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« Peut-on vraiment savoir ce qui, dans Monument Valley, obsédait Ford ? Bien sûr, visuellement, c’est frappant, mais pourquoi ? Pour quelle raison y retournait-il ? Pourquoi tourner tant de films au même endroit ? Je pense que lui-même n’avait pas de réponse à cette question. »
Michael Cimino, Les Cahiers du Cinéma, numéro spécial 337 « made in USA », juin 1982.

Le monde a bien changé...

Lorsque nous étions enfants, dans les années 1970-80, les films du duo John Ford / John Wayne passaient en prime time le dimanche soir sur TF1. Nous nous souvenons fort bien d’avoir vu, à plusieurs reprises et avec ravissement, Le Fils du désert qui passait régulièrement dans ce créneau. Le dimanche 6 décembre 1987, La Prisonnière du désert, qui n’en était pourtant pas à sa première diffusion, prit même la tête des audiences, avec 35% de part de marché. (1) Aujourd’hui, les programmateurs de TF1 n’auraient même pas l’idée de passer un tel film...

Qu’est-il donc arrivé ? Tout d’abord, le western est passé de mode, évidemment, remplacé peu à peu par un autre type de « film d’action ». Cela a été d’abord, subrepticement, entre le milieu des années 1960 et le début des années 1970, la venue de nouveaux justiciers plus modernes, tels James Bond et L’Inspecteur Harry ; cela a été ensuite, plus radicalement, à partir du milieu des années 1970, l’entrée dans l’ère du blockbuster (sortie successive, à deux ans d’intervalle, des Dents de la mer [1975] et de La Guerre des étoiles [1977], dont l’influence perdure de nos jours). De plus, la génération d’après-guerre, qui avait grandi avec John Wayne, qui appréciait de revoir ses films et qui était encore le public majoritaire de la télévision jusqu’à la fin des années 1980, a fini par passer la main. Le grand public a délaissé Wayne pour Arnold Schwarzenegger, Mel Gibson, Bruce Willis puis, plus tard, Liam Neeson, Matt Damon ou Dwayne Johnson.


La Poursuite infernale (1946)

L’époque où l’on pouvait voir un film du duo Ford / Wayne en prime time est donc bien finie. Le seul moyen aujourd’hui de revoir ces œuvres est le DVD, le Blu-ray (pour les anciennes générations, il y a encore un bon rayonnage de westerns dans certains magasins, mais pour combien de temps ?...) ou bien sûr les chaînes payantes spécialisées dans le « vieux cinéma ».

Dès lors, comment transmettre aux enfants d’aujourd’hui le plaisir de voir ou revoir Le Fils du désert, Le Massacre de Fort Apache ou La Charge héroïque ? Quand la génération d’après-guerre aura totalement disparu, qui regardera encore ces films, à part nous autres, cinéphiles, qui savons que John Ford est un des grands maîtres du cinéma américain, si ce n’est le plus grand ? La question est préoccupante : Ford n’a pas fait ces films pour les intellectuels mais pour le public populaire. N’est-il pas un peu triste, voire contre-nature, que le duo Ford / Wayne ne devienne, dans le futur, qu’un plaisir solitaire pour cinéphile averti ?


Le Massacre de Fort Apache (1948)

C’est pourquoi nous avons eu envie d’écrire ces quelques lignes, non seulement pour exprimer notre passion pour John Ford, mais également pour essayer de dégager, de faire partager, sans prétention, la réelle magie de ses films. Non toutefois de tous les films. Tout d’abord, cela a déjà été fait, et remarquablement, par de grands spécialistes du cinéma américain comme, entre autres, Lindsay Anderson, Joseph McBride, Tag Gallagher, Jean-Loup Bourget, Jean Collet, Jean Louis Leutrat ou Patrick Brion. Ensuite, avec le temps, on apprend... à être honnête avec soi-même : ainsi, à titre personnel, je me suis rendu compte que, si je possédais tous les films de Ford disponibles en vidéo, et si j’adorais, comme il se doit, telle rareté des années 1930 (par exemple la trilogie Will Rogers) ou tel classique des années 1940 (par exemple, les oscarisés Les Raisins de la colère et Qu’elle était verte ma vallée), les films vers lesquels je revenais sans cesse, ceux que je revoyais avec le plus de plaisir et dont je contemplais sans arrêt, non sans fétichisme, la jaquette, étaient les westerns avec John Wayne. Dans l’ordre : La Chevauchée fantastique (1939), Le Massacre de Fort Apache (1948), Le Fils du désert (1948), La Charge héroïque (1949), Rio Grande (1950), La Prisonnière du désert (1956), Les Cavaliers (1959) et enfin L’Homme qui tua Liberty Valance (1962). Et je me suis demandé d’où venait cette attirance, cette magie...


