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Portraits

Portrait de CHU YUAN

   

Chu Yuan débute sa carrière par de nombreux mélodrames, quelques thrillers et films d’aventures. Des réalisations pour la plupart purement alimentaires, qu’il mène avec un savoir-faire certain, et lui garantissant un succès public constant. Il monte sa société la Rose Film en 1962 qui n’a qu’une courte durée de vie. Il gagne ensuite la Cathay, mais tardivement, peu avant sa disparition (il y réalise un Wu Xia Pian The Cold Blade). La méthode Chu Yuan est celle des anciens films cantonais : « Vite, beau et bien ».
C’est cette capacité qu’a le réalisateur de réaliser une cinquantaine de films en 15 ans, qui amène Run Run Shaw à s’intéresser à lui. Chu Yuan va ainsi rentrer à la Shaw en 1970, et il y passera les 14 années suivantes. Durant cette période, il réalise de nouveau près de 50 films à raison de 3 ou 4 par an, pour une durée de tournage de 70 à 80 jours en moyenne. Ce stakhanovisme n’empêche cependant par le cinéaste de développer un style personnel et une grande sensibilité artistique.

En 1971, il signe son deuxième Wu Xia Pian, Duel for Gold. L’année suivante, il réalise Les Confessions intimes d’une courtisane chinoise. Peu de combats dans cette production qui met plutôt l’accent sur l’érotisme et la sensualité, notamment en présentant à l’écran des scènes d’amour entre deux femmes. Chu Yuan perfectionne son style et son esthétique, mais se désintéresse de l’aspect martial de ces productions. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il va aborder le genre avec délectation.

Chu Yuan offre alors à la Shaw parmi ses plus beaux films de Wu Xia Pian (alors en déclin depuis le début des années 70, détrôné par le Kung Fu Pian) : La Guerre des clans (1976), Le Sabre infernal (1976), Le Tigre de Jade (1977), The Sentimental Swordsman (1977), Le Combat des clans (1976), The Convict Killer (1980)…Chu Yuan privilégie les tournages en studios, et offre des films d’un flamboiement esthétique peu commun. Il aime les héros solitaires (incarnés par Ti Lung, Ching Li ou encore Derek Yee) et l’évocation d’une Chine médiévale fantasmée.

En 1973, Chu Yuan fait rentrer le scénariste Sze To On à la Shaw Brothers. Celui-ci écrit dans l’ombre les scripts du réalisateur (du moins dans la version rapportée par l’intéressé). Ensemble, ils adaptent pendant 8 ans une quinzaine de romans de Gu Long.

Gu Long (Hung Yiu-wah) était le compère de Ni Kuang (le grand scénariste de la Shaw) et de Ji Yong. Ils écrivaient tous deux dans des magazines consacrés aux arts martiaux. Au début des années 60, Gu Long commence à écrire des romans martiaux, qui s’inspirent fortement de la littérature japonaise. Purement alimentaire au début, son travail sur le genre s’affine considérablement avec les années et, en 1967, il publie Les Remarquables jumeaux, son premier grand roman. A partir de 1973 et la sortie de L’Etoile filante, le Papillon, l’Epée (inspiré du Parrain de Francis Ford Coppola, et qui deviendra la première adaptation de l’auteur par Chu Yuan avec La Guerre des Clans), et ce pendant une dizaine d’années, il va régner en maître incontesté du genre. Ses romans sont construits de telle manière que leur adaptation cinématographique est évidente. Le découpage y est déjà présent, les intrigues complexes sont parfaitement exploitables et surtout ils contiennent tous les ingrédients pour intéresser les frères Shaw. Outre l’influence du Chambara, ces romans présentent des héros solitaires tout droit sortis du Western Spaghetti alors très en vogue. Des héros qui présentent souvent des faiblesses et des failles, permettant une identification complète du public (Fu Hung Hsueh dans Le Sabre infernal est un personnage mélancolique au cœur brisé). Les écrits de Gu Long sont issus de l’univers du Jiang-Hu, celui d’aventuriers solitaires évoluants dans un contexte historique indéfini. En brassant les références, il élargit le genre du Wu Ling (l’univers des héros martiaux) dont Le Sabre infernal et La Guerre des clans sont les deux chefs-d’œuvre reconnus. Ses héros sont des combattants solitaires, à l’image du Ronin (le samouraï sans maître). Chu Yuan utilise à merveille le matériau de Gu Long. Le réalisateur maîtrise la structure des romans, gérant la multiplicité des intrigues, l’usage des flash-back, les coups de théâtre, avec une aisance de chaque instant. Il rend brillamment l’atmosphère étrange, à la frontière du fantastique, des romans. Il ajoute de l’action et rallonge les combats, mais édulcore quelque peu la nature érotique (de plus en plus présente et audacieuse) des romans.
Dans Le Sabre infernal, il donne au personnage de Fu Hung Hsueh un côté plus viril, maîtrisé et intelligent, gommant les failles du personnage du roman, et lui ajoute une couverture en guise de manteau qui finit d’en faire l’homme sans-nom de l’Eastern Spaghetti. C’est Ti Lung qui incarne ce personnage, la star de la Shaw de ces années 70. Chu Yuan exacerbe son côté sombre et ténébreux, et le charisme de l’acteur éclate à l’écran. Découvert par Chang Cheh, c’est véritablement Chu Yuan qui va donner une aura quasi mythique à Ti Lung.

L’occidentalisation du personnage va fortement dynamiser l’exportation des succès de la Shaw. Dès le succès de La Guerre des clans, Chu Yuan devient le maître incontesté du Wu Xia Pian des années 70. Sa carrière passée dans le mélodrame confère à ses films un romantisme qui tranche avec le cinéma brutal de Chang Cheh. Il s’attarde sur les relations amoureuses qui lient les personnages, et illustre leurs sentiments avec un flamboiement inédit. Chu Yuan redonne de l’importance aux figures féminines au sein du genre. Combattantes, amantes, traîtresses, interprétées par des actrices magnifiques, elles évoquent un retour au source du Wu Xia Pian. Les scènes d’action, souvent chorégraphiées par Tang Chia et Huang Pei-chih, sont extrêmement inventives. la qualité de la photographie, le soin apporté à la lumière et aux décors, les palettes de couleur variées, achèvent de donner à l’œuvre de Chu Yuan une aura unique dans le cinéma hongkongais.
La fin de carrière de Chu Yuan au sein de la Shaw est marquée par l’épuisement du cinéaste, qui ne parvient plus à retrouver la beauté formelle de ses précédentes œuvres et sombre dans une esthétique clinquante et kitsch avec Descendant of The Sun (1983) ou encore The Enchantress (1983). Il s’essaye sans succès à la comédie avant de devenir présentateur à la télévision.

   

Les Films de Chu Yuan chroniqués sur DVDClassik

Par Olivier Bitoun - le 1 novembre 2004