de la Ville (1936) et La Terre (1939) sont les deux œuvres phares de cette période. Son expérience du tremblement de terre n’est pas la seule explication à cette volonté de s’engager politiquement, Uchida, fils d’artisans, ayant toujours été sensible à la vie des « gens simples ». Un autre bouleversement va venir ébranler et la nation et la vie du cinéaste. Pendant la deuxième guerre mondiale, fasciné comme beaucoup de ses amis par le nationalisme japonais, il se rend en Mandchourie. Il compte y réaliser Rikusen no Hana sur un scénario de Kaneto Shindo, un film sur les compagnies de char Kantogun. Suite à l’échec de l’entreprise, Uchida décide de rester en Mandchourie aux sein des studios militaires Manei. A la fin de la guerre, et suite à la déroute japonaise, le studio est pris en main par les autorités soviétiques, puis par le gouvernement communiste chinois. Les Japonais sont invités à quitter les lieux, mais au dernier moment Uchida décide de demeurer en Chine. Il désire voir de ses propres yeux les bouleversements et la mutation de la Chine suite à l’arrivée au pouvoir des communistes, fasciné par les doctrine maoïstes. Fabrice Arduini nous raconte que lors de ce périple mandchou, Uchida, en écoutant les radios japonaises à destination des compatriotes exilés, est pris d’une nostalgie pour une culture et une histoire qu’il avait rejetée jusque là. En revenant au Japon, il est pris du désir de réaliser des films inscrits dans la culture japonaise, et naissent alors des œuvres comme Le Mont Fuji et Meurtre à Yoshiwara. De retour au japon, il est engagé à la Toei. Uchida craint qu’au vu de ses idées communistes, la Nikkatsu, la Toho ou encore la Shochiku ne l’accepteraient pas. Il accepte donc la proposition de la Toei, studio bien moins prestigieux mais qui dès son arrivée le sollicite. Il revient au jidai-geki avec un début retentissant, Le Mont Fuji et la lance ensanglantée que produisent Ozu et Mizoguchi, dont l’amitié ne s’est pas arrêtée à l’aura gauchiste sulfureuse qui émane d’Uchida. Le Mont Fuji anticipe ses titres de gloire dans le genre que seront l’adaptation en trois volets du Passage du grand Bouddha (Daibosatsu toge, 1957-1959) et les six volets (le dernier qu’il ne peut achever, mourant sur le plateau) de Musashi Miyamoto (1961-1971)

   

Les Films de Tomu Uchida sur DVDClassik

Par Olivier Bitoun - le 20 février 2006