La Charge héroïque (1949)

Une partie de la réponse vient de l’enfance, de notre enfance sûrement, puisque nous avons découvert ces films à cet âge, mais pas seulement la nôtre : c’est la magie d’un monde vu à travers l’enfance, et le cinéma de Ford, portant essentiellement sur le passage des générations américaines, sur la famille dans tous ses aspects, sur les pères et sur les fils, est forcément un cinéma de l’enfance, même quand il n’y en a pas dans l’histoire (mais il y en a presque toujours).

Une autre partie de cette magie, évidemment, vient de la symbiose véritable, fascinante, qui s’est créée entre la caméra de Ford, le charisme chaleureux de John Wayne et le désert environnant, à tel point qu’un film comme Les Cavaliers, qui se déroule dans les plaines verdoyantes du Mississippi, semble détaché de l’ensemble, moins attirant, malgré sa puissance de mise en scène. La peau burinée de Wayne, ses yeux plissés, sa silhouette massive, taillée à la serpe, semblent façonnés par le sable, la roche et le soleil.

En fait, dans ce corpus d’œuvres bien délimité, le désert semble être la clé de tout...


Les Cavaliers (1959)

Mémoires de nos pères

Si les westerns du duo Ford / Wayne sont en eux-mêmes fascinants, ayant une valeur intrinsèque en tant qu’œuvres, il est certain qu’ils ont aussi, pour notre génération, une valeur sentimentale. Autrement dit, la vision de ces films s’accompagne forcément du souvenir de les avoir découverts en compagnie de nos parents. L’émerveillement ou l’amusement que l’on ressent devant ces œuvres sont aussi ceux-là mêmes que nous avons vus ou sentis sur le visage de nos aînés. C’est aussi comme cela, par l’observation, que s’établit une transmission.

On le sait, la génération d’après-guerre a reçu de plein fouet une vague déferlante de grands films hollywoodiens à partir de 1946, vague d’autant plus réjouissante qu’elle venait après les années de privation de l’Occupation, où les films américains étaient interdits. Pour cette génération, la fascination de l’Amérique et de sa culture est donc inséparable de la Libération puis, un peu plus tard, du Plan Marshall.


Le Fils du désert (1948)

Notre génération, intermédiaire (la fameuse génération X), est donc au cœur d’une double transmission : Ford a légué son amour du passé américain au public de l’après-guerre (dont faisaient partie nos parents) puis, à son tour, ce public nous a donné le goût de l’Amérique fordienne à travers la télévision, dans les années 1970-80. Ainsi, et que l’on me pardonne cette autre anecdote personnelle, j’ai longtemps fantasmé sur L’Homme tranquille bien avant de l’avoir vu, simplement parce que ma mère n’arrêtait pas d’en parler, évoquant l’époque où elle l’avait découvert, en temps réel, en 1952. Et mon regard sur John Wayne est largement influencé par la sympathie que lui portait mon père, fan de westerns : enfant, j’établissais, plus ou moins consciemment, une analogie entre le physique de dur à cuire de l’acteur et la carrure de mon père, avec ses mains calleuses d’ouvrier. Leur parole mesurée, non exempte de non-dit, leur gestuelle lente, leur humour simple, sans second degré auto-parodique étaient semblables. Une sorte d’esprit paysan, modeste, laconique, terrien. D’une certaine manière, le personnage de Wayne se confondait un peu avec mon père...


L'Homme tranquille (1952)

Voir un film de John Ford, c’est donc accepter une transmission de la part de nos pères, c’est vouloir connaître la vie de nos parents et, partant, de nos ancêtres. Le passé fut la grande passion de Ford. Pourquoi un tel amour du passé chez ce cinéaste en ce siècle de modernité fulgurante que fut le XXe ? Peut-être, tout simplement, parce qu’il est un homme du XIXe siècle. Ford est né en effet en 1894, il a donc connu, même dans cet état de semi-conscience propre à l’enfance, les gens de cette époque, il les a vus et les a entendus parler (c’est peut-être cela qui rend ses films authentiques). Il a vu les derniers feux de l’ère du cheval. Il a vu comment on vivait dans un monde essentiellement rural. Du reste, il est évident que, même dans les premières années du XXe siècle, les gens étaient encore imprégnés par l’autre siècle, de la même manière que notre génération 1970-80 appartiendra pour toujours, quoi qu’elle en dise, au XXe.


Trois sublimes canailles (1926)

Le vrai début de la vie moderne, la véritable entrée dans le XXe siècle, ce serait plutôt la fin de la Grande Guerre, en 1918. Il n’est pas innocent que Ford ait commencé par tourner des westerns vers cette époque, en 1917. Face à la folie autodestructrice du monde, il était rassurant pour les foules américaines (et pour Ford) de se replonger dans les dernières années du XIXe siècle, dans la ruralité, quand tout était encore plein de promesses, avant le grand basculement irrémédiable. Cette nostalgie de la conquête de l’Ouest, de l’aventure légendaire au cœur d’une Nature sauvage, sans loi, est l’essence du western. Et cette fascination des origines américaines, qui fonde le succès du genre, jouera encore jusqu’aux années 1960, jusqu’à ce que la Nouvelle Frontière, celle de l’ère spatiale et de la haute technologie, relègue peu à peu la Vieille Frontière et la ruralité dans l’oubli. Voire le déni...

Comme le signalait Jean-Baptiste Thoret lors d’une conférence sur La Charge héroïque en 2016 (2), Ford appartient à une génération de cinéastes (Walsh, Wellman, Hawks) qui n’a pas connu uniquement le cinéma et cela se ressent dans ses films. Autrement dit, ce sont des durs, aussi taciturnes que leurs personnages (une attitude typique de cette génération, dans laquelle les hommes ne devaient pas se plaindre ou s’épancher), des hommes qui ont connu l’aventure et le danger au sens large : la guerre (Ford, Wellman), l’exploration de terres sans lois (Walsh dans la Révolution mexicaine) ou de nouveaux moyens de transport (l’aviation pour Hawks). De la génération de cinéastes post-1960, seuls Clint Eastwood, marqué par la Grande Dépression et la guerre de Corée, et Oliver Stone, rescapé du Vietnam, sont de cette étoffe. Ce n’est pas forcément une question de talent (Steven Spielberg, pur « mioche du cinéma », a autant de génie) mais d’expérience du terrain, de dureté à tous les sens du terme : quand il s’agit d’action, de bagarre, d’errance et de danger de mort, ils parlent de choses tangibles, de ce qu’ils connaissent.


La Prisonnière du désert (1956)

Pour les hommes de la génération de Ford, mettre en scène un western, c’est avant tout faire un retour à la terre, à la ruralité de leur enfance. Ford a déclaré : « J’aime faire des westerns parce que j’aime les cascadeurs avec qui je travaille. J’aime aller en extérieurs. J’aime quitter la ville avec son smog, son brouillard et sa circulation, ses autoroutes et ses voies express. J’aime vivre au grand air : on se lève tôt, on travaille tard, on dîne de bon appétit, on dort bien. Quand je reviens du tournage en extérieurs, je me sens mieux. » (3) On peut voir bien sûr le sous-entendu dans cette remarque : fuir le plus loin possible, pour cet Irlandais irascible et indépendant, les compromissions de Hollywood, ses studios factices, ses dirigeants tyranniques, ses executives arrivistes et fouineurs... Mais n’est-ce pas également une manière de dire que l’homme a besoin de ce contact direct avec la Nature, de la saine contrainte que cela représente de vivre en son cœur ?

Stèles

Dans cette optique, le désert est l’ultime Nature. Le lieu vierge par excellence. Mais pourquoi, avec les contraintes inhérentes à une équipe de cent personnes (c’est à peu près ce que nécessitait un tournage de western pour Ford), s’embêter à aller tourner en plein désert, dans la Vallée de la Mort (pour Le Fils du désert) ou Monument Valley (pour les autres films), loin de toute commodité ? Qu’est-ce qui est si fascinant dans le désert, dans ce lieu où il n’y a rien, uniquement du sable, de la roche, des crevasses sans vie et des températures extrêmes ? Pourquoi est-ce beau ? Comment peut-on l’aimer ? Au journaliste américain Lowell Thomas (Arthur Kennedy) qui lui pose précisément cette question, Lawrence d’Arabie (Peter O’Toole) répond, après une courte réflexion : « Parce que c’est propre. »


Le Fils du désert (1948)

Le colonel Lawrence a en effet raison, et pas seulement pour lui. Cette « propreté », cette beauté, c’est bien sûr l’absence de la Civilisation, l’absence de l’Homme avec son cortège de corruption. Mais c’est aussi l’étendue grandiose, à perte de vue, pour tout dire surhumaine, de ce « vide ». Le désert est un temple naturel (ou divin, pour les croyants) avec pour salle de cérémonie les plaines et pour colonnes les falaises. C’est une architecture qui nous dépasse, dans laquelle on se sent humble. Le désert est surtout un lieu hanté, un cimetière. Nous sentons qu’un monde a vécu là et qu’il a disparu depuis des éternités. C’est aussi le miroir de notre futur probable. Nous le savons. Jean Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues ont raison de parler de stèles à propos des buttes de Monument Valley... (4)

Par ailleurs, Ford est né et a grandi dans le Maine, une région verdoyante au Nord-Est des Etats-Unis. Comme le colonel Lawrence, qui a grandi dans une Angleterre bien « grasse », on peut voir dans cette attirance pour le désert la fascination pour un espace qui est l’antithèse de son milieu d’enfance, autrement dit l’exotisme absolu pour quelqu’un qui a été élevé au milieu des arbres et au bord de l’eau. En 1939, tourner dans Monument Valley fut pour Ford une révélation. Mais c’est à partir de 1946 et de La Poursuite infernale que tourner dans le désert en général, et dans Monument Valley en particulier, devient pour Ford une tradition, voire une obsession. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que cela a un rapport, plus ou moins conscient, avec les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, que le cinéaste a subies en première ligne (et sans armes !) en tant que commandant de Field Photo, l’unité cinématographique du Service des renseignements américains. (5) En effet, quel meilleur moyen d’oublier ces horreurs, ce traumatisme, ce tumulte, que de se plonger à corps perdu, presque maladivement, dans le vide, le repos sépulcral et la pureté du désert ?


La Patrouille perdue (1934)

Bien sûr, il y a, plus prosaïquement, une raison esthétique et pratique dans le choix quasi exclusif de tourner tant de westerns dans le désert : c’est un lieu qui est spectaculaire et qui donne facilement l’impression d’un autre monde, d’un espace sauvage, totalement coupé de la modernité. De fait, ce paysage renforce l’impression de passé et enrobe les acteurs d’une aura d’authenticité. Ford devait être très conscient de l’écueil dont parlait Orson Welles, à savoir que dans beaucoup de films d’époque, on a l’impression que, « à tout moment, un avion à réaction peut traverser le ciel. » (6) Pour vaincre cet écueil, quitter le studio ne suffit pas (combien de westerns de série B ou de séries TV ont-ils usé et abusé de l’arrière-pays californien ?). L’auteur de La Chevauchée fantastique avait compris que les paysages littéralement préhistoriques de Monument Valley compensaient, et annulaient en quelque sorte, tout sentiment de XXe siècle.

Le paradoxe savoureux est que, si l’on a effectivement l’impression, en regardant un western de Ford, d’être réellement au XIXe siècle (7), ces films n’en donnent pas moins une vision totalement biaisée de la conquête de L’Ouest : à cause de Ford (mais c’est aussi un hommage que l’on peut rendre à la puissance de ses images), on a en effet l’impression (historiquement et géographiquement fausse) que la plupart des conflits entre colons et Indiens, ou entre ranchers et hommes de loi, se déroulaient en plein désert ! Avec Ford, le règlement de compte à OK Corral (La Poursuite infernale) et la défaite du général Custer (Le Massacre de Fort Apache) se noient dans la poussière de l’Utah, bien loin des plateaux du Nevada ou des prairies vertes du Montana. Mais ce sable qui semble vouloir tout recouvrir, n’est-ce pas aussi une sublime métaphore du « retour à la poussière », du Temps qui passe, inexorable ? Mieux : par ce désert omniprésent, le cinéaste renforce l’idée que le Temps est déjà passé depuis longtemps, pour ces ancêtres, ces fantômes, au moment même, paradoxe émouvant, où nous les voyons sur l’écran...


La Chevauchée fantastique (1939)

Enfin, le désert, c’est aussi, plus ou moins consciemment pour le cinéaste et son équipe, un « retour aux sources », c’est-à-dire, pour ces Américains descendants de pionniers, à la Bible. N’oublions pas que Ford est fondamentalement un homme pieux, un catholique d’origine irlandaise. Une grande partie de la Bible, l’un des textes fondateurs de la culture occidentale (que l’on soit croyant ou pas), se déroule dans le désert. L’un des motifs principaux est la traversée du désert, avec espoir de Terre Promise à la clé, pour une population errante, en l’occurrence les Hébreux. Comment un Américain d’origine irlandaise, dont les parents ont fui la famine et la misère, ne pourrait-il pas être obsédé par ce récit et vouloir le reproduire, en le transposant dans un cadre immémorial, pour mieux comprendre ce qu’ont vécu ses ancêtres ?

Le cinéma de Ford est un cinéma judéo-chrétien et, par cette présence insistante, obsédante, du désert, ses westerns nous donnent une réelle impression biblique, comme si la conquête de l’Ouest était pour lui, fût-ce inconsciemment, un autre épisode du Livre Saint : c’est très clair bien sûr avec Le Fils du désert (Jésus et les Rois Mages ; d’ailleurs, devant le christianisme affiché du titre original, 3 Godfathers, les auteurs du titre français ont, semble-t-il, préféré faire une allusion indirecte au désert biblique du film) et Le Convoi des braves (l’Exode). Mais on le sent aussi dans les errances désertiques, les perditions parfois, voire les chemins de croix, que racontent La Charge héroïque, La Prisonnière du désert, Le Sergent noir, Les Deux Cavaliers ou Les Cheyennes, sans parler d’œuvres non westerniennes comme La Patrouille perdue, Les Raisins de la colère ou Dieu est mort. Les Américains du XIXe siècle (le siècle identitaire de Ford, rappelons-le) n’étaient-ils pas imprégnés par l’idée de « Destinée manifeste », de nouveau « peuple élu » par Dieu, en référence aux Ecritures ? Une destinée grandiose assurément, mais qui implique surtout de grandes responsabilités, et de grandes souffrances, entremêlées de lassitude. Une lassitude non exempte de fierté, propre aux travailleurs de la terre quand vient le soir.


Les Cheyennes (1964)

« Plus tard, cette région deviendra un beau pays, où il fera bon vivre... » soupire la fermière Mme Jorgensen (Olive Carrey) dans La Prisonnière du désert, et elle ajoute en se levant lentement, voûtée par la fatigue : « Mais peut-être faut-il que nos os pourrissent en terre pour préparer cet avènement... »

(1) Source Médiamétrie, cité in Starfix, n° 57, février 1988, p. 66.
(2) Ciné-Club de Jean-Baptiste Thoret, Centre des Arts d’Enghien-les-Bains ; conférence visible sur YouTube.
(3) Joseph McBride, A la recherche de John Ford, Institut Lumière/Acte Sud, 2007, p. 568. Ford a tenu ce propos à plusieurs reprises, notamment sur la fin de sa vie : voir la rétrospective sur le tournage de La Chevauchée fantastique organisée par la revue Action, Directors Guild of America, septembre-octobre 1971, vol. 6, n° 5 (rétrospective traduite en français par Serge Grünberg in John Ford, Editions de l’Etoile / Cahiers du Cinéma, p. 41) ; voir également l’entretien avec John Ford par Axel Madsen in Cahiers du Cinéma, n° 183, octobre 1966.
(4) Jean-Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues, Monument Valley, variation et immobilité, in John Ford, Editions de l’Etoile / Cahiers du Cinéma, 1990, p. 79.
(5) Office of Strategic Services (OSS), future CIA.
(6) Orson Welles, Editions de l’Etoile / Cahiers du cinéma, 1986, p. 53.
(7) A tel point que, plus jeune, nous avons éprouvé une sorte de « déception » en découvrant une photo de tournage de La Prisonnière du désert, avec ce rail de travelling « incongru » accompagnant John Wayne et Jeffrey Hunter !

Par Claude Monnier - le 31 décembre 2021